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the one about tough love and beers w/ Wesley

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Lun 16 Nov - 18:02
Il y avait peu d'endroits à New York qui inspiraient nostalgie et réconfort à Reagan, sans doute parce que ses premières années aux États-Unis étaient synonymes de galères sans nom et d'emmerdements sans fin. Elle était tout à fait capable de faire des détours pour éviter de repasser devant la supérette où elle s'était épuisée pour pouvoir payer ses factures et refusait catégoriquement de remettre les pieds dans la rue où elle avait emménagé en quittant son Irlande natale. L'Outpost, cependant, ne comptait pas parmi ces mauvais souvenirs. Oh, il y avait eu des moments difficiles, des soirées ruinées par des clients particulièrement difficiles ou irrespectueux, des instants désespérés où le temps semblait suspendu, à essuyer le même verre encore et encore avec la désagréable impression d'être coincée dans un quotidien triste sans la moindre issue. Mais après tout, nulle vie n'était parfaite et c'était ces moments-là qui donnaient un éclat particulier au bonheur. Et elle avait été heureuse derrière ce bar, avait testé ses premiers sketchs du bout des lèvres sur cette scène, s'était construite une certaine confiance devant des visages familiers. Pousser la porte du bar aujourd'hui amenait toujours un sourire sur son visage. Compter parmi les habitué·e·s plutôt que les employé·e·s avait une saveur différente mais c'était l'un des rares lieux où elle se sentait bien. Et si son emploi du temps ne lui permettait pas d'y passer autant de temps qu'elle ne l'aurait voulu, elle mettait un point d'honneur à y venir régulièrement malgré tout, souvent seule, parfois accompagnée, généralement pour y retrouver des figures connues, voire proches. Enfin, surtout pour voir Wesley, la plupart du temps. Lui offrir un sourire et un verre, et s'assurer qu'il ne se laissait pas trop aller à broyer du noir. Les passages à vide, Reagan connaissait et savait combien on pouvait se sentir désemparé face à un manque de perspectives. Elle n'avait peut-être pas de solution miracle à apporter, certes, mais ça ne l'avait jamais empêchée de garder un œil sur ses proches. Et, en cas de besoin, de leur apporter un peu de soutien et de réconfort, même si ça signifiait leur servir un sermon sur l'importance de prendre soin de soi et de se valoriser — Reagan passion développement personnel à ses heures perdues.

Et des heures, elle en avait perdu derrière ce bar. Suffisamment pour s'en éloigner aussitôt sa commande passée et retrouver sa table préférée juste à temps pour la fin du set de Wesley. À la manière de ses goûts en matière d'humour, ses intérêts musicaux s'étalaient en toutes directions. Reagan n'était pas très friande des étiquettes de toute manière. Le plaisir et la passion étaient ce qui lui importait le plus — et être entourée de gens talentueux rendait les retours bien plus faciles quand on lui demandait son avis.

Sa bière — et celle qu'elle avait commandé pour Wes, autant par habitude que pour se faire pardonner son léger retard — fit son apparition peu avant son ami. Reagan l'avisa d'un signe de la main, un large sourire aux lèvres. Avant toute chose, je sais que je suis en retard mais hey, j'étais là pour la fin et en plus je t'attends avec une bière, lança-t-elle en guise de bonjour. Tourner autour du pot n'avait jamais été son genre et elle n'allait pas s'y mettre aujourd'hui.

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Ven 27 Nov - 12:01
En sortant de scène ce soir-là, Wes fila immédiatement se passer un coup d’eau sur le visage. Il prit soin d’éviter son reflet dans le miroir, vaguement énervé contre lui-même. Sa prestation s’était mal passée. Enfin non, pas vraiment, disons qu’elle avait été bien. Pas « excellente », pas « très bien », juste « bien ». Or c’est exactement ce qui dérangeait Wes. À ses yeux, il valait mieux être très mauvais ponctuellement qu’à moitié bon tout le temps. Il arrivait à tout le monde de se foirer devant un public. Sauf que dans son cas, c’était récurrent. Il avait l’impression d’être coincé dans un entre-deux de médiocrité. Ce qu’il faisait était loin d’être nul, mais c’était surtout loin d’être brillant. En fait, le véritable problème résidait dans le fait qu’il n’y mettait pas ses tripes, sa sincérité. Inévitablement, ça se ressentait. Il n’y croyait plus, alors forcément, le public n’y croyait pas non plus.

Apercevoir Reagan assise à sa table favorite déclencha l’apparition d’un grand sourire sur son visage. Avant d’être son ami, Wes comptait parmi ses plus grands fans. Il était fier de leur amitié et s’étonnait toujours d'avoir un intérêt aux yeux de Reagan et de sa personnalité volubile. Il se fraya un chemin au travers de l’amas de clients et se laissa tomber sur la banquette en face d’elle. Wes balaya ses excuses d’un geste de la main. Il désigna la bière qui lui était destinée. «  Tu sais comment te faire pardonner ! » En un sens, il était content que Reagan n’ait pas assisté à l’entièreté de son set, sans quoi il aurait eu vraiment honte. Il s’abstint soigneusement de lui demander ce qu’elle en avait pensé, car il connaissait la réponse et qu’il n’avait pas envie de l’entendre.

« Tu peux l’ajouter à mon ardoise. » Sans se départir de son sourire, il poussa un soupir théâtral. « Je te dois tellement d’argent. » Avec tous les verres qu’elle lui avait payés, Reagan aurait quasiment pu s’acheter une petite voiture. Sans exagérer. Wes se promit de la rembourser, un jour. Mais pas aujourd’hui. À croire que finalement, les bons comptes ne faisaient pas forcément les bons amis.

Il leva sa bière dans l’idée de porter un toast, mais manqua d’inspiration à la dernière seconde. « Sur quoi tu bosses en ce moment, Reagan ? Qu’on puisse trinquer à quelque chose. » Connaissant ses tendances de workaholic, Wes supposa qu’elle avait mille projets en cours, tous plus ambitieux les uns que les autres. D’ailleurs, il lui était reconnaissant de s’être libérée, faisant fi des contraintes, juste pour venir perdre son temps avec lui à l’Outpost. « Ton podcast, peut-être? » Bien sûr, il avait écouté attentivement. Il n’était pas certain d’être le cœur de cible de l’émission, mais il aimait la liberté de ton de l’équipe, la pédagogie de leur humour.

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Lun 14 Déc - 23:14
Elle n'était clairement pas l'amie de l'année, preuves en étaient ses récentes déconvenues avec Archer et Daniel, mais avec Wes, Reagan pouvait se targuer de plus ou moins assurer. Enfin, débarquer en retard était sans doute la plus importante de ses récentes erreurs avec lui. Rien de dramatique, évidemment, mais après tout, Wesley n'avait trompé personne et elle n'était pas non plus à moitié amoureuse de lui, ça simplifiait grandement les choses. Et c'était aussi ça, qu'elle appréciait dans leur amitié, la simplicité, la facilité avec laquelle il savait ramener un sourire sur son visage et lui faire oublier deux minutes le rythme effréné avec lequel sa vie tournait. Elle haussa un sourcil en l'entendant parler d'argent, songeant dans un premier temps à balayer ce genre de considérations d'un revers de manche avant de se pencher, sourcils froncés, main sur le cœur. Oh, saperlipopette, oui, tu vas me ruiner, lâcha-t-elle, faussement dramatique. Évidemment, elle avait connu des temps difficiles, surtout après son arrivée à New York, mais quel intérêt y avait-il à la stabilité — voire le confort — financière si on ne pouvait pas en faire un peu profiter ses proches ? Elle n'insista pas cependant, consciente qu'il n'y avait qu'un pas entre générosité et semblant de pitié, surtout lorsqu'on se trouvait destinataire du moindre geste. Et après tout, ils étaient amis et ce n'était qu'une bière.

Imitant Wesley, la comédienne leva son verre, prête à écouter le toast. Qui ne vint pas. Oh, well. L'inspiration n'était pas toujours au rendez-vous, ses nombreuses journées au bureau passées à tourner sur une chaise en fixant le plafond pouvaient en attester. Quel bonheur, vraiment, de savoir que NBC les payait, elle et ses collègues, à se tourner les pouces en attendant de se retrouver dos au mur, à produire des sketchs parfois — souvent, à en croire le Twitter du président sortant — discutables. Fort heureusement pour elle, Reagan avait bien d'autres occupations et ça n'était un secret pour personne, à commencer par ses proches. Et par les gens qu'elle appréciait et dont elle ne filtrait pas les appels par crainte de s'entendre répéter qu'elle finirait vieille fille — Wes rentrait dans la seconde catégorie. Um, le podcast, oui. Une foule d'autres choses qui rendent mon agent très heureux, ajouta-t-elle en levant les yeux au ciel. Extatique aurait été plus approprié mais elle évitait de trop s'attarder sur le fait que des dollars brillaient dans les yeux de ce type qui autrefois sautait plus souvent au plafond pour ses blagues que pour les commissions misérables qu'elle lui faisait toucher. En fait, j'essaye de lever un peu le pied. Enfin, pas dans l'immédiat mais j'ai eu 34 ans et, je sais pas, c'est terriblement ingrat de dire ça mais j'ai l'impression de courir partout tout le temps pour rien. Enfin, non, pas exactement mais je sais pas, il manque quelque chose ? Elle haussa les épaules, les yeux dans sa bière, pas certaine de ce qu'elle avançait. Voilà où ça menait de fêter son anniversaire en tête à tête avec une bouteille de piquette et la tête remplie de doutes. C'est stupide, s'empressa-t-elle d'ajouter en se redressant, c'est juste, l'hiver, tout ça, je manque de vitamine C et je déprime un peu. Et toi, comment ça va en ce moment ? Elle se retint à grand peine de demander s'il dormait bien et s'hydratait correctement. On lui avait déjà fait remarqué que sa sollicitude un brin maternante pouvait être, au mieux, agaçante. Au pire, clairement condescendante, very white working girl in Manhattan obsédée par le développement personnel et le bien-être de ses amis, par acquis de conscience — bel effort d'intégration auraient plaisanté certains avant de réajuster leurs casquettes écarlate. Tout ce que Reagan ne voulait pas être, en somme, et certainement pas ce dont Wesley avait besoin.

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Dim 27 Déc - 20:21
Wesley eut un sourire doux. « Non, c'est loin d’être stupide. » Ce que décrivait Reagan lui parlait. Poursuivre des objectifs, les atteindre, pour finalement se rendre compte qu'on est pas aussi accompli qu'on le pensait, tout ça, Wes connaissait bien. Et en essayant de combler ce vide, en tentant d'avoir plus que ce qu'il n'avait déjà, il avait fini par abîmer sa carrière. Et sa vie amoureuse, en passant. « Je me demande s'il est possible de se débarrasser de cette sensation de « manquer de quelque chose », comme tu dis. Être épanoui à 100% c'est peut-être un mythe inatteignable, finalement. » Plus il avançait et moins les choses trouvaient de sens à ses yeux. Toute sa vie, il avait couru après des réponses qui ne venaient pas. Peut-être qu’elles ne viendraient jamais, et qu’il fallait juste se faire à l’idée. Peut-être que c’était ça, la maturité : se faire à l’idée.

Wes réalisa un peu trop tard que ses commentaires pessimistes n'étaient pas ce dont Reagan avait besoin. En ce moment, il était plutôt mauvais pour remonter le moral. Sa conversation devenait déprimante et Reagan n’était pas venue pour l’écouter pleurnicher. Pas besoin de lui rajouter le poids de ses doutes, elle qui, manifestement, était déjà occupée à batailler avec ses propres démons. Il se sentit donc obligé de dédramatiser. « On a vraiment des bons gros problèmes de riches, sans déconner. » Il s’appuya contre le dossier, la cheville droite posée sur le genou gauche, dans une position plus décontractée, de celles que prennent les cool kids dans les bars. « Et puis t’as raison, l’hiver, le froid, ça joue beaucoup. T’aurais pas envie de prendre une semaine de vacances au soleil ? Tu dis quoi de Cancùn ? » Il grimaça. Il avait déjà joué au Spring Break de Cancùn, pour ne citer que cette destination parmi celles prisées par les touristes – et les teufeurs. Très honnêtement, il avait détesté l’expérience de toutes ses forces. La démesure, très peu pour lui, même à l’époque où il était plus jeune et où il avait sans doute moins conscience des choses. Sans parler de la misère mal dissimulée derrière les hôtels de luxe. « Enfin Cancùn c'est si t'aimes le trip spring break, pollution et exploitation des travailleurs. Bref, tout ce que tu adores, je suppose.»

Lorsque Reagan s’enquit de son état, il la joua détendu. Comme d’habitude. « Moi, ça va bien, je prends du temps pour... Réfléchir. » Doux mensonge. Il avait failli dire « me recentrer », mais il avait senti que ça sonnait vraiment comme du foutage de gueule. Quelqu'un de clairvoyant lui aurait répondu que réfléchir c'était bien, certes, mais qu'à un moment donné, il fallait aussi agir. Que c'était trop facile de se cacher derrière un état introspectif, qu'il fallait arrêter de se regarder le nombril et se mettre au boulot, au lieu de végéter en jouant les artistes torturés. Action-Réaction. Plus facile à dire qu’à faire, cependant. Comme pour son toast quelques minutes plus tôt, l’inspiration venait à lui manquer. Il avait pourtant des choses à raconter, des histoires à mettre en musique. Mais cette matière, il n’arrivait pas à l’exploiter correctement, allez savoir pourquoi. « J’y pense, t’es tellement busy qu’au final, on a jamais eu l’occasion de trinquer à tes 34 ans. » Bien sûr, Wes avait envoyé à son amie un texto pour lui souhaiter son anniversaire. Il avait préféré éviter les FaceTime, inquiet à l’idée de la déranger au beau milieu d’une réunion d’écriture. Un texto, donc, c’était bien, mais ça n’avait rien d’une célébration digne de ce nom. Wes eut un grand sourire. Il avait trouvé à quoi porter un toast, finalement.

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Mer 20 Jan - 19:22
Elle les comptait sur les doigts d'une main, les gens avec qui elle se sentait suffisamment en confiance pour être aussi honnête. Sans crainte de les entendre lui rappeler qu'elle avait tout pour être heureuse, sans peur de devoir se justifier ni de passer pour une ingrate ou une éternelle insatisfaite. Sans cette petite voix dans sa tête qui répétait qu'elle n'avait pas le droit de se plaindre, qu'elle devait simplement travailler plus dur que les autres pour atteindre ses objectifs. Honnête, juste honnête, avec toute la vulnérabilité qui venait avec. Avec quelqu'un d'autre, Reagan se serait sans doute sentie mal à l'aise, aurait vite masqué sa gêne avec une mauvaise blague, mais pas avec Wesley. Peut-être était-ce le poids des années ou la certitude solide qu'elle ne trouverait pas de jugement dans le réconfort qu'il pouvait lui apporter. Si simple que ça pouvait paraître, le seul fait d'admettre que tout n'allait pas comme elle l'aurait souhaité était bien plus compliqué que Reagan voulait bien le reconnaître et toutes les oreilles n'étaient pas faites pour l'entendre mais Wesley semblait comprendre, Dieu merci. Elle approuva avec un soupir, hochant la tête mollement, fatiguée de ce cirque constant. Oh, elle aurait donné cher pour revenir à ses dix, douze ans, et fuir les responsabilités et les exigences qui venaient avec la vie d'adulte. Ironiquement, à cet âge-là, elle n'attendait qu'une chose : grandir, atteindre finalement l'indépendance tant désirée. You'll never be satisfied se plaisait à lui répéter sa mère et peut-être avait-elle raison. Peut-être fallait-il que Reagan apprenne à se satisfaire de ce qu'elle avait au lieu de courir après des ambitions inatteignables. Peut-être bien, ouais.

Par bonheur, Wesley ne la laissa pas s'apitoyer sur elle-même trop longtemps. Des problèmes de riches, sounded about right. Pas faux, ouais, on devrait s'estimer heureux. Je me souviens encore de l'époque où je me demandais comment j'allais pouvoir payer mon loyer et je suis là à me lamenter parce que mon boulot me comble pas. Insupportable, vraiment, plaisanta-t-elle en fronçant le nez, vaguement agacée par son propre comportement. Quelle ironie franchement, de se voir devenir exactement ce qu'elle pouvait dénoncer. Le blues hivernal était clairement dangereux et elle aurait clairement eu besoin de vacances. Cancùn était une idée, une parmi tant d'autres, mais la perspective de se retrouver noyée au milieu d'une foule d'étudiants en sueur désireux d'avaler leur poids en alcool n'était guère séduisante. Le plan parfait pour revenir encore plus surmenée qu'avant, lâcha-t-elle avec un ricanement, et franchement, c'est pas comme si je pouvais me permettre de faire une pause en pleine saison. J'ai trop galéré pour en arriver là, si je m'en vais, même cinq minutes, je suis pas sûre que NBC garderait ma place au chaud. Et un ou deux ans plus tôt, elle aurait certainement été terrifiée. SNL, c'était la consécration, le rêve d'une vie même, et Reagan savait toute la chance qu'elle avait d'être parvenue à l'atteindre. Elle avait aussi conscience d'être la carte diversité de la chaîne, presque l'oiseau rare à ce stade tant elle cumulait les différences culturelles, sociologiques et sexuelles. C'était le point de départ de nombreuses blagues, presque son fond de commerce à ce stade, mais sous les rires, restait la crainte de se voir mise à la porte, remplacée sans ménagement. Parce que personne n'était indispensable, parce que la télévision avait toujours besoin de nouveauté. Et, finalement, peut-être qu'elle aussi avait besoin de nouveauté mais pareille décision méritait plus ample réflexion.

Réfléchir, une activité aussi reposante qu'elle pouvait se révéler drainante. Une bonne excuse aussi. Reagan n'était pas certaine de savoir laquelle de ces deux options Wesley présentait mais elle se contenta de hausser un sourcil, peu convaincue, ni par l'une ni par l'autre, se retenant de lui demander depuis combien de temps il réfléchissait. Bit rude, bit insensitive too, chacun avançait à son rythme après tout. Elle l'enviait un peu, à vrai dire, de pouvoir s'accorder du temps. Encore fallait-il que ce soit du temps bien dépensé, in selfcare and selflove plutôt qu'avec de vieux démons mais Reagan ne pouvait guère faire plus qu'espérer que Wesley fasse attention à lui. Même son instinct maternel avait ses limites.

Elle laissa échapper un grognement à la mention de son anniversaire, reportant son attention sur sa bière plutôt que sur une réponse élaborée dans un premier temps. Je crois que j'ai atteint l'âge critique et très cliché où on arrête de célébrer le moindre anniversaire, finit-elle par avouer, les yeux perdus dans la mousse, en vrai, je vais rester bloquée sur 33. Comme ça, je peux prétendre que j'ai pas passé mon dernier anniversaire toute seule comme une gourde. Non mais vraiment, t'as rien raté. J'ai bossé toute la journée et je me suis offert un irish coffee à 2h du matin en regrettant tous les choix que j'ai pu faire dans ma vie. C'était presque une blague, presque. Je suis en train de devenir mortellement chiante et j'ai rien vu venir soupira Reagan, pas le moins du monde dramatique. Pas son genre, du moins pas sans une audience.

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Ven 12 Fév - 22:25
Il grimaça lorsque Reagan évoqua ses années de galère. Lui n'avait pas connu les fins de mois difficiles, l'angoisse de ne pas réussir à payer son loyer. Bien qu’il ait une ribambelle de choses à leur reprocher, Wes devait reconnaître que ses parents l’avaient soutenu financièrement lorsqu’il était étudiant. Par la suite, son groupe avait vite connu un petit succès, de sorte à ce que Wes puisse payer un appart sans avoir à stresser dès le 15 du mois. Être issu d’un milieu aisé l’avait complexé, surtout à la fin de l’adolescence. Difficile d’être crédible en enfant terrible lorsque l’on vient d’une famille de la classe moyenne. Une grande maison en banlieue, des voyages d’affaires toute la semaine, des barbecues le dimanche, les Takagi menaient un train de vie confortable… Et horriblement banal. Wesley leur avait beaucoup reproché cette monotonie. Mais aujourd’hui, il se demandait si, finalement, il ne serait pas plus heureux s’il avait suivi les traces de ses parents. Une triste considération qui lui fit secouer la tête. Pff, n’importe quoi. La bière lui donnait de drôles d’idées. « Hum, j’ai eu de la chance, j’ai pas eu trop de problèmes d’argent, plus jeune. » Son regard, auparavant rivé sur le dessous de verre qu’il faisait tourner entre ses doigts, se reporta sur Reagan. « Mais mon père ne m’a jamais dit « je t’aime », ça compense, non ? » Il partit dans un éclat de rire sonore qui désamorça ce qu’il venait de dire. Lâcher des bombes à mi-chemin entre la sincérité et le malaise l’amusait au plus haut point. Ça aurait pu gêner n’importe qui, mais pas Reagan, il le savait. D’eux deux, c’était bien elle la championne de l’auto-dérision, non ?

La télé, un milieu qu’il ne lui enviait pas. La guerre des audiences, très peu pour lui. Il commenta avec un air détaché : « Ils seraient pas très malins de te laisser filer, le public t’adore. Je sais pas comment tu fais ça, mais dans la seconde où tu apparais à l’écran, la moitié des téléspectateurs a déjà envie de t’aimer. » Manifestement, il n’était pas le seul à être envahi par les doutes – la différence entre Reagan et lui étant qu’elle ne se laissait pas abattre. Wes se souvint de ce vieux cliché qui voulait que tous les humoristes talentueux soit au fond infiniment malheureux. Peut-être que ça n’était pas entièrement faux. Même si tous n’étaient pas aussi fucked up que Jim Carrey. Il relativisa. « Remarque, ça te permettrait de te consacrer à autre chose. C’est pas comme si tu n’entreprenais rien à côté. Et que tu ne réussissais pas ce que tu entreprends. » Reagan avait plusieurs projets en parallèle, ce qui était malin de sa part – Wes n’avait vu que trop tard l’intérêt d’une telle stratégie. Car si l’un d’eux tombait à l’eau, elle en avait mille autres auxquels se raccrocher. Au niveau professionnel, il ne se faisait pas de souci pour elle. Il espérait seulement qu’elle ne laisse pas ses doutes grignoter son talent. « Ça va bientôt faire dix ans que t’es chez NBC, pas vrai ? » Voilà qui ne rajeunissait pas Reagan. Mais derrière la remarque maladroite se cachait un compliment. Ça l’impressionnait, Wes. Comment avait-elle réussi à rester au top pendant si longtemps ?

Lorsque Reagan évoqua son âge, il poussa un soupir théâtral. « Arrête, tu vas finir par nous vexer, mes 39 ans et moi. T’es une petite jeune, Reagan ! » Wes plaisantait, mais il pressentait que le passage aux 40 ans allait lui faire un petit choc. Son anniversaire risquait de ne pas être plus glorieux que celui de son amie. Et il impliquerait sans doute beaucoup plus d’alcool. « Crois-moi, si t’étais mortellement chiante, j’aurais déjà trouvé une excuse pour m’éclipser. Ça fait de moi un enfoiré, tu crois ? » La technique de fuir une conversation boring (ou un date embarrassant) en prétextant une grand-mère malade, Wesley l’avait un peu trop utilisée. À ce stade, il comptabilisait même une vingtaine de grand-mères malades. Rien de très courageux, mais on ne se refait pas, n’est-ce pas ?

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Lun 5 Juil - 23:17
Le bon sens et l'expérience auraient sans doute voulu qu'elle évite de parler petits bobos du quotidien et grands maux de l'existence avec un homme. C'était typiquement le genre de conversations qui pouvaient vite virer au cauchemar pompeur d'énergie et de bonté — de l'intérêt de choisir ses ami·e·s avec soin. Et si Reagan avait gardé Wes dans sa vie depuis si longtemps telle une maman ourse névrosée incapable de lâcher sa portée, c'est bien passer du temps avec lui ne s'accompagnait pas de la crainte de le quitter vidée et amère. Parce qu'il comprenait ce qu'elle cherchait à dire sans soupir exaspéré ni question bête et condescendante. Parce que la notion de privilège ne lui était pas étrangère non plus. Un type charmant, vraiment, qu'il faisait bon avoir à portée de sms. Une raison de plus d'être si frustrée et attristée de le voir à la dérive. Original, les daddy issues, lâcha-t-elle en ricanant, on en a tous tu sais mais ok, très bien, disons que ça compense. Cheers to bad fathers and daddy issues! ajouta-t-elle dans un autre éclat de rire, écho au sien, à peine forcé. Après tout, tourner ses problèmes en dérision était littéralement son job et quel intérêt de faire une blague si elle ne la trouvait elle-même pas hilarante ?

C'était une crainte constante, le moment fatidique où on la trouverait plus drôle, l'instant où on réaliserait qu'elle avait perdu son truc. Le soupçon de magie qu'elle n'expliquait pas, qui avait un jour fait frémir les lèvres des très stoïques grands noms de la chaîne. Il était encore là, du moins c'est ce qui lui semblait, c'est ce qu'on lui répétait. Devant les mots rassurants de Wesley, Reagan se sentit sourire sans réfléchir. Il y avait une différence nette entre la flatterie impersonnelle, voire malhonnête, de ces compliments qui étaient offerts dans l'attente d'un service, d'une dose de reconnaissance et autres renvois d'ascenseur qui faisaient marcher l'industrie, et l'admiration et le soutien sincères des proches remplis de bonnes intentions. Et elle n'avait aucun doute sur la catégorie dans laquelle Wes se trouvait. Le thanks babe qu'elle lui aurait servi en toutes autres circonstances resta cependant coincé dans sa gorge, sans qu'elle puisse réellement l'expliquer. Sans doute une résurgence de ce vieux pote, le syndrome de l'imposteur. Dix ans, oui, confirma-t-elle avant d'ajouter, ma plus longue relation avec qui que ce soit. Le genre de réflexions qui agitaient sa mère et la lançaient sur des tirades conservatrices qui amusaient Reagan plus qu'elles ne la vexaient.

Pardon papy, j'oublie parfois que tu es à un stade si avancé de ta vie, c'est ta peau de bébé certainement, you don't look a day over 25, assura-t-elle avec un faux air solennel. Si elle avait déjà du mal à gérer son âge, il était à peu près certain que le passage à la quarantaine serait compliqué et, égoïstement, elle préféra ne pas interroger Wes sur sa vision des choses. Les ongles tapotant en cadence sur son verre, elle considéra un instant la nouvelle question. Sans doute innocence, lâchée sur un ton léger mais connaissant Wesley, elle ne pouvait s'empêcher de se demander si il n'y avait pas là-dessous quelque chose d'un peu plus profond, l'expression d'un certain manque de confiance en lui ou, pire encore, de la manière dont il se considérait lui-même. Non, je crois pas, finit-elle par dire avec une moue dubitative, je suis intimement convaincue qu'on ne doit rien à qui que ce soit quand il s'agit de prendre soin de soi, ça inclue se sortir d'une situation qui ne nous convient pas. Et au moins, tu donnes une excuse. Même si c'est du bullshit, tu te barres pas sans rien dire you know? Comportement de fuckboy, il avait certainement passé l'âge. Et au passage, t'as rien d'un enfoiré. J'ai presque un doctorat en la matière, j'en sais quelque chose, et crois-moi, t'es très loin de cette catégorie. Peu importe les erreurs et le reste, vraiment, tu es quelqu'un de bien Wesley Takagi, insista Reagan, toute trace d'humour ayant disparu, j'espère que t'en as conscience quand même. Pitié, ne me force pas à me lancer dans un pep talk, parce qu'on sera encore là demain matin si je dois t'expliquer ça point par point. Je le ferai sans problème mais honnêtement, je doute que tu sois prêt à passer une nuit avec moi. No offence but I can be intense. Rater une occasion de faire une vanne douteuse ? Jamais.

@ Invité

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Lun 26 Juil - 1:45
Wes était convaincu qu’il n’y avait pas le moindre soupçon de magie dans le succès que rencontrait Reagan. Si l’humour le fascinait, c’était justement parce qu’il ne laissait place à aucun hasard, que tout se calculait au millimètre près. En ça, leurs deux domaines se rapprochaient : tout était une question de rythme et de mélodie, que ce soit pour une bonne blague ou un bon morceau. Une précision presque mathématique qu’il trouvait hautement satisfaisante 一 lui qui pourtant haïssait l’algèbre et autres ignominies du genre. Si Reagan déchirait, c’est qu’elle avait résolu l’équation, son équation. Il n’y avait rien de magique là-dedans. Que du travail, du talent, et à la limite, un facteur chance. Encore fallait-il exploiter sa chance, ce qui n’était pas évident du tout. Une idée en entraînant une autre, le brun s’enquit : « Je me suis toujours demandé, être quelqu’un de nationalement, voire mondialement, reconnu comme drôle, does it fuck up your relationships ? Je veux dire : tous les gens que tu rencontres doivent essayer de te prouver qu’ils sont plus marrants que toi, ça doit être épuisant. »

Il avala une gorgée de bière supplémentaire, étonné d’en être presque à la fin de sa bouteille. Déjà ? Mais on ne philosophait pas sans alcool dans le sang, c’était bien connu. « Et puisqu’on en est à parler de trucs deep, comment tu arrivais à gérer l’échec à tes débuts ? Après avoir fait un flop sur scène, y a de quoi vouloir tout abandonner, changer d’identité et disparaître dans un paradis fiscal... » La question n’était pas tout à fait innocente. C’est pas pour moi, c’est pour un ami. On avait beau dire, se retrouver seul sur scène, ça donnait quand même le vertige. Ça lui flanquait la trouille, au point de lui voler son sommeil. Être au centre de l'attention ne le dérangeait pas plus que ça, il n'était pas introverti, mais devoir faire ses preuves le terrifiait. C’était l’avantage d'évoluer en groupe : la charge de stress était divisée par le nombre de membres. Quoi qu’il en soit, il avait besoin de conseils. Reagan lui apparaissait comme étant la meilleure pour lui en prodiguer.

Wes devait reconnaître une chose qu’il oubliait hélas trop souvent : il était bien entouré. Reagan, Ann, Elior… Que des gens drôles, au caractère fort et à la patience sans faille, capables de supporter ses humeurs grises et de lui donner envie d’être quelqu’un de meilleur. Le musicien réalisa que se complaire dans une position d’incompris, au demeurant très confortable, était injuste pour son entourage. Car Wesley était tout sauf déprécié. Et si la plupart du temps il demeurait hermétique aux compliments, allez savoir pourquoi, ceux de Reagan ce soir-là trouvèrent un écho en lui. Le fait qu’il ne les rejette pas en bloc était peut-être le signe que son horizon commençait à s’éclaircir, enfin. Il sourit doucement, touché. « C’est gentil. » Incapable de se débrasser de ses vieilles habitudes (chasser le naturel, il revient au galop, et tout le tintouin), il ne put s’empêcher de faire le pitre. Réaction irritante 一 mais Wes était parvenu à ne pas répliquer « tu dis ça parce que tu m’aimes bien » et c’était déjà pas mal. « Continue je t’en supplie, c’est vraiment très agréable tous ces compliments. Donc tu disais que j’étais une personne for-mi-da-ble, c’est bien ça ? Et qu’en plus je fais jeune et suis terriblement hot ? » En réponse à l’air sceptique de Reagan, il adopta volontairement un grand sourire imbécile. « Si, tu l’as dit en ces termes, je t’assure. » La vanne subtilement grivoise de Reagan le fit éclater de rire, un rire hautement communicatif. « Je me doute que ça doit être intense, vu comment t’as réussi à piquer la moitié de mes exs. » À savoir Debbie et Dgee... La coïncidence était tellement effarante qu’elle amusait beaucoup le musicien. Il n’avait pas pensé une seule seconde à s’en vexer. C’était quand même une putain de bonne anecdote. « Rappelle-moi de ne pas te présenter ma prochaine copine, s’il te plaît. »

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Jeu 5 Aoû - 15:25

TW: RACISME, ANXIÉTÉ

L'une des preuves ultimes d'une amitié qui fonctionne aux yeux de Reagan 一 outre une présence constante au fil des ans et l'acceptation des bons comme des mauvais côtés, aka the bare minimum 一 restait indéniablement la capacité de passer du coq à l'âne, de banalités à réflexions saugrenues ou trop profondes sans s'emmerder une seule seconde ou vouloir changer de sujet à tout prix. Force était d'admettre que la comédienne avait décroché le jackpot, pas uniquement avec Wes d'ailleurs 一 de l'intérêt de s'entourer des bonnes personnes mais aussi de gens qui ne vous ressemblent pas. L'expérience pouvait être éreintante, évidemment 一 and it was, more often than not 一 mais c'était pour ce genre de moments, tranquilles mais enrichissants, que la comédienne se félicitait d'avoir su outrepasser sa crainte d'autrui pour accueillir dans sa vie de belles âmes qui parvenaient, sans effort, à la surprendre et la stimuler. What is this, a Buzzfeed interview? lâcha-t-elle, la vanne toujours au bord des lèvres pour masquer la surprise ou la gêne 一 la première option en l'occurrence. Comes with the territory I guess, reprit-elle en haussant les épaules, je dis pas que c'est pas agaçant, parce que ça l'est mais ça aide à faire le tri d'une certaine manière. J'ai plus l'impression d'avoir besoin de l'approbation de qui que ce soit, surtout pas de parfaits inconnus qui s'imaginent plus drôles que moi parce qu'ils font rigoler deux trois collègues de bureau à la pause café avec une blague beauf, je sais ce que je vaux. Des mots qu'elle n'avait pas toujours su prononcer, ni croire d'ailleurs, trop habituée qu'elle avait été pendant de longues années à minimiser toute once de succès et à considérer tout ce qu'elle pouvait produire comme un ramassis d'ordures qui n'amuserait jamais personne. Elle se souvenait encore avec une précision effarante du jour où elle avait appris qu'elle intégrerait finalement le cast de SNL. Pas juste parce que c'était le rêve d'une vie, non, surtout parce que ça n'avait eu aucun sens pour elle à l'époque. Parce que ça n'avait pas paru réel, pas au moment du coup de fil ni plus tard, lors des premiers essayages, des premiers filages. Tristement, la réalité l'avait écrasée au moment où elle avait timidement pris place au milieu de l'équipe hair & makeup, devant une jeune coiffeuse stressée qui n'avait pas su quoi faire de ses cheveux 一 typical, really, and it had taken two full years of her doing her own hair before they'd brought in someone competent.

Toute à sa nostalgie, bercée par la bière et le brouhaha du bar, elle sursauta presque en entendant la voix de Wesley, visiblement pensif ce soir. La question en elle-même était innocente mais ils se connaissaient depuis bien trop longtemps pour qu'elle ne se demande pas ce qui se cachait derrière. Après tout, bien qu'évoluant dans des domaines différents, l'échec était un risque indissociable de leurs carrières, le risque perpétuel susceptible de ruiner le travail d'une vie, la crainte qui pouvait tout gâcher au moment de monter sur scène aussi. Ça a l'air d'être la meilleure solution quand un truc marche pas, ouais mais au final, ça changerait rien. Tu peux changer d'identité et fuir à l'autre bout du monde pour te faire oublier, toi, tu oublies pas, souffla Reagan avec un sourire visant à atténuer un minimum le tu qu'elle sentait un poil trop accusateur 一 même si, vraiment, de qui parlaient-ils ici ? J'étais terrifiée quand j'ai commencé, même ici, quand il y avait que trois personnes en train de siroter le cocktail de la semaine. T'imagines pas combien de crises d'angoisse j'ai pu faire dans les toilettes parce je crevais de peur d'entendre juste du silence après une blague. Et c'est arrivé plus d'une fois et c'était horrible sur le moment. Et pendant les trois quatre jours qui suivaient. Ou mois, plutôt, mais il n'était pas nécessaire de rappeler combien Reagan pouvait être dramatique. Ça m'arrive d'y repenser et je peux te décrire le truc parfaitement dans le moindre détail mais, je sais pas... je pense qu'on s'habitue, y'a peut-être un peu de masochisme là-dedans aussi. Et puis, franchement, quand t'as pas tellement d'amour-propre et zéro confiance en toi, à moment donné, même le pire des flops peut pas t'envoyer plus bas parce que t'es déjà au fond du trou. Pas exactement la manière la plus saine de voir les choses but sometimes, just sometimes, self-hatred could be useful in some sick, twisted way. On m'a jamais posé la question d'ailleurs, c'est drôle. Les gens préfèrent se dire qu'on persévère parce qu'on déborde d'optimisme alors que non, loin de là. Le secret, c'est de se détester suffisamment pour que rien d'autre ne te touche. Pas très vendeur et moins glamour j'imagine, conclut-elle avec un bref ricanement au-dessus de sa bière. C'était toujours très perturbant, d'ailleurs, de lire son portrait dans l'une ou l'autre des publications désireuses de booster ses ventes ou ses clics en jouant la carte de la diversité trendy. On revenait avec une admiration bordant sur la condescendance sur son parcours, insistant sur la couleur de sa peau et sa sexualité avec une maladresse qui puait le white guilt hétérosexuel et si elle était loin de rejeter ces parties-là de son identité, Reagan se reconnaissait rarement dans ces portraits. C'était presque drôle, in sad, dark way, de se voir déconstruite par des inconnu·e·s et réduites à des attributs que soudain l'Amérique trouvait admirables when, really, there'd been people like her around forever. Drôle mais irritant, surtout, de les voir pousser sous silence une part essentielle de ce qu'elle était : quelqu'un d'honnête qui ne cherchait pas à dissimuler ses failles, surtout pas la haine profonde qu'elle avait entretenu pour elle-même pendant une bonne partie de sa vie. Évidemment, c'était un peu moins vendeur et c'était aussi précisément la raison pour laquelle Reagan fuyait la presse autant que possible. Si quelqu'un devait expliquer qui elle était, autant qu'elle le fasse elle-même.

(Toute cette histoire allait se finir en long rant sur Twitter une fois qu'elle aurait retrouvé son lit et elle blâmerait assurément Wes, in a teasing yet honest text message at 3 in the morning.)

Chassant ses doléances mentales concernant les hypocrites de Vanity Fair et compagnie pour se reconcentrer sur l'instant présent, Reagan ne put s'empêcher de s'arrêter un instant pour fixer Wesley, surprise de ne pas voir ses compliments balayés d'un revers de manche. Elle connaissait bien le réflexe, l'avait utilisé elle-même pendant la majorité de sa vie. C'était une mécanique bien huilée, qui ne nécessitait pas la moindre réflexion, un argument toujours prêt à sortir quand qui que ce soit émettait une opinion même vaguement gratifiante. Il y avait toujours une raison 一 ou cinquante 一 de repousser les avis positifs et autres peptalks plein de tendresse, surtout lorsqu'ils émanaient d'un·e proche. Reagan savait tout ça et pas uniquement parce qu'ils s'étaient déjà retrouvés dans cette même situation à plus d'une reprise. Et si elle était toute disposée à batailler verbalement pour faire admettre à son ami qu'elle ne racontait pas uniquement que des conneries, elle ne s'était pas attendue à ce qu'il se montre aussi docile, encore moins qu'il réplique sur le même ton. Avait-il finalement vu la lumière et réalisé tout ce que le type formidable 一 vraiment, le terme était approprié, she'd fight him and, really, anyone and their grandma on that 一 qu'il était avait à offrir ou s'agissait-il d'une tactique particulièrement vicieuse pour éviter la douche de tough love qui l'attendait si il osait la contredire ? I did, confirma-t-elle, suspicieuse, parce que c'est totalement vrai et en plus d'être honnête, je suis quelqu'un de lucide. J'ai une chance inouïe de t'avoir dans ma vie et si je voyais quelqu'un actuellement, je me poserais des questions parce que vraiment, chance de cocue mon vieux. Et je suis ravie que tu saches à quel point tu es génial, ajouta-t-elle avec un sourire faussement innocent. Mieux valait trop que pas assez après tout et si elle avait toujours été soucieuse de remonter le moral des gens qui l'entouraient, c'était presque devenu une obsession avec les années. Si elle était heureuse 一 ou en tout cas, satisfaite avec la vie qu'elle menait et la personne qu'elle était 一 alors Reagan devait s'assurer que ses proches étaient sur la bonne voie aussi, if I'm shining, everybody gonna shine and all that.

Gorgée de bière encore en bouche, elle manqua de s'étouffer au rappel de leurs passifs amoureux si similaires. Un pur hasard, vraiment, mais qui aurait sans doute pu ruiner leur propre relation, eussent-ils été un peu plus immatures. Ou moins attachés l'un à l'autre ? Mystère. C'était toujours une anecdote hilarante à raconter, hautement improbable aussi mais qui faisait son petit effet en soirée comme sur les plateaux de talk show. Ça reste à ce jour un de mes plus beaux accomplissements, by society's standards. I mean, look at you, you're a hot dude and I should just be the fat friend but what can I say? I got game. Et il faut le reconnaître, on a d'excellents goûts. La conclusion habituelle à cette running joke qui n'en finissait pas de la faire rire. Excuse-moi, comment suis-je sensée sortir mon petit discours de "if you hurt him, I will look for you, I will find you and I will kill you" si tu me la présentes pas ? J'ai étudié Liam Neeson juste pour ce moment, tu sais combien de temps ça prend de se faire toute la saga Taken ? Deux pauses d'une nuit d'écriture entre mercredi et jeudi, rien de très stressant, la deadline du samedi soir étant encore loin. Mais plus sérieusement, il n'y a personne en ce moment ? s'enquit-elle, luttant contre la grimace tant la question lui rappelait sa mère. Ce sujet-là venait systématiquement sur le tapis à chaque coup de fil, suivi par un interrogatoire en règle et un rappel qu'elle se rapprochait inexorablement de la quarantaine, en solitaire. Un abominable affront aux rêves de petits-enfants que nourrissait mummy dearest depuis des années. Zéro jugement si c'est le cas, je suis bien la dernière personne à pouvoir donner des leçons sur la vie amoureuse des autres, lâcha-t-elle, tant pour le rassurer que céder à la tentation, moins grande aujourd'hui mais toujours présente, de se faire un peu de mal.

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Ven 20 Aoû - 18:49
« Avoue que c’est tentant de dire fuck it et de se barrer. » Fuir à l’autre bout du monde, ou en tout cas à l’autre bout du continent, Wes y avait pensé plus d’une fois. Jamais sérieusement, plutôt comme une rêvasserie qu’on fait lorsqu’on est sur le point de s’endormir, pour éviter de ressasser ses échecs passés ou anticiper ceux à venir : « qu’est-ce que ça ferait si j’allais à la gare maintenant et que je prenais un train au pif ? » Il s’en savait incapable, se séparer de ses amis (ses points d’ancrage) lui paraissait inenvisageable. Reagan avait raison, croire que la vie serait plus douce ailleurs était une illusion, parce qu’il continuerait à trimbaler son cerveau et ses tourments où qu’il aille. Suite à cette intervention plus ou moins pertinente, Wes la boucla pour écouter religieusement son amie. Reagan possédait tout un panel de qualités mais s’il devait n’en choisir qu’une, sa préférée, ce serait sans doute sa sincérité débordante. Wes ne supportait plus les fabulateurs, ceux qui embellissaient juste assez leur vie pour se placer au-dessus du panier, ceux qui prenaient un malin plaisir à faire ressentir aux autres qu’ils étaient mieux qu’eux. Il les avait fréquentés bien trop longtemps, il en avait sa claque, il ne recherchait plus que des gens francs, vrais 一 des gens comme Reagan. La comédienne aurait pu omettre ses vulnérabilités pour ne garder que la facette flamboyante de sa success story, mais non, elle ne passa rien sous silence, quitte à lui détailler son ressenti brut. Ça lui pinça le cœur, de l’entendre parler d’elle en ces termes ô combien relatable et pourtant d’une violence rare. « C’est pas exactement la réponse à laquelle je m’attendais. Ça change des discours des conférences TED, mais je crois que je préfère ça, le prochain qui me dit que la solution c’est de « croire en ses rêves », je l’étrangle 一 figuratively speaking, évidemment. » S’il n’y avait pas eu l’effet décomplexant de la bière, Wes aurait rougi du compliment, ou plutôt de l’avalanche de compliments. C’était réconfortant (pour ne pas dire maternant) et ç’avait suffit à ce qu’il oublie sa prestation très moyenne du début de soirée. Puisque l’heure était aux louanges, il n’hésita pas à rendre la pareille à la comédienne. « Non seulement je suis extrêmement fier de dire que je te connaissais before it was cool, mais en plus je suis passé du stade de « fan de la première heure » à celui d’ami et ça ma grande, it's quite an accomplishment. On dit de ne jamais rencontrer ses idoles, mais j’ai devant moi la preuve que c’est faux. »

Il secoua la tête, non, no way, il ne présenterait pas sa future copine (encore fallait-il la trouver, ça n’était pas comme s’il l’avait sous les yeux depuis des mois, voire des années, n’est-ce pas) à Reagan. « C’est trop risqué Reagan, si on nous mettait en compétition, mes chances de succès tomberaient à 0. J’aurais beau tout miser sur mon sourire, ça ne serait pas suffisant j’en ai peur. » Par souci d’illustration, il fit justement la démonstration de son plus beau sourire, celui qui atteignait ses yeux et en plissait les coins. Cette coïncidence était définitivement leur meilleure inside joke et il ne voyait pas en quoi ça aurait pu entacher leur amitié. Le musicien trouvait illogique le discours du fameux « bro code » : ses ex ne lui appartenaient pas et il n’y avait aucune raison pour que son amie ne puisse pas les fréquenter, ç’aurait été trop bête de la priver d’une jolie histoire pour une question  d’orgueil. La métaphore cinématographique de Reagan l’extirpa de sa réflexion, provoquant immédiatement son rire, rien ne valait une bonne vieille blague de geek. « Je sais pas quelle version de Taken t’as vue ma grande, mais à la fin Liam Neeson ne se tape pas les mafieux qui ont enlevé sa fille, hein. Ou alors j’ai vraiment raté un truc dans le scénario. »

La question de Reagan sur sa vie amoureuse, très « maman-louve » dans le style, le fit sourire. S’il y avait bien quelqu’un avec qui il pouvait en discuter sans recevoir des conseils miteux et agaçants, c’était avec elle. « Tu permets que je nous commande une autre bière parce que là on attaque les sujets qui nécessitent d’être un peu bourrés. » Il s'exécuta, ravi d’avoir trouvé une raison de s’enfiler une autre bouteille 一 elle a bon dos, l’inhibition. Une fois les boissons sur la table, décapsulées et prêtes à entendre leurs confessions, il lâcha : « Franchement, j’aurais aimé te sortir le classique « c’est compliqué », mais la vérité est qu’il n’y a rien de compliqué, puisqu’il n’y a rien. » Il ne ressentait pas spécialement l’envie de rencontrer quelqu’un, du moins pas dans l’immédiat. Gérer une relation lui paraissait infaisable, pour lui qui avait déjà du mal à s’occuper correctement de sa propre personne. Comment pouvait-il espérer rendre heureux quiconque en étant aussi instable ? « Je crois que j’ai pas mal de trucs à régler entre moi et moi-même avant d’envisager quoi que ce soit. » Comme Reagan, il aurait pu dire que ses parents se désespéraient de le voir seul depuis près d’un an. Mais en vérité, ils ne s’y intéressaient même pas. Ça faisait un moment qu’ils avaient lâché l’affaire des petit-enfants, avec une fatalité teintée de déception. Les Takagi n’avaient aucun contrôle sur le mode de vie « bohème » de leur fils, il évoluait dans un monde qu’ils ne comprenaient pas et qu’ils n’essayaient pas de comprendre. Et quand on leur demandait des nouvelles, ils répondaient un vague « oh Wesley ? Il fait sa vie », incapables de donner plus de détails. Encore une démonstration de leur communication intra-familiale catastrophique, que Wes essayait de compenser avec ses amis, exprimant tout, trop peut-être, souvent de la mauvaise façon, sous couvert d’humour. « Je me sens plutôt autorisé à te retourner la question, maintenant. Tu m’as dit que tu ne voyais officiellement personne, mais ça ne veut pas dire qu’il n’y a personne à l’horizon. »

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