Depuis qu'Anya est entrée dans son existence (comme si, pour commencer, sa fille n'en avait jamais vraiment fait partie avant récemment), Isra est constamment épuisée. La plupart des mères disent que c'est naturel, que l'instinct maternel vient en mettant au monde le premier... Elle, n'a jamais été frappée d'aucun éclair, et encore moins de celui du parent. Élever un petit être lui paraît être une vaste abstraction, un nouvel océan colérique à explorer. Et tous les jours, elle s'en prend les marées en pleine gueule, sans repères, sans arrêts, presque en manquant de s'y noyer.
Oh, Isra fait bonne figure, on dira même qu'elle fait des efforts, tous les efforts dont elle est capable, car elle a six ans à rattraper et, pour l'instant, un rôle de méchante à endosser. C'est dur, d'expliquer à sa fille pourquoi on vit avec maman plutôt qu'avec papa, maintenant. C'est dur, de lui dire que non, ce n'est pas encore aujourd'hui, qu'on verra Jonas, quand on demande absolument tous les matins, comme une sorte d’horloge biologique programmée. Parfois, Isra a envie de hurler, de s'effondrer en larmes devant Anya. Mais chaque fois, elle se dit aussi qu'elle le mérite bien et qu'elle n'a, en sus, pas le droit de pleurer.

C'est simple : Isra ne pleure pas, n'a pas de failles, et ne demande pas d'aide. C'est qui elle est, c'est qui elle est devenue, c'est qui elle devait être pour survivre. Et maintenant, c'est sa malédiction personnelle et persistante, celle dont elle n'arrive plus à se débarrasser, tant elle a fusionné avec tout le reste de son organisme. 

Et puis, il y a Teddy, qui passe tellement outre les airs qu'Isra se donne, qu'on dirait qu'elle est capable de lire dans son âme. C'est désagréable. Vraiment. Parce que ça veut dire qu'Isra ne peut pas se contenter du déni, qu'elle est obligée de parler de ses problèmes, et pire, de ce qu'elle ressent. Après presque deux ans à se côtoyer, c'est toujours aussi désagréable, et toujours aussi pénible de se faire tirer les vers du nez. Mais si elle est complètement honnête, c'est aussi apaisant, avec le recul. Que Teddy ait réussi et qu'elle puisse se reposer sur elle. Sur quelqu'un. 

Avec le recul. Sinon, là, tout de suite, quand elle pénètre dans l'appartement bien en avance, avec Anya dans les pattes... Disons qu'Isra préférerait éviter d'avoir à s'expliquer. Elle sait (ou imagine), pourtant, que Teddy sera à la maison, aujourd'hui. Pas de cours, pas de prestations. Elle sait. Puisqu'on lui a dit. Et de l'encadrement de la porte d'entrée, elle la voit, la regarder de ces yeux qui veulent dire ça ne peut plus continuer comme ça. « Non. Je ne veux rien entendre. » Oui, on lui a dit de venir récupérer Anya pour le reste de la journée, parce que l'enfant perturbait la classe. Non, elle n'a pas envie d'en discuter. Isra n'a jamais envie de discuter, c'est un peu le problème. Heureusement qu'elle avait clôturé tous ses dossiers, d'ailleurs. Si elle avait dû demander à Teddy d'aller récupérer Anya à sa place, ça aurait été le bouquet. « Je te prépare un goûter pendant que tu prends ton bain, ok ? Allez, zou. Adresse-t-elle à la gamine avec un sourire. » Fatiguée. Elle est fatiguée. Et le sourire a viré dès qu'Anya lui a fait un câlin et a disparu vers la salle de bain. Elle n'a même pas la force de la punir. Ça ne sert à rien de toute façon.

Isra embrasse Teddy à la volée et bifurque direction la cuisine ouverte. Sa non-inspiration dégouline de tous les pores de sa peau. Faire un goûter... C'est un truc que Jonas ferait. « Ça a été, ta journée ? » Ça s'appelle détourner l'attention pour éviter les sujets polémiques. Or Isra doit savoir qu'elle ne pourra pas éternellement esquiver, car après avoir sorti un pot de pâte à tartiner et mis du pain dans le toaster, ses yeux se fixent dans ceux de sa compagne.

« Allez. Dis-moi... »

Dis-moi à quel point j'ai foiré, à quel point j'ai besoin d'aide, à quel point Anya serait mieux, gnagna. Qu'on lui dise, puisqu'elle est, semble-t-il, prête à l'entendre, là-bas, à l'abri, derrière son bout de comptoir.

dernier cours de la journée à onze heures et voilà teddy libre pour la journée. il est encore tôt oui mais elle vient d'enchaîner quatre heures de cours et mine de rien, ça épuise. les énergies qui circulent et surtout la reinhart qui emmagasine tout. il lui faut du temps pour se décharger de tout ça pour ne pas risquer d'imploser par la suite. parce que teddy c'est une véritable éponge. c'est pour ça aussi que depuis petite elle a appris à s'éloigner de toutes ces choses qui lui seraient nocives. les conflits, les discussions houleuses, tout ça n'est qu'étranger à sa vie.

le retour à la maison effectué, c'est sous la douche qu'elle trouve refuge. l'eau qui coule sur son corps est salvatrice et après quelques minutes, là voilà dehors à sécher ses cheveux. elle les essore avant d'enrouler les mèches encore humides dans une serviette. une fois sèche, elle enfile un pantalon ample beige et un tee shirt jaune avec comme imprimé un ours qui fait du yoga. quelque chose qui la représente. elle adore ce tee shirt et l'a d'ailleurs en plusieurs coloris. mais la plupart sont comme celui-ci, détendu avec la couleur passée. c'est à force de les laver bien sur mais elle les aime alors...

après avoir grignoté rapidement ce midi, elle s'installe dans le canapé et flâne tranquillement posée là. roderick ne sortira pas avant plusieurs heures de l'école ce qui lui laisse le temps parfait pour se reposer. c'est pas une hyperactive teddy, malgré ce qu'on peut penser d'elle. c'est juste qu'elle est tellement désorganisée qu'elle a toujours trente six choses à faire en même temps. mais le calme est ce dont elle a besoin la plupart du temps. enfin... ce calme est interrompu par le bruit d'une porte qui s'ouvre et elle voit entrer isra suivie de anya. chose étrange au vu de l'heure de la journée mais les derniers événements font de la présence de l'enfant rien de surprenant. " non. je ne veux rien entendre. " teddy lève les bras en signe de capitulation. elles ont déjà abordé le sujet et isra n'a jamais réellement prêté attention aux paroles de sa petite amie. la gamine vient l'embrasser avant de filer prendre son bain comme le lui a demandé sa mère. " allez file petit monstre. " sa belle en colère finit par s'approcher d'elle pour lui poser un baiser sur les lèvres, mais trop rapide pour que teddy ne puisse apprécier le contact de celles-ci.

elle se lève et suit isra jusqu'à la cuisine. " ça a été, ta journée ? " un sourcil relevé et un sourire curieux qui prennent place sur le visage de teddy face à cette interrogation qui tombe comme un cheveu sur la soupe au vu des circonstances. " bah.. ouais et toi ? " amusée, elle se pose sur la table de la cuisine l'observant s'affairer devant elle. isra comprend bien vite que teddy n'est pas dupe. " allez. dis-moi... " teddy soupire et quitte son perchoir pour s'approcher de sa copine. " détends toi ou tu vas finir par avoir une ride juste là. " elle pointe son doigt sur son front avant de l'embrasser. " qu'est ce que tu veux que je te dise... " pose ses mains sur ses hanches elle se colle à elle histoire de l'apaiser avant de poursuivre. parce que oui, elle le sait déjà. ça oui. " qu'est ce qu'il s'est passé aujourd'hui ? " comprendre et confirmer avant de conclure au résultat. être certaine d'avoir toutes les informations. l'histoire ne doit pas être plus extraordinaire que les précédentes fois. anya a des soucis à suivre les cours, pas parce qu'elle ne les comprend pas mais bien au contraire. elle s'ennuie, elle n'est pas assez stimulée.

Les muscles et les nerfs d'Isra se détendent mécaniquement au contact des mains sur ses hanches, et à la proximité agréable des corps. Teddy a toujours eu cet effet apaisant, sur elle, comme une sorte de catalyseur de son humeur de cochon et de sa tendance à dramatiser des situations qui ne devraient pas l'être.

« Rien. Des problèmes en classe. Elle se dissipe. Et dissipe tout le monde, au passage. Dans trois jours, j'ai la réunion parents-profs... Et je sens que sa maîtresse va me tuer. Je te jure, la dernière fois qu'elle m'a regardée, j'ai eu l'impression que ses yeux allaient se mettre à tirer des lasers. » Ce n'est pas que Anya. Il y a Anya, d'accord. Mais Isra a aussi l'impression que la maîtresse la déteste pour d'autres raisons. A tout hasard, quand elle arrive en retard à la sortie des cours, quand elle arrive beaucoup trop en avance au début, ou quand elle oublie le déjeuner ou la moitié des fournitures scolaires demandées pour la journée. Isra n'est pas encore habituée à son rôle de parent à temps complet, et au demeurant, elle est plutôt persuadée d'en être un mauvais. « Bref. Au-delà de ça, j'ai peur qu'Anya finisse par se braquer... Ou qu'elle soit triste, je ne sais pas trop. Est-ce qu'elle est triste ? Demande-t-elle sincèrement. » Elle n'a jamais été très douée pour déchiffrer les gens, sans parler des gens qui lui sont proches... Isra et la communication, c'est une grande histoire de quiproquos et de non-dits. Là dehors, dans son uniforme ou dans la rue, c'est tellement plus facile, de prendre des décisions, et mieux, de réussir à les prendre bien. Pourquoi dès qu'elle se retrouve face à sa gamine, elle se sent si désarmée ?

Tu ne la connais pas Isra, vous avez besoin de temps.
Et son avis compte.

Son cœur s'égratigne un peu contre les côtes. C'est vrai. Elles ne se connaissent pas. Pas comme Jonas et Anya se connaissent. Mais la dernière chose qu'elle souhaite, c'est que sa fille finisse sa scolarité malheureuse. Après tout ce qui est arrivé récemment, Anya mérite au moins d'avoir la paix. Un long soupir écharpe la gorge, alors qu'Isra passe ses bras autour du cou de Teddy. Elle ne sait que lui offrir un sourire mi-dépité mi-contrit. C'est déjà beaucoup, quand on réalise qu'en dehors de ces quatre murs, la policière est l'équivalent sentimental d'une stèle funéraire. D'ailleurs, il n'y a guère que Teddy pour la faire autant déblatérer (et de manière si imagée). Avant, il y avait Jonas, aussi. Elle préfère chasser l'image de son ex-mari, car avec elle point forcément la colère.

« C'est normal, si j'ai envie de manger ces tartines et de me tuer à l'huile de palme ? » 

Franchement, si le suicide est évidemment exclu, elle ne peut pas nier avoir pensé à demander une autre affectation, voire à démissionner. Elle n'a pas encore osé effectuer des changements trop drastiques, mais c'est là, dans un coin de sa tête, de plus en plus prégnant, et de plus en plus urgent.

Tu as besoin de te préserver, Isra, de préserver Anya. 

Elle ne voudrait surtout pas refaire les mêmes erreurs. C'est une véritable hantise. Et pourtant, pour rien au monde elle ne demanderait l'aide d'autrui. De Jonas. De Teddy. Isra ne demande jamais d'aide. Isra s'est toujours débrouillée seule.  

calme et posée elle attend que isra décide de délier sa langue. même s'il n'est pas si difficile que ça que de comprendre pourquoi mère et fille sont là en pleine après midi, teddy voudrait savoir ce qu'il en est cette fois. " rien. des problèmes en classe. elle se dissipe. et dissipe tout le monde, au passage. dans trois jours, j'ai la réunion parents-profs... et je sens que sa maîtresse va me tuer. je te jure, la dernière fois qu'elle m'a regardée, j'ai eu l'impression que ses yeux allaient se mettre à tirer des lasers. " la reinhart se retient de rire mais elle esquisse un léger sourire. imaginer la maîtresse avec des lasers dans les yeux, oui ça l'amuse. il ne lui en faut pas beaucoup mais en même temps, elle ne voit pas la vie très sérieusement.

mais il y a toujours ce que ressent isra qui l'interpelle. elle voit bien qu'elle n'est pas bien, que tout ça l'interpelle. en même temps c'est normal. elle a été séparée longtemps de sa fille alors l'avoir maintenant en se rendant compte qu'elle n'est pas épanouie, c'est certain que ça peut perturber. teddy ne peut pas y faire grand chose à part soutenir sa belle. et puis oui, ayant pu parler de ça avec jonas, elle peut revenir sur le sujet avec isra pour qu'ils puissent tous deux mettre en place certaines choses pour anya. est ce que c'est son rôle ? elle ne le sait pas vraiment. elle sent juste au fond d'elle même que si elle ne le fait pas, elle va le regretter. et les regrets elle n'aime pas ça.

" bref. au-delà de ça, j'ai peur qu'anya finisse par se braquer... ou qu'elle soit triste, je ne sais pas trop. est-ce qu'elle est triste ? " la question est posée mais teddy ne peut lui fournir une réponse qui serait vérifiée à 100%. elle a son avis et elle s'y tient bien souvent alors elle ne se prive pas pour le lui donner. " non enfin elle n'en donne pas l'air. je pense qu'elle ne comprend juste pas ce qu'il se passe à l'école. enfin surtout pourquoi on la punie constamment alors qu'elle ne fait rien de mal selon elle. " parce que c'est ça le "problème" avec les enfants comme elle. l'incompréhension et surtout ce sentiment d'injustice. pourquoi est elle encore punie alors qu'elle ne fait rien de mal. et ça, il n'y a rien à faire à part aménager son temps d'études. moi je tente de la canaliser autant que je le peux mais sans qu'elle en ait conscience c'est compliqué. les soins énergétiques ont leur limites.

isra s'approche d'elle afin de poser ses mains autour de son cou ce qui les rapproche instantanément. " c'est normal, si j'ai envie de manger ces tartines et de me tuer à l'huile de palme ? " teddy sourit et vient voler à nouveau un baiser à sa belle. " ça dépend où tu l'étales. parait que sur un corps humain ça annule les effets. " la reinhart éclate de rire et embrasse isra de nouveau. elle tente ed la faire sourire et surtout qu'elle arrête de culpabiliser. " tu peux en prendre une, t'es sportive ça va pas te tuer. " malgré ça teddy s'éloigne pour aller regarder ce qu'il y a dans le frigo. des légumes, des fruits. elle sait aussi qu'il y a des noix dans le placard et des graines. " après si tu veux un smoothie je peux t'en faire un aussi. ou un chocolat chaud. " dans l'idée, y'a de quoi faire dans leurs cuisines. teddy se prépare un smoothie pour elle et le temps que le blender soit en marche elle se retourne pour prendre appui sur le plan de travail. " tu comptes faire quoi alors pour anya ? " question innocente mais il est peut être temps de mettre au clair cette histoire.