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– Solveig, tu files déjà ?
– Oui, je vais chercher les enfants. On se voit demain ?

Mon collègue me salue et je file sans demander mon reste. Le trafic dans la ville est un enfer à cette heure-là et je ne souhaite pas prendre le risque de rater la sortie de classe d’Ellie avant qu’on aille récupérer son frère à la garderie.
Depuis l’arrivée des enfants dans nos vies, Aleksej et moi avons dû revoir certains de nos “projets” à la baisse, l’un des miens étant de laisser la voiture au garage. Je ne veux pas prendre le métro avec les enfants. Trop de monde, trop de stress et…trop de mauvaises nouvelles aux informations locales concernant des enfants enlevés dans les transports en commun. Si je peux éviter ce stress-là, je le fais. C’est donc au volant de mon Audi que je suis allée chercher les enfants aujourd’hui.

– Coucou Solie !
– Coucou Ellie, comment ça s’est passé à l'école ?
– C’était chouette, on a appris des nouvelles choses.
– De nouvelles choses, ma puce.
– On a appris de nouvelles choses.

Et me voilà embarquée dans un récit qui dure tout le trajet jusqu’à la garderie qui s’occupe de Timothy. Je me surprends chaque jour à entendre Ellie s’émerveiller de tout ce qu’elle peut apprendre à l’école. C’est un réel soulagement de voir qu’elle a réussi à s’adapter à sa nouvelle école. Aleksej et moi étions pas mal inquiets à ce sujet mais finalement, cette petite semble capable de se faire des amis en moins de temps qu’il faut pour le dire. Elle est définitivement la fille de sa mère et ça me met du baume au cœur rien que d’y penser. Alice vivra toujours au-travers de sa fille.

– Mamaaaa, s’exclame un joyeux Timothy qui gambade vers moi à peine m’a-t-il aperçu.

Voilà un changement conséquent auquel j’ai fini par m'habituer. Les psychologues que nous avons rencontrés après l’arrivée des enfants nous avaient prévenus, Aleks et moi. Il était évident que Tim allait finir par nous considérer comme ses parents et il serait contre-nature de l’en empêcher. Alors, le soir, une fois par semaine et souvent le samedi, j’ouvre un album photo qu’on feuillette avec les enfants. Ellie me demande souvent plein d’anecdotes concernant ses parents, requête à laquelle je suis toujours heureuse de répondre par la positive. Et quand Tim pointe du doigt sa mère ou son père sur les photos en disant “mama” ou “dada”, Aleks et moi, on lui confirme que ce sont eux. Nous sommes très clairs sur le sujet, nous ne voulons pas effacer la mémoire de nos amis.


Une fois à la maison, la routine prend place et je fais en sorte que les enfants soient prêts pour le soir. C’est mon soir. Aleks est généralement celui qui gère pour récupérer Ellie et Tim mais une fois par semaine, il me demande de le faire. Ce n’est pas un problème, je m’arrange comme je peux avec le bureau et je file. Ce qui m’a surprise la première fois qu’Aleks m’a demandé d’aller chercher les enfants, c’est qu’il n’a pas désiré m’expliquer pourquoi. Je n’ai pas tellement cherché à avoir des réponses à ce sujet non plus, pensant simplement qu’il voulait peut-être me mettre à l’épreuve. Il a, par le passé, déjà dû faire des concessions entre sa vie de père et d’avocat, il voulait peut-être voir si j’y parviendrais. A priori, et sans trop vouloir me vanter, je ne m’en sors pas trop mal jusqu’à présent. Mais heureusement qu’il est là. Aleks est un pilier dans notre organisation au quotidien, c’est évident.


Il est près de 23 heures lorsque j’entends sa clé dans la serrure. Les chiens redressent la tête en entendant le bruit mais attendent patiemment dans leur panier pour vérifier qu’il s’agit de leur maître. Evidemment qu’il s’agit de lui mais… Bref.

Je suis en train de ranger la cuisine quand il surgit enfin.

– Hé, dis-je simplement en plaçant le torchon que j’ai dans les mains sur mon épaule. “Ca va ?” demande-je d’un ton calme et posé. Je ne cherche pas la guerre et je veux qu'il le sache.

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C’était mardi. Et comme tous les mardis depuis déjà plusieurs semaines, Aleksej avait pris congés de ses collègues plus tôt que d’habitude. S’il n’avait précisé la raison de ce nouvel arrangement de son emploi du temps, personne n’avait jugé bon de le lui faire remarquer. Les gens savaient plus ou moins que la situation familiale de l’adjoint au procureur avait évolué depuis la fin d’année dernière et l’efficacité qu’il mettait à combler ces heures chômées empêchait tout commentaire.

Mais ce n’était pas pour aller chercher les enfants qu’il quittait le bureau le mardi après-midi. Si l’idée l’habitait depuis déjà plusieurs mois, il avait fallu ce fameux week-end à Montauk pour qu’Aleksej finisse par franchir le cap de se rendre à l’une des réunions de soutien de l’Association Drive Safe. Il avait pris cette décision seul et n’en avait pas parlé à Solveig. Par peur ? Par honte ? Un mic-mac de bien des émotions. Plusieurs raisons l’y avaient poussé. Le sentiment que d’une manière ou d’une autre, il fallait qu’il se trouve un exutoire où déverser toutes ses insécurités. Se confier à des inconnus était finalement un bon compromis. Ça n’avait aucune valeur. Ce n’était pas Solveig. Ce n’était pas Lena.

Depuis qu’il y allait, ses expériences étaient diverses. Il se sentait parfois soulagé, parfois compatissant. Parfois, il culpabilisait d’être là, de se cacher. De ne pas être assez solide aussi. Mais il avait besoin de déplacer le poids de ses états d’âme ailleurs que dans son foyer. Au cours de sa première venue, il avait fait la connaissance de Marley. Ce dernier assurait de temps en temps le déroulement des séances. S'était ensuivi un moment d’échange dans un bar à proximité. Un rituel qui s’était rapidement mis en place. Les deux hommes parlaient occasionnellement de leur propre expérience, mais ce n’était pas une condition sine qua non. Parfois les émotions étaient trop fortes et ils se contentaient de partager un verre en parlant de la pluie et du mauvais temps.

Ce soir, Marley n’était pas présent. Ce qui n’empêcha pas Aleksej de suivre le même rituel. Il repartait en général après un verre. Simplement pour regoûter au souvenir de l’enivrement. Il n’avait jamais été un homme à faire des excès mais la bouteille avait parfois été une bonne compagne pour traverser certains moments difficile de sa vie. La séance du jour avait été plus intense. Et si Aleksej commençait à avoir l’habitude du déroulé des témoignages, il avait réalisé que la peine des autres n’était jamais plus facile à appréhender. La plupart du temps, il était capable de faire la part des choses. De scinder sa propre expérience et de se poser en simple spectateur, d’être là pour montrer son respect et sa compassion. Mais pas ce soir.

À mesure que la réunion avançait, il sentait l’espace se rétrécir, avait l’impression que la température de la salle augmentait déraisonnablement. Son corps s’était tendu et il avait senti sa poitrine l’oppresser. Une sensation qu’il ne connaissait que trop bien. Discrètement, il avait quitté la salle avant la fin, se précipitant à l’extérieur pour reprendre son souffle. Mais ce n’était pas suffisant. Ses pas l’avaient alors mené jusqu’à la porte de l’Overkill, le bar dans lequel il se rendait avec Marley. Il avait commandé un premier whisky qu’il avait descendu cul-sec, puis un deuxième. Avant de finalement demander à la barmaid de laisser la bouteille sur le comptoir.

Comme ça, la soirée était passée. Le Danois n’était pas sûr du nombre de verres ingurgités mais il savait que c’était déjà trop. Il pensa à Solveig et le sentiment de la trahir le submergea. Il lui mentait, par omission, mais tout de même. Et se laisser aller à la bibine n’était pas non plus une grande marque de soutien envers elle. Il était tout de même assez lucide pour prendre la décision de s’arrêter et de rentrer à pied. L’atmosphère était douce mais ça ne l’empêchait pas de prendre une bouffée d’air frais. Marcher lui remettait peu à peu les idées en place mais n’atténuait pas la vivacité de ses émotions. L’alcool n’avait pas réussi. Du moins, il n’avait pas bu assez pour cela.

En arrivant devant l’immeuble, il jeta un coup d’œil à sa montre. La dernière que lui avait offerte Solveig. Il aurait dû la prévenir de son retard. Il l’escalier avec lenteur. La lassitude commençait à peser sur ses épaules. Devant la porte, il inspira profondément et poussa une expiration exagéré. Il ne voulait pas ramener ses soucis à la maison. Ceux-là devraient rester sur le perron. Aleksej est plutôt surpris de trouver Solveig encore dans la cuisine à cette heure-ci. Il posa sa sacoche à sa place et laissa tomber ses clés dans le vide-poche avant de se diriger vers elle.

“Hey…”

Il allait suivre son élan et la prendre dans ses bras quand il réalisa qu’il devait probablement sentir l’alcool. Suffisamment pour qu’elle le remarque. Il se ravisa donc. Il s’installa donc sur le tabouret de l’autre côté de l’îlot central et lui adressa un léger sourire avec toute la bonne foi dont il était capable.

“Ça a été aujourd’hui avec les enfants ?”

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Je m’approche de lui et dépose un bref baiser sur ses lèvres juste après qu’il se soit installé. Il sent l’alcool mais je décide de ne pas en faire mention. Du moins, pas tout de suite. Je préfère d’abord installer un climat de sérénité dans la maison en évoquant la soirée passée en compagnie des enfants.

– Si tu parles de nos chiens, saches qu’ils se sont partiellement bien comportés… dis-je en faisant référence au fait que Maroon a volé une petite patate dans l’assiette d’Ellie. “Mais si tu parles des deux crapules endormies, ils ont été impeccables. Tim s’est endormi très vite et Ellie n’a pas fait de vieux os non plus après un câlin et une histoire.”

Je tiens vraiment à ce qu’Aleks sache que j’arrive à m’en sortir avec les enfants même lorsqu’il ne se trouve pas dans les parages. Il est très (trop ?) important dans notre quotidien de parent mais n’ayant pas été très présente au début de toute cette histoire, je tiens aujourd’hui à prouver que je fais tout pour améliorer mon comportement. Aujourd’hui, même si j’aime toujours autant mon emploi, je ne cherche plus systématiquement à le faire passer en priorité. Ellie et Tim le sont devenus.

– Et toi ? Ta journée ?

Pas besoin d’être sortie des plus grandes écoles du pays pour comprendre que j’ai de plus en plus envie d’évoquer le sujet “chéri, tu as bu” mais, encore une fois, je ne veux pas l’agresser donc j’amènerai aussi doucement que possible ce fameux sujet. Pour l’instant, je veux qu’Aleks comprenne que je m’intéresse aussi à ce qu’il a fait.

– Est-ce que tu veux un thé ? J’allais m’en faire un.

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Depuis le début de l’année et le moment où il avait demandé à Solveig de prendre le relais une fois par semaine, Aleksej ne pouvait nier le fait qu’elle se démenait pour les enfants et pour la stabilité de la maisonnée. Son investissement était phénoménal et si le Danois avait eu pendant un certain temps l’impression que sa femme voulait lui prouver des choses, ce qui était ridicule, il avait finalement réalisé qu’elle s’épanouissait largement dans ce rôle et avait préféré ne pas freiner ses élans. Pour lui, demander comment s’était passé la journée n’était pas une manière de faire l’inquisiteur mais plus un moyen de lui montrer l’intérêt qu’il lui portait et qu’il portait aux enfants. Jouer à Monsieur et Madame Tout le Monde, aussi.

Il sourit alors qu’elle faisait le comparatif entre les chiens et les enfants. Depuis le début, c’était son moyen à elle de ne pas mettre d’étiquette sur la situation dans laquelle ils se trouvaient. De ne pas fermer le cadre. Et s’il semblait qu’ils avaient pourtant tous les deux mis les choses au clair sur la suite des évènements, elle avait gardé le réflexe. Boule qui avait le don de pointer le bout de son nez dès qu’on parlait de lui était venu se frotter au pied d’Aleksej. Maroon avait seulement lever la truffe à son entrée, jugeant que l’heure des festivités était largement passée. À la question de Solveig, Aleksej ne répondit pas tout de suite. Il attrapa d’abord son chien pour le saluer comme il se devait.

“Un thé c’est bien, oui. Merci.”

Après une ou deux léchouille, il reposa Boule au sol et appuya ses coudes sur le plan de travail frottant sa barbe fébrilement.

“J’aurais dû t’envoyer un message pour te dire que je rentrais plus tard. Excuse-moi.”

Après l’avoir embrassé, il se doutait que Solveig n’était pas passé à côté des effluves de spiritueux. Elle n’avait pourtant pas moufté mot et le Danois se doutait qu’il lui avait fallu un certain effort pour ne pas le relever. Démarche qu’il appréciait de sa part. Ce soir, en tout cas, il lui était reconnaissant de lui laisser le choix. Ce qui le rendait d’autant plus enclin à se décharger de ce secret qu’il mûrissait depuis un certain nombre de semaines.

“J’étais à une réunion de l’Association Drive Safe ce soir. Je… Ça fait déjà plusieurs fois que je m’y rend.”

Il attendit sa réaction mais il avait conscience qu’il ne pouvait pas simplement lui jeter des bribes incohérentes et s’attendre à ce qu’elle compose elle-même la suite de l’histoire.

“Je n’étais pas prêt à t’en parler la première fois parce que je ne savais pas vraiment moi-même où ça me mènerait. Et puis j’y suis retourné une autre fois. Et puis une autre…”

Si ses émotions étaient mitigées, il y avait tout de même une sorte de soulagement à chaque fin de séance. Le poids restait lourd mais il réalisait qu’il n’était pas le seul à le porter et ça rendait les choses plus supportables. Assez pour s’autoriser à y penser.

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De tout ce qu’il aurait pu m’annoncer, je dois bien admettre que je ne m’attendais pas du tout à ce qu’il m’avoue se rendre aux réunions Drive Safe. Je n’ai pas besoin d’explication, je comprends de suite les raisons qui l’ont poussé à s’y rendre. Je suis simplement surprise qu’il ne m’en ai pas parlé avant. Non pas que je le prenne mal, ce n’est pas le cas. Il m’en parle maintenant et je veux qu’il comprenne que c’est suffisant. Ce n’est pas comme s’il venait de m’apprendre qu’il jouait à des jeux d’argent ou que sais-je. C’est tout à fait différent et s’il n’a pas désiré m’en parler avant, c’est qu’il avait ses raisons. Je n’ai pas le droit de le juger là-dessus. Nous avons tous besoin de garder une part de mystère dans nos vies, n’est-ce pas ?

Tout en l’écoutant, je m’attèle à faire bouillir de l’eau pour le thé. Que puis-je lui dire qui ne le heurtera pas au sujet de cette sortie ?

– Et…est-ce que ça te fait du bien de t’y rendre ?

Si je pose cette question-là, ce n’est pas pour rien. Même si je suis heureuse de constater qu’il commence à s’ouvrir sur son passé, je ne peux ignorer son haleine alcoolisée. Je veux m’assurer que se rendre aux réunions de cette association ne le draine pas au point de lui donner envie de boire après coup. Je suis malheureusement un peu trop bien placée pour savoir à quel point l’attrait de l’alcool peut prendre le pas sur tout le reste. Je n’oublie pas non plus que sans Aleksej à mes côtés, je ne me serai probablement pas sortie la tête de l’eau.

– Je ne t’en veux pas, tu sais, dis-je en versant l’eau dans deux mugs séparés. “Je comprends que tu ai voulu garder ça pour toi.”

Le drame qu’il a vécu par le passé, même si je le connais, je ne sais pas pour autant ce que cela fait. Bien-sûr, certains me diraient aujourd’hui que je peux mieux le comprendre car Alice et Mark sont morts dans un accident de la route mais je considère qu’il ne s’agit pas encore de la même chose. Aleks a perdu sa fille. Sa fille. C’est encore un autre degré de malheur que je ne connais pas et que j’espère ne jamais connaître. Surtout maintenant que nous avons les enfants sous notre responsabilité.

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Aleksej encercla le mug que Solveig venait de poser devant lui de ses deux mains. Son regard resta quelques instants absorbé par les volutes de fumées qui s’en échappait. Il releva finalement la tête et posa son regard sur sa femme qui tentait de le rassurer. Le rassurer de quoi ? Il lui adressa un sourire avant de se frotter une nouvelle fois le visage quelque peu engourdi par les effets de l’alcool. Il expira en cherchant ses mots. Les mots qui pourraient exposer pourquoi il se dérobait de leur foyer une fois par semaine sans la moindre explication.

“C’est… Ce n’est pas toujours évident. Parfois c’est plus difficile. Presque insoutenable.”

Ses émotions jouaient aux montagnes russes. De peu qu’il lui ait manqué d’un peu de sommeil et la soirée pouvait prendre une tournure dramatique ou alors pas du tout. Il ne savait pas ce qui était le pire. Sentir cette blessure se déchirer encore et encore ou être frappé d’indifférence face au malheur des autres. Quoi qu’il en soit, ce travail devait être fait. Avec le recul, il ne pouvait pas nier que la tactique de l’autruche était tout sauf efficace. Il ne pouvait pas simplement tenter d’oublier son passé en se focalisant sur son présent.

“Mais tout ça, c’est là de toute façon. La douleur, les souvenirs. Autant faire ça en étant encadré par des gens qui savent ce qu’ils font…”

Peut-être que cela calmerait ses angoisses. C’était peut-être la réponse à ses insécurités qui menaçaient la vie qu’il tentait de se construire. Avec elle. Avec les enfants. Aleksej ne voulait pas que Solveig puisse penser qu’il n’avait pas les épaules pour porter la responsabilité que représentait la famille recomposée. Alors il mettait ses états d’âmes dans une boîte, qu’il n’ouvrait qu’une fois part semaine, chaque mardi soir.

“Je n’ai rien dit parce que je ne veux pas ramener tout ça à la maison. Je ne veux pas que ça puisse nous affecter, ou les enfants.”

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C’est dans des moments comme celui-ci que je me sens inutile. Je souhaiterai tant pouvoir apaiser la peine d’Aleksej mais celle-ci fait tellement de résistance qu’une personne comme moi, à comprendre ici ; une personne si “récente” dans la vie du Danois (le mariage ne fait pas tout, malheureusement) ne peut rien faire. Peu importe ce que je dirai, mes paroles ne rimeraient à rien. Peut-être apaiseront-elles l’homme le temps de quelques heures mais rien de plus.

– Chéri, tu ne peux pas tout garder pour toi… Je suis aussi là pour ça. Non, les enfants n’ont pas à en pâtir, je suis d’accord avec ça mais moi- Je n’ai pas épousé que les “bons côtés” de l’homme que tu es, Aleksej Svendsen. Je savais très bien dans quoi je m’engageais le jour où je t’ai dit oui à la mairie et je n’ai aucun regret. Tu sais, juste au cas où tu en douterais parfois. Je t’aime et tout ce que je désire c’est ton bonheur…avec celui des enfants aujourd’hui. Le reste n’a pas grande importance. Mais te procurer du bonheur signifie aussi être capable de soulager tes peines… J’aimerai le faire autant que possible.

Il est particulièrement rare que je m’étale autant sur mes sentiments, Aleks le sait pertinemment. Voilà ce qui explique sans doute la tête qu’il fait en m’écoutant actuellement. Peut-être se demande-t-il quelle mouche m’a piquée ?
Le fait est que nos disputes incessantes tout comme nos silences me pétrifient et j’aimerai réellement qu’ils cessent. Nous ne nous écoutons plus et cela doit changer au plus vite si nous ne voulons pas perdre ce que nous avons.
Même si notre histoire est pleine de rebondissements (je crois que c’est le moins que l’on puisse dire), je sais qu’elle reste belle et qu’elle nous rend plus fort…tant que nous sommes à deux. Je ne mentais pas le jour où j’ai dit à Aleks qu’ensemble nous pourrions tout faire, je le crois dur comme fer. Peut-être suis-je totalement à côté de la plaque, peut-être ose-je croire à des choses qui n’arriveront jamais mais je suis prête à prendre le risque sans la moindre hésitation.

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Sa bouche était sèche. Comme un signe qu’il en avait déjà dit assez. Il plongea dans le prétexte que lui procurait sa tasse de thé. Après tout, tout cela n’était qu’un prétexte de plus pour lui. Drive Safe. Car il avait déjà affronté la peur de se frotter à son passé. La douleur serait toujours là mais il avait peu à peu appris à l’accepter. Il avait fait le deuil de cette vie d’avant. Le problème, c'étaient les peurs qui habitaient son présent et dont il était incapable de se débarrasser. Aleksej était incapable d’appréhender l’amour sans la douleur. Chaque petit morceau de bonheur s’accompagnait de gratitude profonde mais s'ensuivait la peur de tout perdre. Il lui était impossible de considérer les acquis.

Le regard plongé dans le liquide ambré, il acquieçait tout en écoutant les paroles de la jeune femme. Elle semblait convaincue et il aurait aimé avoir ce genre de certitudes. Mais il y avait eu des précédents. Le cancer de Solveig avait plongé Aleksej dans un état de vulnérabilité dont aucun d’eux n’avait su quoi faire. La séparation avait été la seule solution. L’arrivée des enfants avait également ébranlé sa confiance en lui-même. Et dans l’esprit du Danois, germait l’idée qu’il n’y avait pas de place dans leur vie pour la faiblesse. Il devait avoir les épaules pour supporter cette nouvelle famille et s’il ne les avaient, il faudrait les bâtir en béton armé.

“Je sais ça. Que tu m’aimes.”

Il ne doutait pas de la sincérité de ses sentiments envers lui. Solveig avait bon cœur et il voyait bien que ses intentions étaient placées au bon endroit. Après tout, elle avait toujours eu un attrait pour la réparation des choses cassées, abîmées. C’était ce qui avait attisé sa curiosité à l’époque de leur rencontre.

“Tu as tes propres démons et tes propres soucis. Je ne crois pas que ce serait juste de te faire porter en plus le poids des miens. Et parfois c’est juste plus simple de parler à des étrangers…”

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Même si je comprends parfaitement le fond de sa pensée, j’admets volontiers avoir du mal à accepter l’idée qu’Aleksej ressente le besoin de parler à des étrangers car cela lui semble au final plus facile. J’imagine qu’il n’est question ici que de mon amour propre qui a du mal à faire la part des choses.
Il a tant fait pour moi ces deux dernières années, j’aimerai être en mesure de lui rendre la pareille même si j’ai tout à fait conscience que ce que nous avons vécu chacun de notre côté n’a strictement rien à voir. Sa douleur sera toujours présente car il est évident qu’aucun parent ne peut se remettre de la mort de son enfant. Sans parler du seul fait qu’Aleks se sente responsable de l’accident. J’ai déjà essayé de l’en dissuader mais j’ai rapidement compris que je me mêlais d’une chose qui ne me regardait pas. Seul le danois pourra un jour apaiser cette douleur. Personne d’autre ne pourra le faire à sa place.

– Je…je comprends, dis-je alors que c’est partiellement faux. “Mais, s’il te plaît, ne pense jamais que je ne veux pas être présente pour toi malgré mes soucis, d’accord ?”

Je n’ai pas pour ambition de lui forcer la main. En particulier ce soir. Je veux tellement bien faire que je décide de ne pas lui dire qu’Ellie m’a demandé pourquoi il n’était pas là ce soir lorsqu’il était l'heure d'aller se coucher. Il y aura d’autres soirs, d’autres couchers.

– Est-ce que tu as besoin d’une minute ?

Comprendre ici “est-ce que tu as besoin que je te laisse un peu tranquille pour que tu te recentre avec toi-même” ?

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Il observa sa femme quelques secondes et un sourire tendre s’esquissa sur ses lèvres. Comment pouvait-elle comprendre ce que lui-même avait du mal à définir ? Mais elle essayait et c’était finalement tout ce qui importait. Qu’elle ait suffisamment de compassion pour accepter ce côté obscur qui le rongeait. Les paroles s’échangeaient entre eux à demi-mots. Chacun voulait protéger l’autre. Ou peut-être se protéger soi-même. À quel moment avaient-ils décidé que l’honnêteté était un pari trop risqué à prendre ? Aleksej s’était forgé l’idée que ses faiblesses n’avaient pas leur place dans son couple et il commençait à accepter l’idée qu’il ne pouvait pas faire de Solveig le seul point autour duquel son monde entier gravitait. Accepter ou du moins se résigner.

“Non. Non…”

Il posa sa main sur celle de sa femme, caressa doucement l’intérieur de sa paume du bout des doigts.

“Il y a autre chose dont j’aimerais que nous parlions…”

Cela faisait un certain temps que l’idée mûrissait dans son esprit. À présent, elle était à point et il avait suffisamment analysé la situation pour être prêt à mettre le sujet sur la table.

“Nous sommes trop à l’étroit ici. Je crois que ce serait plus simple si chacun avait un peu plus d’espace. Nous deux, les enfants. Les chiens…”

Leur appartement n’était pas très grand et déjà avec deux chiens, ils avaient du mal à garder un semblant d’ordre. Mais depuis l’arrivée des enfants, les choses semblaient toujours en état d’attente. Les papiers attendaient le coucher pour être traités, les jouets attendaient l’après-midi pour être dérangés. Rien n’avait vraiment de place et certains espaces se partageaient plusieurs usages pas toujours très pratiques.

“Je pense que ce serait mieux qu’on ait chacun un bureau à nouveau. Entre les papiers, les jouets, tout devient plus compliqué. Surtout depuis que Tim a commencé à marcher et qu’il a de nouvelles hauteurs à explorer. Les enfants aussi pourraient profiter d’un peu plus d’espace.”

Ils grandissaient vite. Et avec eux le nombre de jouets, de vêtements et d’affaires qui commençaient à s’accumuler dans un espace qui n’avait pas été prévu pour accueillir plus qu’un couple. Et d’ici pas longtemps, ils apprécieraient d’avoir leur propre intimité, leur propre territoire.

“J’ai toujours partagé ma chambre avec l’une ou l’autre de mes soeurs et ce n’est pas quelque chose que j’ai particulièrement apprécié… La chambre d’Ellie n’est pas très grande, pas assez pour accueillir deux enfants… Enfin, je veux dire… Tim ne va pas rester dormir avec nous éternellement…”

Voilà un point qui piquait désagréablement. Aleksej détestait mettre des mots là-dessus. Mais les enfants étaient avec eux depuis plus de six mois et leur vie de couple en avait pris un coup. Ni l’un ni l’autre n’avait abordé le sujet et les chances que se fussent Aleksej qui brise le silence étaient infimes. Mais pas inexistantes.

“Nous n’avons plus… enfin, je veux dire, on était très occupés, c’est certain. Ce que je veux dire, c’est que… ça fait longtemps.”

Il fixait la main de Solveig entre la sienne. Il avait l’air penaud, notre Danois. Ne sachant pas où se mettre, les joues qui commençaient à chauffer par excès de pudeur et peut-être aussi d’alcool. On ne pouvait pas dire que les spiritueux n’avaient pas désinhibé Aleksej, au moins un peu. Assez pour qu’il aborde le genre de sujet qu’il n’abordait jamais.

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Il a raison, d’ordinaire, nous étions plus charnels, plus à l’écoute des envies de l’autre. L'arrivée de Timothy et Elizabeth a bouleversé beaucoup de choses dans notre existence et que je le veuille ou non, notre vie sexuelle en a pris un coup. Je sais que nous sommes tous les deux responsables de cela mais je ne peux m’empêcher de penser que la balance penche malheureusement plus de mon côté que du sien. Je me suis tellement plongée dans ma “mission” dans le but de protéger les enfants autant que faire se peut que j’en ai évidemment délaissé mon mari, mon amant, mon confident.

Peu fière de ce constat, je baisse les yeux vers le sol qui paraît soudainement très  intéressant. Quelqu’un a-t-il remarqué cette petite tâche de sauce tomate par terre, là, juste à côté du pied de la chaise ?

– Je suis désolée, dis-je avec sincérité. “Je n’ai jamais voulu nous mettre de côté, j’ai juste-”

Juste quoi ? Peut-être serait-il temps d’admettre que nous, conjuguer vie de “mère” et de vie de “femme” n’est pas aussi évident que je le pensais pourtant il y a encore quelques mois. N’étais-je pas l’une de celles pensant que les mères ne prenant pas de temps pour elle et leur moitié ne faisaient juste pas suffisamment preuve d’organisation ? Voilà un sacré revers de la vie à mon égard. J’imagine qu’il n’y a qu’en se prenant de telles vérités au visage qu’on comprend certaines choses…

– Tu vas sans doute trouver cela ridicule mais cette situation est si nouvelle et- Je ne sais pas comment être une figure maternelle et ta femme en même temps. Est-ce que tu me vois seulement encore comme celle que tu as rencontrée des années auparavant ? Suis-je encore attirante ?

Il n’est pas nécessaire d’évoquer toutes nos disputes, nos silences et nos non-dits ces derniers mois. L’arrivée des enfants a laissé apparaître des différences entre Aleks et moi qui ont toujours été là mais qui n’avaient pas lieu d’être affichés sur la place publique avant l’entrée d’Ellie et Tim dans nos vies quotidiennes.  Je n’ai pas rendu la vie facile à Aleks et j’en ai parfaitement conscience. De là, je crois que j’ai commencé à me dire qu’il ne me regarderait plus jamais de la même façon. Maintenant, quant à savoir pourquoi je me suis mise de telles pensées en tête, je ne saurai pas l’expliquer.

– Je crois que- Je crois que j’essaie de trop bien faire, dis-je avant d’éclater en sanglots.

Une réaction qui me surprend, moi la première.

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Aleksej n’osa pas relever directement le visage. Comme un enfant qu’on aurait pris en flagrant délit, il avait toujours beaucoup de mal à aborder les choses de l’intimité. Même après presque un an de mariage. Peut-être moins encore après un an de mariage. Il était soulagé néanmoins. Que Solveig abonde dans son sens. De ne pas se faire traiter d’égoïste ou de pervers. Étonné aussi un peu de voir que Solveig semblait tout aussi troublé que lui par la tournure de la conversation. Même si c’était pour des raisons différentes. Il releva pourtant la tête. Il était plutôt rare que Solveig peine à trouver ses mots et l’étonnement pouvait se lire dans les yeux du Danois.

Sentiment amplifié lorsqu’elle décida de se confier à lui sur ses incertitudes. Aleksej n’était pas sûr de comprendre d’où pouvait bien sortir ce genre de doutes. Il aurait pu éclater de rire en l’entendant lui demander s’il la trouvait encore attirante. Mais il n’en eut pas l’occasion. Le visage de sa femme se refermait et il voyait arriver la tempête. Il n’avait pas été assez rapide pourtant et déjà les larmes coulaient sur les joues de la jeune femme. Et s’il y avait bien une chose qu’Aleksej pouvait mettre en tête des choses qu’il détestait, c’était bien de voir une femme pleurer. Un tendon d’Achille pour lui. Le genre de spectacle qu’il le pétrifiait. Généralement. Parce que Solveig n’était pas juste une femme. Elle était la sienne. Alors au premier signe, il n’avait fait qu’un bond de sa chaise pour se retrouver de l’autre côté de l’îlot, tout près d’elle.

“Non… Solveig… Græd ikke min kærlighed…”

Il passa ses bras puissants autour de la jeune femme et l’attira contre lui. Il la berça doucement, tout en caressant ses cheveux. Ses mains vinrent encadrer le visage de l’italienne, ses pousses vinrent rencontrer ses larmes à mi-chemin. Il releva le menton de la jeune femme vers lui et plongea son regard dans ces grandes prunelles brunes embrumées.

“Tu n’es plus la femme que j’ai rencontrée à l’époque, et je ne suis plus cet homme-là non plus. Du moins, je l’espère. Tous les deux, on a … grandit. Évolué. Et ce n’est pas une mauvaise chose.”

Il se rapprocha un peu plus et vint frotter son nez contre sa joue avec tendresse.

“Tu es la plus belle femme qu’il m’ait jamais été donné de rencontrer. La seule que j’ai désirée avec tant d’ardeur. La dernière que je désirerais.”

Sans compter sur l’épanouissement qu’elle trouvait dans la vie de mère qui la rendait radieuse. Superbe. Comment pouvait-elle en douter ? Lui qui pensait qu’il vieillissait plus vite, qui avait peur de ne jamais réussir à rattraper le train de retard. Ou de ne pas être à la hauteur. Il posa son front sur celui de la jeune femme comme il en avait souvent eu l’habitude.

“Tu fais de ton mieux. Et tu t’en sors très bien étant donné les circonstances. J’ai été dérouté par tout ça et incapable de me projeter plus d’un jour après l’autre. J’aurais probablement dû te parler de ça dès que l’idée a effleuré mon esprit. Je pensais vraiment ce que je t’ai dit tout à l’heure. Je pense qu’on a besoin de plus d’espace. Pour que chacun puisse trouver sa place. Et qu’on puisse se construire… tous les quatre…”

À ses pieds, Boule qui le lâchait rarement d’une semelle, émis un aboiement contrarié.

“Tous les six…”

Help me understand

Dans ma tête, c’est la même phrase qui tourne en boucle, encore et encore : “je ne veux pas le rendre malheureux”. Je n’ai pas accepté de m’engager dans cette relation (encore pire, de me marier) pour tout fiche en l’air parce que je ne suis pas capable de gérer mon temps correctement. Il n’a jamais été question de laisser quelque chose prendre une place si grande au détriment de notre histoire. Bien entendu, Aleks le sait et je n’ai aucun doute sur le sujet mais cela ne change en rien le fait qu’il vienne de me mettre une réalité difficile à avaler juste en face de mon visage.

Je l’écoute d’une oreille attentive malgré mes sanglots. Je vais mouiller sa chemise. Je n’ai pas envie de mouiller sa chemise. C’est une belle chemise.
Boule émet un aboiement. Je baisse les yeux vers notre chien et réalise que tout a commencé avec lui. Mes prises de décisions folles. On ne ramène pas un chien comme ça chez soi sans d’abord avoir consulté son compagnon. Pourtant, je l’ai fait. Qu’est-ce que cela dit de moi, exactement ? Suis-je trop excentrique ? Suis-je simplement égoïste à un niveau record ?

– Aleks ? dis-je d’une voix étouffée par le tissu de sa chemise. “Si je te dis qu’à partir de maintenant je ne veux plus être en charge et que je te fais suffisamment confiance pour t’occuper de nous… Est-ce que tu vas penser que je suis devenue cinglée ?”

A mes yeux, il n’y a que deux réactions possibles de sa part quant à ce que je viens de dire. Soit il rit de soulagement, soit il me trouve folle. Quand je parle de soulagement, je ne peux pas délier ces derniers mois de cette pensée. Je lui en ai fait voir de toutes les couleurs et j’ai essayé de tellement tout diriger… Il doit être fatigué de mon comportement.

Help me understand

Aleksej caressait doucement la nuque de Solveig, mais les sanglots ne semblaient pas prêt de s’arrêter. Il faudrait un peu plus de temps. Lui laisser l’occasion de se défaire de ce poids. Parfois, il fallait juste que le trop plein d’émotions sorte. Il pouvait sentir la chaleur de son souffle contre son coffre, l’humidité de ses larmes qui mouillait sa chemise. Il embrassa doucement son front, frotta son nez contre sa joue. Il s’écarte d’elle, surpris par sa question. Ce n’était pas le genre de Solveig de baisser les bras. Ou de jouer les suiveurs. Ce n’était pas non plus ce qu’il lui demandait et il espérait qu’elle ne pensait pas que ce soit ce qu’il attendait d’elle. Il caressa sa joue et releva son visage dans sa direction.

“Je vais uniquement penser que tu manques de sommeil et que tu n’as pas les idées claires. Ce qui est parfaitement compréhensible.”

Une fatigue physique. Une fatigue psychologique aussi probablement. Depuis plusieurs mois, les tensions ne disparaissaient jamais complètement. Elles étaient simplement englouties par le quotidien. Il avait l’impression que la cadence effrénée de leur vie les avait fait se perdre de vue. Mais elle restait ce qu’il avait de plus important dans la vie et il était probablement prêt à tous les compromis. À lui donner tout ce dont elle aurait besoin. Pourtant, l’idée qu’elle lâche prise à ce point ne lui plaisait pas. Aleksej n’avait pas envie de prendre les commandes. Parce que pour lui, il s’agissait toujours d’un travail d’équipe. Il ne voulait pas faire dominer son point de vue. Il voulait s’entendre. Être un ensemble. Pas chacun de son côté.

“On pourrait poser des congés. Partir quelques temps histoire de se reposer un peu et de prendre le temps d’envisager l’avenir posément…”

Peut-être qu’il n’avait pas été assez intelligible. Il avait essayé d’exprimer une idée sans lâcher réellement le mot. Et Solveig avait tourné autour sans jamais faire mine de s’y intéresser. Aleksej se sentait trop à l’étroit dans cet appartement qui avait été le leur. Mais ils n’étaient plus ce couple. Elle n’était plus sa petite amie, elle était sa femme. Il n’était plus son amant. Plus comme il l’avait été. En la choisissant elle, il avait choisi d’embrasser une vie différente. Il était peut-être temps de prendre la pleine responsabilité de leur choix et d’agir en adultes responsables. Arrêter de jouer aux parents. Le devenir.

“J’aimerais bien que tu envisages l’idée d’aller vivre ailleurs… Tu voudras bien y penser ?”

Help me understand

Déménager. Une nouvelle fois.
Au fond de moi, j’ai toujours su que le sujet reviendrait sur la table du jour où les enfants sont entrés dans notre vie de manière permanente. Evidemment, au début, nous pensions pouvoir gérer comme nous le faisons actuellement mais la vérité est telle qu’Aleks a raison : on se marche dessus au point que nous en perdons pied, lui comme moi. Les enfants ont besoin de mieux qu’un appartement. Tout comme les deux chiens, d’ailleurs. Sauf qu’un coin d’herbe au cœur de la ville, c’est introuvable à moins qu’on construise une cabane au cœur de Central Park. Il n’y a donc qu’une seule solution possible. Le Queens. Les New-Yorkais désireux d’un petit coin de verdure n’ont pas de choix alternatif car il n’en existe pas d’autre que celui-ci.

– Une maison dans le Queens reste notre meilleure option si nous voulons rester à New-York.

Et ça, à l’heure actuelle, ce n’est pas négociable. Je n’ai pas encore l’envie de partir et ce, même si j’adore notre coin de paradis en bord de mer à quelques heures d’ici. La maison familiale d’Aleks à Montauk est toujours aussi incroyable qu’aux premiers jours mais je ne me vois pas quitter la ville. Je suis née ici et j’y ai tout vécu.

– Je ne veux pas quitter cette ville.

Je sais qu’il le sait mais dans le doute, je préfère que les choses soient claires pour lui comme pour moi. De toute façon, je ne pense pas qu’Aleks souhaite partir lui non plus. Il y a vécu de très bons comme de très mauvais moments et je pense que New-York fait aujourd’hui partie de son ADN. Il n’est plus aussi danois qu’il l’était un temps et ce, même s’il n’a toujours pas demandé sa nationalité américaine qu’il décrocherait pourtant en moins de temps qu’il faut pour le dire. Au vu de qui il est, je suis certaine que le juge lui poserait trois questions banales sur la politique américaine et il signerait les papiers sans broncher. Aleks est connu comme le loup blanc à New-York, il n’est pas n’importe qui.