Unicorns are everywhere in New York, aren't they?

– Et une licorne ? Est-ce qu’on peut aller trouver une licorne dans la forêt ?

Ce genre de questions, j’y ai eu le droit pendant tout le trajet entre l’école d’Ellie et l’appartement. Appartement dans lequel nous sommes beaucoup trop à l’étroit. Il suffit de regarder le bordel qui règne dans l’entrée, et je ne suis pas en train de dire que les enfants sont bordéliques parce que ce n’est pas franchement le cas. Malheureusement, deux adultes, deux enfants et deux chiens… Ca fait beaucoup trop dans un appartement comme celui que nous avons.
Ce n’est pourtant pas faute de chercher une maison du côté du Queens. Malheureusement, ce n’est pas exactement ce que l’on peut considérer comme étant chose facile. En vérité, c’est un véritable calvaire. J’ai encore eu deux promoteurs immobiliers au téléphone ce midi pendant ma pause déjeuner mais ces derniers m’ont proposé des prix absolument mirobolants ; des prix dont on ne peut pas se permettre la dépense quand on a deux enfants à charge dont on veut s’assurer qu’ils aillent dans de bons établissements scolaires. Oui, Aleksej et moi gagnons généreusement notre vie, c’est une réalité mais cela ne fait pas tout, en particulier à New York.

– J’ai bien peur qu’on ne trouve pas non plus de licornes en forêt, Ellie.
– Pfff, donc pas de lutins, pas de licornes, pas de magiciens… C’est nul, répond l’enfant en tapant du pied avant d’aller dans sa chambre en me laissant toutes ses affaires sur les bras.

Une enfant, donc.
Celui que je ne peux plus considérer comme un enfant, c’est le grand danois confortablement installé sur le canapé qui est en train de jeter un regard hébété vers Ellie qui file.

– Si tu te sens d’entamer une conversation sur les elfes et licornes qu’on ne trouve ni à Central Park, ni en forêt, je t’en prie, elle est toute à toi, dis-je avant de me vautrer dans le canapé à côté de mon mari. “Je les aime ces deux-là mais nom de Dieu ce qu’ils peuvent être épuisants quand ils s’y mettent.”

Et encore, je ne me suis pas occupée de récupérer Tim à la crèche. Ca, c’était à Aleks de le faire aujourd’hui. Au moins, Tim cause moins donc il n’a pas dû lui poser autant de questions que celles auxquelles j’ai eu le droit.

Unicorns are everywhere in New York, aren't they?

Une journée comme les autres dans la vie de la famille Svendsen. Lazzari/Svendsen. Aleksej avait quitté le bureau aux alentours de 17h pour se mettre en route pour la crèche. Les tâches se répartissaient entre l’un et l’autre pour assurer la bonne marche de la communauté. Par chance, Tim était dans un bon jour. Le Danois écouta avec attention le compte-rendu de la journée du petit garçon qu’il lui faudrait restituer à sa femme quand elle rentrerait ce soir. Tim avait bien mangé, il n’avait pas fait de scène pour aller à la sieste et il avait même accepté de faire un essai sur le pot avec ses autres petits camarades. À chaque fois, Aleksej s’imaginait la scène. Tous ses enfants sur leur pot en rang d’oignons. Pas étonnant qu’il rechigne un peu à la tâche. Lui non plus n’aimait pas trop qu’on le dérange quand il faisait ses petites affaires.

Après avoir récupérer sac, doudous, tétines (parce que Tim en possédait tout un chapelet qu’il aimait interchanger selon l’humeur), les deux garçons prirent le chemin de la maison. Sur la route, ils s’arrêtèrent devant l’épicerie halal dans la vitrine de laquelle tournait le rotissoir. Et Tim d’observer les poulets aller et venir avec un intérêt peu commun. Il y avait ensuite le muret qui longeait un petit parc sur lequel il fallait monter et marcher en équilibre, sans lâcher encore la main du Danois. Courageux mais pas téméraire. Le pas était encore hésitant mais le sourire du garçonnet quand il franchissait la ligne d’arrivée était trop adorable pour faire l’impasse sur le rituel.

Aleksej appréciait cette parenthèse qui séparait la crèche de la maison. Il laissait volontiers l’enfant sauter dans les flaques après une journée pluvieuse, parce que bon, il faudrait de toute façon les nettoyer ses vêtements. Et puis il rentrait dans l’appartement et il sentait le poids de cette cohabitation étriqué lui retomber sur le coin de la figure. Et malgré l’accueil des compagnons à quatre pattes qui ne rataient jamais le rendez-vous, le Danois se sentait las. Il jeta un coup d'œil autour de lui et soupira en faisant le constat des batailles qu’il avait perdues ou abandonnées.

Aleksej aimait l’ordre. Il était minutieux et méthodique. Il lui avait tout de même fallu abandonner l’idée de conserver l'impeccable de son intérieur. Parce qu’elle se faisait au prix de crises et de pleurs. Parce que cette autorité excessive le fatiguait et qu’elle ne faisait que renforcer les tensions qui existaient déjà dans son couple. Il essayait de se convaincre que c’était l'exiguïté de l’appartement qui mettait leur nerfs à rude épreuve et que la situation s’arrangerait lorsqu’ils auraient trouvé un nouveau logement. Une pensée à laquelle il s’accrochait depuis plusieurs mois déjà. Mais il prenait son mal en patience. Parce qu’il aimait sa femme avec la moindre parcelle de son corps et de son âme. Et qu’il n’y avait rien d’insurmontable quand ils étaient tous les deux.

Par chance Tim semblait disposé à s’occuper tout seul et dans un calme relatif. Le regard du Danois se posa sur le journal, laissé le matin même sur le plan de travail de la cuisine. Il le saisit et s’installa dans le canapé, lunettes sur le nez, stylo à la main. Juste un petit quart d’heure. Il ne se souvenait plus la dernière fois qu’il avait réussi compléter une grille des mots-croisés du Times. C’était pourtant la principale raison qui l’avait poussé à s'abonner au journal.

L’accalmie n’avait été que de courte durée. Il entendit la clé se glisser dans la serrure et les chiens se précipiter à la rencontre de leur maîtresse. Solveig revenait de l’école où elle était allée chercher Ellie comme convenu. Il leva les yeux de la ligne qu’il venait de remplir pour assister au spectacle d’une nouvelle journée de leur quotidien. Il fronça les sourcils en observant l’esclandre totalement gratuite dont la petite fille gratifia sa femme. Il se frotta le menton, incrédule. Il était temps pour lui de reposer le Times. Trois lignes. Une horizontale, deux verticale. Alors que la jeune femme venait se laisser choir à côté de lui, il passa sa main derrière sa nuque et la caressa doucement.

“Hey… langage…”

Il fit un signe de la tête en direction du petit garçon qui s’appliquait à sortir toutes les peluches du coffre où elles étaient rangées. Au moins, il était calme. Si Tim ne faisait pas encore de phrases cohérentes ou grammaticalement correctes, il enrichissait quotidiennement son vocabulaire. Et il était comme une éponge. Le moindre mot, la moindre expression. Particulièrement celles qui n’étaient pas censées tomber dans son oreille.

Unicorns are everywhere in New York, aren't they?

- Désolée, dis-je en ayant l’impression de m’être faite sermonnée par mon père. À juste titre. Maintenant qu’il y a des enfants dans les environs, je ne peux plus me contenter de juste dire ce qui me passe à l’esprit sans quoi cela pourrait avoir de terribles conséquences à l’avenir. Autant dire que je n’ai pas franchement envie de me retrouver un jour convoquée par la directrice de l’école d’Ellie ou celle de son frère parce que l’un des deux aura été utilisé un terme qu’ils n’auraient vraiment pas dû utiliser. Et à ce sujet, j’ai tout intérêt à me contrôler. Donc je n’ai qu’une seule à dire : heureusement qu’Aleks est à mes côtés pour me surveiller.

- Deux promoteurs m’ont téléphoné aujourd’hui…

Au fond, je sais qu’Aleks n’a pas tellement envie d’avoir cette discussion surtout que je viens tout juste de rentrer avec Ellie mais ce n’est pas exactement comme si nous pouvions tourner autour du pot éternellement, surtout vu notre situation présente.

- Encore des tarifs très élevés. Je commence à me dire que ça va être à nous de revoir notre budget si on veut pouvoir déménager.

Même si déménager est une envie commune, le sujet devient de plus en plus tendu entre nous pour une raison qui m’échappe. Peut-être est-ce simplement dû au fait que nous n’avons pas trouvé la perle rare que nous cherchons pourtant désespérément.

- Est-ce que ce serait un problème ?

Je suis clairement en train de tâtonner pour voir si cette conversation peut avoir lieu maintenant ou si je m’engage sur un terrain miné. Je n’ai pas envie qu’on se dispute. Et, malheureusement, nous nous disputons souvent quand il est question de ce fichu déménagement qui n’arrive jamais.