Huit jours qu’elle ne l’a pas vu,
huit jours qu’il a disparu,
un bref message de temps en temps,
juste pour montrer qu’il est vivant,
aucun autre signe de vie,
les questions qui se multiplient,

Lui en veut-il, Hassan ? A-t-elle fait quelque chose de mal ? Ou, peut-être, en-a-t-il juste marre. Peut-être en a-t-il assez, de tout ce qu’elle est en train de lui imposer. C’est si loin de ce qu’ils voulaient, si loin de ce qu’ils cherchaient, dans cette relation si parfaite quand elle était cachée. Et tu le savais, Jade. Tu savais que ce serait bien trop compliqué à affronter pour lui, tout ça. Tu savais qu’il avait déjà trop de responsabilités, trop de choses à gérer. Son travail, ses études, sa famille. Tant de choses qu’il doit assurer, lui qui a pourtant tellement besoin de sa liberté. Tu le savais, mais t’as accepté. T’as accepté de jouer à ce petit jeu juste pour des paparazzi. Juste pour ton image auprès du public. Mais tu vas finir par le perdre, lui.

Une possibilité qui l’effraie,
plus qu’elle ne l’aurait imaginé,
plus qu’elle ne le voudrait.

Hassan, elle tient à lui. Beaucoup trop pour le voir sortir de sa vie. Elle a songé, plusieurs fois, à partir le retrouver. Tenter de comprendre ce qui est en train de se passer, quitte même à tout arrêter. Elle cesserait tout, Jade, elle stopperait tout, si c’est ce qu’il voulait. Mais elle redoute aussi de se montrer trop envahissante, plus encore que leur petit manège ne l’exige déjà. Elle l’a traîné à suffisamment de réceptions, de défilés, ou autre soirées huppées, pour ne pas accepter de le laisser, un peu, respirer. Alors l’héritière a choisi de prendre sur elle ; ce qu’elle sait faire à merveille. Elle se réfugie dans le travail, ce qui n’est pas tant une mauvaise chose en soi. Elle a pu rattraper tout le retard accumulé ; s’est même lancée dans de nouveaux projets. Et, aussi, elle a appris à s’ouvrir un peu plus à ses employés. Ils ne l’ont pas lâchée, malgré ce qu’elle redoutait. Ils n’ont pas profité de la tempête qui s’est abattue sur elle pour la dénigrer ou la rabaisser. C’est tout le contraire en réalité. Tous, autant qu’ils sont, n’ont cessé d’être présents pour elle. Mieux qu’elle s’y attendait, mieux qu’elle ne l’aurait jamais espéré.

Et, parmi eux, l’un s’est démarqué.

Wyatt, il ne l’a pas lâchée,
à chaque instant, il l’a épaulée,
il a été ce soutien inespéré,
même inavoué.

La situation est toujours, quelque peu, particulière, entre eux. Persuadée un premier temps qu’elle devait rester à distance de lui, elle n’a pas pu s’y résoudre grâce à sa présence infaillible. Elle sait qu’elle joue avec le feu en se rapprochant de l’un de ses employés. Elle a tenté d’y résister, mais Wyatt s’avère un trop bon allié, une épaule trop estimée, pour qu’elle soit capable de s’en détacher. Et ces derniers jours, plus que tous les autres, il a été là chaque seconde. Il lui a même donné ce cours de boxe pour l’aider à se défouler. Se délivrer, surtout, de toutes les affres qui la submergeaient.

Elle se sent mieux, depuis.
Elle se sent mieux, grâce à lui.

C’est l’encéphale plus léger que la princesse gagne son bureau aujourd’hui. Elle a passé une heure entière avec son équipe de communication pour la mise en place d’une prochaine collaboration. Un café à la main, son assistante à sa gauche, son agent à sa droite, elle s’apprête à retourner à son bureau. Elle passe devant sa secrétaire, s’apprête à lui demander si elle a des messages, mais celle-ci paraît captivée par une toute autre scène. Jade suit son regard, elle ne voit pas encore ce qui l’accapare. Comme, quelques autres employés déjà. – Qu’est-ce qui se passe ? La secrétaire reste muette, sûrement envahie par la crainte, d’admettre qu’elle écoute discrètement depuis une bonne dizaine de minutes maintenant ce petit spectacle si captivant. C’est son agent de son franc-parler indéniable qui reprend d’une voix amusée, alors que Wyatt plaque toujours le prince contre un mur. – Ça, ma chérie, je crois que c’est notre cher Wyatt et ton prince qui se chamaillent. Je me demande bien pourquoi. – Bon sang, ce n’est pas vrai ! Elle efface les derniers mètres qui l’éloignent encore des deux hommes. Juste au moment où Hassan parvient à se dégager de l’emprise du combattant, en usant, à sa stupéfaction, d’une grande violence. – Vingt dollars sur Wyatt. – Tu plaisantes ? C’est un prince, et son mec en plus. Je mise tout sur Hassan. Et toi, tu en penses quoi ? – Moi ? Je pense qu’elle va les tuer tous les deux. affirme l’agent avec un sourire en coin. Loin de ces commérages de bas-étage, les lèvres de la belle Turque s’entrouvrent entre choc et consternation, même si ses opales sont submergées par l’inquiétude, pour l’un autant que pour l’autre. – Mais vous êtes dingues ?! Il semble que ce soit son agent qui la connaisse le mieux, finalement.

(c) calaveras.

Dans sa tête,
l’incompréhension,
dans son être,
un chaos sans nom,
le cœur s’confond avec l’encéphale,
de ces tumultes qui l’accaparent,
de ces ouragans qui se préparent.

Sous le choc, d’abord, c’est la consternation. Stupéfaction, devant ces deux hommes qui comptent, chacun à leur façon. Elle ne sait pas ce qui s’est passé, elle n’a pas la moindre idée de ce qui a pu provoquer… un tel cataclysme quand leurs chemins se sont croisés. Ils ne se sont jamais rencontrés, aucun antécédent pour justifier, un tel déferlement de violence éhontée. Rien pour les lier, rien, sauf elle, peut-être. Mais elle ne soupçonne guère, la princesse, être à l’origine de leur querelle. Pas de celles qui ont l’habitude de créer des conflits, des rivalités quelconques entre deux âmes masculines. Faudrait-il encore qu’elle prenne le temps d’y accorder une pleine importance, celle qui a préféré sa carrière au badinage des sentiments. Alors non, elle n’est pas capable de deviner, sa place dans tout ce qui est en train de se passer. Naïve, assurément, pour l’agent qui avait prémédité bien avant ce jour le spectacle qu’il se plaît tranquillement à admirer. Mais Jade, elle n’a rien demandé ; tout occupée qu’elle est. Tout lui tombe dessus, sans prévenir, avec cette véhémence inouïe. Avec ces cris, ces critiques, l’un sur l’autre, sans qu’elle ne sache comment réagir. Les prunelles préoccupées se posent sur Hassan, quelques instants, mais c’est l’hémoglobine sur le visage, la tenue même, de Wyatt, qui finit par capter son attention. Le boxeur, loin de s’en inquiéter, tente plutôt de s’expliquer. Il évoque une photo truquée, l’influenceuse ne saisit pas tout de suite ce dont il peut parler, mais elle finit par réaliser. Il a reconnu Hassan, mais a tout pris à l’envers. Hassan qui voulait seulement passer un moment avec elle, et qui a subi les foudres du protecteur, qui voulait juste… veiller sur elle. L’air outré sur le visage de l’héritière disparaît, laisse apparaître un autre, beaucoup plus déstabilisé. - Non, attends, Wyatt, ce n’est pas…  elle perd ses mots, Jade, elle se noie dans des explications qui ne viennent pas.

Comment pourrait-elle lui expliquer ?

Que Hassan n’est en rien celui qui l’a compromis,
qu’il est tout aussi victime,
qu’il n’a fait que subir, lui aussi,
qu’il l’a même soutenue quand rien ne l’y obligeait ?

Elle pourrait lui dire, que Hassan est bien son petit-ami. Mais les mots refusent de sortir de ses lippes. Pas avec lui. Elle aurait la sensation de s’être jouée de lui, sans pouvoir se l’expliquer, car… elle ne lui doit rien, à Wyatt, n’est-ce pas ? Il n’est que son employé, certes un allié… et peut-être bien qu’elle a cédé, une fois, à l’appel d’un baiser. Mais il n’y a rien entre eux, alors, pourquoi se sent-elle aussi mal à l’aise ? C’est qu’elle décèle, Jade, le sentiment de trahison même pas encore affiché par celui qui lui a offert tout son soutien. Elle a la sensation de lui avoir caché quelque chose, alors que non, le monde entier a pu découvrir cette relation avec Hassan. Hassan qui, lui, n’a pas peur de dire les mots franchement. Il les affirme, comme ils l’auraient fait face à n’importe qui. Pourtant, face à Wyatt, elle se sent mal. Presque désireuse de lui préciser que, non, ils ne sont pas un couple, pas vraiment, qu’ils font juste semblant. Qu’elle ne l’aurait pas embrassé, sinon. Elle a le cœur serré, Jade, de voir chez son employé ce besoin de la savoir à ses côtés. Mais ce serait alors Hassan qu’elle trahirait. Parce qu’elle sait au fond d’elle qu’il est bien plus qu’une couverture pour elle ; qu’elle tient à lui, qu’elle est attachée à lui. Trop, pour que ce soit si facile.

La vérité, c’est qu’ils se trompent tous les deux,
sur les intentions l’un de l’autre,
sur ses relations avec l’autre,

ou c’est peut-être elle qui fait si mal les choses.

Coupable, Jade, d’être si peu transparente, sur ses sentiments. Coupable, de n’avoir jamais mis des mots sur ces relations. Elle se sent prise entre deux feux, prisonnière d’une situation qu’elle ne souhaiterait à personne. Car elle sent, elle sait déjà, qu’elle va faire du mal à l’un d’eux ; qu’elle risque même, sans doute, de les perdre tous les deux. Ils la touchent, tous les deux, atteignent son cœur sans s’en douter. Alors qu’elle, ne risque que de les blesser. Wyatt, pour la première fois, lui dit qu’il tient à elle. Un murmure qu’elle est probablement la seule à entendre et qui la cloue sur place. Et Hassan, Hassan lui confie qu’elle lui manque. Après tous ces jours d’absence, elle est remuée par la confidence. Pas prête à de telles déclarations, l’Orientale tente de retrouver le contrôle de la conversation. Pas facile, piégée entre eux, ni même avec les regards braquées sur eux. Si elle a l’habitude d’attirer l’attention, ce n’est jamais en se donnant en spectacle. Sans voix, c’est la dernière remarque de son amant qui la fait réagir. Wyatt, raciste, ça elle ne peut pas le laisser dire. -  Hassan, arrête, ce n’est pas ça du tout… il n’est pas comme ça. elle se rapproche un peu de lui, toujours au sol, pour tenter de calmer sa colère. Bien qu’elle prenne la défense de son adversaire. - C’est un énorme malentendu, je vous assure… Wyatt voulait juste… me protéger. Mais tout ce qui s’est passé n’est pas la faute d’Hassan, crois-moi, il l’a subi autant que moi.  qu’elle affirme en relevant ses opales vers Wyatt, ressentant le besoin de lui expliquer. Leur expliquer à tous les deux qu’aucun n’est mauvais, aucun n’est mal-intentionné envers Jade. C’est juste elle qui risque de leur faire du mal.

(c) calaveras.

Prise au piège,
face à leur colère,
elle ne sait que se taire,
elle continue de se taire,
redoutant la suite éventuelle,
redoutant de causer encore plus de peine.

Elle devrait dire la vérité à Wyatt. Vérité pourtant pas tout à fait avérée, celle qu’ils ont décidée, celle qu’ils font croire au monde entier. Mais il est devenu un ami, son ami. Elle n’est pas certaine d’être capable de lui mentir, pas à lui. Ou peut-être essaie-t-elle seulement de se rassurer. Peut-être a-t-elle juste trop peur qu’il puisse la détester. Il l’a embrassée, Wyatt, il y a quelques jours à peine. Et maintenant, il lui avoue qu’il tient à elle. C’est certain, elle lui causerait du chagrin. Il lui en voudrait, même. Sauf qu’elle tient à lui, elle aussi. Qu’elle ne supporte pas cette idée. Mais leur fureur, leur haine l’un contre l’autre, elle n’est guère plus facile à gérer. Devant les horreurs qu’ils se balancent, la princesse se sent terriblement impuissante. Elle les entend, elle tente chaque fois de prendre leur défense. Mais au moindre mot qu’elle prononce, elle a la sensation de blesser l’un ou l’autre. C’est elle, en fin de compte, qui a le plus de mal à supporter cette situation. – S’il-vous-plaît, arrêtez… qu’elle demande dans une supplique, loin de la femme d’affaires qui, habituellement, exige. Jade, elle est perdue, démunie. Ils sont en train de se ronger, de se blesser, de la blesser elle aussi. Elle pourrait y mettre un terme en clarifiant d’emblée la situation ; surtout sa relation. Malheureusement, les mots ne viennent pas, elle se sent submergée d’appréhension. De cette peur sans nom. Mais, à force de laisser échapper quelques amorces, Wyatt semble peu à peu comprendre. Le visage décomposé, alors qu’elle se rapproche de celui qu’il pense être un danger, la poupée aide avec délicatesse Hassan à se relever. Ses opales le fixent quelques secondes avant qu’elle ne prenne une profonde inspiration. Elle sait bien, Jade, que c’est le moment, celui où elle doit prendre une décision. Ils ne peuvent pas poursuivre éternellement cette conversation, pas ici, pas devant ce monde. Elle qui tient tant à préserver sa vie privée, elle peut désormais oublier. Elle devine d’avance que d’ici la fin de la matinée, toute la boîte aura entendu parler de cette querelle, de cet affrontement entre les deux hommes pour… pour elle. C’est déjà suffisamment difficile pour ne pas avoir à subir les regards, les jugements, les on-dit. Elle ne pense pas seulement à elle, mais aussi à Wyatt. Elle a déjà entraîné Hassan dans son univers, dans ce monde si malsain. Elle refuse de le voir victime, lui aussi, de tous ces vices. Mais se retrouver, rien que tous les trois, est-ce une bonne idée ? Ne va-t-elle pas seulement tout empirer ?

Tu as peur, Jade,
si peur de faire le mauvais choix,
si peur de faire mal,

peur de perdre,
l’un ou l’autre,
quelqu’un auquel tu tiens,
quelqu’un qui compte.

Mais, là, tout de suite, c’est pour Wyatt qu’elle est le plus effrayée. Hassan sait ce qu’il en est, contrairement à lui qui paraît de plus en plus déchanter, alors qu’il se met à réaliser. Désillusionné, le minois défait, la peur sur les traits. Lui qui voulait, juste, la protéger. L’héritière avale difficilement sa salive. Et trouve enfin le courage de dire. – Je vais lui parler mais… je crois que je devrais le faire seule. la voix encore un peu  hésitante, elle redoute quelque peu sa réaction, parce qu’il a tout de même subi une agression qu’il ne méritait aucunement, et elle… elle lui demande sa compréhension. Mais elle le fait pour de bonnes raisons, Jade, alors elle reprend avec plus de conviction. – Je t’expliquerais après… je te le promets. Tu comprendras. ou peut-être pas, elle ne sait pas. Mais Hassan, il est la gentillesse incarnée. Elle doute qu’il demeure insensible, elle est même surprise, qu’il ait été aujourd’hui aussi impulsif. Sûrement oppressé, étouffé de devoir justifier, qu’il est là pour elle, non contre elle. Il comprendra, oui… il comprendra. – Je suis désolée que tu sois venu pour… ça…  mais le mieux, c’est qu’on se voit plus tard. et elle espère, elle espère de tout son cœur qu’il accepte. Il lui a manqué, lui aussi, elle aurait été heureuse de le retrouver. Mais pas comme ça, pas au détriment de Wyatt.

(c) calaveras.