Si Carla fait un métier qui la passionne depuis toujours, qu’elle a choisi en raison de la vocation familiale portée par son père et son grand-père avant elle, ce n’est pas pour autant que c’est facile pour elle tous les jours. Entre son apparence qui ne fait pas l’unanimité au sein de sa brigade, son petit gabarit peu adapté au métier et la réputation de ses ascendants qui casse toute sa crédibilité quant à sa place à elle dans ses fonctions, autant dire qu’elle a envie de briller devant le jury. Elle a seulement le caractère de battant qui va bien à sa profession, et qui se fond assez bien dans le monde assez macho des policiers. Elle sait qu’un jour, on la respectera, qu’un jour elle se fera un nom par ses propres moyens, mais en attendant, elle doit encore et toujours lutter et montrer plus que n’importe qui sa valeur. D’où l’importance de briller, de faire condamner l’homme contre qui elle va témoigner, un voleur de bas étage qui a déjà eu deux condamnations et qui n’a rien trouvé de mieux à faire que de se remettre à cambrioler une épicerie seulement un an après être sorti de prison… On pourrait croire que l’affaire est gagnée d’avance, mais Carla est bien trop lucide pour se mettre cette idée en tête. Les prisons sont bondées, et si les avocats jouent bien leurs cartes, il n’est donc pas rare de voir les délinquants libérés contre simple dédommagement, ou bien avec un bracelet électronique et assignation à résidence dans le pire des cas.

Ofelia saura l’aider et c’est bien pour ça qu’elle est bien heureuse de voir son amie lui ouvrir la porte de chez elle. Elle sourit, lui claque la bise. « T’as des bières ? » Carla, elle tourne essentiellement à la bière, le whisky étant son deuxième choix de prédilection. Carla, elle a une très bonne descente, ayant pour habitude de boire avec ses amis bien trop régulièrement. Mais aujourd’hui, elle devra garder les idées très claires pour se remémorer les bons conseils de l’avocate. Elles se dirigent vers la cuisine et la brune prend place autour de la table. « Je suis démasquée. » Un rire rauque de fait entendre dans la pièce. « Enfin, à la barre des témoins tout du moins… Car sinon, j’ai assisté pas mal de fois en tant que spectatrice. » Surtout quand ce sont les personnes qu’elle a arrêtées, il faut dire, pour avoir le fin mot de l’histoire et la certitude qu’ils finiront bien derrière les barreaux. On lui a souvent déconseillé d’agir ainsi mais que voulez-vous, ce n’est pas dans ses habitudes d’écouter ce qu’on lui dit. « J’avoue, je stresse un peu… Hors de question que ce voleur récidiviste s’en sorte sans rien ! Les avocats sont tellement doués pour manipuler questions & réponses pour arriver à leurs fins… » Ofelia comprise d’ailleurs. « C’est cool quand c’est dans notre camp, mais pas dans le camp adverse… »

Il faut peu de temps à Carla pour attraper la bière dans sa main droite et la porter à sa bouche. Boire au goulot, c’est la vie. Boire dans un verre, ça enlève tout du charme de la boisson, alors la brune délaisse volontairement le récipient que lui a pourtant mis si gentiment son amie à disposition. Elle non plus semble ne pas vouloir s’acquitter des convenances de toute façon, et c’est sans doute là une des raisons pour lesquelles elles s’entendent si bien. Carla émet un ricanement bref lorsqu’Ofelia annonce le prendre comme un compliment. S’en est un dans un certain sens, puisqu’il traduit l’intelligence et la ruse des avocats, qualités comme défauts, selon de quel point de vue on se place.

« Rien qu’avec ça, je suis pas dans la merde… Ambre – ma sœur – disait toujours que mes histoires étaient nulles quand on était petites… » Faut dire aussi qu’elle en faisait un peu exprès, de lui raconter de la merde à sa cadette, Carla. Elle préférait largement lorsque c’était leur mère qui leur lisait leurs livres préférés et elle aurait tout fait pour limiter le nombre de fois où c’était à elle de s’y mettre. Du coup, quelle meilleure technique pour cela que de faire semblant de ne pas savoir inventer une histoire digne de ce nom, ou même lire avec les bonnes intonations alors que jouer la comédie est un de vos plus grands atouts ? Don perdu en grandissant, malheureusement…

Bon, puisqu’il faut essayer…  Une nouvelle gorgée de bière pour se donner du courage. On s’avachit aussi, bien comme il faut, dans son siège. « Il a fait deux séjours en prison, 5 ans au total, pour vol. Avec une conduite loin d’être irréprochable, il n’a eu droit à aucune remise de peine. Toutefois, sa condamnation prenant fin, il est sorti de prison. Pendant un an, il a fait profil bas, avant de recommencer ses conneries. Braquage d’une épicerie avec une arme non répertoriée – sans doute achetée dans la rue auprès d’un dealer local. Menaces sur le gérant et 3 clients qui étaient au moment endroit au mauvais moment. Heureusement, ils ont réussi à sortir assez rapidement, ne laissant que l’homme et le gérant. Un coup est parti dans le plafond, dans le but de terroriser la victime et de le faire céder. Il est parti avec la recette du jour et le contenu du coffre – qui avait été vidé la veille heureusement. Pas de blessé mais un gérant sous le choc, traumatisé par l’expérience vécue. L’épicerie a été fermé pendant 10 jours avec une perte de chiffre d’affaires très conséquente qui risque de leur être fatale avec la crise actuelle… sans compter que l’histoire a fait le tour des médias, ce qui fait fuir les clients potentiels… Le tout a bien entendu été filmé par les caméras de surveillance, qu’il n’a par miracle pas vu… Je sais pas trop ce que je peux te dire de plus sur l’affaire. » Est-ce que ça suffira ? Est-ce que pas ? Carla est loin d’avoir son aisance habituelle, et elle reboit encore une nouvelle gorgée, attendant le verdict. Elle l’avait dit qu’elle aurait besoin d’aide, ce n’est pas pour rien.

Carla est bien heureuse de n’être qu’un témoin et pas le procureur. Si elle a choisi de faire partie de la police et pas d’un autre corps de métier de la justice américaine, c’est pour bien des raisons. Le rire de son amie se veut quelque peu communicatif, mais le stress reste plus présent en elle qu’il ne le faudrait, ce qui l’empêche de profiter pleinement du moment qu’elles sont en train de passer. Elle finit par hocher la tête dans un demi-sourire lorsqu’Ofelia lui annonce qu’il ne faudrait pas qu’elle ennuie le jury. Ce serait carrément embêtant, ça c’est clair. La petite brune se lance dans son histoire, qui ne semble finalement pas être si catastrophique que ça, à voir l’expression qui se dessine sur le visage de l’avocate. « C’est ta manière de me dire que je ne suis pas un cas si désespéré ? » lance-t-elle, le cœur un peu moins lourd qu’auparavant.

La jeune femme hoche la tête. Il sera plus facile de répondre à des questions, car elles seront orientées. Carla sait qu’elle devra s’en tenir aux faits et à la vérité, mais il est difficile de faire abstraction de jugements, surtout lorsqu’on se sent aussi énervé et concerné par une affaire, que celle-ci vous touche au plus profond de vos tripes… « Je vais essayer, mais tu me connais… Toujours à dire ce que je pense sans penser à mettre les filtres. » Elle grimace. Elle fera un effort, un gros effort. « J’espère juste que le naturel ne reviendra pas au galop au cours du témoignage… » Un rire nerveux la prend. Sous le coup du stress, qui sait ce qu’elle pourrait faire, quels réflexes pourraient revenir sur le devant de la scène. « Des fois, je me maudirais presque d’être comme je suis, j’te jure… » Elle lève les yeux au ciel. Carla est une personne qui a une forte confiance en elle en règle générale. Elle fait 1.57m les bras levés, alors tout ce qu’on peut lui dire lui passe au-dessus. Enfin, la plupart du temps en tout cas.

Elle fronce bientôt les sourcils en entendant la question de son amie, qu’elle peine à comprendre. Elle la reformule dans sa tête, avale une gorgée de bière, puis deux, et enfin elle ouvre la bouche pour tenter une réponse. « J’ai regardé le compte rendu de son précédent procès et vraiment, il est super doué pour jouer aux victimes… » Oui, c’est surtout ça, qui lui fait peur ; que l’homme arrive à mettre le jury dans sa poche. « Mentir à la barre sous serment, ça ne lui pose aucun problème. » Comme bon nombre de criminels notoires, vous me direz… Mais Carla, elle a beau voir l’horreur du monde tous les jours, elle ne peut s’empêcher de croire en la bonne foi de ses concitoyens, de base. « Et… hum… Sa petite amie est sur le point d’accoucher… Alors s’il commence à jouer sur la sensibilité des jurys parents… Il pourrait vite se les mettre dans la poche, non ? »

Faire des réponses courtes, plus facile à dire qu’à faire. La jeune femme a beau ne pas être une grande bavarde comme peuvent l’être certaines femmes, il n’en reste pas moins vrai qu’elle aime les détails. Elle hoche la tête. « Je tacherais d’y penser ! » Son ton est affirmatif. Elle fera tout pour coincer ce salopard et qu’il finisse bel et bien derrière les barreaux. Son sourire revient un peu en force lorsque son amie la rassure sur sa compagnie. La conversation s’en suit ensuite sur les dernières révélations faites par l’officier de police, et ce que lui répond Ofelia est loin de la rassurer. En même temps, si elle était elle-même jurée, sans doute qu’elle se poserait des questions. Elle n’a pas d’enfants, certes, ni même de conjoint.e d’ailleurs, mais la famille a toujours eu une place primordiale dans son cœur et dans sa vie.

« Vol à l’étalage. » Cela revient presque au même, en soi. Ou pas ? Dans la tête de Carla, ce sont tout du moins des crimes à mettre dans le même panier, certes moins graves que des meurtres, mais pas anodins tout de même. De toute façon, même pour celui qui aurait une bonne raison, la policière considérerait qu’il n’a pas à commettre de délit, point. « J’espère que l’avocat sera moins doué que toi ou il risque vraiment de s’en tirer… » Elle grimace avant de réfléchir sur les autres raisons qui aurait poussé l’homme à agir ainsi. « Ça pourrait l’être mais étrangement, j’ai du mal à y croire… A sa façon de parler, il n’est pas vraiment daddy-material. D’ailleurs, si sa petite-amie n’était pas venue au commissariat, on n’aurait jamais su pour la grossesse… Il ne lui avait même pas dit qu’il était en garde à vue… Son appel a été pour un de ses potes… C’est dire quelle place a sa « famille » dans sa vie… » Carla n’a jamais vraiment eu de relation, donc elle ne sait pas vraiment de quoi elle parle mais pour autant, elle a une vision assez claire du couple, des enfants, de la place qu’ils sont censés avoir dans la vie d’une mère et d’une épouse. « Qui sait s’il n’a pas fait ça uniquement pour le frisson ; pour s’acheter un nouveau jeu vidéo ; ou juste suite à un pari avec quelqu’un… » Elle hausse les épaules. Elle pourrait en rire, avec un peu de recul, mais pas aujourd’hui. A la place, elle se contente d’un profond soupir. « Des fois, on se demande ce qui se passe dans la tête des gens, sérieux… Tes clients aussi t’en font voir de toutes les couleurs ? »

Elle hoche la tête et commence à se sentir de mieux en mieux, face aux arguments de son amie. Oui, Ofelia est une des meilleures de son domaine, Carla n’en a jamais douté. Et les mots de l’avocate, l’aide à se souvenir de tous les avocats commis d’office qu’elle a vu passer durant les interrogatoires et les gardes à vue. En dehors de quelques-uns qui sortaient du lot – souvent des jeunes qui avaient encore toutes leurs convictions pour faire de ce monde, un monde meilleur – la plupart semblaient juste peu investis dans leur tâche, comme si le fait qu’ils ne soient pas payés, ou trop peu, leur enlevait toute motivation à exercer leur métier. Ce que Carla peut parfaitement comprendre, dans un sens. Tout cela l’aide à prendre confiance en elle et en le fait que cet homme ne s’en tirera surement pas, en fin de compte. Oui, elle préfère garder ça en tête que l’autre supposition. Partir gagnant, c’est déjà un début de victoire, non ? Dernier hochement de tête, accompagné d’un large sourire, et la jeune femme peut engloutir deux gorgées de sa bière, la gorge libérée d’un poids, alors que son amie lui parle de son métier un peu plus en profondeur.

« J’ai la chance d’avoir encore mes deux parents ensemble… Mais je me souviens encore d’une copine de collège dont les parents se déchiraient sans cesse, à tel point qu’elle était incapable de faire ses devoirs ou quoi que ce soit… C’est dingue d’être capable de détester autant quelqu’un qu’on a profondément aimer… » Mais encore une fois, Carla vit dans son monde de bisounours. Elle n’y connait rien à l’amour, elle qui n’a jamais vécu une relation vraiment sérieuse avec quelqu’un. Qui sait ce qu’elle serait capable de faire si on la trompait ? Elle ne se pose même pas la question pour tout dire. « Les riches, c’est sans doute les pires… » Elle se met à rire, imaginant parfaitement les disputes pour la troisième maison. « Ca leur enlèverait pourtant une sacrée épine du pied, s’il te la donnait… » ajoute-t-elle en toute innocence pour appuyer les propos de son amie.

« C’est dans ces moments-là qu’on ne regrette pas notre célibat, n’est-ce pas ? » Elle lève son verre, comme pour trinquer au fait d’être seul. « Bien que nous n’en profitions pas de la même manière. » Elle laisse échapper un rire fort. Elle, elle traine avec ses amis à longueur de temps, quand elle n’est pas au travail. Et une fois arrivée chez elle, c’est Netflix & chill sur le canapé. Aucun homme. Aucune femme. Aucun sentiment. Et encore moins de sexe. Pourtant, ce n’est pas faute qu’on lui dise qu’elle devrait en profiter…

Elle hoche la tête, comprenant parfaitement ce que son amie veut dire. C’est tout à fait logique. Et le tout finit en crise de fou rire quand elle mentionne que ça ferait d’une pierre deux coups. Voici les filles en train de trinquer au célibat. Carla ne prend pas mal les propos d’Ofelia, tout à fait à l’aise avec ses choix de vie. Cela fait bien longtemps qu’on ne l’a pas questionné sur sa vie privée, les gens étant pour la plupart au courant du néant qu’est celle-ci, ou ne préférant pas mettre les pieds dans le plat par malaise. Mais Carla, ça ne la dérange pas d’en parler. Elle hausse les épaules, et dans un sourire amusé, répond à la brune : « Pourquoi ? Tu te proposes pour l’atelier pratique ? » Honnêtement, Ofelia pourrait tout à fait être son genre. Enfin, elle suppose, parce qu’elle n’a pas vraiment de genre, Carla. Elle est déjà bien incapable de savoir si elle a une préférence pour les hommes ou pour les femmes, en venant à se dire qu’elle aime indifféremment les deux sexes. « Si si. C’est pas les propositions qui manquent, qui plus est. » Nouveau haussement d’épaules. Elle n’y donne jamais suite par manque de confiance en elle dans le domaine. Parfois, elle croit qu’on se moque d’elle, ou bien la personne n’est vraiment pas à son goût. « Mais je me suis toujours dit que quand ce serait la bonne personne, je le saurais, et ce serait naturel… J’attends peut-être juste le déclic, j’en sais rien… » Ou pas. Elle ne préfère pas analyser, se concentrant sur le boulot, les amis… « Jusqu’à maintenant, je n’ai jamais eu le feeling qui a fait que avec personne. » Enfin, si, elle l’a eu, mais dans ces cas-là, ça a toujours fini dans la friend zone, parce que de par son caractère, on a du mal à se projeter avec elle, on se dit qu’elle est mieux en tant que pote, parce que la séduction, c’est pas tellement sa tasse de thé. « La plupart des mecs dans les bars sont juste trop lourds pour envisager quoi que ce soit… Au boulot, c’est pas comme s’il y avait de quoi se mettre sous la dent… Et les autres, on est trop amis pour que ça dérive sur quoi que ce soit… » Ca aurait pu le faire, avec Claire, sa meilleure amie et collègue, mais celle-ci avait été mariée pendant longtemps, au point que plus rien ne semble envisageable.

Le flirt sous forme de plaisanterie ne manque pas de décocher un sourire à la belle brune. Elle aime la légèreté de leur amitié. Ofelia tente de la rassurer, mais même s’il arrive que la policière se pose des questions sur sa situation, elle est de ceux qui vivent très bien le célibat. Elle estime qu’être en couple ou non ne la définit absolument pas, et que si ça doit venir un jour, alors ça viendra. « Bon nombre, faut pas exagérer. » Elle se met à rire de bon cœur. C’est peut-être vrai, en réalité, mais elle ne le voit tout simplement pas, n’ayant pas de radar pour ce genre de choses. Cette franche partie de bonne humeur lui fait oublier pendant un moment son stress concernant l’audience à venir au tribunal. Elle se sent plus armée, de toute façon, et elle sait qu’elle dormira mieux ce soir, grâce à son avocate préférée, bien que la nuit risque tout de même d’être agitée. La jeune femme boit encore une gorgée, puis, une autre, avant de redemander une bière à son amie. Leurs échanges se poursuivent alors, comme elles en ont l’habitude, l’alcool aidant toujours un peu à délier les langues.