I long to hear your voice ~ 02.12.2020

Le silence quasi religieux qui règne dans l’appartement me fait vite comprendre que les chiens et moi ne seront pas accueillis par Aleksej qui doit être au bureau. Je ne savais pas exactement vers quelle heure revenir. J’ai longtemps hésité et puis j’ai fini par me dire que 18h30 était un bon horaire. Cependant, maintenant que j’y pense, je réalise que c’était un peu idéaliste (idiot ?) de ma part que d’oser croire qu’un acharné du boulot comme Aleks serait rentré aussi tôt.

Maroon retrouve vite ses habitudes mais Boule a plus de mal. Ce n’est pas surprenant puisque nous sommes partis chez Alice et Mark le lendemain de son arrivée parmi nous.
Je le détache et le laisse suivre Maroon sans grande certitude. Finalement, ces deux-là s’entendent bien. Maroon prend son rôle de « grand frère canin » très à cœur, je crois. Du moins, c’est l’avis qu’en a eu Alice l’autre jour et Mark avait l’air d’accord. Que pouvais-je dire face à deux obstinés comme eux ?


Nous sommes le 2 décembre et ma vie changera encore une fois dans 48 heures. Je suis effrayée mais je refuse de l’admettre. Je garde la face et je ne laisse à personne la possibilité de lire mes craintes sur mon visage. Pas sûr que je sois aussi chanceuse dans mon jeu de « poker face » avec Aleksej qui me connaît bien.

L’une des premières choses que je fais est de ranger mes affaires. Je veux que ces murs se souviennent que j’existe, que je suis bien vivante. Je ne compte pas changer ça.
Lorsque tout est en ordre, je vais prendre une douche, éreintée de cette dernière journée de travail. Je ne reprendrai pas avant une dizaine de jours (sous réserve que je me sente suffisamment bien pour reprendre).

Sous l’eau chaude, je laisse mes pensées se perdre, se confondre. Ce n’est pas grave. Sous les gouttes, je considère avoir le droit de me laisser aller.

- Et pour noël, du coup ?
- Quoi noël ?
- Vous ne deviez pas aller au Danemark ?
- Je ne sais pas s’il aura encore envie d’y aller…

Mes yeux clos s’ouvrent brusquement quand j’entends du bruit dans l’appartement, un bruit dont je sais qu’il ne provient pas des chiens. Aleksej est rentré.

Je ne l’ai pas vu depuis bientôt un mois. Des jours, des semaines sans sentir son odeur, sans croiser son regard… Sans sentir la chaleur de son corps contre le mien. Les gens ne réalisent pas toujours à quel point il peut être difficile d’être séparé de la personne que l’on aime. Je ne pensais pas qu’il me manquerait à ce point. Je ne peux même pas dire à quel point il me manque, il n’y a pas de mots pour décrire cela.
Si la raison ne me tenait pas encore un tout petit peu du bout de sa laisse, je crois que je serai en train de courir nue dans l’appartement pour lui sauter dans les bras.

I long to hear your voice ~ 02.12.2020

Aleksej avait prévu de rentrer un peu plus tôt aujourd’hui. Solveig devait revenir ce soir et il voulait remettre un peu d’ordre dans l’appartement. Évidemment, pour une personne normale, l’intérieur du couple aurait toujours semblé être rangé, toujours propre. Mais Aleksej avait des petites manies, un côté maniaque qu’il ne pouvait réfréner. Le plaid qu’il avait laissé choir sur le canapé en se levant. Ses lunettes de lecture qui traînait sur la table du salon. Des détails. Mais pour lui, ils comptaient tous.

C’était sans compter sur un rendez-vous qui avait fini par s’éterniser. Bloqué dans le bureau d’un juge, il n’avait pas réussi à s’en extraire, même en déployant tous les efforts de politesse dont il était capable. Assis dans le métro, regardant le nom des rames défiler une à une, il tentait d’imaginer ce que pourrait être ce moment. Il appréhendait. Cela faisait plus d’un mois qu’ils n’avaient communiqué que par message. Un ou deux brefs appels. C’était tout.

Il était impatient de la revoir, mais anxieux également. Il avait honte de cette situation. Honte qu’ils en soient arrivé là. Et malgré tous les scénarios qu’il pouvait s’imaginer, il savait parfaitement que la réalité ne s’approcherait jamais de ce que pouvait produire son imagination. La réalité était imprévisible, tout comme leur vie. Arrivé chez lui, il s’arrêta un instant devant le perron et regarda sa montre. Elle était probablement déjà arrivée. Il aurait préféré être le premier. Être celui qui attend. Il l’attendait depuis qu’elle était partie.

Il savait en tournant la clé dans la porte de l’appartement qu’il ne serait pas vide. C’était un soulagement, une tension aussi. Un paradoxe d’émotions avec lesquelles il bataillait toujours. Peut-être même avant Solveig. La vie n’était pas toute blanche ou toute noire. Aleksej avait des difficultés avec les nuances. Il n’avait pas de demi-mesure. Mais il essayait. Pour elle, pour eux. Il apprenait chaque jour, parfois de manière plus violente que d’autres.

À peine la porte entrouverte que leur compagnon à quatre pattes venaient déjà lui souhaiter la bienvenue. Maroon n’était pas rancunier. Il grattouilla doucement l’oreille du chien avant d’accrocher ses affaires sur le porte-manteaux. Son regard balayait la pièce. La jeune femme n’était pas là mais il pouvait entendre le bruit des tuyaux qui envoyaient toute leur pression vers la salle de bain. Son regard se posa alors sur la petite boule de poil qui se cachait derrière le boudin qui faisait office de panier à Maroon. C’est vrai que tout était parti de là. Il ne savait même pas son nom.

Il n’eut pas le temps de s’approcher plus de l’animal. Son attention fut attirée ailleurs. La jeune femme se tenait près de la porte de leur chambre. Son coeur fit un bon dans sa poitrine. Chaque jour séparé d’elle avait ajouté un nouveau poids sur ses épaules. Il aurait voulu aller à sa rencontre, la prendre dans ses bras, l’embrasser, lui dire à quel point elle lui avait manqué. Lui montrer à quel point elle lui avait manqué. Mais il se contenta de se redresser, il resta là, gauche, les pommettes rosissant légèrement. Il lui adressa un sourire timide.

Il ne savait pas quoi faire. Il ne savait pas comment ça fonctionnait de faire un “break”. C’était sa décision à elle. Et même s’il l’avait accepté, c’était à elle de décider quand cette pause prendrait fin. Dans quelles conditions. Ou était-ce simplement une pause dans la pause ? À cause de la maladie, de l’opération. Il savait qu’ils devraient en discuter mais pour les mêmes raisons, il pensait que ce n’était pas le moment.

“Hej…”

Aleksej tripotait ses doigts dans son dos. La tête baissée mais le regard levé vers elle, comme un enfant qui attendrait une sanction en espérant encore passer à travers les mailles du filet.

Je sors aussi rapidement que possible de la douche et m’essuie comme je peux en espérant ne pas laisser de traînée d’eau derrière moi lorsque je me déplace. Il serait malheureux que je finisse par terre à cause de mon agitation soudaine. Si ce n’est pas la preuve qu’Aleksej me fait toujours autant d’effet, je ne sais pas ce que c’est.

La serviette frotte mon corps à la va-vite avant que je couvre ce dernier avec un pyjama en flanelle. C’est bientôt l’hiver, après tout. Même s’il fait très bon dans l’appartement, je ne vais pas me promener en shorty et débardeur. J’aurai honte de ne pas répondre aux codes du « Christmas spirit ».

Sortir de la chambre n’est pas le plus simple mais je le fais quand même car je veux voir Aleks. Oui, je veux le voir même si je ne sais pas encore comment vont se passer nos retrouvailles. J’espère qu’elles seront chaleureuses. J’ai besoin qu’elles le soient.

Quand il apparaît enfin dans mon champ de vision, j’ai envie de pleurer mais je me retiens de justesse. Ce n’est pas le moment de jouer les petites choses fragiles, ce n’est pas qui je suis.
Sa voix me fait l’effet d’un électrochoc. C’est comme si je réalisais enfin qu’il est vraiment là, que ce n’est pas un mirage. Il m’a tellement manqué. Ses yeux, ses lèvres, lui… Tout m’a manqué. Je veux le retrouver et je décide donc de laisser parler mes sentiments.

Je ne prends pas le temps de lui répondre. Je lui saute presque dessus et viens enrouler mes deux bras autour de sa nuque avant d’y cacher mon visage. Son odeur, elle aussi m’avait terrible manqué. Je ne veux plus jamais qu’on soit séparés. Je ne veux plus de break, je ne veux plus être loin de lui. Plus jamais. Je ne suis pas capable de vivre sans lui.

Aleksej ne fut pas le seul surpris par la réaction de Solveig. Elle avait été si brusque que les chiens avaient fait un saut en arrière et s’étaient réfugiés au fond du panier de Maroon. Il fallut au Danois une bonne seconde pour comprendre qu’elle était désormais tout contre lui. Ses bras s’enroulèrent autour de la jeune femme alors qu’il pouvait sentir le souffle de cette dernière dans son cou. Il appuya son visage doucement contre sa tête et ferma les yeux quelques instants. Le temps de reprendre contact avec la réalité. Son odeur. La chaleur de son corps, la douceur de ses mains contre sa peau.

Il la serra un peu plus fermement. Comme pour vérifier qu’elle était bien là. Ces dernières semaines avaient été un calvaire et même s’il savait que rien n’était vraiment réglé, être auprès d’elle mettait un terme à cette lente agonie. Le terme pouvait paraître fort mais chaque jour où elle avait été loin de lui, il se sentait s’éteindre un peu plus. Chaque pas qu’il faisait en avant semblait fade et vain s’il ne pouvait le partager avec elle. Pourtant c’était à elle qui pensait quand les émotions devenaient trop fortes et le submergeait. C’était d’elle qu’il parlait à sa psy. À Callie. À Lena aussi.

Il n’était pas capable de prononcer une seule parole. Il ne voulait pas que cet instant prenne fin. C’était égoïste, il en avait conscience. Mais tout était incertain. Et de voir l’emballement dont la jeune femme avait fait preuve en le voyant, il comprit que cet éloignement avait dû être aussi difficile et douloureux pour elle. Alors quelque chose d’insidieux remonta lentement à la surface. La honte qui s’était diffusé dans ses veines ces dernières semaines. Il décida de prendre son courage à deux mains et redressa doucement le visage de la jeune femme vers le sien.

“Je suis désolé…”

C’était de sa faute s’il en était arrivé là. Parce qu’il n’avait pas voulu voir la réalité en face. Il s’en voulait aussi de l’avoir laissée partir. Mais surtout, il s’en voulait d’avoir fait passer son besoin d’honnêteté avant ceux de la jeune femme. Il avait préféré s’avouer faible quand elle avait uniquement besoin de soutien. Il aurait dû prendre sur lui, malgré tout ce qu’il ressentait. À présent, alors qu’il la tenait dans ses bras après avoir été séparé d’elle pendant plus d’un mois, il savait qu’il ne referait pas cette erreur-là.

Je ne veux pas l’entendre me dire qu’il est désolé mais j’ai l’impression que tout cela est de ma faute. Après tout, c’est moi qui ai stupidement pris la décision de mettre un frein à notre histoire parce que je pensais que cela était nécessaire pour qu’Aleks puisse se recentrer sur lui et lui seul. J’étais persuadée que c’était la bonne chose à faire alors qu’au final, cela n’a fait que nous rendre extrêmement malheureux.

- Ne le sois pas, réponds-je avant de coller mes lèvres aux siennes.

Loin de moi l’envie de le faire taire mais j’ai besoin de ça, de ce contact charnel entre nous, cet échange pourtant si naturel au demeurant pour un couple.
Je réalise aujourd’hui que lorsqu’on n’a pas eu la possibilité d’être en compagnie de la personne qu’on aime pendant un mois, tout nous semble ensuite très différent. Je prends soudainement conscience de la chance que j’ai d’être avec Aleks, du fait d’avoir quelqu’un sur qui me reposer en cette période particulièrement douteuse me concernant. J’ai bien conscience que tout n’est pas réglé entre nous et qu’Aleks aurait encore du chemin à faire (tout comme moi, au final) mais je ne veux plus jamais avoir à prendre de décision aussi radicale que celle du mois dernier. Plus jamais ça. J’ai passé Thanksgiving sans lui, c’était impensable pour moi… Dire qu’on devait dîner chez Calliopé. J’espère qu’il y ait allé. Il ne m’en a pas franchement parlé et je ne lui jette pas la pierre.

- Je t’aime tellement, dis-je après notre baiser. « Je suis désolée de t’avoir dit qu’un break était nécessaire. J’aurai dû réagir autrement. J’aurai dû faire les choses différemment. Je ne voulais pas être loin de toi. »

Et je ne dis pas ces choses à cause du remous médical autour de moi en ce moment. Je dis ça parce que c’est vrai. Cancer ou non, je ne veux pas savoir Aleks loin de moi. Je mentirais si je disais être capable de l’expliquer mais c’est comme ça. Il fait partie intégrante de moi et ce, même après une si courte période. J’ai bien conscience que nous ne sommes pas ensemble depuis si longtemps que ça, au final. Et pourtant…

Au moment où les lèvres de la jeune femme vinrent lui prendre un baiser, il sentit tout le poids de sa vie glisser sur ses épaules. Il ne savait pas encore comment faire, ni le temps que ça prendrait mais il voulait régler ses problèmes pour elle. Pour une vie ensemble. Aussi longtemps qu’elle durerait. Peu importait les risques, peu importait ses peurs. Il frotta son nez contre le visage de la jeune femme avant de revenir prendre ses lèvres. Ses mains étaient venues se loger contre sa joue, contre sa nuque.

“Je ne peux pas vivre sans toi… Je ne veux pas…”

C’était une déclaration. Un aveu aussi. Il n’était pas capable d’imaginer ce qu’il adviendrait de lui s’il devait la perdre et il avait décidé de ne pas y penser. Il avait décidé qu’il ne laisserait pas la peur entacher les moments qu’ils passaient ensemble. Parce qu’elle en valait la peine. Solveig valait toutes les peines du monde. Pour le temps que ça impliquerait. Il avait eu besoin qu’on le lui rappelle mais il le savait depuis le jour où il était tombé amoureux d’elle. Il caressa doucement sa joue du revers des doigts. Ses yeux étaient légèrement cernés, son teint un peu palot. Cette constatation le ramena brusquement à la réalité.

“Tu dois manger quelque chose… tu as une petite mine…”

Ce qui était plutôt gonflé quand on pensait à la tête que se trimballait Aleksej depuis les dernières semaines. Il avait tout de même fait l’effort de faire un tour chez le barbier pour faire couper sa tignasse et tailler sa barbe. Mais il avait maigri et le sommeil lui manquait cruellement. Il ne se couchait jamais sereinement et devait attendre l’épuisement pour finir par s’endormir. Le canapé aussi confortable qu'il puisse paraître n'aidait pas. Le retour de Solveig n’était pas seulement un soulagement c’était également une petite claque au coin de la mâchoire. Son hygiène de vie était devenue déplorable. Il n’avait pas cuisiné depuis qu’elle était partie, dormait mal et avait atterri dans le bar du coin à plusieurs reprises.

Il lâcha doucement la jeune femme et se frotta l’arrière de la nuque, gêné. Une nouvelle fois il avait honte. De s’être laissé aller de la sorte alors que c’était elle qui traversait une période difficile. Elle qui était malade. Elle qui allait se faire opérer. Il était puéril. Et embarrassé parce qu’il venait tout juste de réaliser qu’il n’y avait absolument rien dans le frigo. Il s’était contenté de plats à emporter. D'ailleurs les coupons de réduction commençaient à recouvrir une surface importante de la porte du frigo.

“Je… Tu voudrais manger quelque chose ? On pourrait commander quelque part…”

Il parle de ma mauvaise mine et je me retiens de ne faire aucun commentaire sur la sienne. On dirait qu’il n’a pas dormi depuis des jours mais puisque je suspecte que c’est vrai, je décide de garder ma langue. Je ne suis pas rentrée pour jouer au jeu du chat et de la souris. J’en ai assez de courir, j’en ai assez de toujours chercher la petite bête. Il n’est plus l’heure de jouer.

Ce n’est pas dans les habitudes du danois que de me proposer de commander à dîner ce qui signifie qu’il n’y a rien dans le frigo qui nous permettrait de nous sustenter. Là-dessus non plus, je ne dis pas un mot. Après tout, on ne peut pas dire que j’ai énormément mangé ces derniers temps donc il serait mal venu de ma part de faire un quelconque commentaire à ce sujet.

- De quoi as-tu envie ?

Il serait faux de dire que j’ai faim. L’appétit n’y est pas quand je repense à ce qui m’attend sous peu. Vendredi, je serai opérée et j’ai peur même si je n’en parle pas. Je suis effrayée à l’idée de ne pas me réveiller alors que j’ai pourtant conscience qu’il y a très peu de chance que cela se produise. Ne dit-on pas qu’il ne faut jamais dire jamais ?

- Je te laisse le choix ce soir, je ne serai pas très regardante.

Et c’est la plus sincère partie de moi qui parle là. Je me fiche complètement de manger américain, européen, asiatique ou que sais-je. Je prendrai ce qu’il voudra et cela me conviendra tout à fait.


Le choix se tourne sur de la nourriture japonaise ce qui n’est pas sans me faire sourire. Il sait que j’aime ça, surtout quand j’ai la flemme. Et oui, même Solveig Lazzari peut avoir la flemme des fois. Comme quoi, tout arrive.

On ne mange même pas à table mais sur le canapé. Évidemment, nous faisons très attention (surtout moi) parce qu’Aleksej n’aime pas particulièrement le fait de manger autre part qu’à table, ce qui n’est pas illogique.

Il accepte même qu’on regarde une connerie à la TV. C’est comme ça que je saisis la gravité de cette soirée. C’est un peu comme si c’était notre dernière alors qu’il s’agit de notre première depuis un mois. Tout est tellement étrange…

Depuis que Solveig était rentrée, il n’arrivait pas détourner son regard d’elle. Chacun de ses sens n’était réceptif qu’à une seule chose, elle. Son odeur, le moindre de ses gestes, le son même de sa respiration. Installés dans le canapé, il ne regardait pas vraiment la télévision. Il se contentait de ressentir la chaleur de son corps contre lui. Le simple fait de penser qu’ils avaient été séparés était douloureux. Il s’en voulait d’avoir gâché un temps si précieux. Cependant, ils restèrent à veiller relativement tard. Aucun des deux ne semblaient vouloir aller se coucher. Et être demain.

Quand au bout d’un certain temps, il sentit la jeune femme se faire un peu plus lourde contre lui, il comprit qu’elle était en train de décrocher malgré ses efforts pour rester réveillée. Le Danois éteignit la télévision et se redressa doucement sur le canapé, signal qu’il était temps d’aller se coucher. Les journées à venir allaient être compliquées et il était convaincu qu’elle avait besoin de sommeil avant toute chose. Prendre des forces pour affronter ce qui allait venir.

Alors que Solveig se brossait les dents dans la salle de bains, il retira ses vêtements qu’il plia consciencieusement sur une chaise avant de s’assoir nu au bord du lit. Quand elle rejoignit la chambre, elle s’arrêta interloquée. Il lui tendit la main qu’elle attrapa non sans une légère hésitation. Il l’attira vers lui et enfouit son visage contre son ventre quelques secondes avant de relever son visage vers elle et puis de se lever. Face à face, il avait bien deux têtes de plus qu’elle. À présent, c’était elle qui avait le visage levé vers lui. Il passa sa main sous son haut de pyjama et sentit une réticence de la part de la jeune femme qui avait baissé les yeux vers le sol.

“Il ne s’agit pas de sexe…”

Il releva doucement son menton et frotta doucement son nez contre sa joue. Elle le laissa finalement faire tout en l’observant d’un regard poignant. Une fois débarrassée de la flanelle, il l’attira dans leur lit avec lui. Il passa ses bras autour d’elle et l’attira tout contre lui.

“J’ai besoin de te sentir…”

Sentir sa peau contre lui, leurs corps tout entier. Sentir son souffle, intermittent. La chaleur qu’elle dégageait. Il avait besoin de sentir la vie en elle et de le graver dans son esprit. Incrusté à tout jamais. La jeune femme ne s’endormait généralement pas dans ses bras. Elle avait pour habitude de se coucher dos à lui mais ce soir, il avait besoin qu’elle accepte de faire différemment. Parce qu’il avait besoin de se raccrocher à quelque chose. Et si ce n’était pas l’espoir, il ne lui resterait plus que la douleur.

Sa soudaine proximité me surprend et me glace. Ce n’est pas de sa faute, c’est moi. Oui, j’ai conscience que ces mots sont ridicules mais à l’heure actuelle, me concernant, c’est une réalité. J’ai du mal à comprendre qu’Aleksej ait envie de me toucher alors que je suis malade. Il a beau m’avoir dit que ce n’est pas pour le sexe (et je le crois), cela ne change rien à mon questionnement. Je devrais pourtant être extatique à l’idée même qu’il me désire toujours et ce, malgré ce mois de « break » entre nous. Pourtant, c’est la peur qui m’envahit.

Heureusement pour moi, Aleks n’abandonne pas et mon corps finit par se détendre. Comme s’il se réhabituait à la présence d’un corps qu’il connait bien. Je soupire et me rapproche de l’homme en le laissant faire ce qu’il veut de moi. Ce soir, je prends enfin conscience que j’ai le droit de laisser parler mes sentiments, que mon cœur peut enfin prendre position face à ma raison. C’est un peu comme si je me soumettais enfin à l’éclosion d’une autre partie de moi ; une partie que je refusais de laisser jaillir.

Pendant longtemps, j’ai eu du mal à montrer ce que je ressentais. Là-dessus, je ne peux pas dire ne pas savoir d’où provient ce blocage. Quand on est une femme qui cherche à s’imposer dans un monde à majorité masculine, il est de bon ton de ne pas parler sentiment et c’est ce que je me suis évertuée à ne pas faire pendant des années. Moi qui disais des hommes qu’ils étaient ridicules, je pense être malheureusement devenue un peu comme eux sur bien des sujets.

C’est ma relation avec Aleksej qui m’a fait ouvrir les yeux sur certaines choses dont celle-là.

- J’aimerai vraiment qu’on s’en aille loin, tu sais, dis-je d’un ton bas. « On pourrait partir en vacances, aller au Danemark comme on l’avait prévu. »

Au final, nous pourrions aller n’importe où tant que ce n’est pas à l’hôpital demain. Je ne suis pourtant pas du genre frileuse ou peureuse mais ce soir j’admets volontiers être morte de trouille.

Mes doigts se perdent dans les cheveux d’Aleks tandis que mes yeux se ferment.

Les muscles du danois se décontractaient à mesure qu’il sentait la chaleur du corps de Solveig se propager contre le sien. Chaque centimètre carré de peau, comme un millier de connexions entre eux deux. Ce n’est qu’en entendant les paroles de la jeune femme qu’il rouvrit doucement les yeux. Il la serra un peu plus contre lui, l’enlaçant d’un bras fort, leurs jambes entremêlées. De sa main libre, il vint caresser doucement la joue de la brunette avant d’embrasser doucement son front.

“On ira… plus tard…”

Il savait qu’elle avait été enthousiaste à l’idée de partir au Danemark depuis le jour où il avait abordé l’idée. Mais dans ses mots, c’était autre chose qu’il décelait. Cette décision de faire un break, c’était sa manière à elle d’essayer de les préserver. De le préserver lui. De l’éloigner d’elle, de la maladie. Mais qui allait la préserver elle ? Si la jeune femme n’était pas du genre à montrer ses faiblesses, il y avait également des limites à ce qu’elle pouvait encaisser.

Elle se montrait toujours forte et il avait parfois tendance à oublier que ce qui l’avait intéressé chez elle au début c’était sa vulnérabilité. À présent, elle lâchait prise. Et il pouvait voir toute la mesure de la peur qui rongeait la jeune femme. Il s’en voulait de l’avoir laissé traverser ça toute seule. Mais il était là maintenant et il n’avait pas l’intention de la lâcher d’une semelle. Plus jamais.

Ils passèrent encore de longue minutes dans les bras l’un de l’autre jusqu’à ce qu’ils finissent tous les deux par s’endormir. Le stress des retrouvailles, le contexte, ils étaient tous les deux sur des rotules. Comme aucun des deux ne travaillaient le lendemain matin, il avait exceptionnellement pris l’initiative de ne pas allumer le réveil ce qui était assez surprenant en pleine semaine. Aleksej ne savait pas bien quelle heure il était quand il se réveilla mais il était bien plus tard que d’habitude.

Avant même d’ouvrir les yeux, un léger sourire se forma ses lèvres. Il pouvait sentir son souffle contre sa peau. Elle était encore endormie et semblait un peu plus sereine que lorsqu’ils s’étaient couchés. Il dégagea son visage d’une mèche de cheveux et se contenta de l’observer.

Je n’ouvre pas les yeux tout de suite parce que je veux profiter de l’instant présent. Malheureusement, même si j’ai dormi de façon relativement paisible, mon esprit s’éveille de suite et se focalise sur mon hospitalisation du jour. Or, je sais qu’Aleks est là et que je dois en profiter autant que possible.

Alors, évidemment, je finis par rompre le charme et ouvre les yeux. Surprise, le charme n’est pas rompu, il ne fait que s’embellir. Le charme a trouvé son prince et je ne veux plus jamais quitter les draps qu’il partage avec moi.

- Bonjour, dis-je dans un chuchotement.

Impossible de briser ce moment si paisible dans la chambre, d’où ma voix basse. Cette pièce m’a manquée. Hier soir, en me couchant, j’ai réalisé qu’elle n’avait pas bougé en un mois, ce qui m’a vite laisser comprendre qu’Aleksej n’avait pas dormi ici. Je n’ai pas posé de question, je me suis contentée de m’endormir dans ses bras chauds et réconfortants. Des bras qui, eux aussi, m’avaient beaucoup manqué.

- Tu as bien dormi ?

Même quand des deux, c’est moi la personne malade, je ne peux m’empêcher de m’enquérir du bien-être du danois. Il y a peut-être quelque chose qui cloche chez moi et pas uniquement au niveau de mon utérus.

Aleksej resta de longues minutes à l’observer. Des minutes qui semblaient pourtant s’écouler bien trop rapidement. Il voulait se souvenir de tout. Le frémissement de ses narines quand elle respirait, le moindre grain de beauté qui parsemait son visage. La sensation que lui procurait leur deux corps enchevêtrés. Un sentiment de sécurité. Et se sentir entier. Comme si la jeune femme complétait une partie manquante de lui. Le Danois était bien trop cartésien pour pouvoir adhérer à l’idée d’âme sœur mais il ne pouvait pas nier qu’il y avait quelque chose entre eux d’unique qu’il ne pourrait jamais expliquer, qui ne dépendait pas de chiffres ou de règles.

Au bout d’un moment, il la sentit gigoter contre lui. Quand elle ouvrit finalement les yeux, il l’accueillit d’un sourire tendre. Il approcha son visage de celui de Solveig, renforçant un peu plus la promiscuité. Là, ils étaient dans leur bulle à eux, à l’écart du monde. Il frotta doucement son nez contre celui de la jeune femme avant de chuchoter à son tour un bonjour tout contre ses lèvres qu’il frôla imperceptiblement. Pour toute réponse à sa question, il se contenta de sourire. Il était rare qu’il ne trouve pas le sommeil quand il était auprès d’elle. Les seuls exemples qui lui venaient à l’esprit était lié à tes tensions qu’ils avaient pu avoir.

“J’aimerais pouvoir te garder comme ça, contre moi, jusqu’à la fin des temps…”

Il le pensait. Il serait prêt à tout donner, à tout sacrifier pour avoir la certitude de pouvoir  passer chaque instant du reste de sa vie avec elle. Mais dans le doute, il ne pourrait pas être séparé d’elle une seule minute de cette journée. Ne pas gâcher une seule seconde. Il enfouit son visage au creux de son cou, inspirant son odeur de tous ses poumons. Elle était son oxygène. Son phare dans la nuit. L’intersection entre le quoi et le pourquoi. Il embrassa sa peau chaude. Ses lèvres remontèrent doucement contre son cou, sa mâchoire pour finalement retrouver sa bouche. Le goût de ses lèvres, leur volupté.

- Je ne vais nulle part, dis-je d’une voix calme.

C’est sincère, je ne compte pas laisser cette opération mettre fin à mes jours. À ce sujet, le chirurgien a été très clair, je ne vais pas mourir. Ils comptent me sauver la vie est étrangement, même si je ne le connais pas depuis longtemps, je lui fais confiance. Après tout, c’est un médecin. Encore mieux, un oncologue. Il sait ce qu’il fait. Je me dois de croire en lui comme il croit en moi en tant que patiente.

- Je ne compte pas t’abandonner, cela ne fait pas partie de mes projets ni à court ni à long terme.

Je sais pertinemment qu’Aleks a très peur de ce qu’il va se passer ce week-end. Je veux absolument qu’il se rassure, je ne vais nulle part. Je ne vais pas le laisser. Je ne suis pas sa fille, je ne vais pas mourir. Au fond, je sais que le problème est là et c’est tout à fait normal qu’il ait peur au vu de ce qu’il a vécu par le passé.

- Notre histoire ne s’arrête pas dans cet hôpital aujourd’hui, tu m’entends ?

Essayer de rationaliser ce qu’il m’arrive est encore ce que j’ai de mieux à faire. Du moins, c’est ce que je ne cesse de me dire depuis plusieurs jours. Évidemment, je ne peux pas nier le fait que d’avoir Aleks auprès de moi rend la chose plus simple. Pas moins douloureuse, pas moins effrayante non plus mais plus facile à gérer malgré tout.

- Il n’est pas nécessaire d’arriver là-bas avant la fin d’après-midi…qu’est-ce que tu souhaiterais que nous fassions ?

Vu l’entrain qu’il a mis à m’embrasser quelques instants plutôt, je me doute que ce dont il désire n’est pas forcément très ‘public area’. Je ne vais pas le juger, mais pensées ne sont pas plus catholique que les siennes. Cependant, ce que je souhaite savoir c’est ce qu’il compte faire de moi en dehors d’un moment charnel.

Il entendait les paroles de Solveig mais c’était comme si elle rebondissait sur lui. Elles rentraient par une oreille et ressortaient par l’autre. Il ne voulait pas qu’elle le console ou qu’elle cherche à la préserver. Pas aujourd’hui. Aujourd’hui c’était son rôle à lui. Mais malgré tout, la peur restait là. Il l’avait presque oublié quelques secondes, le temps de sentir la chaleur de son corps, de retrouver le goût de ses lèvres. Mais elle n’était jamais loin, il ne pouvait s’en empêcher. Mais il ne voulait pas qu’elle s’inquiète pour lui et il ne voulait pas que cette journée se passe à tenter de se convaincre l’un l’autre.

Aleksej grommela avant de venir enfouir son visage contre elle et de passer ses bras autour d’elle pour se blottir contre la belle. Il ne voulait pas bouger, ni parler, ni penser. Simplement être avec elle et oublié qu’à la fin de la journée, il devrait la déposer à l’hôpital et qu’à nouveau, il passerait la nuit sans elle. Ses yeux s’étaient fermés et il commençait à s’échapper de lui comme un ronronnement étouffé. Il se délectait de la simple idée qu’elle soit là, à ses côtés et il voulait en profiter.

Il releva finalement la tête pour venir coller son front contre celui de la jeune femme. Il ne voulait rien faire, il ne voulait rien dire. Peu lui importait finalement, tant qu’il était avec elle. Tant qu’il pouvait plonger son regard dans ses grands yeux bruns. Doucement, il frottait son nez contre celui de Solveig. Le sourire qui se dessina sur les lèvres de la belle remplit son cœur d’une incommensurable chaleur. Quelque chose de très doux et d’intense à la fois.

“Mmmm… trois mots… Du…. Mig… og…”

Un sourire espiègle vint fendre son visage, ses yeux étaient pétillants. Comme ceux d’un enfant. Quelque chose de très candide pouvait se lire dans son visage. La simple satisfaction de faire des mots d’esprit. Celle aussi de faire naître dans l’esprit de Solveig des idées quelques peu grivoises.

“... Hygge…”

Profiter des moments simples de la vie. De chacun de ses sourires, de chacune de ses caresses. Profiter de la manière dont elle caressait ses cheveux, de la manière dont elle embrassait furtivement la commissure de ses lèvres.

“Tant que ça reste simple et qu’on reste tous les deux, je veux bien faire tout ce que tu voudras…”

- Dig og mig, réponds-je simplement avant de l’embrasser avec autant de douceur et de tendresse possible.

Le reste de la journée se passe aussi paisiblement que possible. Aleksej et moi profitons de chaque instant passé ensemble en essayant de ne pas penser à ce soir.

Malheureusement, le soir finit par pointer le bout de son nez et le voyage vers l’hôpital qui m’accueillera et dans lequel je serai opérée s’amène à nous non plus comme une évidence mais comme une obligation à laquelle nous ne pouvons pas échapper. Je sais qu’Aleks aurait aimé prendre une autre route que celle de l’hôpital mais il n’en a rien dit. Il s’est contenté de me conduire d’un point A à un point B sans faire d’histoire. Je lui suis particulièrement reconnaissante. Je n’aurai pas eu la force de me battre.

Quand nous voyons les lumières du Memorial Sloan Kettering Cancer Center approcher, un froid glacial envahit l’habitacle de la voiture du danois dont je vois le visage se décomposer. Je ferme les yeux un instant, bien décidée à me reprendre. Il est hors de question pour moi de ne pas tenir bon. Je me dois de le faire et si je ne veux pas le faire pour moi, je dois le faire pour les gens qui m’aiment, dont l’homme actuellement à mes côtés.
Sans attendre, je viens poser ma main sur la cuisse de mon compagnon et y apporte une légère pression comme pour lui dire « je suis là, tout va bien ». Malheureusement, je ne suis pas certaine que ce seul geste suffise. Au fond de moi, pourtant, j’ose y croire. Naïvement, peut-être.

La suite, toute personne ayant déjà été hospitalisée la connait.
Nous nous présentons à l’accueil, j’explique la raison de ma présence et on nous redirige vers l’étage où se trouve ma chambre. Entre temps, une infirmière trouve le temps de me donner une de leurs blouses immondes que je ne veux pas porter. J’ai mis un pyjama dans ma valise et je vais la porter cette nuit. Je ne mettrai leur habit de mort que demain, quand cela ne sera plus une option.

Aleksej prend ses quartiers alors qu’il sait qu’il devra finir par partir. Les visites ne seront plus autorisées après vingt heures. Aleksej sera forcé de partir et nous le savons tous les deux.
Je me prépare et me couche comme il m’a été recommandé de le faire. Très vite, je demande à mon compagnon de me rejoindre dans le lit parce qu’une étreinte de plus en sera pas de trop. Nous allons passer une nouvelle nuit loin l’un de l’autre mais cette fois, la décision ne sera pas la nôtre mais bien celle d’une fichue maladie dont les médecins vont, je le sais, tout faire pour m’en débarrasser. La nuit sera courte mais si celle-ci m’accorde une vie plus longue, alors qu’il en soit ainsi.

Fin