Elle n'en revenait pas de ce qu'il se passait. Tout d'un coup, sans prévenir, Kwamie lui avait envoyé un message lui demandant s'il pouvait lui laisser Callie pour la soirée. Il lui offrait littéralement la possibilité de voir sa fille sans surveillance et sans durée limitée par un droit légal. Kore avait du mal à comprendre pourquoi, mais elle s'était immédiatement empressée de lui répondre qu'elle était tout à fait d'accord, bien sûr. Elle n'avait tellement pas prévue ça, Kwamie lui ayant clairement fait comprendre qu'avoir Callie pour elle un jour serait un vrai combat, qu'elle n'avait toujours pas préparé de chambre pour sa fille. Elle avait bien une seconde chambre dans son appartement, bien sûr, mais n'avait pas encore meublé l'endroit. Elle s'empressa donc de mettre des draps propres dans son propre lit et d'assurer une belle chambre pour sa fille, alors qu'elle se prépara draps et couverture à côté du canapé pour y dormir si jamais Callie voulait le lit pour elle toute seule.

Tournant tel un lion en cage, elle manqua de patience sur les trois dernières heures avant l'heure convenue. Elle avait hâte d'avoir Callie et hâte de comprendre (demander par message pourquoi un tel changement dans leur mode de fonctionnement à son futur-ex-mari lui avait semblé un peu nul et elle préférait le faire en face-à-face).

Quand enfin, il sonna à l'interphone de l'immeuble, elle courut presque pour aller leur ouvrir, trépignant sur place alors qu'elle les entendait monter dans les escaliers. « MAMAAAAAN », cria Callie en courant vers elle dès qu'elle la vit, faisant sourire Kore, alors qu'elle se mettait à genoux pour la recueillir dans ses bras, la serrant fort. « Ça va mon bébé ? » Callie hocha la tête plusieurs fois en souriant. « Papa a dit que je dormais dans ta maison ce soir. C'est vrai ? » La brune sourit avec tendresse en hochant la tête. « Oui bébé. Tu restes avec moi cette nuit. On va bien s'amuser. »

Elle leva la tête vers Kwamie pour le remercier, mais comprit vite que la raison de ce soudain changement était bien plus lourde qu'elle ne le pensait. Il avait l'air épuisé et inquiet. Tendu. Elle avait peut-être perdu son amant il y a longtemps, mais elle connaissait toujours bien son meilleur ami. « Et si tu allais mettre tes affaires dans la chambre, hein Callie ? C'est la porte du fond là-bas. » Elle laissa sa fille s'éloigner à l'intérieur de l'appartement et se tourna vers son ex, un sourire triste sur les lèvres. « Tu as l'air d'avoir besoin d'un thé. Viens. » Elle se doutait qu'il n'aurait pas envie de se laisser faire. Kwamie était un être fier, ayant du mal à montrer ses faiblesses, et même épuisé et stressé, il faisait de son mieux pour ne rien laisser paraître. Peine perdue avec elle, bien sûr. « Et ne me dis pas non. J'ai peur que tu loupes un feu rouge si je te laisse partir dans cet état. Prends au moins une minute pour te poser. Désolée, je n'ai pas de café à t'offrir, je ne bois plus que du thé. » C'était devenue sa seule drogue permise. Le café ayant un effet trop excitant à son goût lorsqu'elle en consommait, elle avait même fini par ne plus en boire du tout, préférant le thé et même, à partir de la fin d'après-midi, les tisanes.

@Kwamie Franklin

Dajon avait encore disparu. Ezra avait appelé une heure plus tôt, afin de savoir si Kwamie avait vu son frère aujourd’hui, ou ne serait-ce qu’eu des nouvelles ; mais celui-ci avait dû répondre par la négative, malheureusement. C’est la deuxième fois en l’espace d’un mois, et malheureusement, l’ainé des Franklin semble de plus en plus doué pour jouer à cache cache, empirant sa situation à chaque fois. Ils commençaient à chercher des solutions, au sein de la famille, et sans doute s’en doutait-il, ce qui l’amenait à fuir encore davantage. Une sorte de cercle vicieux. Alika avait été avertie aussi, et tous les trois s’étaient donnés rendez-vous dès que possible chez Ezra, dans le but d’arpenter la ville à la recherche de Dajon. Avec un peu de chance, ils arriveraient une fois de plus à le retrouver avant que le pire n’arrive ; mais le cœur de Kwamie se serre à la pensée qu’un jour, il n’arrivera pas à temps.

Quelqu’un devait s’occuper de Callie. Il n’allait pas la laisser seule chez lui, et encore moins l’emmener en pleine nuit arpenter le tout New-York… Il avait appelé ses secours classiques : la baby-sitter, les deux voisines, et même une de ses collègues… Mais personne ne répondait ; alors à contre cœur et une grande appréhension l’envahissant, il avait composé le numéro de Kore. Elle restait sa mère et donc en théorie, la meilleure personne pour s’occuper de leur fille mais quelque chose en lui a encore du mal à le reconnaitre. Pas le choix… Et au moins, le sourire et la joie qui se lisent sur le visage de Callie lorsqu’elle apprend la nouvelle permet de réchauffer les cœurs.

Il ne faut pas longtemps pour que les affaires de la petite soient prêtes. D’ailleurs, son père se permettrait presque de la taquiner, mais s’abstient. Elle qui rechigne pour à peu près tout depuis quelques temps, ça ne fait pas de mal de la voir s’extasier. Puis, durant tout le trajet, Kwamie lui rabâche la même rengaine, de faire attention, de ne pas sortir de chez sa maman, de bien être sage et d’écouter ce qu’elle lui dit. Il omet bien évidemment de parler de ses doutes, car une petite fille n’a aucun besoin d’entendre ce genre de choses, mais elle doit bien se rendre compte qu’il est inquiet. « Papa va chercher Oncle Dajon car il n’est pas rentré chez lui, ce soir ; mais je viendrais te chercher demain matin, d’accord ? Tu te souviens de mon numéro, hein ? » La petite hoche la tête. « S’il y a un problème, n’importe quoi, tu m’appelles, d’accord ? » Elle hoche de nouveau la tête.

Quand ils arrivent dans l’appartement de Kore, Kwamie ne peut s’empêcher de jeter un coup d’œil partout, clairement pas à l’aise avec l’idée de laisser sa fille ici. Il ne prononce pas un mot, jusqu’à ce qu’elle lui propose un thé et lui assure qu’il a une mine affreuse. Il hoche alors la tête avant de se poser sur le canapé. Juste 5 minutes. « Tu es sûre que ça va aller ? Que tu peux t’en occuper ? » finit-il par lâcher. Sans doute qu’elle prendrait mal la question, mais il a besoin qu’elle lui dise que tout ira bien, de pouvoir se concentrer sur son frère cette nuit, sans avoir à s’inquiéter en plus pour Callie. « Dajon a disparu. Je ne peux pas m’inquiéter pour tout le monde à la fois. » Elle le connait assez bien pour comprendre sans mal le sens de ses paroles. Il n’y a pas de jugement, pas d’amertume, juste les peurs légitimes d’un père. « Promets-moi de m’appeler s’il y a le moindre truc. » Il soupire, baissant les yeux. Il aurait tant besoin qu’ils se tiennent dans les bras l’un de l’autre comme au bon vieux temps, mis c’est au-dessus de ses forces d’engager le moindre geste affectif. « Elle est tellement contente de venir passer la nuit ici. »

Elle voulait le prendre mal, vraiment, mais elle ne pouvait pas vraiment lui reprocher de lui demander si elle était sûre de ses capacités. Elle s'était occupé de sa fille des années durant, sans jamais un seul problème... et puis elle avait sombré dans la drogue et elle avait tout foiré. Elle avait failli être responsable d'un drame et oui, bien sûr, il avait toutes les raisons de douter. Elle-même n'était pas sans appréhension, après tout. Même si elle était clean, et même si elle savait toujours comment être une bonne mère, elle avait aussi un traumatisme bien ancré et des cauchemars récurrents de son erreur... de ses erreurs.

Elle l'écouta lui demander de lui promettre, lui expliquant la situation. Avec un léger soupir, Kore vint s'asseoir à côté de lui, posant une main douce sur la sienne, en le regardant avec douceur. « Callie ira parfaitement bien. On va regarder un dessin animé en mangeant du pop-corn sans sucre. Elle va s'endormir en plein milieu, parce que la journée a été riche en événements et j'irais la coucher. Je ne vais dormir que d'un œil parce que je suis trop heureuse qu'elle soit là et que le moindre bruit qu'elle va faire va mettre tous mes sens en alerte, savoir si elle s'est juste retournée dans son lit ou si elle se réveille et demain matin, elle sera debout aux aurores parce qu'elle sera toute excitée de déjeuner avec moi et nous mangerons tranquillement pendant qu'elle me racontera les derniers événements qu'elle a vécu à l'école, jusqu'à ce que tu arrives pour la récupérer. » Elle essaya de faire passer toute sa conviction dans son regard. « Je suis prête. Je n'aurais pas dit oui si je ne me sentais pas capable d'être la personne la plus sûre pour elle, même si ça m'aurait brisé le cœur et si j'ai le moindre problème, je t'appelle immédiatement. » Elle savait qu'elle devait le faire. Elle devait lui concéder cela, autant pour le rassurer que pour lui prouver qu'elle était digne de confiance. Elle devait faire tout son possible pour lui prouver qu'elle avait changé pour le mieux.

Pressant doucement la main de son futur ex-mari, elle continua doucement. « Je sais que c'est difficile pour toi, mais tu peux me faire confiance. Elle est en sécurité ici. Tu peux te concentrer sur ton frère. Je garde mon téléphone à portée de main si tu as besoin de quoi que ce soit. »

@Kwamie Franklin

Kore a un long discours, mais celui-ci contient tout ce que Kwamie avait besoin d’entendre. Il soupire et bien que son état émotionnel ne lui permette pas de se détendre complétement, cela contribue à soulager son cœur ne serait-ce qu’un petit peu. Il lui avait fait confiance durant des années, ne doutant jamais de cette femme si forte qu’il aimait tant – bien que ce n’était pas de la manière qu’il aurait fallu. Ce soir, il va devoir en faire autant. Il faut commencer à un moment donné, de toute façon, s’ils veulent retrouver un semblant de sérénité pour l’avenir, aussi difficile ce soit à concevoir. Il finit par hocher la tête à plusieurs reprises.

Il aurait dû se relever, après tout ça et immédiatement partir à la recherche de Dajon mais quelque chose l’en empêche, sans savoir réellement quoi. Ce n’est pas juste le fait de laisser Callie là, mais d’avoir besoin de Kore. Il n’est pas à l’aise face au contact de leurs mains et pourtant, il ne fait rien pour s’en défaire, car ça lui fait plus de bien que de mal. Et bientôt, après un moment de silence au cours desquels il rumine encore et encore, tournant ses pensées dans tous les sens, il lui confie : « J’ai tellement peur, à chaque fois qu’il fuie. Peur que ce soit la fois de trop, qu’on le retrouve inerte, ou que l’hôpital ou la police finisse par nous appeler avec une mauvaise nouvelle. » Sa voix tremble. Il n’est plus si proche de son frère, mais il reste la famille et il s’inquiète pour lui, bien qu’il ne tolère pas son comportement d’alcoolique et violent.

« Je sais qu’on va le retrouver. Enfin, j’y crois. Je tente de me persuader, mais les pensées sombres m’assaillent sans que je ne puisse les contrôler. » Il n’a pas été aussi sincère avec qui que ce soit depuis longtemps, et il ne pensait plus réussir à l’être avec Kore après tout leur passif de ces derniers mois. Elle était restée sa confidente, celle avec qui il avait toujours eu ce besoin de tout partager, cette oreille attentive, cette épaule sur qui pleurer. Et là, il en a besoin, alors il se laisse aller, mettant frein à ces barrières qu’il refuse habituellement de démolir. « Je voudrais tellement qu’il se reprenne en main, qu’il arrête de nous faire subir tout ça, qu’il se fasse soigner. » Et sans s’en rendre compte, il fait écho aux derniers mois de Kore, bien que l’origine du mal ne soit pas le même. « Comme tu l’as fait. » Une forme de compliment, dans sa bouche.

TW : addiction, dépendance, self destruction.

C'était dans ce genre de moment qu'il lui manquait le plus. Kwamie, son meilleur ami. Il lui manquait tous les jours, parce qu'autrement qu'être amants, ils avaient toujours été amis. De très bons amis. Un coup de foudre amical avant d'être plus et ils avaient toujours été bons à être amis. Alors quand il resta, lui avouant finalement le fond de ses pensées, ce fut comme si elle pouvait mieux respirer tout d'un coup. Car même si c'était dur et qu'elle avait mal au cœur pour lui, il lui confiait à nouveau quelque chose de personnel, d'intime, quelque chose qui montrait qu'il y avait toujours une certaine forme de confiance en elle au fond de lui.

Alors elle l'écouta, attentive, consciente que son futur-ex-mari avait bien du mal à se laisser aller à montrer ses faiblesses, même envers les personnes dont il était le plus proche. Il lui avoua ses espoirs et la reprise en main qu'il espérait pour son frère, argumentant pour la première fois l'idée qu'elle avait mené et gagné un combat qu'il pouvait comprendre et respecter. Elle eut un petit sourire triste, resserrant un peu ses doigts autour de ceux de Kwamie. « C'est triste à dire, mais tu ne peux pas sauver quelqu'un qui refuse de se sauver lui-même », dit-elle, le plus doucement possible, le moins violemment possible, même si de tels mots ne pourraient jamais être réellement autre chose que lourds de sens. « Ce qu'il vous fait subir, il est probablement à mille lieux de s'en rendre compte. Ce n'est pas tant qu'il s'en fiche... C'est que pour reconnaître qu'on fait du mal aux autres, on doit reconnaître qu'on se fait du mal à soi-même en premier lieu et ça... C'est la partie la plus difficile de l'acceptation qu'on a un problème. » Cela pouvait sembler égoïste, vraiment et ça l'était, en vérité. L'addiction était une histoire égoïste. Une destruction et un appel à l'aide égoïste, qui emportait tous les autres sur son chemin.

Elle ouvrit la bouche pour dire autre chose, mais il ne fallait pas oublier qu'ils étaient les parents d'une petite fille et qu'elle avait déjà, jusqu'alors, été bien trop sage. Alors, quand un puissant « MAMAAAAAAAAAAAAAAAAAN !!! » raisonna entre les murs du couloir, elle eut un petit rire désolée. « Plus efficace qu'un réveil », dit-elle avant de tourner la tête dans la direction du couloir. « Oui mon cœur. Viens ici faire un bisou à papa. » Elle se leva en même temps que Kwamie et se tourna vers lui une nouvelle fois. « Montre-lui que tu es là et que le jour où il aura enfin le courage d'agir, tu seras là pour le soutenir. Et donne lui mon numéro de téléphone. Peut-être qu'un jour, il voudra venir à une réunion. Dis-lui bien qu'il n'aura pas besoin de faire ou dire quoi que ce soit. Il peut seulement venir et écouter. Ouvre-lui cette petite porte et peut-être qu'un jour, il s'en saisira. » Tout n'était qu'une question de peut-être. Aucune certitude. C'était ainsi la vie des dépendants.

@Kwamie Franklin