Y'a ce regard, sur la pomme qu'est toute enneigée. Pas blanche, parce que les godasses ont eu tôt fait d'en faire une mélasse grisâtre, dégueulasse. Alors on peut pas même se dire que c'est beau. Y'a rien à tirer, de ce merdier. Pour autant, il sait pas la quitter, cette ville aux allures si triste, quand l'hiver se pointe. C'est pas les lumières du square qui vont rehausser le tout, pas même les gens qu'ont trop souvent des manteaux gris ou noirs pour ça. Alors, on sait même pas d'où lui vient cet amour, cette envie qu'il a toujours eu de croire en l'être humain au point de lui dédier de sa vie. Peut-être que c'était pour se dire qu'il était pas malade, Jarod, comme on avait pu lui dire à l'armée. Il se souvient pourtant bien des humiliations, de l'intolérances, de la stupidité et des craintes. Se rappelle même des siennes, à force, pour tout ses foutus hétéros qu'en sont pas toujours, dans le fond, mais qu'ont été conditionnés pour se dire que, si, ils le sont. C'est la colère qui, pendant un temps, l'a si bien porté. Jusqu'à des portes auxquelles il a frappé sans peur, avec l'idée et la détermination que tout devait changer, sauf lui. C'est qu'il a le cuir durci par l'armée, par ce service qu'était tout juste plus obligatoire. Il l'avait fait parce que tout les hommes de la famille l'avait fait, jusqu'à lui. Alors il voulait pas déroger à la règle, jusqu'à se rendre compte comme tout était pourri, finalement. Les vers qu'avaient rongé jusqu'au trognon, laissé que l'affreux sous la fine bande de peau. Mais il avait pas craqué, Jarod, a jamais su se laisser faire. Ce caractère mordant qui fait qu'il est encore là, ouais, aujourd'hui. À lorgner sur un square pas vraiment bien éclairé, pourvu d'un tas de gosses qui se chamaillent dans la neige, qu'aimerait bien ressembler à des anges dedans mais qui découvrent que y'en a pas assez. Et quand il les regarde, il se demande. Ouais, il se demande. Combien pleureront plus tard, de pas être n o r m a l ? Combien dans ce tas de gamins voudront se tuer, ou se feront jeter à la rue même s'il neige, dehors ? Il les imagine dans dix ans, dans ce pays qui connaît encore des tueries de masse et des meurtres individuels, parce que le pays est hétérocentré ? Que les gens cis sont souvent les pires, que men are trash et qu'ils l'ont jamais autant prouvé que ces dernières années ? Combien de rire s'éteindront ?

Y'a un soupir qui sort de lui. De cette bouche qui cessera jamais de brandir son poing, d'hurler ses convictions. Qui laisse juste échapper une fumée d'à cause de la température qu'est bien trop basse, qui lui arrache des frissons, malgré le manteau qu'il porte, de l'écharpe qu'entoure la gorge. C'est toujours quand on se pense bien protégé qu'on se rend compte que non. Une pogne gantée vient à monter, pour qu'il se frotte la paupière. Y'a qu'elle lui gratte, parce que le bleu persiste dessus. Fait longtemps qu'il s'est pas fait agresser, juste qu'il a la boxe qui lui prend bien du temps aussi mais que ça suffit pas toujours pour voir les coups venir. Qu'il est, sur le ring, tel un chien enragé qui décharge tout et qu'accepte tout ce qui lui adviendra dans la gueule. Il combat comme il se bat au quotidien. Pas de gants de boxe ici, juste un pins dont il se détache jamais, aux couleurs d'un arc-en-ciel qu'il a suivi toute sa vie, dans cette idée qu'au bout y'a bel et bien un trésor. Qu'il le voit, dans les sourires ravis des gosses qui retrouvent une famille grâce à des refuges où on leur apprend que, non, ils ne sont pas anormaux. Que s'ils dérangent, c'est la faute à ces hommes qui cachent leurs propres démons et en érige d'autres aux yeux du monde. Au travers d'eux, des gars qu'en aime d'autres, des nanas qu'en aiment d'autres, gens sans genre, des identités qui se réapproprie ses derniers parce qu'on s'est trompés sur eux. Y'a tout ça, au bout de cet arc-en-ciel, ouais. Un monde où chacun pourra vivre simplement, sans plus jamais devoir faire de coming out parce que c'est encore un truc d'hétéro, ça, que c'est eux qu'il faut informer la plupart du temps et que la société, encore une fois, vous poussera à la confession. Pour que les autres sachent ce que vous, vous savez déjà. Pour qu'ils puissent exprimer toute leur nuisance ou paraisse si g e n t i l s, de vous accepter. Jarod n'a jamais rien dit, à ses parents. Les a laissé découvrir la vérité un beau jour, parce qu'après tout, sa soeur n'avait jamais eu à informer ceux-là qu'elle aimait les hommes. Et même si depuis, il est plus invité à leurs fêtes de fin d'année, il sait que c'était la meilleure des choses à faire. Parce qu'il est ainsi, rempli de convictions qui, jamais, ne sauront s'éteindre ou se faire bouffer pour se sécuriser. C'est risqué, mais c'est son équilibre à lui. Prêt à prendre tout les coups dans la gueule, finalement. Parce qu'il sait, Jarod, qu'il est assez fort pour tenir, pour tout les gosses qui pourront jamais rien dire, qui se renieront, qui seront à jamais mal dans leur peau. Carcasse et mental entretenu, pour tout ceux-là, qui craignent et tremblent, face à leurs parents, face au monde. Pour que plus jamais, ils n'aient à pleurer.

Jarod, c'est juste ce type, là. Qui se relève et passe finalement entre les gens qui s'affairent pour Noël alors que lui, il ne le fête plus depuis plus de vingt ans. Qui s'en va juste se réchauffer dans un café, qu'a le sourire pour tenter d'illuminer le gris de la ville, des manteaux, des gens. Qui le fera, pour tout ceux qui peuvent plus.