J'ai un rire satisfait et un rien sadique quand il se tortille pour m'échapper, ce qui n'est pas bien efficace parce que je suis plus grand que lui.
Hinhin. Ça t'apprendra à m'emmerder.

« Moui, ou je ne suis vraiment pas difficile », je réponds dans une moue, le jaugeant du regard. « T'as un sourire pas mal mais t'es avare de compliments et pas toujours un étalon sans reproche ! »

Qu'on soit d'accord : moi ça m'va très bien, comme je disais j'ai appris à me contenter de peu, et c'est comme ça que j'arrive à être content de ma vie. C'est une belle stratégie de survie, et je ne comprends pas que plus de monde s'en rende compte.

« Droit d'aînesse, c'est moi qui t'ai vu avant », je réponds avec un sourire charmant, alors que je sais pertinemment que Tom fera bien ce qu'il veut, quand il le veut. C'est pas comme si c'était aussi mon cas, cela dit. « Voler tes affreuses godasses ? Non. Je préférerais des Louboutins, à vrai dire. »

Je me glisse sous la couette, vaincu finalement par le froid, squattant l'oreiller de Tom.

« T'as prévu quoi aujourd'hui, alors ? »

Tu ricanes, glousse même toujours, amusé par les compliments comme par les sous entendus. « Je suis un bon plan cul, fais pas genre. » Même si ce n’était pas le cas tu avais suffisamment confiance en toi et tes capacités pour te persuader seul du contraire. Au pire, tant que toi tu prenais ton pied… « Et donc ? Je suis à tout le monde. T'attache pas trop, ça me fait chier. » Et surtout ça te fait fuir, tant que toi tu n'es pas intéressé, l’idée que l'autre en face s’accroche te debectait. Tu passes un bras autour de sa taille pour l’attirer à toi. « Finir ma nuit, bien au chaud, bien manger, peut être lire un peu, je sais pas. Rien de ouf. Pourquoi ? Tu veux me chasser ? » Tu glisses ton nez froid dans son cou et soupire, laissant le souffle chaud vous réchauffer tous les deux.

« Moui, ça dépend de ton état de fatigue et d'égoïsme, mais tu te débrouilles pas mal. »

Je le dévisage sérieusement alors qu'il me repousse en paroles et m'attire physiquement contre lui, un truc tout particulier à lui qu'il manie sans aucune subtilité, et je fronce du nez :

« Dans une coloc ça peut foutre la merde, et je vis avec ces gens. Tu ne voudrais pas me créer des problèmes, hein ? »

J'ai envie de lui répondre que oui je veux qu'il s'en aille, mais c'est de une pas tout à fait vrai de deux difficile à dire quand il glisse son nez dans mon cou comme ça. Comme son bout de nez imite avec un certain succès un glaçon, un loooong frisson me parcourt le dos, et je serre les doigts sur son épaule, satisfait de sa chaleur contre moi dont le contrepoint parfait c'est l'endroit où la couette ne recouvre pas bien mon épaule.

« Nah, j'suis sympa, t'as le droit de rester. »

Je m'étale un peu plus sur l'oreiller qui commence à me gêner, caresse ses cheveux sans tirer dessus cette fois.

Tu n’entends que le compliment – qui n’en est pas un – et tu te blottis sans faire attention au ton ou au regard. Tes doigts s’infiltrent dans le tissu de son tee-shirt et s’agrippent, le tirent vers toi le plus possible pour profiter de sa chaleur, incapable d’attendre patiemment que la couette se réchauffe à nouveau. « Je croyais que tu étais capable de gérer les problèmes. » Tu marmonnes contre sa peau. Le mouvement répétitif dans tes cheveux te fait soupirer et tu te trémousses pour trouver une position plus confortable contre son corps trop maigre, trop dur, différent de celui d’une femme contre lequel tu as le plus l’habitude de te vautrer. « Yay…. T’arrête pas. » La voix déjà pâteuse, ton esprit a pourtant un sursaut. Tu es trop bien dans ses bras, à lui faire trop confiance, il allait falloir que tu coupes les ponts ou mette de vraies limites.

Je continue de lui caresser les cheveux même s'il tire sur le col de mon t-shirt, dont le tissu doux se réchauffe au contact de nos deux corps maintenant collés l'un à l'autre. Je suis tranquille, d'assez bonne humeur, et j'ai envie de faire des câlins, que demander de plus ? …

« Evidemment que je sais. »

On ne fait pas mon taf sans savoir un minimum gérer les problèmes – et si possible en gardant sa manucure parfaite !

« ça n'est pas pour autant que j'ai envie d'en avoir », je ronronne, effleurant son oreille des lèvres, m'écartant juste un peu de lui pour ne pas risquer un coup de boule alors qu'il se tortille en cherchant sa place contre moi. Une fois qu'il a trouvé, je reprends les câlins avec paresse, tout à fait semblable à un chat ronronnant. « Tu te rendors déjà ? »

C'est bizarre, il me semble que le rythme de sa respiration a changé, étrangement.

Quand tu rouvres les yeux, c’est parce que tu entends du bruit et tu grognes, toujours blotti contre le corps. Les angles de celui-ci te frustrent et tu te dégages pour t’enfoncer dans le matelas, tirant d’un coup sec sur ton oreiller pour te blottir dessus, retirant la couverture pour te cacher le museau dessous. Tu finis par te réveiller à nouveau, sans savoir combien de temps s’est passé depuis et tu bailles, soupires et tu te frottes les yeux. Autant ne pas te contenter encore de somnoler au risque de surtout te rendre malade et grincheux.

Tu tends la main pour allumer la lampe de chevet, sans vérifier que Liberty soit toujours endormi et tu te frottes à nouveau les yeux en gémissant. Un soupire t’échappe et tu passes en position assise, profitant d’avoir gardé ton pull pour ne pas souffrir de trop de l’écart de température qui vous sépare sous et en dehors de la protection enfantine qu’est la couette. « J’ai faim, putain… » Tu soupires et passe tes jambes vers l’extérieur. Tu cherches ton pantalon, l’enfile, ôte ton pull pour remettre ta chemise en baillant ostensiblement. « Y a quoi dans le frigo ? »

C'est encore Tom qui me réveille en bougeant d'abord, puis en allumant la lumière – ce à quoi je m'attendais à vrai dire, et je m'étais planqué à dessein sous la couette pour ne pas avoir les yeux blessés – et...
Il se plaint.
Ah c'est bien les hommes, ça, je me dis tristement sans être travesti le moins du monde, derrière le rempart de duvet et de tissu que constitue une pauvre couette. J'émerge prudemment, les cheveux ébouriffés, mais la peau parfaitement nourrie, m'étire longuement.

« Je ne sais pas. Tu as l'impression que je suis dans le frigo, par hasard, pour poser une question pareille ? »

Je lève le regard, un peu habitué, pour le matter complaisamment alors qu'il s'habille, vraisemblablement dans l'idée d'aller piller le frigo.

« Tu veux pas commander plutôt ? Genre, des sushis, ça aura pas le temps de refroidir », je ricane stupidement, sortant de mon lit pour aller ouvrir mon volet, et fumer à la fenêtre.

« J’espèrais que tu savais un peu ce qui se passait chez toi. » Tu remarques avec une once de mesquinerie. Tu te poses au bord du lit pour observer la marmotte. « Des sushis ? Non, plutôt chinois ou indien, je veux des légumes. » Ca te reste sur le ventre les barres énergétiques et les petits pains et le muffin de ce matin ne suffisent pas à calmer ton besoin nutritionnel de la journée. Tu tires sans ménagement sur la couette pour le déloger. « Allez, debout ! J’ai faim ! » Tu râles, déjà impatient de pouvoir plonger ta fourchette dans un plat tout prêt et chaud. « Pourquoi tu n’allumes pas le chauffage ? Tu as trop dépensé en robes de putain ? T’inquiète, si tu tapines pas trop je ferais en sorte qu’on te ramasse pas à la première fournée. »

« Les aventures du frigo sont bien trop palpitantes pour les suivre au jour le jour », je réponds d'une voix de philosophe, chopant un pull d'une université où j'ai jamais été pour le draper sur mes épaules trop minces. « Chinois ou indien alors, comme tu veux, commande. Je suis debout ! »

Mais je vais m'occuper à autre chose que la bouffe parce que j'ai envie de fumer. Je récupère dans ma pochette de la veille mon paquet de clopes 100s, en tire une et me penche à la fenêtre avec un soupir satisfait.
Le vieux d'en face n'est pas là, il faut dire qu'en hiver il planque sa bedaine, sinon j'ai le plaisir de le voir tous les jours à observer la rue. Ce type m'aide beaucoup à me dire que je n'ai pas une vie si nulle que ça, si vous voulez tout savoir. J'ai un rire :

« On dort mieux dans le froid, figure-toi. Et je ne tapine pas, espèce de mauvaise langue, t'es bien placé pour le savoir. »

T’aurais voulu qu’elle appelle elle, que tu puisses la reprendre sur ses choix médiocres même si tu les approuvais. Tu fronces le nez et observe tes chaussures un instant, hésitant à les enfiler ou pas. « Puisque t’es debout, rends toi utile et commande, je sais pas ce que ton régime inclut. » Tu tends la main pour qu’elle te passe la clope, histoire de tirer une ou deux tafs. « C’est des conneries de pauvres de dire ça. » Tu renifles, tes sinus te brûlent et tu as un mal de tête qui commence à poindre. « Hein ? Bah non, t’es tout le temps en petite tenue sur le bord de la route et tu couches avec n’importe qui contre un peu d’affection, si c’est pas se prostituer… » Tu te frottes la face avec la paume de ta main. « Où sont les ibuprofènes ? »

« Donne ton téléphone et ton compte, j'en ai marre de payer pour toi », je fais en tendant la main, lui échangeant volontiers la clope contre l'appareil high tech, parce que je suis vraiment trop gentille. « C'est des conneries de gros, de dire ça », je fais remarquer, parce qu'il ne fallait pas me reprendre sur mon niveau de vie.

Après j'avoue que je fais sourcilleusement attention à ma taille, il faut dire que je dois rentrer dans des robes super taillées donc il n'est pas question d'amateurisme quand il s'agit de mon poids. Je souffle ma fumée, hausse des épaules sous mon t-shirt Superman.

« Une pute, ça se fait payer, c'est pas mon cas, problème réglé. Et je vois pas en quoi tu me donnes de l'affection, crétin comme tu es. Tu es malade mon chat ? »

Je vois très bien en quoi il me donne de l'affection, mais si j'en parle, ça va déclencher une tempête de merde telle que Trump dans sa Maison Blanche sera jaloux, alors je la ferme scrupuleusement.

« Dans le tiroir du bureau, sers-toi. »

Tu l’observes un instant, l’œil fatigué et tu déverrouilles ton téléphone, ferme toutes les applications et ouvre celle pour commander avant de lui tendre et échanger avec la clope sur laquelle tu tires un taf. Tu te diriges vers le bureau en relâchant une volute. « Tu prends du cul en même temps, je comprends que tu fasses gaffe. » Tu ouvres le tiroir, la cigarette au coin des lippes. « Joue pas au con et non je suis pas encore malade, encore que toi t’es un peu trop dans ma vie. » Tu maugrées, sort la plaquette d’ibuprofène et te tourne vers elle, lui lançant un regard critique. « T’as un truc pour l’avaler ? Outre les usuels trucs auxquels je toucherais pas. »

Sage que je suis, je me concentre sur l'application pour commander à manger, faisant défiler les mille restaus qui livrent à domicile à New York, me satisfaisant 1/ de mon rayon kilométrique, 2/ que ça soit Tom qui paye la bouffe.
Fort de mes 60 et quelques kilos – oui je suis mince – je laisse échapper un rire bref :

« Ouais on se rend pas compte du problème que c'est que d'être gros dans une société comme la nôtre. »

Rectification : dans mon business. J'me plains pas, cela dit, je l'ai choisi et ça me va bien la plupart du temps. Je fais défiler des tas de restaus asiat et arrête mon choix sur un qui a l'air de faire des menus végétariens ; Tom a cet amour du légume que lui envierait Emile Louis !...

« C'est en train d'arriver si tu demandes des ibuprofènes. Et je ne joue pas au con, tu sais très bien ce que je veux dire. »

Je lui jette un regard entendu quand il dit que je suis trop dans sa vie, laissant en suspens des tas de choses que j'aimerais dire, mais encore une fois, je m'abstiens : j'aime à jouer les équilibristes, je vois pas comment expliquer ça autrement.

« J'ai de l'eau... Tu sais que c'est déconseillé de prendre de l'alcool et des médicaments, quelqu'un te l'a dit au moins ? »

« Pour ça que t’es obligé de vivre dans ce taudis plutôt que de te trouver un sugar daddy ? » Tu tires toujours sur la clope, tu laisses tomber la cendre dans le récipient le plus proche. Une fois la clope au bec, tu caches ta main libre dans la manche de ton sweat, le nez qui te semble pris et qui est juste bouché au niveau des sinus. « Nope, je vois pas chérie, sinon je te le ferais pas remarquer. » T’as envie de cracher un glaviot quelque part mais le mètre 90 de l’autre perche te dissuade de lâcher un mollard sur son parquet. Tu tends la main pour récupérer ton téléphone. « Dans ta piaule, putain… » T’es le genre de con à faire un tas de mélanges, juste pour prouver aux autres que t’avais aucun problème à marcher en dehors des clous. Tu finis par te casser, la cigarette toujours entre les lèvres, tu retournes dans la cuisine pour avaler ton cachet, tu te perches sur une chaise sans un mot, lançant un regard mauvais au premier coloc’ qui te regarde de travers et ouvre sa grande gueule.

Un sugar daddy mais quelle drôle d'idée ! … Oh elle m'a traversé l'esprit deux trois fois, on m'a proposé aussi, mais je n'ai pas pu m'y résoudre simplement parce que je ne suis pas fait pour ça. Je suis très sympa, je me contente de peu, mais je tiens à mon indépendance quand même, toute discrète qu'elle soit.
J'ai donc laissé filer l'hypothèse dans la catégorie des nombreux trucs qui ne se feront pas, sans trop de regret.
Je suis de mon regard clair et inquisiteur pour le coup Tom qui me paraît bien de mauvais poil même rapport à d'habitude, sans répondre, et referme ma fenêtre : de toute manière je viens de me faire piquer ma cigarette. Je le suis dans le couloir, adresse un sourire et un bonjour joyeux à ma coloc qui passe par là, et débarque dans la cuisine.
Si je fais exprès de faire claquer les portes de placard au cas où il ait mal à la tête ?
Vous n'avez aucune espèce de preuve, et présomption d'innocence !

« La bouffe arrive dans 20 mn si le livreur est à l'heure, sinon je te charge de le disputer et de lui coller la honte pour 7 générations.
Tiens, de l'eau. Y en avait aussi dans ma chambre pour information. »

Je lui embrasse le nez juste pour le faire chier, redémarrant la cafetière avec satisfaction.

Tu agites la main comme pour chasser une mouche trop envahissante, le nez froncé, la mauvaise humeur palpable autant dans tes sens que dans ta façon d’être. Tes yeux sont fatigués, ton nez plein et t’as un sale goût acre dans la bouche. « Me touche pas. » Tu fais un signe de main à la coloc’, plus jolie que Liberty quand on pense au côté féminin du corps. Tu écrases la clope au fond de ta tasse, sans lui proposer de tirer dessus une dernière fois. « Tu te complais à m’emmerder, en fait ? » Tu demandes, dépités, ton front posé dans ta paume, un mélange de lassitude et de migraine provoquant le geste. « Je croyais qu’il fallait s’habiller pour pas choquer tes voisins d’appartement. »

« C'est vrai que t'as une sale gueule », j'approuve, en me reculant un peu, avant de rire légèrement. « Moi ? Non, moi je suis adorable. Je suis la caution gentille de nous deux », je lui rappelle sur un ton duveteux, alors que je sais que je suis une vraie peste et que j'adoooore l'emmerder.

Bon cela dit il a l'air d'avoir vraiment mal à la tête, alors je me recule je ne voudrais pas risquer qu'il s'énerve plus et s'en aille, ça ne serait pas drôle et me laisserait un drôle d'arrière goût que je n'aime pas, pour l'avoir déjà testé. Je hausse des épaules.

« Moi c'est pas pareil, je vis avec. Tu penses être malade ? Si tu veux j'ai le numéro d'un médecin je peux t'y emmener si vraiment tu ne peux pas vivre avec une sinusite. »

« La caution ? Ca veut dire qu’on peut te laisser en gage quelque part ? » Tu renifles à nouveau, parce que tu as l’impression bête que ça soulagera la pression qui t’écrase de plus en plus entre les sourcils. Tu te frottes les narines avec le plat de la main, n’irritant par-là que le derme plus que tu ne te fais du bien. « Ouais et donc ? Tu peux être indécent ? Je passe pas assez de temps chez toi ? » Tu te redresses et roule des épaules en baillant, les mains jointes entre elles et tu fais craquer autant tes épaules que tes doigts. « Non ça passera, j’ai pas de fièvre de toute façon. » Les médecins, tu les avais en horreur surtout parce que tu fréquentais quotidiennement la gonzesse de Noah et que Riley était une toubib amnésique, tu avais l’impression de vivre concentré entre des pompiers, des docs et des hygiénistes du dimanches qui essayaient d’éduquer à la sauvette. « Tu peux pas plutôt faire un truc genre un vrai thé bien chaud ? »

Je fronce du nez :

« N'y pense même pas. »

Il serait parfaitement capable de m'abandonner quelque part contre de la thune... Je crois. Je fronce également des sourcils, mais rapidement, ça n'a pas le temps de marquer la peau quand je le vois faire ; donc je suis pas médecin mais je soupçonne bien un début de maladie, et il ne fait qu'empirer les choses avec ses manies.

« Ne renifle pas, c'est pire. Tiens décale-toi... »

Je le pousse d'une main sur la hanche, sors un paquet de mouchoirs d'un tiroir et lui confie en espérant très fort que sa mère lui ait expliqué comment s'en servir.

« Mmh, je ne suis pas certain que t'aies pas de fièvre, en fait », je fais remarquer, tout en m'activant pour faire un thé en plus du café qui termine de passer. « T'aimes pas le café, toi ? Moi qui pensais que c'était un des critères pour être flic ! »

Comment ça je regarde bien trop de séries ? …

Tu te décales en émettant un claquement de langue irrité, une main posée sur ta hanche pour qu’elle évite d’y reglisser la paluche. « C’est pas un rhume, maman, ça ne va pas me couler sur les amygdales. » Tu prends le paquet de mouchoirs que tu poses devant toi sans y toucher, tu te serres les narines des doigts et tu tires, pour ôter cette sensation gênante d’irritation plus proche de la démangeaison que de la douleur. « En plus d’être drag, t’es médecin ? T’as fait les mauvais choix de parcours, mon vieux. » Tu persifles et penches sensiblement la tête sur le côté pour observer les mouvements de l’homme. « J’aime bien le café mais là je veux juste un truc chaud fadasse. Tu me donnes froid à te promener en slip. »

« Ah maintenant tu sais ce que t'as ? On progresse à grands pas, je vois », je réponds sentencieusement tout en dosant le thé, puis en attrapant la bouilloire que je ne sais qui a encore rempli ras-la-gueule. Ça va me muscler les bras ça, à force, et ça m'arrange pas du tout.

J'ai un geste de dénégation :

« Tu sais très bien que je n'ai pas fait d'études. »

Quoique en fait je sais pas s'il le sait réellement ; on ne passe pas vraiment de temps à parler de choses sérieuses, sinon après on aurait l'impression de se connaître et ça serait sans doute terrible.

« Arrête, je ne suis pas vieux », vicieux, j'enfonce un doigt entre ses côtes en testant, je le sais très bien, sa patience pourtant limitée.

J'aurais l'air con quand il sera parti en claquant la porte, mais en attendant...

« Petite nature. Tiens, ton thé. »

La sonnette retentit, ça doit être le livreur et je vais récupérer mon dû ; le type n'a pas l'air affecté du tout, lui, de me voir en slip – je me dis que les livreurs doivent voir des choses bien pires que ça dans leur vie...

« Merci, bonne journée ! Tiens monsieur Grincheux, de quoi manger. »

« J’en sais rien et je m’en fous si t’es un pauvre gars qui avait pas le niveau pour l’université. T’as fait de ton mieux pour trouver de quoi te faire remarquer. » Tu lui attrapes l’index et tu le repousses en appuyant sur sa main pour le repousser. Elle joue, elle fait exprès et tes yeux se plissent. Tu pourrais partir, faire une scène mais tu as faim, tu as payé pour ça et autant attendre pour pouvoir faire une sortie dramatique ; d’avoir mis tes godasses et d’avoir le sachet en main. Tu lui relâches le doigt et accueille ta tasse avec un large sourire. « Au moins je ne suis pas une erreur de la nature. »

Lorsqu’elle va ouvrir, tu ne bouges pas de ta place, tu ne sors ni couverts, ni ustensiles, tu restes là à te vautrer sur la table en tant qu’hôte indélicat. « Hopkins, c’est pas si compliqué. » Tu tends les deux mains pour attraper ton repas et tu fouilles dedans, ouvre tout ce qui passe, trempe tes doigts dans tout, te lèche les doigts et repousse les mains qui s’approchent d’un peu trop près. « Hep ! C’est à moi ! J’ai payé ! »

Je hausse des épaules, peu atteint par le fait qu'il me pense stupide ; à vrai dire c'est le cas de pas mal de gens parce que gagner sa vie en faisant du drag n'est pas exactement le meilleur moyen de se faire des amis partout. Et puis bon, je connais Tom, dès qu'il peut être blessant, il l'est, surtout quand j'essaie de le faire chier – c'est de bonne guerre je suppose.
J'arque un sourcil :

« Une erreur de la nature, carrément ? Je ne te savais pas aussi politiquement à droite, c'est pas gênant ta sexualité débordante pour ça ? »

Il corrige machinalement son nom de famille, ce que j'accueille d'un haussement d'épaule négligent, et je l'observe déballer sa nourriture directement avec les doigts, planqué derrière ma tasse de café. Je prends place sur une chaise, tente une approche, et bien sûr me prends un vent. Tom Hopkins dans toute sa splendeur, mesdames et messieurs.

« Tu es égoïste », je fais remarquer d'un ton égal comme si c'était une découverte, mais attendue, et prends une gorgée de café.

« Tant que tu t’identifies femme, quel problème. Je fais mon devoir de bon chrétien, famille, patrie. » Tu glousses, la bouche pleine. Tu fais claquer ta langue, un clin d’œil tandis que tu nettoies tes doigts en les glissant dans ta bouche. Tu continues de manger en l’observant et lui laisse de côté ce qui ne te plait pas tant, tu en pousses un autre, t’essuies la bouche avec une serviette, te moucher dans une autre en ignorant toujours le paquet qu’elle t’a laissé. « T’as pas des couverts ? » Tu poses ta main sur la tasse, pour vérifier la chaleur, t’assurer que tu ne risques pas de te brûler en y trempant tes lèvres. Encore échaudé, tu te retournes vers Liberty et tu appuies ton menton dans ta paume. « Je suis parfait, je me dois donc de prendre la meilleure part, non ? La loi du plus fort, la part du lion. »

Ce qu'il dit est tellement absurde que j'ai un souffle amusé par le nez ; soit Tom est très con – je ne le crois pas – soit il est vraiment passé maître dans l'art d'avoir l'air de porter des oeillères. Je penche plutôt pour la deuxième option.

« T'es con », je fais remarquer tout en fouillant négligemment un tiroir où je sais qu'il y a des cigarettes.

J'allume – déjà – la deuxième de trop de la journée, laissant traîner sur lui un regard peu intéressé par la bouffe, mais plus par sa personne.

« Dans le tiroir derrière toi, lève ton cul », je réponds en croisant les jambes, avant de rouler des yeux. « Mens doucement, tu sais très bien que tu n'es pas parfait loin de là. Comment font tes collègues pour te supporter, hm ? »

Peut-être qu'il les baise aussi ! …