Esteban ne sait pas quoi faire de l’information que l’on vient de lui donner. Quelque part il aurait dû s’en douter, les réactions de Tristan ont tout de suite plus de sens maintenant, mais la révélation n’en reste pas moins un choc pour le brun. Évidemment, il serait bien hypocrite de prétendre que leur relation n’a jamais eu sa part d’ambiguïté, mais Esteban n’a jamais envisagé les choses de cette manière pour autant. Lorsqu’ils se sont rapproché, il s’est simplement dit qu’il cherchait à se consoler, ignorant peut être au passage les sentiments de Tristan. Mais le voilà désormais face à cette réalité qui lui fait peur et avec laquelle il lui semble compliqué de composer sans blesser son meilleur ami plus qu’il ne l’a déjà fait. Déjà parce que Noah se trouve dans l’équation et qu’il apparaît évident qu’Esteban cache bien mal l’attirance qu’il ressent à son égard. Confronter Tristan, faire comme si de rien était ? Esteban ne sait pas tellement comment aborder la situation sans l’empirer. Le plus simple serait probablement d’en parler à Nate, mais Este appréhende sa réaction pour une raison qui n’a sans doute que peu de sens d’ailleurs.

C’est donc sans aucune idée de ce qu’il compte dire à Tristan qu’il se rend chez le principal intéressé. Dernièrement, les tensions ont été multiples et Esteban n’est pas très à l’aise à l’idée d’en rajouter une couche. Pourtant la nouvelle l’a bouleversé et il ne voit pas comment éviter le sujet serait possible. Tristan se rendrait instantanément compte de la distance. Alors le voilà devant sa porte l’air contrarié.

- Hey

Tristan n'a aucune idée de ce qui va très prochainement lui tomber dessus. En ce moment, sa vie est un peu compliquée - sans doute pour pas grand chose. Sa relation avec Esteban le travaille sérieusement, le retour de Noah dans le paysage de leurs amitiés n'ayant aucunement aidé ce point. Sa mère est dans tous ses états malgré l'hiver dont on aurait pu espérer qu'il contribue à la calmer un peu. La maison est un défilé perpétuel de gens inconnus qui repartent à moitié nus au petit matin, de soirées exubérantes et bruyantes, d'alcool qui traîne, d'odeur de drogues en tous gens. Difficile, dans ce contexte, de se concentrer pour travailler. Heureusement qu'il s'entraîne principalement dans la salle de concert dans laquelle il joue Bach en ce moment, sinon, il deviendrait sans doute fou. Heureusement aussi que les murs de sa "chambre" sont insonorisés - mais ça n'empêche pas vraiment Isolde d'entrer quand elle le souhaite. Au gré de sa folie.

Il ne sait pas ce qui va lui tomber dessus, il sait simplement qu'il attend Este, un café au lait entre les mains, des lunettes sur le nez. Il est installé dans le canapé, profite d'un instant de répit dans le bruit éternel de la maison. Dans le salon, attenant à la cuisine, des choses traînent ci et là ; des cotillons, des flûtes vides... Quand la sonnerie de la porte retentit, il se lève et accourt presque. Son enthousiasme est balayé par les traits contrariés de son meilleur ami.

- Hello, il lance, un peu inquiet soudainement.

Une sensation étrange lui escalade la poitrine. L'air d'Esteban l'inquiète, il a toujours l'impression que son meilleur ami risque de lui en vouloir à mort pour quelque chose - sans arriver à mettre le doigts sur ce qu'il aurait pu faire.

- Ca n'a pas l'air d'aller. Tu entres ? On ferait mieux de monter, c'est un peu le bazar. Sauf si tu préfères rester là.

Il est rare que Tristan parle beaucoup ; l'angoisse l'y pousse parfois.

Esteban s’en veut d’être si facile à lire. Loin de lui l’envie de susciter de l’angoisse chez Tristan pourtant, il aimerait d’ailleurs éviter de répéter le scénario de leur dernière conversation houleuse au sujet de Noah, mais il faut croire que certaines choses sont plus faciles à dire qu’à faire. Tristan ne mérite pas ça, vraiment pas. Seulement lorsqu’il s’agit de camoufler ses sentiments, on ne peut pas dire qu’Esteban soit très doué. Et encore aujourd’hui, il le prouve avec son air contrarié qu’il semble bien incapable d’effacer de son visage alors qu’il est invité à l’intérieur.

Esteban doit surtout trouver un moyen d’engager la conversation de façon douce et sans brusquer Tristan. Il ne doit pas non plus lui donner la sensation d’être jugé, ce qui pourrait vite le braquer cela va sans dire . Mais aujourd’hui tout lui semble bien compliqué et il se demande s’il aura le courage d’aborder les choses avec son meilleur ami sans se faire submerger par une émotion qui n’arrangerait rien à la cohésion de son discours. L’objectif premier étant de ne pas activer le mode panique chez le pianiste, Esteban tente une approche.

- Non ça va, j’ai juste plein de choses en tête, et je voulais te parler d’un truc. J’ai juste un peu peur de ta réaction...

Bon, clairement pour le côté rassurant on repassera. Este se rattrape comme il le peut.

- Enfin c’est pas très grave, ne panique pas surtout.

Esteban se rend bien compte en disant cela que c’est tout l’inverse qui va se produire. Il connaît Tristan, mais surtout, il sait aussi très bien que ce qu’il s’apprête à lui dire va lui donner toutes les raisons du monde de paniquer. Il l’accompagne néanmoins jusqu’à sa chambre avant de se lancer.

- On m’a dit des choses. A propos de tes sentiments, et je voulais savoir si c’était la vérité ou non. Sois pas fâché s’il te plaît...Je veux juste en discuter.

Este veut lui parler d'un truc, et déjà, le coeur de Tristan s'emballe dans sa cage thoracique. Il a une mauvaise impression, la sensation de manquer d'air. Tout ça n'est que dans sa tête, bien entendu - il ne manque pas réellement d'air. Pourquoi Este craindrait-il la réaction de Tris ? C'est une question à laquelle il aura sans doute très vite une réponse. Ses mains se joignent dans un geste nerveux, une tentative de s'ancrer au sol plutôt que de se disperser dans ses pensées qui se bousculent déjà, nombreuses, dans son esprit. Il aimerait disparaître. Il déteste cette sensation, pour l'avoir trop souvent ressentie en présence de son meilleur ami ces dernières semaines. Le malaise qui s'installe est un ressenti déplaisant dont il ne parvient pas à se débarrasser malgré ses efforts pour rationaliser. Quand Este lui suggère de ne pas paniquer, l'effet inverse se produit et sa panique explose. Son rythme cardiaque augmente encore un peu plus, et il lutte pour ne pas avoir l'air traumatisé alors même que la conversation n'a pas commencé.

Au fond, il sait de quoi il s'agit. Le pressentiment ne le quitte pas, et il a une intuition ; il sait que le moment est venu. Tris erre presque jusqu'à sa chambre - s'il le pouvait, il ralentirait le pas pour éviter d'y être trop vite. Il n'aurait jamais dû suggérer de monter, maintenant, il a l'impression d'être prisonnier. La porte se referme derrière eux - il ne peut plus partir, il ne peut plus reculer non plus. Et le couperet tombe sans même que Tris n'ait eu à ouvrir la bouche ; de toute façon, même s'il avait voulu, il n'aurait pas pu.

Tes sentiments.

Il se raidit, et ses oreilles bourdonnent. Il a l'impression d'être au bord d'un précipice, ou à la toute fin d'une prestation éreintante. Incapable de penser. Tout juste bon à faire la révérence pour se retirer dans l'ombre.

- A propos de mes sentiments ? il demande, en ayant l'air détaché. Il sait que c'est un échec. Il est mauvais acteur et mauvais menteur en temps normal, mais ses capacités sont réduites à néant par le battement de son cœur dans ses oreilles et la sensation de vertige qui l'étreint. Je ne comprends pas... C'est qui, "on" ? Pourquoi je serais fâché ? Je ne comprends pas... il répète, la voix légèrement vacillante, le cœur au bord des lèvres.

Tristan panique instantanément ce qu’il aurait du voir venir avec cette façon sacrément équivoque de présenter les choses. Soit, la tentative est ratée. Este lui aussi panique depuis qu’on a jugé de bon de lui parler de tout ça, mais là n’est pas le moment de le laisser transparaître. Si lui aussi se met à suranalyser la situation, il y a fort à parier qu’ils ne s’en sortirons pas. La communication, c’est la clef, du moins on lui en a vanté les mérites maintes et maintes fois. C’est le moment de montrer qu’il a saisi le concept. Est ce qu’il a peur que Tristan nie en bloc et l’envoie sur les roses ? Tout à fait, mais cela ne change rien à la nécessité de cette conversation bien désagréable.

- S’il te plaît Tristan... ne fais pas comme si tu ne voyais pas où je veux en venir.

Il tente, un peu contrarié on ne va pas se mentir. On se fiche un peu de qui le lui a dit, ce qui compte c’est bien la conversation qu’il est en train d’avoir avec Tristan.

- Je vois bien que ça te panique, mais je voulais juste en parler, parce que si on le fait pas... Je ne sais pas, mais je pense pas que ce soit une bonne idée ?

Esteban veut a tout prix éviter de nommer les choses ou de les réinterpréter d’une manière qui pourrait offusquer Tristan, mais si le pianiste n’est pas décidé à confesser, les solutions, tout comme les options sont très limitées. Alors avec le peu de courage qu’il lui reste Esteban tente d’une voix douce et qui tremble un peu :

- Est-ce que tu as des sentiments pour moi ?

Bien évidemment, aucune réponse n’est apportée à sa demande d’un nom. Esteban ne semble pas trouver ça important, pourtant, l’information est capitale pour Tristan. Il a besoin de savoir lequel de leur proche lui a coupé l’herbe sous le pied. Il n’est pas prêt à s’expliquer, à s’ouvrir auprès d’Este. Il n’est pas prêt à se confier sur la réalité de ses sentiments et l’ambivalence de son regard. Il souhaiterait étouffer ces informations encore longtemps, jusqu’à ce qu’un jour, peut-être, il ait envie de les nommer pour les expliquer. Mais pas aujourd’hui - certainement pas aujourd’hui, alors qu’il se sent vulnérable, exposé et trahi, alors que Noah rode dans les passages, alors qu’il fait attention depuis si longtemps - même si quelqu’un l’a pris en traître.

Et Esteban veut mettre de la rationalité dans son questionnement, évidemment. Tout de suite. Il veut des explications, une réponse claire, tranchée. Un oui ou un non. Mais c’est tellement plus complexe que seulement oui ou non ? Les idées se bousculent dans la tête du pianiste qui n’arrive plus à voir clair. Mentir à son meilleur ami est une chose bien pire que lui dissimuler une vérité qui pourrait mettre leur amitié en péril. Il n’est même pas bon menteur. Mais avouer maintenant, là, comme ça, c’est aussi mettre en péril leur amitié. Esteban n’a pas envie qu’il réponde oui à cette question - c’est en tout cas ce que pense Tristan.

- Tu es mon meilleur ami, il bafouille, mauvais à cette mise en scène qui est supposée lui faire gagner du temps - mais du temps pourquoi faire ?

Ses mains se joignent à nouveau nerveusement, et il arrache du bout des doigts les petits peaux qui bordent l’ongle de son pouce. A force de jouer, ses mains sont sèches et douloureuses - et en ce moment, il joue beaucoup. Il joue toujours beaucoup, cela dit - mais plus encore ces derniers temps. Il prend une inspiration, tente de canaliser son angoisse dans ce petit geste anodin - mais douloureux.

- Je ne sais pas qui t’a raconté autre chose, mais les gens devraient arrêter de lancer des rumeurs quand ils ne savent pas de quoi ils parlent, il ajoute d’une voix légèrement tremblante.

Ce n’est pas totalement faux. Quiconque s’est permis de parler à Esteban des éventuels sentiments de Tristan ne l’a fait que sur la base d’un ressenti que le brun n’a pas confié de lui-même. Il n’a jamais parlé à personne de l’amour qu’il éprouve pour son meilleur ami ; il s’en souviendrait, sinon. Des années de contrôle, de maîtrise et de dissimulations. Mises en péril par un bavard mal intentionné.

Tristan semble affecté par la discussion et Este en vient à se demander si mettre les pieds dans le plat de manière si foireuse n’était pas en réalité la pire idée qu’il ait eu de la journée. Le voilà maintenant confronté à un Tristan vraisemblablement fâché et gêné par de telles accusations. Un instant, Este se demande même s’il ne ferait pas mieux de changer tout simplement de sujet, et pourtant… Quelque chose le chagrine, enfin outre la réaction un peu étrange de Tristan. Bien sur, il serait plus intelligent de sa part de se taire et de ne pas en faire mention, mais le fait est qu’avant le retour de Noah, juste après sa rupture avec Oscar, ils se sont rapprochés. Oh Este se mettrait bien tout sur le dos, mais dans ce cas précis, il n’est pas non plus aveugle à ce point. Ce qu’on lui a dit, illustré par de nombreux exemples semble logique au vu de la timeline de l’année qui vient de se dérouler. Este n’est pas fortiche sur les détails, mais sa mémoire est aisément rafraichie. Un peu perdu quant à l’approche à adopter, il tente néanmoins de tendre une dernière perche.

- Désolé, je voulais juste en parler vu qu’on s’était rapprochés après ma rupture avec Oscar… Enfin si ce n’est pas le cas je ne vais pas t’embêter avec ça. Je dois me faire des idées, les autres aussi. Ce n’était pas méchant cela dit.

A dire vrai, il s’est surtout fait enguirlander pour martyriser le coeur de Tristan  en jouant les aveugles sur le comportement de son meilleur ami, qui d’après les dire de leur amie commune est assez explicite. Este se sachant tout à fait capable de se concentrer un peu trop sur sa propre personne, il a facilement pris l’information pour argent comptant.

- Est-ce que ça va ? Tu trembles…

L’injustice lui mordille l’estomac, accélère son rythme cardiaque. D’aussi loin qu’il se souvienne, il a toujours été extrêmement mauvais pour gérer les situations conflictuelles - ou susceptibles de le devenir. Fuir n’est pas toujours une option, et Tristan se voit donc contraint de faire face à son meilleur ami, installé sur le bord de son lit, dans sa chambre, comme un gamin qui aurait fait une bêtise. Une part infime de lui souhaiterait s’épancher sur ce qu’il ressent vraiment, s’approcher d’Este, lui caresser la joue, laisser couler ses propres larmes et arrêter de se battre contre ses sentiments. Cette lutte, qui dure depuis des années, est épuisante. Ereintante. L’objet d’une angoisse permanente, brulante, qui le met en état d’alerte. Il voudrait lâcher prise. Il n’est même pas sûr que l’amour qu’il ressent pour Esteban soit beau ; c’est un amour maladroit, inexpérimenté, hésitant. Etouffé. Tristan a l’impression qu’il étouffe, qu’il est enchaîné.

La peur de perdre Este balaye ce désir de liberté d’un revers de manche. Il préfère vivre comme ça pour toujours que perdre le droit de l’appeler son meilleur ami. Tristan n’a pas beaucoup de proches, mais les gens qui lui sont proches sont pour lui essentiels. Irremplaçables. C’est comme ça qu’il perçoit l’équilibre fragile de l’amitié. Si Este venait à ne plus lui parler, ce serait pire qu’une rupture, pour lui. Ce serait comme être amputé d’un membre de sa famille. Il n’est pas capable d’imaginer une telle issue - et quand il réfléchit à la question sérieusement, quand il se dit qu’il est égoïste de ne pas faire plus confiance à Este, même quand il rationalise, il ne parvient pas à se laisser aller.

- Non, je sais que ce n’était pas méchant. Mais toi, tu es attiré par Noah, il est revenu, et moi...

Ses yeux se perdent dans le vague un instant. Lui, quoi ? Il n’arrive pas à se figurer que quiconque puisse un jour être attiré par lui. Il est réservé, dans son monde, maladroit et mal à l’aise. Tout le contraire d’Este, si solaire, sociable.

- Les gens essayent peut-être juste de te déstabiliser.

Il glisse ses mains sous ses jambes pour en dissimuler le tremblement et ses yeux parcourent la pièce qu’il connait déjà par coeur pourtant. Ca lui fait bizarre d’entendre Este qui parle d’un rapprochement entre eux. Il sait alors qu’il n’était pas complètement fou, et que ces instants volés ont bien existé. Que veut en faire le bouclé, c’est une autre histoire.

- Qu’est-ce que tu penses ? il finit par demander, les yeux rivés sur le mur, en face du lit, où trône un immense tableau plutôt sobre réalisé par Isolde - un paysage italien, très abstrait - mais qui a un mérite immense cependant : la personne nue est si loin qu’elle n’est pas visible sauf à regarder le tableau dans les moindres détails.

Esteban hoche la tête, même s’il est loin d’être convaincu par les dires de Tristan. Il sait que la personne qui lui a parlé n’est pas mal intentionnée et c’est sans doute ce qui cloche dans toute cette histoire. S’il ne compte pas révéler l’identité de la personne pour prouver son argument, il n’en reste pas moins convaincu que Tristan lui cache quelque chose. Oh évidemment on pourrait lui mentir et tenter de le manipuler, il a prouvé maintes et maintes fois qu’il n’était pas le meilleure judge of character des environs, mais cette fois-ci, beaucoup de choses viennent conforter son intuition première. Comme il ne cherche toutefois pas à contrarier Tristan, il baisse la tête et soupire.

- Le fait que je sois attiré par Noah n’a pas grand chose à voir avec tout ça. Si tu avais des sentiments, je préférerais le savoir, Noah ou non.

Histoire d’éviter certains sujets de conversation pour commencer. Esteban est papillon mais pas un mauvais garçon pour autant. L’idée d’avoir blessé Tristan lui serre d’ailleurs le coeur, si ce n’est pas la simple idée d’avoir pu manquer l’occasion d’être avec une personne qui ne lui aurait jamais fait de mal qui le rend nostalgique. Enfin, clairement, vérité ou non, Tristan n’a clairement aucune envie de saisir les nombreuses perches lancées désespérément par Esteban.

- Mais visiblement ce n’est pas le cas, donc désolé.

Le ton qu’il emploi est étrange, Esteban lui-même ne comprend pas pourquoi il est déçu, car c’est bien de la déception qu’il faut percevoir dans son ton. Il hausse les épaules, il est grand temps de changer de conversation pour le bien de tous, y compris le sien.

- Merci d’avoir répondu à ma question. Je ne pense pas grand chose, it’s fine

La conversation le met mal à l’aise, et Tristan a du mal à dissimuler son trouble. Il ressent les choses d’une manière trop intense, trop violente, trop soudaine. Il n’a pas envie de blesser Esteban, mais une partie de son esprit le pousse à se protéger lui-même, aussi, contre ce qui pourrait advenir s’il se laissait aller aux confidences. Pourtant, il croit déceler une forme de déception chez son meilleur ami - sans réussir malgré tout à mettre cette déception sur le compte d’une annonce en particulier. Est-il déçu que Tris ne soit pas amoureux, ou déçu de la situation ? Pire, déçu de son meilleur ami lui-même ? Esteban sait que Tris lui ment - le jeune pianiste peut le voir sur le visage de son meilleur ami. La déception est-elle là, elle aussi ? Est-ce qu’Esteban lui pardonnera ?

Les choses n’ont jamais été ainsi avant. Il ne se souvient pas avoir jamais été en froid avec Este. A certains moments de leur vie, ils ont été plus ou moins proches sans doute - mais en froid, en proie à cette tension palpable insupportable ? Si tel a été le cas, Tris ne s’en souvient pas.

- Désolé, il lance, sans trop savoir pourquoi il s’excuse considérant le mensonge qu’il vient de sortir. Tu n’as pas vraiment à être désolé, c’est moi.

Il reste silencieux un instant, sans savoir ce qu’il doit ajouter. Esteban semble en colère, et il n’a pas envie de laisser filer son meilleur ami ainsi. Il se surprend à se demander si Este serait moins fâché de connaître l’étendue de ses sentiments, ou pas.

- Je sens bien que tu es fâché ? il finit par répondre, quand son meilleur ami refuse de se confier sur ce qu’il pense. Je ne voulais pas te décevoir, je sais que je n’ai pas été un meilleur ami digne de ce nom ces derniers temps. Je suis désolé, tu sais ?

Il faut qu’il fasse des efforts, il le sait. Qu’il se reprenne, qu’il redevienne le jeune homme qu’il était, présent pour son meilleur ami, avant que tous ses efforts ne s’envolent en fumée parce qu’il a baissé sa garde.

Une fois de plus Esteban ne gère pas bien ses émotions et laisse Tristan penser qu’il est fâché. Il ne l’est pas pourtant, et ce n’est d’ailleurs pas le terme qui décrit précisément la situation. Esteban est frustré plus qu’il n’est fâché en réalité. Contrarié peut être, mais pas par Tristan. Ce sont tous ces sentiments, toutes ces émotions qui se bousculent dans son cœur qui le contrarient. Esteban aimerait que les choses soient simples, qu’elles soient dites aussi, mais si Tristan ne s’ouvre pas à lui, il ne saura jamais exactement sur quel pied danser. L’incertitude, c’est ce qui le fatigue dans toute cette situation, car cela ne l’aide pas à se comporter correctement avec Tris. Il aimerait savoir quoi faire Esteban. Est-ce qu’il est déçu de s’être potentiellement trompé ? Déçu que Tristan lui mente effrontément ? L’émotion semble correspondre aux deux cas de figure possible et c’est sans doute ce qui explique cette déception sur ses traits. Une chose est sure, il ne sent pas soulagé par cette conversation. D’ailleurs, aucune des conversations récentes qu’il a pu avoir avec Tristan n’a réussi à lui calmer l’esprit et il ne peut pas s’empêcher de s’imaginer qu’il y a une raison à ça. Peut être qu’il se fait des idées et qu’il est celui qui a développé des sentiments étranges pour Tristan, mais si c’est le cas il ne comprend pas bien ce que vient faire Noah dans cette histoire.

- Je ne suis pas fâché, j’ai juste l’impression que tu ne me dis pas vraiment ce que tu penses, ou alors c’est moi qui devient taré, mais bon... Anyways, tu n’as rien fait et on devrait changer de sujet, c’est mieux je crois...

Tristan est attristé par la réaction d'Esteban, mais ce n'est pas de la faute de son meilleur ami, c'est de sa faute, à lui, purement et simplement. Il ne devrait pas lui mentir ainsi. En tant que meilleur ami, il devrait lui dire la vérité, et rien d'autre. Il devrait lui permettre d'accéder à ses ressentis. Mais une fois la vérité affirmée, comment Este se sentirait ? Tristan ne parvient pas à trouver la réponse à cette question, et c'est ce qui le bloque indéniablement. Il a l'impression qu'il ne trouvera jamais d'issue à ce problème et qu'Esteban risque de finir par lui en tenir rigueur - d'autant plus s'il est persuadé que les informations qui lui ont été révélées sont la vérité. Il baisse les yeux et soupire un peu, jouant nerveusement avec ses mains pour tenter de dissimuler son trouble et son stress, ce qui ne marche sans doute pas. L'espace d'un instant, il est sur le point d'avouer la vérité à son meilleur ami, de tout lui dire, de lui demander pardon et de s'enfuir en courant - mais les mots ne passent pas ses lèvres. Son courage est moins rapide qu'Este, qui reprend la parole pour balayer la conversation d'un revers de la main. Le coeur de Tris cogne la chamade dans sa cage thoracique.

- D'accord..., il finit par lancer, soulagé à l'idée de parler d'autre chose - et en même temps, il n'est pas sur que la conversation serait bien naturelle. Tu as hâte d'aller passer le week-end au Chalet ? il demande - lui n'a pas vraiment hâte, mais il ne pouvait décemment pas refuser l'invitation de Noah devant tout le monde - cela aurait fini par éveiller les soupçons.