tu soupires. un long soupir las, témoignant ton état d’esprit actuel ; un mélange entre l’écoeurement et la rage. entre l’épuisement et l’irritation. elle fait toujours ça, ta soeur. elle fout sa vie en l’air, te laissant le soin de ramasser les pots cassés derrière son passage. voilà que tu reçois un texto de sa part, te disant de venir à son université. ce n’est pas une invitation de courtoisie, non, ce n’est pas le cas. c’est une convocation de la part de la doyenne car ta soeur a encore une fois foutu la merde en frappant l’une de ses camarades. tu ignores les raisons et franchement, tu ne peux justifier son acte de violence. tu es contre toute forme d’irascibilité que tu considères comme un des inombrables fléaux de la société. un nouveau soupir et tu te décides à prendre les choses en main. une discussion sérieuse s’impose avec elle, tu n’as pas le choix. tu sais par avance ce qui arrivera ; elle t’écoutera pas. elle se bouchera les oreilles comme une gamine désobéissante. elle ignorera tes réprimandes, pissera sur ta colère. elle a toujours été ainsi, une rebelle dans l’âme, une marginale aux mots lacérés et épineux.

paumé. tu es sacrément paumé dans la grandeur des lieux. toutes les pièces se ressemblent selon toi. elles sont teintées d’une blancheur aveuglante, contrastant avec ton état spirituel. tu interroges l’une des étudiantes sur l’emplacement du bureau de la doyenne. tu ne perds pas de temps jesse, tu t’y diriges en ayant une boule au ventre. journée merdique qui se dessine dans l'horizon et tu le sais, ce n’est pas encore fini. quand tu sors de son bureau, tu ressens le besoin viscéral de te griller les poumons à coup de baguette incandescente. vite, une cigarette. mais avant, tu veux commander un café, juste pour faire passer le sale quart d’heure que tu viens de vivre. ta soeur était là évidemment. elle et sa désinvolture légendaire. elle semblait pas se préoccuper par les avertissements de la doyenne. elle n’en a rien à foutre, tu en es conscient. pourtant, elle fait ce qu’elle aime. elle a bataillé pour intégrer cette école prestigieuse. elle a tenu tête à vos parents pour vivre son rêve. tu ne comprends rien jesse, tu ne comprends pas ce qui cloche, la raison pour laquelle elle bousille sa chance.

la tête fatalement dans le cul, tu t’approches du comptoir pour commander un café bien corsé. un liquide capable de soigner tes maux à présent. il a suffi de lever la tête vers le barista pour froncer légèrement les sourcils. son visage est familier et pour cause, tu lui parles presque tous les soirs. sans l’ombre d’un doute, tu le pointes à moitié du doigt non sans t’exclamer.  « kelly ? c’est toi ? » la probabilité que tu te trompes de personne frôle le zéro. tu as un peu trop contemplé ses photos pour ne pas le reconnaître. malgré la tempête ayant frappé ta matinée, tu esquisses un micro sourire, reprenant aussi du poil de la bête. « à moins que tu sois son jumeau maléfique ? » une blague à deux balles qui engendre un calme temporaire en toi.  

Une nouvelle journée de boulot. T’as pas grand chose pour t’enthousiasmer à part savoir que tu vas avoir quelques heures de ménage à l’Overkill ce soir. Ca veut aussi dire que tu vas pouvoir te servir des verres gratuitement car tu es dans la case ‘staff’. Pas sûr que ce soit totalement approuvé par les gérants mais tu tu prends ce droit là. Tu n’en abuses pas non plus. Si tu prends deux verres c’est beaucoup. Tu te contentes de un seul d’habitude. Tu es en train de tester un peu tout ce qu’il y a sur la carte du coup. C’est une façon de se faire plaisir comme une autre. Un challenge. Mais en attendant t’es là à Starbucks. Tu prends les commandes aujourd’hui, laissant les nouveaux préparés les boissons parce que y’a pas tant de monde que ça. Y’a le temps de les voir faire des conneries et les réparer in extremis. « kelly ? c’est toi ? » Tu hausses les sourcils, puis tu les fronces, parce que tu arrives pas à mettre un nom sur ce visage. « à moins que tu sois son jumeau maléfique ? » Mais le gars est très mignon et très drôle (non pas tant que ça, mais comme il est joli ça aide).  « Je vais sonner rude mais je me souviens pas de toi… Et je m’en excuse d’avance, je suis prêt à mettre plein d’arguments de mon côté. Y’a des chances que j’ai été ivre quand on s’est rencontré. » Parce que tu penses forcément que c’est ça. « Je m’en veux de pas me souvenir… » T’espères que vous aviez passé un bon moment tous les deux la dernière fois que vous vous êtes vues. Sûrement l’unique fois, ton cerveau ne pourrait pas te faire un coup pareil plusieurs fois. T’es pas amnésique ni alcoolique non plus. Tu profites qu’il y ait personne derrière lui dans la file pour ne pas prendre sa commande tout de suite, y’a pas le feu.

tu te gifles mentalement. son jumeau maléfique ? c’est sûrement la pire blague de tous les temps malgré le calme momentané qui t’a inspiré dans ses filets. tu mets cela sur le compte de l’émotion ainsi que la surprise. la surprise de le voir ici, en chair et en os. toi, tu as eu l’habitude de contempler ses photos à travers un écran, t’arrives à le reconnaître sans grande peine. là, il est en grandeur nature et tu ne peux t’empêcher de le trouver mignon, lui et son léger malaise de ne pas se souvenir de toi. tu esquisses un léger sourire jesse. tu as soudainement envie de jouer un peu. après avoir passé une mauvaise matinée, à courir dans tous les sens et à maudire ta soeur, tu as envie de te détendre à ta façon. tu arbores alors une mine attristée, la lèvre inférieure retroussée comme si tu boudais. « c’est ce que j’appelle un poignard dans le coeur.  » en réalité, tu te permets autant de familiarité avec lui, tant de “laisser-aller” car tu le connais si bien. si vous aviez parlé une ou deux fois, sans ressentir une connexion avec lui, tu n’aurais même pas eu l’idée de venir lui parler. tu ne t’attardes pas dans ta petite mise en scène, tu te décides à te présenter convenablement. c’est ce que tu fais d’ailleurs ; tu fais sortir ton portable, affichant ton profil sur reddit et tu le pointes du doigts. « ça c’est moi, jesse. » maintenant que t’y penses, c’est normal s’il ne t’a pas reconnu. il ne connaît pas entièrement ton visage. tu t’es contenté de lui envoyer des bouts de ton enveloppe ; biceps, un coin de bouche, une main etc. là, il a un visuel total sur tes traits et ta carapace de chair et de sang. « tu penses que c’est possible de me servir un café corsé s’il te plait ?  » après tout, tu ne perds pas le nord. ça te fait énormément plaisir de le voir en personne mais tu as toujours besoin de ta dose de caféine. d’ailleurs, cela ne le surprendrait pas beaucoup vu que, précédemment, tu lui avais envoyé une photo où tu tiens une tasse de ta drogue préférée.