Soundtrack:
♫ AKMU - '어떻게 이별까지 사랑하겠어, 널 사랑하는 거지'

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« Comment va-t-il ? »

Le soupir de la mère d'Asher alors qu'elle passait sa main dans ses cheveux inquiéta son couple d'amis, chacun assis sur sa chaise. Un moment de silence suivit la question durant lequel chacun se préparait aux nouvelles à écouter et à annoncer. Finalement, les prunelles bleutés de la mère s'adoucirent alors qu'elle répondait à leurs inquiétudes.

« La communication est difficile. Les thérapies ne semblent pas avoir d'effet sur lui et les médicaments n'ont qu'un effet de surface qui ne dure pas.
─ Mais est-ce qu'il mange ? Est-ce qu'il arrive à vous parler ne serait-ce qu'un peu ? »

Le regard de la mère se perdit un instant sur la table du salon.

« Asher... son état ne s'améliore pas. En dépit du soutien et des traitements quotidiens, son esprit semble être déterminé à ne pas affronter la réalité et il reste dans un semi-mutisme, inactivité physique profonde et ses émotions semblent être juste... parties.
─ Mais il y a bien quelque chose que les médecins peuvent faire non ? »

Haussement de sourcil et les regards se croisèrent à nouveau. La mère d'Asher afficha un sourire triste et ses amis devinèrent à son expression qu'elle était épuisée psychologiquement elle aussi.

« Je ne sais pas. Je ne sais plus. Les médecins n'abandonnent pas mais les quelques éclats d'émotions qu'il semble avoir son juste dévastateurs pour lui-même. Au de-là de la dépression... c'est un traumatisme qu'il a et... je ne sais pas. Je ne sais pas si un jour je récupérerai mon fils. »

Les larmes embuèrent sa vision alors que ses amis se levaient de la chaise pour venir la trouver et la réconforter ; à peine le contact d'une main réconfortante se fit sentir sur son épaule que la mère explosa en sanglots, incapable de se contenir davantage. La douleur d'avoir perdu l'un de ses deux enfants et de savoir le deuxième dans un état de détresse aussi alarmant lui déchirait chaque parcelle de son être en une douleur insupportable. Elle le savait, au fond, que jamais plus elle ne retrouverait sa vie d'avant. Jamais elle ne reverrait ses deux fils lui sourire en même temps et l'appeler, jamais elle ne les entendrait se disputer à nouveau, jamais elle ne pourrait les serrer dans ses bras en même temps. Asher était tout ce qui lui restait mais il n'était plus qu'une enveloppe charnelle. Ce jour-là, cet après-midi fatidique, ce n'était pas un fils qu'elle avait perdu mais deux.


La fraîcheur matinale parfumée des senteurs humides du jardin de l'hôpital caressa son visage alors qu'il ouvrait un peu la fenêtre. Il ne pouvait pas l'ouvrir de plus de vingt centimètres, la sécurité empêchant de l'ouvrir davantage ─ c'était pour éviter que lui et les précédents et futurs patients de cette chambre ne puissent passer la tête à l'extérieur ou se glisser par là pour se laisser tomber dans le vide.
La vue du parc était paisible. Il devait être, à vue de nez, aux alentours de neuf heures. L'herbe était verte, les arbres également. Asher pouvait voir les buissons fleuris un peu plus loin et remarqua un chat passer tranquillement au travers de l'allée, nulle autre vie ne venant déranger la quiétude matinale. Les yeux sombres du jeune homme se levèrent vers le ciel qu'il regarda sans vraiment le voir. Pas un seul nuage à l'horizon, ni le bruit d'un avion. Rien. Tout était calme, paisible. Un silence qui aurait pu être apaisant. C'était une bonne ambiance, une bonne atmosphère.

Pourtant, lui, ce qu'il voyait, n'avait rien de réjouissant. Il constatait encore le passage du temps, la vie qui continuait comme si rien n'avait d'importance ; que ceux partis hier, mourant maintenant ou décédés demain n'avaient aucun impact ni contrôle sur rien ; que la vie en elle-même ne rimait fondamentalement à rien et qu'elle était juste fatigante, inutile et déprimante ; il jalousait l'indifférence du chat et l'immobilité des plantes, existences qui ne demandaient rien, ne devaient rien, et dont personne ne se préoccupait ; des existences échappant aux normes, simples, naturelles, dénuées de la conscience qui était son fardeau à lui. Dans le ciel bleu il ne voyait que le vide insignifiant d'une infinité qui n'avait que faire de son existence à lui. Pourquoi rester là ? Pourquoi continuer ? Pourquoi vivre lorsqu'il n'en avait juste pas envie ? Pourquoi est-ce que tout était si joliment répugnant ? Pourquoi n'arrivait-il juste pas à voir le bon côté des choses ? Pourquoi avait-il conscience de son propre état mais de ne pas arriver ni même vouloir en sortir ? Pourquoi est-ce que chaque respiration était aussi douloureuse que de sentir une compression constante sur sa poitrine ? Pourquoi Zane et pas lui ? Pourquoi est-ce que le temps devait continuer son cours, quoiqu'il advienne ? Pourquoi ne pouvait-il juste pas s'arrêter ou revenir en arrière ?

Son regard se baissa. Il se fixa sur le petit espace de la fenêtre et Asher se perdit dans ses pensées un instant avant de regarder sa main gauche. Puis il regarda la fenêtre à nouveau. Silencieusement, le visage inexpressif, il tendit le bras pour le passer par la fenêtre. Il sentit le vent caresser sa peau, la douce chaleur du soleil ; et la brutale rencontre avec la bordure de la fenêtre alors qu'il refermait violemment la vitre sur son bras, de toutes ses forces. Pourquoi n'avait-il pas mal ? Ses sourcils se froncèrent, la fenêtre se rouvrit, puis il la referma encore de toute ses forces, percutant son avant-bras aussi fort qu'il le pouvait. Une fois, deux fois, trois fois ; brise toi. Il serra les dents, continua, sentit son membre souffrir mais rien ne semblait pouvoir égaler la douleur interne qu'il éprouvait et qu'il n'arrivait pas à dégager. Par de-là les marques de scarification, faisant abstraction de la douleur physique, il exprimait une colère et dégoût de lui-même intenses, si intenses que lorsque le personnel médical entra pour se saisir de lui, c'était une rage destructrice qui le prenait et ses yeux étaient rivés sur son seul objectif ; se briser le bras. On l'attrapa, voulu le faire reculer mais il forçait en sens inverse pour essayer d'atteindre la fenêtre pour y replacer son bras et refermer encore une fois la fenêtre, ne serait-ce qu'une dernière fois, juste pour se faire mal, juste pour se blesser, pour souffrir, pour essayer d'anesthésier tout le reste, pour se punir d'être comme il était. Il repoussa les infirmiers, se jeta contre le mur, hurla qu'on le laisse, qu'on le lâche, insulta tout le personnel et mordit même lorsqu'on parvint à le coincer. Il se débattit, ses pieds battant dans tous les sens jusqu'à ce qu'il soit calmé par une injection forcée alors qu'il hurlait qu'on le laisse partir. Partir comment ? Partir où ?

Sa vue se brouilla et seules les larmes coulèrent alors qu'il voulait juste en finir.
Il voulait juste partir.
Juste ça.

Mais même ça, il n'en avait pas le droit.


La tempe posée contre la vitre de la voiture, Asher regardait le paysage défiler. Depuis quand était-il dans cet état ? Depuis combien de temps n'avait-il pas vu à quoi ressemblait le monde ? De quand datait la disparition de Zane ? La voix de sa mère, assise à côté de son père qui était au volant, attira son attention. Elle le regardait avec un sourire doux et tendit la main pour lui toucher le genou.

« Tout ira bien Asher. Tu rentres à la maison avec papa et moi, on va rester tous les trois, d'accord ? »

Pour seule réponse, le jeune homme releva les jambes pour se recroqueviller sur le siège arrière, évitant tout contact avec sa mère qui, blessée par son refus de communiquer, baissa les yeux et se rétracta avant de faire à nouveau face à la route. Elle prit une profonde inspiration et lança un regard bref à son mari qui avait sentit que l'ambiance était tendue. Alors il releva un peu les yeux pour regarder dans le rétroviseur le visage éteint de son dernier fils.

« Est-ce que tu es soulagé de quitter l'hôpital ? Tu préfères être à la maison ? »

Pas de réponse, pas un regard.

« Il y a un endroit où tu aimerais aller peut-être, avant qu'on aille à la maison ? »

Les yeux d'Asher quittèrent le paysage pour se poser sur la poignée de la portière. Une idée lui traversa l'esprit et sa main se tendit pour l'ouvrir, en dépit du fait qu'ils étaient en plein milieu de la route ; mais rien ne s'ouvrit. Évidemment, ils avaient placé une sécurité enfant pour éviter les mauvaises surprises. Comme un gamin, on le privait de certains choix, certaines libertés. Quelle ironie. Asher soupira tandis que ses yeux se reposaient encore sur le paysage ;

« Je veux voir Zane. »

Les parents se regardèrent. Aller le voir, mais de quelle façon ? Où ? Voulait-il dire le cimetière ? Ou bien chez eux, la chambre de Zane ? Ou une photo ? Ou était-il encore en train de s'imaginer que son frère était toujours quelque part, vivant dans un autre monde ? La mère baissa les yeux, incertaine. Ce fut le père qui lui répondit.

« On ira le voir après être allé à la maison et rangé tes affaires, d'accord ? »

Pas de réponse, encore. Whatever qu'il répondrait, conscient que ses souhaits et sa parole n'avaient aucune valeur dans cette discussion du moment qu'il n'allait pas dans leur sens à eux. Vingt-quatre ans et on le laissait sortir de l'hôpital, enfin. Deux années de galère à entrer et sortir des urgences ; allait-il encore y retourner après deux mois ? Allait-on encore l'enfermer comme un animal fou et déraisonnable ? Il soupira.

C'était pas une vie, ça.


Discrètement, elle regarda le visage paisible de son fils qui dormait à poings fermés dans son lit, visiblement exténué. Elle tenait la poignée de la porte dans sa main, le visage regardant au travers la fine ouverture pour s'assurer que tout allait bien. Le savoir auprès d'elle la terrifiait tout comme cela la rassurait. Elle avait peur que demain matin elle se réveille sans lui, qu'il soit parti à son tour ; elle craignait de l'entendre se réveiller en hurlant et détruisant les affaires autour de lui ; elle était anxieuse à la simple idée d'allumer la lumière de la cuisine le matin et de trouver un couteau au sol avec du sang et son fils recroquevillé dans un coin à sangloter frénétiquement, les bras ensanglantés. Tout son être la terrifiait profondément.

Alors, comme pour les enfants, il y avait dans la chambre d'Asher un baby-phone.

Dans le plus grand des silences, la mère d'Asher referma la porte et s'autorisa une lente expiration alors qu'elle relâchait la poignée. Ses chaussons doux glissèrent sur le sol alors qu'elle croisait les bras, s'enfermant dans son gilet en laine et fit quelques pas ; mais son regard s'arrêta sur une chambre à la porte fermée, une chambre dans laquelle elle n'osait que très rarement se rendre et dont elle savait que Asher fuyait la vue autant que possible. Elle hésita un instant puis, prenant une profonde inspiration, osa s'avancer vers cette pièce à souvenirs.

La femme de ménage faisait toujours bien attention à remettre chaque chose à sa place. La chambre demeurait impeccable et fraîche. Sur le mur, des photos des escapades d'urbex que Zane et Asher avaient fait ensemble. Il y avait également des posters de films, de l'espace ou de sportifs ; un Michael Jordan victorieux trônait au dessus du bureau sur lequel le cahier d'études était toujours ouvert à la page 144 sur une analyse de la physique quantique. Le calendrier était toujours bloqué à la même date : le 03 février 2017. La date de l'accident. Il y avait également un porte clé, des stylos, une montagne de bouquins de sciences diverses et variées qu'elle, artiste dans l'âme à l'instar d'Asher, ne comprenait pas. Sur l'étagère juste à côté du bureau, elle pouvait voir les trophées de ses multiples compétitions, soit de sport, soit de sciences. Les jumeaux à l'âge de douze ans, le grand sourire aux lèvres avec leur appareil dentaire ; puis avec tous leurs copains, recouverts de boue après un match de soccer difficilement gagné. Les jumeaux en train de faire les singes dans l'arbre du voisin, une photo de famille pour le nouvel an, la sortie kayak de leur seizième année. Il y avait également cette photo de Zane avec sa première petite amie, une ukrainienne qui avait dû partir des USA après que son échange scolaire se soit achevé. Qu'ils étaient beaux ensembles !
Sa main glissa sur le bord de l'étagère alors qu'un doux sourire étirait ses lèvres, puis elle ouvrir le premier tiroir du bureau. Elle avait déjà exploré la chambre de fond en comble et en connaissait tous les secrets et rien n'avait bougé ; pas même les magazines coquins que Zane avait planqués sous le matelas. Eux-aussi, elle les avait laissés.
Dans le tiroir elle y trouva un dossier qu'elle récupéra du bout des doigts, trésor délicat. Allant s'asseoir sur le lit, elle l'ouvrit doucement et regardait encore les multiples recherches que Zane avait commencées dans leur dos, à elle, son mari mais également dans le dos d'Asher, dans le but de retrouver leur famille d'origine. Adoptés à l'âge de six ans dans un orphelinat de Hong Kong, aucun des deux gamins ne savait d'où ils venaient. Leur dossier ne mentionnait rien de particulier si ce n'était que leur mère était d'origine Chinoise et qu'elle s'appelait "Mi". C'était le seul caractère indiqué. Un dossier épais qu'il avait financé seul grâce à son argent de poche. Un projet qu'il avait commencé seul pour éviter de les blesser, tous, elle le savait. Oh oui, en tant que mère, elle savait mieux que quiconque combien Zane avait toujours eu soif de savoir et que les mystères de la vie l'insupportaient ; alors lui, ne pas savoir d'où il venait ? Impossible. Elle savait que selon la vérité qu'il aurait découverte, il n'aurait potentiellement jamais mentionné leurs origines à son frère ; mais le mystère aujourd'hui demeurait en suspend.

Bien qu'elle ne soit que leur mère adoptive, son amour pour ses enfants était sincère, pure, authentique ; ils n'étaient pas de sa chair mais c'était tout comme. Dans le dossier, elle trouva une photo de Zane et Asher lorsqu'ils étaient encore à l'orphelinat. Elle se souvenait encore de leur bouille de ce temps là, de leurs yeux craintifs et de leur incompréhension de l'anglais. Un sourire étira ses lèvres.

Lorsqu'elle referma la porte derrière elle, c'était comme un retour à la réalité. Le silence paisible et le temps qui s'arrêtait dans cette pièce étaient synonymes de quiétude et tranquillité mais dès que le claquement doux de la porte se faisait entendre, tous les bruits du quotidien vide de la présence de Zane se manifestaient à nouveau, plus bruyants que jamais. Le coeur lourd et la tête pleine de souvenirs, elle descendit les marches des escaliers pour retrouver son mari assis à la table du salon. Elle vint s'asseoir à côté de lui.

« J'ai fini les papiers. Dès lundi on pourra l'inscrire à ces deux associations avec l'accord et le soutien de sa psychologue. »

Ils se regardèrent, échangèrent un sourire.

« Il dort ?
─ Oui, je pense que ça ira pour cette nuit. »

Des mots pour le rassurer mais surtout se rassurer elle-même.

« Viens par là. » lui dit son mari.

Ses bras venant enlacer tendrement sa femme, ils fermèrent tous deux les yeux en priant silencieusement pour que le monde et tous les dieux qui puissent exister offre à leur famille la paix qu'ils désirent tant et que leur dernier enfant puisse trouver la voie de la guérison.

Des prières silencieuses, douloureuses mais sincères, de parents inquiets pour leur fils.


♫ EXO D.O. (디오. Do Kyungsoo) - 외침 (Scream)