Il est encore devant chez Bloom, pour la troisième nuit d’affilée. Jessy sait qu’il ne devrait pas être ici, mais c’est plus fort que lui : il a besoin de se retrouver près d’elle. Son propre coeur palpite dans sa poitrine, si fort qu’il pourrait en jaillir. Le jeune homme a froid, est fatigué, mais être aussi proche de l’élue de son coeur le rassure.
Assis sur un banc, à un angle où elle ne pourrait pas le voir (il s’y est assuré un soir, en entrant chez elle alors qu’elle était sous la douche et qu’elle n’avait pas fermé la porte de chez elle à clé), à boire une gorgée d’un whisky pur. Il n’en aime pas le goût, mais ça lui tient chaud. Une jeune fille passe devant lui en le regardant d’un air dégoûté, Jessy réplique en la sifflant. Elle accélère le pas, pressée de se retrouver loin de lui. Il fait souvent cet effet là chez les gens : il les dégoûte. Jessy aime ce sentiment de terreur et de méfiance qui apparaît chez les autres quand ils font sa connaissance, ou qu’ils commencent à distinguer son vrai visage. C’est comme une chasse.
Enfin, du mouvement dans l’immeuble. Jessy se lève d’un bond, remonte son pantalon désormais trop grand (il a perdu plusieurs kilos ces derniers temps mais n’a pas le budget pour se racheter des vêtements), traverse la route à grandes enjambées et s’adosse contre le mur afin d’observer le spectacle. Visiblement, Bloom est au téléphone : elle fait les cent pas dans sa chambre, parlant avec animation. Curieux, il sort le sien de sa poche et enfila une paire d’écouteurs, lance son logiciel d’espionnage. Ce petit bijou fait maison lui permet d’intercepter des textos, des appels, des photographies prises par la caméra — il peut même en prendre lui-même et c’est par ce biais qu’il connait la localisation de Bloom en temps réel.
La jeune femme est encore en train de parler à Iluminada. Un prénom à coucher dehors, si vous voulez l’avis de Jessy. D’ailleurs, Bloom a tellement honte de cette relation que personne d’autre — à part Jessy — n’est au courant de leur rapprochement charnel. Jessy en est ravi. Au moins, il n’est pas le seul à se faire rejeter…
« — Non, Illie, je ne peux pas sortir ce week-end… ma mère veut à tout prix que je sois là pour l’anniversaire de mon oncle Edward…
— Comme d'habitude...
La voix de l’autre fille est lointaine, étouffée. Jessy enfonce davantage ses écouteurs dans ses oreilles.
— Je sais, je suis désolée… »
Sans pouvoir se retenir, Jessy éternue. En paniquant, il enlève ses écouteurs, conscient que cela a dû s’entendre dans la conversation. Il jura et essaya de se cacher à l’abris, mais c’était trop tard : Bloom l’avait repéré.