Tristan et Esteban ne peuvent pas s’éviter indéfiniment et Esteban n’a pas envie de donner à son ami l’impression qu’il ne souhaite pas le voir, ce qui serait complètement faux. Pourtant, Esteban éprouve les plus grandes difficultés du monde à faire un pas vers Tristan. Il a la sensation d’avoir déjà essayé et de ne pas réussir à se départir des pensées étranges qui peuplent son esprit. Une chose est certaine cela dit, la situation ne s’arrangera pas d’elle même, et il est sans doute grand temps de passer à autre chose, si communiquer sur le sujet n’est pas une option.

Lion d’avoir envie de débarquer chez Tristan avec une mine contrariées et des yeux trop expressifs, Esteban décide de taguer Tristan sur le post d’un artiste annonçant sa participation à une exposition en plein cœur de Brooklyn. Par chance celui-ci comprend l’implicite et décide de l’y accompagner.

Une fois sur place, Esteban attend son meilleur ami avec un café à la main. Il est un peu nerveux, mais tente de ne pas le laisser paraître. Lorsqu’il voit Tristan, il lui adresse un sourire un peu timide.

- Hey...!

La période est morose. Rien à voir avec le soleil qui commence à recouvrir New-York, avec les températures qui remontent et les gens qui sortent. Tristan se noie dans le travail, dans les répétitions, dans la pratique assidue et régulière de la musique. Piano, solfège, un peu de chant pour s'entretenir, toutes les excuses sont bonnes pour ne penser à rien d'autre qu'à Julliard et aux concerts qui, petit à petit, chemin faisant, reprennent. Ses interactions sociales ont drastiquement réduit depuis le week-end au Chalet, et, comme à chaque fois qu'une situation semblable se produit, il se renferme aisément sur lui-même. Il broie du noir, parce qu'Esteban lui semble loin, et qu'au delà même des sentiments qu'il éprouve pour son meilleur ami, le jeune homme est un pilier non négligeable de sa vie.

Le soulagement balaie l'angoisse quand ce dernier l'invite finalement à se joindre à lui pour aller apprécier une expo. Tris oeuvre pour avoir l'air en forme, les cernes sous ses yeux traduisant aisément un excès de travail et des nuits trop courtes - heureusement que ses "quartiers" sont insonorisés - Ellen prétend même avec humeur qu'il a maigri. Il sait qu'il ne devrait pas agir ainsi, qu'il serait sans doute bon de se libérer l'esprit en actant plutôt qu'en restant prostré dans son coin - mais c'est plus fort que lui, la peur le force au silence.

Voir Esteban quand il arrive lui fait du bien, cela dit - et il offre un sourire à son ami, qui l'attend un café à la main.

- Hey, il répond en hochant la tête. Ca va ? Elle a l'air bien, cette expo. Je suis content que tu m'en aies parlé.

Par chance, les choses ne sont pas trop awkward. Avec Tristan, elles pourraient facilement l’être, et d’ailleurs à bien y réfléchir, elles l’ont été une grande partie de cette moitié d’année qu’ils viennent de vivre. Este est réellement fatigué de cette situation, ce serait mentir que de prétendre qu’il ne l’est pas, mais si Tristan refuse d’en parler, ou pire qu’il se fait lui-même des idées sur les sentiments de Tristan, la situation ne peut se régler que d’une seule manière, en chassant ces inquiétudes de son esprit. Plus facile à dire qu’à faire évidemment, mais Esteban ne peut pas s’offrir le luxe d’avoir l’esprit occupé par des futilité. Sur le fil au niveau de ses études, il doit se concentrer sur les examens qui approchent.

- Je me suis dit que ça t’intéresserait... plus que celle sur le cyberpunk que je t’ai fait subir en tout cas !

Esteban accompagne le tout d’un rire, il aimerait vraiment retourner a cette période ou leur amitié était simple. Et si ce rapprochement qui a eu lieu en milieu d’année est en partie de sa faute, ou celle de Candace plus précisément, il ne peut que déplorer les moments gênants qui s’en sont suivi.

- Encore désolé pour ça, je suis un peu égoïste parfois...

Tristan ne pense pas vraiment comme les autres. Il n’a pas l’impression que son meilleur ami lui fasse subir quoi que ce soit, même lorsqu’il doit aller à une exposition qui, à priori, n’entre pas dans ses centre d’intérêt. Il est simplement heureux d’y accompagner Este, et c’est tout ce qui compte. Bon nombre de personnes ne comprennent simplement pas comment le cerveau de Tristan fonctionne. Ce n’est pas de leur faute, c’est lui qui est bizarre, sans doute - mais il sait très bien par exemple pourquoi il ne s’ouvre pas si facilement de ses sentiments auprès d’Este. Parce que ce qui intéresse plus Tristan encore que ce que lui-même ressent, c’est que son meilleur ami soit heureux. Et une confession viendrait sans doute remettre en question l’équilibre fragile qui existe entre eux. Sans doute.

- Je n’ai pas détesté l’exposition sur le cyberpunk, tu sais, j’avais un très bon guide pour m’expliquer, c’était finalement assez instructif.

Ce n’est pas son genre, c’est vrai - mais il ne peut pas dire qu’il ait détesté non plus. Il en garde même un souvenir assez agréable, bien que certains évènements soient venus ternir un moment presque intime. L’exposition d’aujourd’hui est plus dans ses cordes cela dit, c’est certain.

- Je ne trouve pas que tu sois égoïste, Tristan réplique, un peu trop rapidement sans doute à la remarque négative que son meilleur ami s’inflige à lui-même. On est amis, c’est normal qu’on partage les passions l’un de l’autre ? Sinon, il faudrait que je m’excuse de te faire subir mon piano en permanence...

En permanence n’est pas tout à fait adéquat à la situation actuelle - on ne peut pas dire qu’ils se fréquentent beaucoup, ces dernières semaines. D’ailleurs, Tristan n’a pas informé son ami qu’il allait sans doute devoir passer une partie de son été en Europe pour y donner des concerts. Leurs conversations sont plutôt superficielles, assez espacées, et Tris se sent coupable, ce qui ne l’aide pas vraiment à être avenant.

- Je suis content de te voir, en tout cas, il murmure en essayant de s’ouvrir un peu.

Parfois Esteban se demande si Tristan ne fait pas tout pour le ménager alors qu’il subit déjà ses « crises existentielles » au quotidien. Este est chanceux d’avoir quelqu’un de si généreux à ses côtés, et parfois il se demande si Tristan trouve que lui aussi est un bon ami. Il doit bien avouer que cette amitié lui apporte beaucoup, et l’idée qu’il puisse ne pas lui rendre la pareille le rend triste. Este sait qu’il est un peu centré sur lui-même et les remous de son cœur, mais il tient réellement à Tristan , même si son comportement de ces dernières semaines a été un peu étrange.

- Tu dis ça pour me faire plaisir ! Mais merci

Il lui adresse un sourire ravi et se dirige gaiement vers l’exposition. Esteban est un garçon passionné et c’est assez facile de s’en rendre compte quand le voit s’enthousiasmer sur un sujet ou sur une exposition en l’occurrence.

- Je te traîne à toutes les expositions possibles et moi je ne viens que voir tes performances à toi !

Il ricane légèrement et lui tapote l’épaule. Il est vrai qu’il pourrait faire un effort pour l’accompagner voir un de ses artistes préférés, un de ceux qui sont toujours en vie !

- Moi aussi, c’est cool !

Tristan a conscience d’entretenir des passions particulières. Il aime jouer la musique classique, c’est vrai, mais il apprécie aussi de l’écouter. Il n’est pas rare qu’il se rende à des concerts où il n’invite jamais personne, bien conscient que tout le monde, dans leur bande d’amis, n’a pas envie de s’asseoir pour écouter Mozart ou Beethov pendant deux heures. Ce n’est pas très grave, cela dit, Tristan a l’habitude d’être seul. Les propositions de sortie d’Esteban, même si elles ne sont pas toujours centrées autour de ses propres centres d’intérêt, permettent au moins à Tristan de ne pas être complètement renfermé sur lui-même. C’est un effort qu’il a appris à faire avec les années, poussé par sa mère, sans doute.

- Je ne t’infligerai pas de venir en écouter d'autres, tu es mon meilleur ami, je n’ai pas envie de te torturer, il répond dans un sourire, bien plus détendu maintenant que la conversation est plus légère. Mes prestations à moi, c’est déjà bien suffisant pour ta peine.

Il suit son ami à l’intérieur, heureux de le voir, de cet intermède qui lui est offert et qui lui permet de se détendre, et de souffler. Il a eu peur, pendant plusieurs semaines, que leur amitié ne s’effrite. La situation du jour le rassure quelque peu.

- Il a l’air particulièrement doué, cet artiste. Tu le trouves inspirant ?

Ca fait longtemps qu’ils n’ont pas eu l’occasion de dessiner ensemble. Tris ne sait pas vraiment comment est rythmée la vie de son ami, en ce moment.

- On pourrait aller chez moi, après. Pour manger un morceau et dessiner un peu ?

Este lui manque, et c’est sa façon à lui de le lui dire, sans doute.

- Ce n’est pas de la torture ne t’en fait pas !

Bon ce n’est pas entièrement vrai, il se trouve que certains des artistes classiques qu’affectionne Tristan ne sont pas du tout son style, et même cette déclaration serait un euphémisme quand on sait à quel point l’expertise au piano ne rime pas forcément avec de jolies mélodies douces et agréables à l’oreille. En soi, Esteban pourrait faire l’effort pour Tristan, mais il est tout de même ravi que son meilleur ami sache trier ce qui est objectivement supportable pour une oreille qui n’est pas entraînée.

Au fil de l’expo, Este papillonne et parle beaucoup trop, c’est un peu comme si rien n’avait changé, ou alors c’est le stress qui le fait parler plus qu’il ne le devrait. En tout cas l’effet est réussi puisque Tristan semble avoir retrouvé le sourire. Tout a l’air d’être comme avant et c’est ce qui compte le plus pour Esteban qui était jusque là rongé par une certaine anxiété. Cette expo en compagnie de Tristan lui fait au moins réaliser qu’il n’a pas forcément besoin de s’inquiéter. Tout est normal, rien n’est étrange entre eux, et c’est tant mieux.

- Oui, je suis content que tu m’aies accompagné, c’était l’occasion de se voir et tout... vu qu’on était tous les occupés...bref

Mieux vaut s’éloigner des détails de cet éloignement, la proposition de Tristan semble un peu plus sympathique qu’une conversation gênée sur la raison de leur distance amicale.

- Oui c’est une bonne idée, et puis ça fait longtemps en plus !

Après la période relativement froide qu'ils ont traversé, et le chaos de la soirée de Noah, ce retour à la presque normalité fait du bien, il faut dire ce qu'il est. Tristan se raccroche à cet instant sympathique pour tenter de se convaincre qu'il n'est pas en train de ruiner son amitié avec Este de toute façon, même en gardant secrets les sentiments qui font cogner son cœur dans sa cage thoracique, mais ce n'est pas très simple. Il ne renchérit pas quand Tristan prétend que l'accompagner à des concerts de musique classique n'est pas une torture. L'entendre jouer, lui, ça doit avoir un aspect agréable - en tous cas les premiers temps - mais tous les jeunes de leur âge n'apprécient pas le répertoire classique de la même façon. Lui, quand il est assis dans une salle de concert, il ressent les choses de manière tellement décuplée...

Esteban met leur manque de contact sur le compte d'une surcharge d'occupation, et Tristan acquiesce. Le déni est autrement plus agréable qu'une confrontation brute sur les raisons de leur éloignement. Tris y pense, souvent, et il tente de rationaliser en se souvenant que les années précédentes, ils n'étaient pas aussi proches qu'ils l'ont été pendant l'année qui vient de s'écouler, sans doute. Ca ne fonctionne pas toujours.

- Oui, ça fait longtemps. Ma mère ne sera pas là, elle aurait été contente de te voir, mais en même temps... C'est sans doute pas plus mal.

Il s'offre le luxe d'un sourire, se sentant toujours un peu coupable d'ironiser sur le caractère difficile et envahissant de sa mère cependant.

- Elle est très occupée par l'organisation de sa prochaine soirée, il enchaîne, armé d'une mine un peu contrite.