In Between

la MD-97S : 23h34

– Je vais être crevé pour le boulot demain.
– Je ne pensais sincèrement pas que ma mère nous garderait aussi tard, je suis désolée mon coeur, répondit Alice en caressant la nuque tendue de Mark, l’homme étant au volant de leur Lexus NX 300h.  
– Le côté pratique, c’est qu’à cette heure-ci, il n’y a pas grand-monde sur la route.

Alice sourit tendrement à son mari.

– Au moins, Ellie dort et ça, c’est cadeau.
– Et dire que Tim est moins compliqué…

Cette fois-ci, Alice éclate d’un rire franc avant de poser une main sur sa bouche pour ne pas réveiller leur fille assoupie à l’arrière. Mark tourne la tête pour lui sourire mais Alice pousse un cri. Les secondes suivantes ne sont que des bruits de mécanique, grincements de pneus et froissement de tôle.

NEW YORK : 2h30

Ce sont les vibrations de mon iPhone sur la table de chevet qui me réveillent. Je sens Aleksej contre moi, profondément endormi. C’est en grognant, contrariée, que j’attrape le téléphone avant de plisser les yeux devant l’écran beaucoup trop lumineux à mon goût. Le numéro affiché ne me parle pas mais par acquis de conscience, je décide quand même de répondre.

– Lazzari, dis-je, la voix encore ensommeillée.

Les mots que j’entends n’ont aucun sens. On me parle d’accident de la route sur la MD-97 S, d’une Lexus appartenant à Mark qui a été percutée par un pick-up, du Mercy Hospital… Je ne comprends rien jusqu’à ce que la femme au téléphone m’explique que je suis le contact d’urgence sur le téléphone portable qu’elle a trouvé : celui d’Alice.
Je me redresse brusquement dans le lit en allumant la lampe de chevet sans faire attention à Aleksej qui dort. Ou qui dormait, je ne sais plus. Je n’arrive plus à réfléchir correctement.

– Les enfants, où sont les enfants ? dis-je, maintenant en alerte maximale.

La voix au téléphone m’explique qu’il faut que je vienne au Mercy Hospital au plus vite. Il n’en faut pas plus pour que je raccroche et que je quitte le lit en hâte. C’est à peine si je parviens à trouver mes vêtements, je ne sais même pas ce que j’enfile. Tout ce que je sais c’est qu’il faut que j’aille au Mercy le plus rapidement possible.

In Between

Aleksej avait le sommeil plutôt lourd. Une fois enlacé dans les bras de sa chère et tendre, il tombait généralement comme une pierre pour ne se réveiller qu’au petit matin. Il ne se réveilla pas directement quand Solveig décrocha son téléphone au milieu de la nuit, un vague grognement s’échappa de ses lèvres quand il la sentit se détacher de lui. Il ne réagit pas plus quand la jeune femme alluma la lumière. C’est l’urgence de sa voix qui l’avait sorti de son sommeil. Comme un branle-bas de combat dans tout son être.

Le Danois s’était redressé de tout son séant l’œil affolé. Solveig était déjà hors du lit et l’expression de son visage angoissée, l’agitation de ses gestes confortèrent Aleksej dans ses inquiétudes. La jeune femme essaya tant bien que mal d’aligner les mots les phrases pour lui expliquer la situation. Dans l’esprit d’Aleksej, les mots accident... voiture... Alice et Mark... résonnaient dans un écho tonitruant. Il enfila rapidement un jean et un pullover sans un mot. Il précéda la jeune femme dans l’entrée enfila ses chaussures et attrapa leurs vestes ainsi que les clés de la voiture.

Il avait pris le volant de la Tesla. Pas question de laisser Solveig rouler. À cette heure-ci la route était dégagé et le traffic fluide. Sans un mot, il prit sa main dans la sienne et le trajet se déroula en silence. À l’approche du Mercy Hospital, il sentit les doigts de la jeune femme se crisper contre les siens. Arrivés à l’entrée de l’établissement, Solveig était plus agitée, presque frénétique. Il tint sa main avec un peu plus de fermeté et l’entraîna à sa suite. Il ne savait que trop bien comment étaient organisés les services hospitaliers.

Au service des urgences, on prit leurs noms et coordonnées et on leur demanda de patienter dans la salle d’attente. Aleksej se frotta le visage et baissa le regard sur sa femme qui semblait désemparée. Il attira Solveig contre lui et caressa doucement ses cheveux avant d’embrasser sa tempe.

“Ils sont pris en charge par des professionnels.”

Il n’était pas capable de lui prodiguer des paroles plus réconfortantes. Aleksej exécrait les hôpitaux. Seule l’adrénaline qui l’avait réveillé un peu plus tôt le tenait encore à l’écart de ses vieux démons. Malgré tout il serait là pour elle. Ils se l’étaient promis, les yeux dans les yeux, en s’échangeant leurs vœux. Et ce serment-là, il n’était pas près de le rompre.

In Between

Rien ne va. Rien n’a de sens. Le trajet jusqu’à Mercy Hospital ne me donne même pas l’opportunité de comprendre ce qui m’a été dit par téléphone. Comment est-il seulement possible que Mark et Alice aient été en voiture à une heure pareille ? Mark se couche à l’heure des poules, nom de Dieu ! Tout le monde sait ça ! Il est juste impensable qu’il ait pu être au volant en pleine nuit.

Je ne contrôle plus rien. Tout ce que je sais, c’est qu’à un moment donné, j’entends Aleksej donner nos coordonnées à quelqu’un qui travaille aux Urgences. On nous dit de patienter. Enfin je crois que c’est ce qu’on nous dit de faire, je ne suis pas sûre. Là encore, tout ce que je sais c’est qu’Aleksej me prend dans ses bras et qu’il cherche à me rassurer. Mais pourquoi faire ? Ca ne peut pas être Mark et Alice puisque Mark se couche avec les poules !

Pour l’instant, je ne préviens pas William. Pourquoi est-ce que je ferai une chose pareille sachant que tout ceci est impossible et qu’il y a erreur ? Plus j’y réfléchis et plus je me dis qu’Alice s’est faite voler son téléphone portable pendant le week-end et que c’est le ou la voleuse qui a eu l’accident de voiture. Tout le monde conduit en Lexus, je ne vois pas pourquoi ce serait leur voiture à eux. Près de 300 000 véhicules de cette marque ont été vendus en 2019 sur le territoire américain. Il y a donc une chance sur 300 000 pour que ce soit mes meilleurs amis. Autant dire que j’ai plus de chance de gagner au Loto.

– On devrait jouer au Loto la semaine prochaine, dis-je d’une voix neutre alors que je suis toujours dans les bras du Danois.


Impossible pour moi de dire après combien de temps quelqu’un vient finalement nous voir avec l’air le plus sombre que j’ai jamais vu. Ah, voilà ! Ils viennent de réaliser leur erreur et ce ne sont pas mes amis qui ont eu cet accident.

– Vous êtes là pour la famille Porter ?
– Les erreurs, ça arrive vous savez, Docteur.
– ....
– On va rentrer et je vais prévenir Alice qu’elle a perdu son portable. Enfin non, elle le sait forcément mais-
– Madame, je suis navré mais il y a un malentendu.
– Un malentendu ! Oui, voilà, c’est ça ! Je relève la tête vers mon mari et dis : “On rentre maintenant ?”
– Madame, Mr et Mme Porter sont décédés.

Et là, c’est le vide. Le néant.

In Between

Le visage appuyé contre la tête de Solveig, Aleksej tentait de se concentrer sur l’odeur de la jeune femme, sur le mouvement de sa respiration, là contre lui. Il ne pouvait pas laisser son esprit vagabonder. Chaque seconde s’égrenait à une vitesse anormalement lente. Son visage était de marbre malgré l’intuition qui lui bouffait les tripes. Tout ça lui semblait bien trop familier. L’intensité des éclairages, le son des portes coulissantes qui s’ouvraient et se refermaient. Et malgré le calme, ce vrombissement constant. Le Danois se concentrait sur sa respiration. Dedans, dehors. Ses doigts continuaient de caresser machinalement les cheveux de Solveig malgré la saugrenuité de sa réflexion.

Au moment où on les interpelle finalement, Aleksej releva la tête. La blouse blanche, le stéthoscope, la manière dont l’homme tenait ses mains contrites. Sa mâchoire se serra. Il n’avait fallu qu’un seul regard pour qu’il comprenne que son intuition avait été la bonne. À l’arrivée du médecin, Solveig s’était détaché de lui avec une avidité qu’il savait n’avoir rien à avoir avec lui. Ses yeux humides observaient la jeune femme dans son élan d’incompréhension. Un dernier élan d’espoir. Lui savait qu’il s’était envolé. Depuis longtemps il savait qu’il ne servait à rien de s’y raccrocher. Le plus dur était de le voir persister dans le regard de la femme qu’il aimait. Et se briser. Aussi violemment qu’un projectile lancé à plusieurs centaines de kilomètres heure heurterait un mur. Aussi violemment qu’une collision entre deux voitures.

L’expression navrée de son visage ne suffisait pas à exprimer ce qu’il ressentait. Il fallait pourtant rester fort. Parce que malgré la peine infligée par cette annonce, malgré l’injustice de cet évènement, c’était pour elle que son cœur saignait. Sur elle que toute son inquiétude se portait. Il fit un pas vers elle, mais pas plus. Solveig avait toujours eu besoin de conserver son propre espace, d’assimiler les choses seule. C’est elle qui viendrait à lui, au besoin. Il se contentait d’être là. Assez proche tout de même pour qu’elle sente sa présence. Quand elle releva la tête vers lui, les mots restèrent étranglés dans sa gorge.

“Je suis désolé…”

In Between

Je suis navrée mais cela n’a toujours pas de sens. Il y a des Porter partout sur le territoire américain et je suis sûr de moi quand je dis qu’Alice et Mark ne sont pas les seuls à s’appeler comme ça dans le coin. Ce n’est tout bonnement pas possible.

– Vous ne comprenez pas, c’est impossible. Je dois appeler Mark, il va tout vous expliquer, dis-je en attrapant mon iPhone et en composant le numéro de mon ami. “Réponds. Allez, réponds Mark. Me lâche pas…”


Mais personne n’a jamais répondu. Personne.
Après ça, je ne me souviens pas de grand-chose. Je crois m’être tournée vers Aleksej et m’être laissée choir contre lui. Je ne voyais pas quoi faire d’autre à l’instant T. Et puis, je crois qu’on nous a dit de prendre tout le temps dont on aurait besoin, qu’une assistante sociale s’occuperait des enfants.

Impossible de dire combien de temps je suis restée assise aux côtés d’Aleks. Je n’ai pas prononcé un mot parce que je n’y parviens pas. Je ne comprends rien à ce qu’il se passe si ce n’est que je viens de perdre mes amis. Alice. Alice est était comme ma sœur. Que suis-je censée faire maintenant qu’elle n’est plus là ?

– Il faut appeler Will, dis-je à Aleks sans même le regarder. Je n’arrive plus à regarder qui que ce soit dans les yeux. “Tu peux le faire, s’il te plait ?” Je ne reconnais même pas le timbre de ma voix, on croirait un robot. Comme si je fonctionnais par...automatisme.

In Between

Il lui avait fallu encore un certain temps pour que l’évidence devienne une réalité pour Solveig. Il la serra longuement dans ses bras sans ajouter quoi que ce soit. Il ne pouvait pas laisser libre court à ses propres émotions. Il fallait qu’il soit là pour elle, qu’il la soutienne. Il avait déjà failli à la tâche une fois, il ne permettrait pas que cela se reproduise. Alors son esprit c’était emmuré comme il l’avait fait pendant tant d’années. Hermétique à la douleur. À tout le reste également.

Ce n’est qu’au bout d’un certain temps qu’elle reprit finalement la parole. Appeler Will. Cela semblait logique. Alice et Mark étaient ses amis de toujours. C’est par le billet de Mark que tout ce petit monde avait fait connaissance. Il acquieça et s’écarta doucement d’elle non sans une certaine réticence. Il ne voulait pas la laisser seule même si ce n’était que le temps de passer un coup de fil. Et puis il n’était pas sûr d’être la personne la mieux placé pour annoncer cette nouvelle au policier. Mais il savait qu’elle ne lui faisait pas cette demande par facétie.

Il s’écarte de la salle d’attente et trouva un coin dans un couloir où il serait au calme. Tout en cherchant le numéro de William dans les contacts de son téléphone, Aleksej se mâchouillait la lèvre inférieure nerveusement. Il inspira profondément en approchant l’appareil de son oreille. La sonnerie retentit à plusieurs reprises. Après un certain temps d’attente, Aleksej était prêt à raccrocher. À cette heure-ci, l’Irlandais devait être couché ou alors en patrouille. Mais le policier décrocha finalement.

Aleksej s’excusa mais il ne passa pas par quatre chemins. D’une voix calme et posée, il expliqua à William ce qu’on lui avait expliqué précédemment. Il présenta ses condoléances. Il était profondément navré. Pour lui, pour Solveig. Pour Alice et Mark bien évidemment. Et pour les enfants. Une fois le téléphone raccroché, Aleksej s’adossa au mur quelques secondes et se frotta le visage des deux mains. Les enfants. Ils étaient si jeunes. Ellie et ses yeux d’ange, Tim et son sourire de petite crapule. Sa poitrine se serra. Les enfants étaient dans la voiture… Des flashs jaillissaient dans son esprit. Les phares du camion qui l’éblouissait. Ses poitrine se serra. Quand un interne lui posa la main sur l’épaule pour vérifier que tout allait bien, Aleksej réalisait qu’il se tenait appuyé les mains contre le mur, la sueur coulant le long de sa nuque.

Il se redressa et prit une grande inspiration pour reprendre un peu de contenance. Il fallait qu’il se reprenne. Une fois de retour dans la salle d’attente, il avait retrouvé sa droiture et sa prestance. Il vint se rassoir à côté de son épouse et passa un bras autour d’elle avant de déposer un baiser sur sa tempe. La nuit allait être longue. Tout comme la journée qui suivrait. La semaine. Le mois. Peut-être même l’année.

In Between

Maintenant que Morgana commence à retrouver une certaine mobilité et à se sentir mieux physiquement, j'ai décidé de retourner au travail. J'en avais besoin, pour reprendre un rythme qui me faisait moralement beaucoup de bien. Reprendre le travail, c'est aussi reprendre des horaires parfois décalés. Ce soir, je suis sur le terrain, mais à cette heure-ci, je m'apprête à rentrer chez moi. Je suis éreinté, car je suis au travail depuis ce matin. Je n'ai qu'une hâte, me glisser sous les draps de mon lit et me blottir contre Morgana. Jamais je n'aurais imaginé que la nuit serait si longue.

Alors que je sors des locaux du NYPD, de la section de Manhattan, la nuit a déjà débuté. L'automne a pointé le bout de son nez et les températures ont déjà clairement chuté. Mais j'adore cette saison. L'odeur n'y est plus la même - bien que moins prononcé qu'à la campagne. Les couleurs non plus. Tout paraît plus calme cette nuit. Je porte une cigarette à mes lèvres, l'allume puis m'étire. Je souffle une longue traînée de fumée lorsque je sens mon téléphone portable sonner dans la poche arrière de mon jeans. Je l'attrape de ma main libre - car l'autre tient mon casque de moto. Mes yeux bleus découvrent avec étonnement le nom d'Aleks sur l'écran. Mes sourcils se froncent. Pourquoi cherche-t-il à me joindre à cette heure-ci ? D'un coup, mon cœur loupe un battement. Qu'est-il arrivé à Solveig ? Je décroche enfin, ayant trop traîné pour cela, sans m'en rendre cependant compte, avec la peur au ventre. On n'appelle jamais les gens à cette heure-ci pour donner de bonnes nouvelles.

Et là, c'est un monde qui s'effondre. Le mien. Celui d'Alice et de Mark. Celui de Solveig. Je peine à comprendre ce que le danois tente de me dire avec le plus grand calme du monde. Au début, je pense à une blague. Mais qui plaisanterait sur un tel sujet ? Personne. Et encore moins Aleksej Svendsen. L'adrénaline me saisit, autant que l'horreur se lit sur mon visage. Je n'ai prononcé aucun mot autre que :

- J'arrive.

Je raccroche, jette ma cigarette et enfourche ma moto pour prendre immédiatement la route du Mercy Hospital. L'adrénaline, l'angoisse et la tristesse qui m'assayent me font prendre des risques. Je roule vite dans les rues newyorkaises, slalome entre les voitures. C'est tellement stupide, puisque qu'Alice et Mark sont décédés. Je peux arriver le plus vite possible, ce fait ne changera pas. Quand je pense à cela, mes mains se ressèrent sur les poignées du guidon de ma moto. J'ai envie de hurler ma rage, de botter le cul de Mark de m'avoir abandonner de la sorte, de crier contre Alice pour avoir quitté ce monde ce soir avec l'homme de sa vie.

Quand j'entre dans le Mercy Hospital, peu de temps s'est écoulé depuis le coup de téléphone d'Aleks. Un frisson parcourt m'a colonne vertébrale, remontant dans ma nuque pour mourir sur le sommet de mon crâne, lorsque mes yeux bleus se posent sur Solveig. Dans ma main, je tiens toujours mon casque de moto. C'est à ce moment là que je prends réellement conscience de ce qu'il se passe. Mark et Alice sont décédés. Prononcer ces mots, dans mon esprit, ça me détruit. Je croise le regard du couple et les larmes coulent le long de mes joues. Mon casque de moto tombe au sol dans un bruit sourd. Je passe mes mains dans mes cheveux. Je serre les poings avec tant de force que je me fais mal. J'ai envie de hurler, de donner un violent coup dans le mur, mais mes forces m'ont quitté. Je me laisse alors glisser, dos au mur, jusqu'au sol. Je dois me réveiller de ce cauchemar.

In Between

La vie a parfois un goût amer. Et cette amertume n’a de cesse de me prendre à la gorge depuis ce qui me semble être des heures. Je ne suis même pas en mesure de dire depuis combien de temps nous sommes à Mercy’s Hospital. Tout ce que je sais c’est que quand j’entends la voix de Will qui m’interpelle, je me tourne, je le vois et je m’effondre de nouveau. Il fait de même, à distance.
Je sais au fond de moi qu’il faut que j’aille lui parler, que je lui dise quelque chose, n’importe quoi mais je n’arrive même pas à marcher. Il va pourtant bien falloir que je me remette, ça aussi je le sais mais tout me paraît insurmontable actuellement. Dieu merci, Aleks est là et me soutient (littéralement) autant que faire se peut.

– Madame Lazzari ? Solveig Lazzari ?

Je me tourne avec une vivacité étonnante vers la voix qui vient de m’interpeller. Il s’agit d’un homme d’une quarantaine d’années, grand, habillé d’un costume qui a dû lui coûter plus de $1000. Comment je le sais ? On s’en fiche, ça n’a pas la moindre espèce d’importance.

– C’est moi, dis-je en ravalant mes larmes.
– Je me présente, Victor Langan. L’hôpital m’a appelé suite au décès de Monsieur et Madame Porter.

Victor Langan. Je connais ce nom. Pourquoi connais-je ce nom ?

– Vous travaillez avec le bureau de Manhattan.
– Je suis dans le New Jersey maintenant mais je connaissais bien Alice.

Voilà d’où je le connais. Alice et lui avaient déjà travaillé sur des affaires en commun.

– Qu’est-ce que je peux faire pour vous ?
– Vous êtes signataire de la mise sous tutelle des enfants, Elizabeth et Timothy Porter.
– Je vous demande pardon ?
– J’ai des documents signés de votre main concernant les enfants d’Alice si quelque chose venait à lui arriver.
– Monsieur Langan, avec tout le respect que je vous dois, je ne comprends pas de quoi vous me parler. Je n’ai pas souvenir d’avoir signé de-
– Avril 2010, vous avez signé une déclaration officielle de mise sous tutelle des potentiels enfants d’Alice et Mark Porter si ces derniers venaient à disparaître.

Oh mon dieu. Mon premier réflexe est de me tourner vers William. Si j’ai signé ça, alors lui aussi. Forcément.

– Quelle date vous avez dit ?
– Avril 2010. Le 3 avril 2010 pour être tout à fait exact.

– Signe et tais-toi.
– Non mais c’est n’importe quoi, Al. Comme s’il allait vous arriver un truc ! Vous êtes les gens les plus sérieux que je connaisse ! Et puis, vous n’avez même pas encore de mômes.
– Sol, s’il te plaît. On ne sait jamais, d’accord ? Tu me connais, c’est mon côté prévoyant.
– Donc toi, tu te dis que si tu venais à passer l’arme à gauche, c’est à moi que tu confierais tes enfants ? A moi alors que mon mec m’a quitté l’année dernière ? A moi qui me noie littéralement dans le boulot pour oublier ? T’es pas sérieuse.
– Tu es ma meilleure amie, la personne en qui j’ai le plus confiance sur cette Terre avec Mark. Alors oui, c’est à toi que je demande ça.

In Between

Aleksej ne savait pas combien de temps au juste il s’était passé entre son appel et l’arrivée de William. Dans des situations comme celle-ci, la notion de temps devenait plus abstraite. Pas un mot n’avait été échangé depuis qu’il était revenu s’assoir auprès de la jeune femme. Il savait qu’aucune parole ne pourrait apaiser le choc. Il se contentait d’être là, espérant que Solveig en tirerait une once de réconfort. C’était son rôle à présent. Être là pour la soutenir. En prononçant ses vœux, il aurait simplement pensé que le meilleur viendrait avant le pire. Cette pointe de naïveté qui refaisait surface de temps à autre venait d’être balayée. La vie ne faisait pas de cadeau. Jamais.

C’est seulement quand Solveig fit mine de se mouvoir que le Danois prit conscience de la présence de l’Irlandais. Mais s’en était trop pour la brunette. Il la sentit vaciller et raffermit son étreinte. Son regard se posa un instant sur le policier. Il était également désolé pour lui. Mark était son meilleur ami, comme un frère. Malgré toute l’empathie qu’il pouvait éprouver pour lui, sa place était auprès de Solveig. Ces deux-là auraient besoin de temps, il ne le savait que trop bien.

Aleksej fronça les sourcils quand on les interpella de manière impromptue. Du moins, c’est Solveig qu’on avait désigné. Il n’eu pas besoin que l’homme se présente pour y reconnaître là un avocat. Il pouvait les sentir. La posture, le costard, le ton de la voix. Il reconnaissait toujours les professionnels de sa branche. Comme si tous les avocats New-Yorkais sortaient du même moule. Ce qui n’était pas tout à fait faux. Ce genre de postures, il les adoptait aussi. Défaut professionnel oblige, le Danois s’était redressé de toute sa stature.

Comme s’il y avait deux hommes dans le même corps. Deux personnalités bien différentes. Il y avait Aleksej. Et il y avait Maître Svendsen. Substitut Svendsen. En apprenant la raison de la présence du M. Langan, son esprit marqua un léger blanc. Et alors que Solveig tentait de démêler la conversation, il tendit la main pour saisir le porte-document que l’homme tenait entre ses pattes. Il parcouru rapidement la première page, puis celles qui suivirent. Il reconnaissait bien là le caractère organisé et déterminé d’Alice.

“Les membres de la famille ont-ils été informés ? Les parents d’Alice et Marc ?”

Tout papier qu’elle ait pu signer il y a dix ans, Solveig n’était pas directement liée aux enfants. La mise sous tutelle donnait à la jeune femme une voix au chapitre. Mais c’était les services sociaux qui finirait par prendre une décision. Et ces dossiers n’étaient jamais simples. Surtout en cas de décès où venaient soudain s’ajouter aux enfants les valeurs du patrimoine.

Quoi qu’il en soit, à cet instant T, c’était elle qui avait autorité. Et le plus important à présent était de ne pas laisser les enfants seuls et de les sortir de cet hôpital. Il faudrait mettre la peine de côté, ravaler ses larmes. Comment pouvait-on expliquer à une gamine de six ans que tout irait bien alors qu’elle venait tout juste de perdre ses parents dans un accident dont elle garderait probablement des séquelles à vie ?

“On nous a dit que les enfants avaient été emmenés pour des examens complémentaires. Est-ce qu’on peut les voir ? Est-ce que la petite sait ?”

Timothy était évidemment trop jeune pour pouvoir se rendre compte mais ce n’était pas un point sur lequel il voudrait parier. Il tendit le folder à Solveig avant de passer une main dans sa barbe fébrilement.

In Between

Croiser le regard de Solveig avait produit en moi un choc. Nous avions partagé bien des choses dans notre vie. Aujourd’hui, si nous restions des amis proches, tout semblait si différent. Pourtant, je me rendais compte à cet instant précis que nous allions à nouveau partager quelque chose en commun. Et ce quelque chose, n’est autre que le deuil de nos meilleurs amis. Un pan de notre passé en commun venait de se détruire. Un deuil en commun, à tristesse égale, où l’unique personne qui ne pourrait que comprendre notre peine et la partager, ne serait d’autre qu’Hayden.

Hayden… Je tiens mon téléphone dans mes mains. J’hésite à l’appeler. La boule dans ma gorge la rend sèche. Ma voix en demeure fébrile. J’hésite. Ne devrais-je pas attendre le lendemain matin ? Connaissant Hayden, à cette heure-ci, il doit être en train de dormir après avoir fait la fête et fumer un joint. A croire que, finalement, il n’a jamais pris en maturité. Son côté, encore adolescent et « sans attache », nous a toujours poussé à le protéger, à faire plus attention à lui qu’aux autres. Cette nouvelle va le dévaster. Et je ne suis pas en mesure de prendre soin de lui, là, maintenant, tout de suite. Mieux vaut attendre demain, quand j’aurais tenté de me forger une carapace solide pour faire face à cet évènement.

Je sors de mes pensées quand un homme s’approche de Solveig. Il n’a pas besoin de se présenter. Je devine sans difficulté qu’il s’agit d’un avocat. Et si je sais les reconnaître avec tant de facilité, c’est parce que j’ai partagé longtemps ma vie avec l’une d’elles et j’ai longtemps côtoyé des personnes travaillant dans le droit. Comme Alice, par exemple. Alice. Je ravale mes larmes et laisse l’arrière de ma tête se caler contre le mur froid, tandis que j’écoute la conversation en fixant le plafond. Si je me tiens à plusieurs mètres de Solveig et d’Aleks, le silence prédominant ne peut que me permettre de comprendre chacun des mots prononcés par cet homme.

Une mise sous tutelle des enfants. Je n’étais pas au courant que l’italienne avait signé un tel papier. Et visiblement, elle-même ne s’en souvenait plus. Avril 2010. A cette époque, cela faisait plus d’un an que Solveig, Alice, Mark et Hayden n’avaient plus aucun signe de vie de ma part, alors que j’arpentais les terres afghanes dans une tenue de militaire. Oui, à cette époque, j’avais disparu des radars et ne faisais plus partie de la vie de chacun, malgré eux. Un comportement que mes amis m’avaient pardonné. Alice et Mark nous avaient même proposé d’être le parrain et la marraine d’Elizabeth, lorsque cette dernière se fit baptisée. A ce moment-là, Solveig et moi venions seulement de nous retrouver, persuadés que nous passerions le reste de notre vie ensemble. Comme quoi, personne ne peut savoir de quoi demain sera fait.

Je prends une profonde inspiration, me relève, sèche mes larmes d’un revers de la main rageur et m’avance vers eux. J’ai besoin, moi aussi, de m’assurer que les enfants vont bien. Je tourne la tête vers Solveig et l’observe un instant. Si nous éprouvons la même peine, nous ressemblons aux deux êtres les plus pudiques au monde pour céder à l’envie de se prendre dans les bras. Comme si ce côté tactile s’était envolé, avec tout le reste. Alors je me contente de murmurer :

- Je peux les prendre chez moi, si vous voulez.

Solveig n’est probablement pas prête pour devenir la tutrice des enfants. Personne ne le serait. Comment l’être quand, en quelques heures seulement, on apprend que ceux que l’on considère comme sa propre famille, viennent de mourir, et que l’on se retrouve à devoir prendre la responsabilité de deux orphelins ? Quelque chose me dit, cependant, que Solveig trouvera la force nécessaire pour faire face à cette situation.

In Between

Quand je l’entends dire qu’il peut prendre les enfants, je me tourne vers Will et lève une main vers l’homme.

– C’est bon, Will. Je m’en occupe.

Les deux hommes près de moi me connaissent suffisamment pour savoir ce qui est en train de se passer. Je suis en train de passer d’un état désespéré à un état “robotique”. Même si j’ai conscience que ce n’est pas une solution sur le long terme, cela suffira pour l’instant.Il faut que je pense à Ellie et son petit frère. C’est ce que voulait Alice.

– L’hôpital a décidé de les garder tous les deux en observation pour la nuit. Elizabeth Porter va bien si ce n’est qu’elle a quelques contusions. Le bébé quant à lui n’a rien, ce qui, au vu de la violence de l’accident, est un miracle.

Un miracle. Un miracle qui a coûté la vie à mes meilleurs amis, à deux des piliers de mon existence. A quel moment peut-on encore parler de miracle quand les fondations de votre vie commencent à vaciller ?

– Et pour répondre à votre question, oui, Elizabeth Porter sait.

J’ai envie de vomir. Comment ont-il annoncé à une enfant de cinq ans que ses deux parents sont morts et qu’elle ne les reverrait jamais ? Ont-ils pris des pincettes ? Ont-ils été brutaux dans leur annonce ?

– Langan, vous n’avez pas répondu à sa première question.
– Concernant les parents des victimes, la police est en train de faire son travail.

Je ferme les yeux un instant, espérant naïvement qu’on va me dire que tout ceci n’est qu’une vaste fumisterie, une blague, un test. Malheureusement, personne ne dit rien de tel autour de moi donc je finis par prendre mon courage à deux mains à et rouvrir les yeux. Il semble temps de faire face à une réalité qui me dépasse totalement.

– Il faut que je vois Ellie mais d’abord, je vais passer aux toilettes. Il ne faut pas qu’elle me voit dans cet état-là.

Au fond de moi, je sais ce que j’ai à faire. J’ai une mission et je ne fuirai pas.

– Will, est-ce que tu-

Je me tourne vers l’irlandais et le vois qui est littéralement en train de sombrer. Je lance un regard à Aleks pour lui faire comprendre qu’il faut que j’intervienne. Je suis dévastée, je ne comprends plus rien mais mes réflexes sont encore là. Voilà pourquoi je me détache du danois et fonce sur l’irlandais que je prends dans mes bras dans l’espoir de le réconforter un minimum.
L’un de mes bras entoure sa taille tandis que l’autre vient se perdre dans ses cheveux, pressant sa tête dans ma nuque. J’ai une mission et je ne laisserai tomber personne. Ni Aleks, ni Will et encore moins les enfants.

In Between

Les enfants allaient bien. Ils étaient hors de danger. Deux phrases qu’Aleksej se répétait en boucle dans la tête. Comme un mantra. Un point sur lequel fixer son attention. Toute son attention. Car il ne pouvait pas flancher. Pas une nouvelle fois. Il fallait qu’il se montre assez fort pour soutenir Solveig dans cette épreuve. Son visage ne montrait aucune expression et le Danois restait de marbre. Le masque d’impassibilité qu’il avait porté pendant tant d’années n’avait pas été long à ressurgir. Comme un mécanisme de défense. Seul son regard assombrissait ses yeux clairs.

Au moment où Solveig lâcha son étreinte, il n’y avait plus que le froid. Et la raideur. Il détestait les hôpitaux. Comme si son propre corps se rappelait alors même que son esprit faisait barrage. Il passa doucement une main sur ses côtes, son thorax. Les enfants vont bien. Ils sont hors de danger. Je n’étais pas dans cette voiture. Les enfants vont bien. Ils sont hors de danger. Les enfants vont bien...

S’il était choqué, triste, il savait que cela n’avait aucune commune mesure avec ce que pouvait ressentir Solveig ou même William. Il ne pouvait que tenter de l’imaginer. Il connaissait la douleur, la perte. Mais il était obligé de cloisonner ce genre d’émotions. De rester hors d’atteinte, au risque de se faire submerger. Il recula d’un pas, glissant ses mains dans ses poches et fixant son regard sur ses pieds. Ce qu’avaient partagé Solveig et William avec Alice et Mark, il ne serait jamais en mesure de le comprendre. Au moins cette fois, il avait pris le temps d’enfiler une paire de chaussures.

On les autorisa finalement à se rendre dans le service qui avait pris les petits en charge, non sans examiner précautionneusement leurs papiers d’identité. Aleksej leva les yeux au ciel quand on lui demanda s’il était en mesure de justifier qu’il était bel et bien l’époux de Mlle Lazzari. Son insigne de procureur adjoint avait suffi à ce qu’on ne lui pose pas d’autres questions. C’était la première fois qu’il se servait ainsi de son badge mais ce n’était probablement pas le moment de philosopher sur l’usage de son statut à des fins personnelles.

Arrivés devant la porte de la chambre de la fillette, il laissa d’abord entrer Solveig et William. C’était eux, les meilleurs amis d’Alice et Mark. Il resta planté sur le pas de la porte, incapable d’avancer plus en avant. Il pivota sur le côté et s’adossa au mur du couloir en inspirant profondément. La lumière, les odeurs. Tout cela lui était bien trop familier. Il expira tout aussi profondément et repris sa place, bras croisés, dans l’embrasure de la porte. Il fallait qu’il reste dans le champ de vision de la jeune femme. Il fallait qu’elle sache qu’il était toujours là.

In Between

Entendre l'homme nous expliquer que les enfants vont bien me décharge d'un lourd poids. Si je suis dévasté par le décès de mes meilleurs amis, j'en viens à remercier silencieusement un dieu auquel je ne crois pourtant pas, d'avoir protégé - ou épargné Elizabeth et Timothy. Et même si une part de moi est rassurée, mon visage est fermé, mon regard, lui, vide. Je serre les poings dans mes poches pour ne pas craquer. Je donnerais tout pour me réveiller et comprendre que je viens seulement de faire un cauchemar. Mais tout autour de moi est bien réel. Aucun détail étrange qui me prouverait que je rêve. Non. Ce drame, nous le vivons bel et bien. Et je me sens impuissant, triste et en colère. Je suis, en somme, dévasté.

Je ne comprends pas tout de suite ce qu'il se passe quand Solveig fond sur moi et me prends dans ses bras. C'est comme si, jusqu'alors, mon esprit s'était éteint. C'est son parfum qui me tire de mes pensées et me font prendre conscience de son étreinte. Et là, sans que je ne puisse rien contrôler, je fonds en larmes en passant mes bras autour d'elle. Solveig ne m'a que très rarement vu pleurer, car je déteste montrer un tel moment de faiblesse. Mais là, je m'en fiche. Mark et Alice viennent de mourir. Ma gorge me fait atrocement mal. Mon cœur est serré à l'extrême. J'ai même le sentiment de ne plus parvenir à respirer parfaitement. Alors je pleure, contre celle qui comprend ma tristesse, la mort dans l'âme.

Solveig et moi avons toujours été différents sur bien des points. Éprouver et montrer nos sentiments restera probablement la plus grande. Là où l'italienne est capable de se construire une carapace et faire comme si rien ne pouvait l'atteindre, pour ma part, je suis incapable de cacher ce que je ressens. Je suis un piètre menteur. Si quelque chose m'agace, me rend triste, heureux ou euphorique, mon visage l'exprime avec aisance. Et à côté de cela, j'ai toujours eu l'impression de ressentir mes émotions de manière intense, ce que j'ai toujours vu comme un défaut. Car si un rien est capable de me rendre terriblement heureux, cela signifie qu'à contrario, ma colère peut être décuplée. On a toujours mis cela sur le compte de mon impulsivité, du fait que j'ai toujours été d'une grande sincérité. Pour ma part, j'ai juste l'impression d'être hypersensible. Il n'y a qu'à voir l'état dans lequel j'ai pu me mettre lorsque mon histoire avec Solveig a pris fin. J'aurais vraiment pu en crever.

- Laisse-moi deux minutes… , murmurais-je à Solveig alors que séchais mes larmes et faisais les cent pas en prenant une profonde inspiration pour tenter de reprendre une contenance avant de voir les enfants. Il était primordial que nous puissions les soutenir, et ce n'était pas en s'effondrant de cette manière, que nous y parviendrons. Non, je ne sais pas mentir. Mais je peux faire d'incroyables efforts pour des enfants.

Quelques temps plus tard, quand Solveig fut également prête à affronter le regard de notre filleule, que nous nous dirigeâmes vers la chambre où elle se trouvait. Quand nous entrâmes, ce fut pour découvrir une fillette de cinq ans, apeurée et en pleurs par tout ce qui venait de se produire. Quand elle nous vit, elle fondit de nouveau en larmes et fonça dans nos bras en sanglotant. Je me fis violence pour qu'aucune larme ne trahisse ma peine. Je laissais la fillette dans les bras d'Ellie et me dirigeais vers Tim pour m'assurer que lui non plus n'avait rien. Je pris le bambin contre moi et il suffit d'un simple regard à Aleks et à Solveig pour qu'ils comprennent qu'il était hors de question que je les laisse seuls, ici, toute la nuit, alors qu'Elizabeth était effrayée et que son petite frère le ressentait sans comprendre néanmoins la situation.

Je m'étais dirigé vers Aleks. Sa détresse ne passait pas inaperçue. Et s'il connaissait moins que nous Alice et Mark, je le sentais triste pour celle qui était devenue sa femme. Et j'imaginais à quel point sa présence ici lui coûtait et lui rappelait des souvenirs atroces. Alors, sans chercher à discuter de cela, je lui fis seulement comprendre, d'une main compatissante sur l'épaule, que nous appréciions probablement tous sa présence ici, en ces circonstances. Oui, probablement tous car Tim lança des :

- Al, Al. , joyeux en lui adressant son plus beau sourire et en tendant ses bras vers lui. Je le laissais donc aller dans ses bras, en esquissant un triste sourire. Oui, car à un an et demi, il était beau de constater que le petit garçon ne se rendait absolument pas compte que tout son monde venait de se casser la gueule. Il venait de tout perdre, à l'exception de sa grande sœur. Mais pour lui, tout allait bien, bien qu'il montrait une certaine agitation, dûe à l'état psychologique d'Elizabeth qu'il ne comprenait pas.

In Between

– Soli ! crie Elizabeth à peine ai-je passé le pas de la porte. Je ne cherche pas à comprendre et fonce sur la petite que je prends dans mes bras en prenant garde à ne pas la blesser. Elle s’en sort extrêmement bien mais je ne suis pas prête à prendre le risque de lui infliger quoique ce soit à cause d’un trop grand élan de ma part.
– Ça va aller ma puce, ça va aller.

Je n’ai jamais aussi mal menti de ma vie. Bien-sûr que non, ça n’ira pas. Elle vient de perdre ses deux parents dans un accident de la route traumatisant auquel elle a assisté. Dieu sait ce qu’elle a pu voir dans cette voiture. Je n’ose imaginer bien qu’il me faudra poser la question aux médecins pédiatriques à un moment donné.

Ce n’est que quand j’entends son petit frère s'exclamer que je lève la tête pour voir Aleksej prendre Tim dans ses bras. Il a vraiment ça dans le sang… Un vrai père. Comme William. Nul besoin de dire qui fait tâche dans la photo, on sait tous que c’est moi. Je n’ai jamais été très douée avec les enfants même si ces derniers semblent m’apprécier pour une raison qui me dépasse encore.
– Soli ?
– Oui, Ellie ?
– Je veux maman.
Mes yeux se ferment à l’écoute de ces quelques mots. Ils me broient le cœur. Je sais qu’elle sait mais cela ne rend en rien les choses plus évidentes pour quiconque dans cette pièce. Je n’ose imaginer le nombre de fois où je vais devoir lui répéter la même chose.
– Ellie… je suis tellement désolée, ma puce.
– Tu peux la ramener, s’il te plaît ?
– Je ne peux pas ramener maman, je suis désolée.

Incapable d’en dire davantage, je tourne la tête vers les deux hommes qui, eux, nous fixent. J’ai besoin d’aide et j’espère du plus profond de mon être que l’un deux saura faire quelque chose. Tout se bouscule dans mon esprit. Comment suis-je censée être leur tutrice si je ne suis même pas fichue de soulager la peine d’Ellie ?

In Between

En sentant la main de Will venir se poser sur son épaule, Aleksej ne pu se résoudre à lever les yeux vers lui. Il ne se sentait pas capable de soutenir son regard, de faire face à cette peine qui les submergeait tous. Il fallait qu’il garde le contrôle. Il releva néanmoins la tête en entendant les balbutiements du bambin. En apercevant le petit garçon qui lui tendait les bras, son visage se dérida en une expression de désarroi. Il mordit sa lèvre inférieure. S’il était capable de rester à l’écart des adultes, de se tenir à distance, jamais il n’aurait pu refuser une étreinte à un enfant. Peu importe ce que cela pouvait lui coûter.

Tim se lova au creux de sa poitrine et le Danois l’enlaça de ses grands bras. Il embrassa tendrement son front tout en caressant doucement l’arrière de sa tête. Il pouvait sentir la chaleur de ce petit être contre lui. Tout naturellement, il s’était mis à la bercer contre lui. S’il avait dû raccrocher le wagon de la petite clique qu’avaient formée Solveig et ses amis, du moins était-il déjà là à la naissance du petit garçon. Et si Alice avait déjà pris pour mission d’intégrer Aleksej et de le prendre sous son aile, l’affection qu’il portait à ses enfants les avaient indéniablement rapprochés.

Si son attention s’était attardé quelques secondes sur le petit garçon, le Danois ne pouvait ignorer les réclamations de la petite fille. Il croisa alors le regard de Solveig. Sa femme, si forte. Et si vulnérable aussi. Il se décida à passer le pas de la porte pour venir la rejoindre. Il passa sa main dans la nuque de la jeune femme avec douceur, mêlé d’un brin de fermeté. Il s’accroupit finalement, non sans s’assurer de garder l’équilibre en posant un genou à terre. Son corps de quarantenaire n’était plus habitué à évoluer aussi souplement un bébé dans les bras.

Il vint poser sa main sur la joue de la petite fille, ses longs doigts englobant presque la moitié de son visage. Du bout du pouce, il essuya le reste d’une larme qui avait coulé le long de son nez et lui sourit aussi sincèrement que la situation le lui permettait. Rien ne serait facile. Mais il avait toujours mis à point d’honneur à ne pas mentir, encore moins à un enfant. Il pouvait faire cela pour Solveig.

“Le monsieur est venu t’expliquer, oui ?” La petite acquiesça sans rien dire, Aleksej prit une profonde inspiration.

“L’accident était très grave. Et ton papa et ta maman n’ont pas eu autant de chance que Tim et toi."
Ils ne reviendront pas.
"Non mon cœur, ils ne reviendront pas."

Les yeux de la petite fille s’étaient à nouveau embuer. Pourtant, elle se tenait là, raide, tentant de ne pas céder.

“Elisabeth… c'est normal d’être triste et tu as le droit de pleurer. Et ça fait mal, parce que tu aimais très fort ton papa et ta maman et qu’eux t’aimaient encore plus.”

Il prit la main de la petite fille et la guida vers sa poitrine.

“Et quand tu auras trop mal, quand ils te manqueront trop fort, il te suffira de te rappeler qu’ils seront toujours là. Dans ton cœur. Tu pourras toujours les aimer et penser à eux. Et Tim aussi.”

La petite fille se rapprocha de son petit frère qui tendait ses petits doigts vers elle. Elle prit la main du bambin et la frotta contre sa propre joue avant de lever ses grands yeux vers Aleksej.

Mais qui va s’occuper de moi maintenant ? Et de Tim ?
“ Il y aura toujours quelqu’un pour s’occuper de vous, d’accord ? Tu ne dois pas t’inquiéter pour ça. Je te le promets.
Pinky swear ?

Aleksej observa l’auriculaire qui se dressait devant lui. Il avait fallu que la petite fille l’initie plusieurs mois auparavant à ce fameux code de promesse dont il n’avait jamais entendu parler. Il l’avait d’ailleurs testé avec Solveig qui avait été incapable de garder son sérieux en voyant ce grand gaillard lui tendre son petit doigt pour s’assurer qu’elle décrocherait de son travail pour un week-end.

“Pinky swear.”

Un interne était arrivé pour faire un dernier contrôle et ramener les résultats des tests qu’ils avaient fait passer à la petite fille par acquit de conscience. Quelques dernières vérifications et Solveig pourrait signer les papiers de décharge. Le Danois se releva pour se tourner vers sa compagne et l’Irlandais.

“Les enfants seraient peut-être mieux chez eux, non ? Dans un environnement qu’ils connaissent ? Vous avez toujours un double des clefs ?”

L’idée de les ramener dans leur petit appartement paraissait compliquée. Il lui semblait évident qu’avec toutes les émotions par lesquelles ils étaient passés les enfants auraient besoin de sommeil. Aleksej et Solveig n’était pas tout à fait équipé pour cela. Il faudrait trouver des couches, de quoi faire manger les enfants. Et même si la proposition de William était tout à fait sincère et pratico-pratique, le policier avait déjà une sacrée tribu à gérer. Et étant donné la situation dans laquelle se trouvait Morgana, ce n’était probablement pas un cadeau à lui faire.

In Between

Les paroles d’Elizabeth me rendaient malades. J’aurais aimé, à cet instant précis, qu’elle soit aussi jeune que Tim, pour ne pas se rendre compte de la situation. Le petit garçon chercherait forcément ses parents du regard, lui qui savait dire « papa » et « maman » depuis plusieurs mois, ce qui avait rendu Alice et Mark particulièrement fiers. Mais Elizabeth avait cinq ans. Cinq ans pour comprendre ce qu’il venait de se passer, l’âge où elle découvrait à peine ce que signifiait « mourir », voilà qu’elle se trouvait, avec son frère, orpheline.

Mon regard croisa celui de Solveig qui tourna la tête vers nous en nous implorant de lui venir en aide. Si elle était persuadée ne pas savoir s’y prendre avec les enfants, l’amour qu’elle portait pour ces deux petits êtres lui donneraient des ailes. Car si l’italienne n’a jamais été très à l’aise avec aucun gamin, ceux d’Alice et de Mark avaient toujours fait une certaine exception. Comme Stan, quand il était petit, finalement.

Aleksej prit la relève pour s’adresser à la fillette. Un fin sourire se dessina malgré moi sur mes lèvres quand je les vis faire leur promesse avec l’auriculaire. Je ne savais pas si Solveig deviendrait tutrice des enfants, bien qu’elle ait signé un document dans ce sens. Mais je ne pouvais m’empêcher de penser que si cela était le cas, elle aurait avec elle le meilleur des alliés. J’ai toujours imaginé le danois en merveilleux père. Il n’y a qu’à voir la façon dont il s’était occupé de Rose, quelques mois plus tôt, et les mots qu’il trouvait pour expliquer la situation à la petite fille, sans lui mentir, tout en parvenant à la ménager. Sa fille avait eu de la chance de l’avoir, bien que sa vie fût trop courte.

Finalement, alors qu’une interne était entrée dans la pièce, mes yeux azurs se posèrent sur le danois. Les bras croisés contre mon torse, je mettais tout en œuvre pour garder une certaine contenance, devant les enfants. Pourtant, à l’intérieur de moi, tout ne ressemblait plus qu’à une terre calcinée. Même le sommeil, je ne le ressentais plus. Seul mes nerfs parvenaient à me maintenir alerte. J’avais envoyé un message à Morgana, en lui expliquant que je resterais au travail jusqu’à demain matin. Et si je me refusais à lui dire la véritable raison de mon absence, c’est parce que je ne voulais pas l’inquiéter, et la mettre dans une situation délicate où elle voudrait me rejoindre, en pleine nuit, alors que tous les enfants dormaient paisiblement chez nous. Je prendrais le temps de lui expliquer tout demain, quand je serais moi-même moins agité.

- Oui, c’est ce qu’il y a de mieux à faire je pense. Et j’ai les clefs..., murmurais-je en me souvenant que Mark m’avait soutiré quelques outils et m’avaient assuré pouvoir les récupérer, lorsque j’en aurais besoin, puisque j’avais les clefs. Oui, j’aurais préféré les utiliser pour une autre raison.

- Et si j’arrive pas à dormir ?, demanda Elizabeth, d’une petite voix angoissée. Je m’avançais vers elle et me mettais à mon tour à sa hauteur.
- Je vais rester et si tu n’arrives pas à dormir, je serais là. A n’importe quelle heure de la nuit, pour te raconter une histoire, ou te faire un chocolat chaud comme tu les aimes, d’accord ?
- Avec de la chantilly ?
- Bien évidemment, et des vermicelles. Parce que c’est meilleur comme ça.

Je lui adressais un fin sourire avant de me redresser en la prenant dans mes bras pour la serrer doucement contre moi. La fillette passa ses petits bras autour de mon cou. J’embrassais sa joue avec tendresse avant de tourner la tête vers Solveig. « Aller, on les ramène. »

In Between

La seule idée de devoir mettre les pieds chez Alice et Mark me pétrifie littéralement. Je ne suis pas certaine d’avoir le courage de faire une chose pareille mais lorsque mon regard croise celui d’Ellie, mon cœur ainsi que mon cerveau comprennent que ce n’est pas un choix à faire. Je n’ai plus le choix.

William et Aleks sont pleins de promesses face à une enfant terrorisée par le seul fait de devoir dormir sans ses parents et moi, je ne sais pas quoi dire, je ne sais pas quoi faire. C’est terrifiant car même dans un tel moment de doute, les deux hommes semblent savoir quoi faire. Comment parviennent-ils à tenir le cap comme cela ? C’est à peine si j’arrive à mettre un pied devant l’autre…


Il me faut quelques minutes avec Langan pour tout organiser au niveau des papiers que je signe comme un robot. Mon ancien confrère comprend bien que je ne suis pas tout à fait moi-même et me fait savoir que nous nous verrons le lendemain pour discuter de la suite. Il me demande de me reposer comme si nous nous connaissions depuis des années, ce qui me surprend, lui et moi n’avons jamais eu à travailler ensemble… Jusqu’à présent, j’imagine. Tout est différent dorénavant.

Je ne saurai même pas dire l’heure qu’il est quand Aleks gare la voiture dans la cour de chez Alice et Mark. Une boule terrible s’est formée dans ma gorge et je sais pertinemment qu’à la semaine où Aleks va me demander comment je me sens, je vais m’effondrer. Or, nous n’avons pas le temps pour ça, les enfants doivent être notre priorité cette nuit. Cette nuit et le reste de ma vie…

Avant d’ouvrir ma portière et sans même le regarder, je m’adresse à mon mari sur les épaules duquel je fais dorénavant porter le poids d'une responsabilité dont il n'a jamais rien demandé. Le poids de deux enfants qui ne sont pas les siens.

– Je sais que tu te demandes ce que tu peux faire pour que je me sente mieux. La réponse est toute trouvée : ne t’éloignes pas de moi….je t’en supplie.

In Between

William et Aleksej était tombé d’accord. Solveig s’était contenté de suivre le mouvement, probablement encore sous le choc pour contredire leur élan. Les deux hommes avaient rassemblé les quelques affaires avec lesquelles les enfants avaient été ramenés à l’hôpital pendant que Solveig s’entretenait avec l’avocat dans le couloir. Par chance, si on pouvait appeler cela de la chance, William était parfaitement équipé pour le transport d’enfant en bas âges. Ils se rendirent donc sur le parking où Aleksej se chargea d’installer Tim dans le siège de Rose pendant que l’Irlandais aidait la petite fille à s’attacher dans le rehausseur.

Le Danois s’était attendu à ce que Solveig prenne place aux côtés du policier mais elle n’en fit rien. Après s’être assurée que les enfants étaient bien installés, elle avait adressé un regard entendu à Will. Ils se suivraient jusqu’à la maison de leurs amis. Elle avait pris la direction de l’emplacement de leur propre voiture sans un mot. Le trajet fut tout aussi silencieux. Le regard de la jeune femme se perdait dans la nuit et il ne pouvait qu’imaginer ce qui traversait son esprit. Il n’avait que sa propre expérience en guise de réconfort à lui apporter et il lui était difficile de faire remonter ces souvenirs-là à la surface.

Rien ne serait jamais assez réconfortant. Rien ne comblerait jamais ce vide. Comme un trou noir au bord duquel il ne fallait pas trop s’aventurer au risque de s’y perdre à jamais. Les yeux rivés sur la route, il se demandait si leur histoire ne serait jonchée que de drames. Pour le meilleur et pour le pire. Mais auraient-ils droit au meilleur ? Il chassa cette pensée de son esprit. Peu importait ce que l’avenir leur réservait, tant qu’il était avec elle. Il lorgna dans la direction de la jeune femme et se demanda combien de temps passerait jusqu’à ce qu’il puisse à nouveau profiter de son sourire. Lui avait mis presque quinze ans.

Son cœur se serra un peu plus en entendant la voix chevrotante de la jeune femme. Solveig n’était pas le genre de femme à quémander quoi que ce soit. Alors supplier. Il détacha sa ceinture de sécurité et l’attira contre lui avant d’embrasser sa tempe. Il ne se débinerait pas. Contrairement aux propos que Solveig avait tenu des mois auparavant, se marier changerait tout. Pour lui en tout cas. Il s’agissait de sauter à pieds joints dans le vide. Ensemble. Et s’ils tombaient, ce seraient ensemble aussi. Au moins, il pourrait tenter d’amortir sa chute. Comme cet après-midi dans Central Park, où la laisse du chien enroulée autour de leurs jambes les avait fait basculer. L’un de ces après-midi qui avait vu éclore leurs sentiments.

“Je ne vais aller nulle part…”

S’il avait voulu maintenir cette étreinte éternellement, il savait qu’il leur fallait à présent quitter le véhicule. Sortir de la voiture et aider William à ramener les enfants. Voyant le policier se diriger vers le côté où se trouvait la petite fille, le Danois pris l’initiative de s’occuper du bambin. Ça, il savait le faire. Tim était assoupi et il fit de son mieux pour le dégager du siège sans le réveiller. Bien que la fatigue se lise sur son visage, Ellie avait pris les devants dans le chemin gravionné. Pour William et Solveig, chaque pas semblait un peu plus difficile à entreprendre.

S’il n’était pas aussi familier de la maison que les autres, il savait néanmoins où se trouvait la plupart des pièces. Tim dormait profondément dans ses bras et il ne voyait pas de raison de retarder son coucher. Mis à part l’odeur qui se dégageait de sa couche peut-être. Il se dirigea dans la salle de bain où se trouvait la table à langer. Tout en posant délicatement le bébé lui venait à l’esprit ces fois où Alice prétextait avoir besoin d’aide avec les couches, excuse parfaite pour de petits apartés durant lesquels la blondinette se faisait un plaisir de questionner le Danois sur sa relation avec sa meilleure amie. Cette pensée lui arracha un sourire. Un sourire triste.

Une fois l’enfant langé, il n’eut pas de mal à retrouver la chambre de Tim et à le coucher confortablement dans son lit avant de venir retrouver les autres dans le séjour.

In Between

Alors que Solveig réglait les dernières formalités avec l’avocat, complètement dépassée par ce qu’il se passait, Aleksej et moi rassemblâmes les affaires des enfants lorsqu’un professionnel de l’hôpital me demanda avec discrétion si j’étais d’accord pour venir identifier les corps. Evidemment. Pourquoi cela m’était-il sorti de la tête ? Je suis pourtant flic. Il s’agit là d’une procédure habituelle pour s’assurer de la bonne identité des victimes. Je n’étais pas certain d’en avoir la force. Non. J’étais même sûr de ne pas l’avoir. Je tournais rapidement la tête vers Solveig. J’observais la jeune femme tenter de tenir un semblant de conversation avec l’avocat, alors que son esprit s’écrasait sous une pluie de pensées. Il était hors de question de lui infliger cette souffrance supplémentaire. Comme aux parents de Mark et d’Alice, d’ailleurs. Et il ne s’agissait pas là du rôle d’Aleks. Je hochais donc la tête, fébrilement et croisais le regard du danois. Juste une seconde pour un accord tacite : qu’il continue de rassembler les affaires des petits, le temps que je revienne.

Comme je l’avais prédit, la scène avait été particulièrement choquante. Etrangement, je n’avais eu aucun espoir de voir deux autres adultes allongés-là. Mon regard fut rapide. J’aurais pu me contenter de regarder la main de mes amis pour reconnaître leurs alliances. Je me contentais de hocher la tête, pour leur signifier qu’il s’agissait bien de Mark et d’Alice Porter, tandis qu’une larme coulait le long de ma joue, la pièce plongée dans un silence morbide. Je savais qu’il me faudrait beaucoup de temps pour effacer cette scène de mon esprit. L’accident avait été violent. Oui. Il n’y avait aucun doute à ce sujet. Le médecin légiste recouvrit les victimes de leur draps blancs et je fis demi-tour, chassant ma larme d’un revers de la main et prenant une grande inspiration pour faire disparaître les nausées qui m’assaillaient. Tous mes espoirs de dormir un peu, cette nuit, venaient de s’envoler. L’entrevue avait été rapide. Si rapide que Solveig n’avait pas remarqué mon absence. Mes yeux bleus croisèrent rapidement ceux de Svendsen et j’attrapais les affaires de Tim pour les charger dans ma voiture, silencieusement. Je prenais sur moi, car à cet instant précis, j’eus envie de m’écrouler, de hurler, et d’absolument tout casser. Mais quand mon regard croisa celui d’Elizabeth, je parvenais à me radoucir. Je la pris dans mes bras avec tendresse, avant qu’elle ne prenne place sur le réhausseur. Je connaissais ma capacité à prendre sur moi, notamment lorsque j’avais des enfants à charge. Alors je pris la route jusqu’à la maison de Mark et d’Alice, en prenant soin d’avoir la conduite la plus douce possible. Si Tim piquait du nez, Ellie gardait les yeux grands ouverts et vivait mal l’instant, comme si elle craignait un nouvel accident. Alors je lançais un jeu, celui de compter les voitures rouges, la laissant volontairement gagner. Le but restait qu’elle se change les idées, ce qui avait plutôt bien fonctionné. Car si Ellie était choquée, elle restait une fillette de cinq ans à qui il était aisé de faire penser à autre chose. Et si je ne le savais que trop bien, c’est parce que Saeed avait le même âge.

Lorsque j’arrivais dans l’entrée de la maison de mes meilleurs amis, Aleks suivait, avec Solveig. Je sortais de la voiture et m’attelais à sortir à nouveau les affaires. Mon regard se perdit un instant sur la vue de ces jeunes mariés qui s’enlaçaient pour se donner le courage nécessaire afin d’affronter la suite. Je baissais un instant les yeux et reportais mon attention sur Ellie. La petite était fatiguée et luttait contre le sommeil. Je pris mon courage à deux mains et ouvrais la porte d’entrée avec les clefs, alors que le danois avait récupéré Tim. Avant d’ouvrir la porte, je croisais le regard de Solveig et tentais un fin sourire, comme pour lui faire comprendre que ce ne serait pas si dur que cela d’entrer dans cette maison. Une maison que nous connaissions si bien, dont l’odeur chaleureuse me fit autant de bien que de mal. C’est comme si, ici, il y avait encore de la vie : un mug de thé dans l’évier, quelques affaires entreposées ici et là. Oui, quelques heures plus tôt, tout le monde vivait là-dedans, en parfaite santé. Et c’est probablement cette pensée qui me fit le plus souffrir.

Alors qu’Aleks était parti coucher Tim, je me lançais dans une grande argumentation avec la fillette qui tombait de sommeil, mais qui refusait catégoriquement d’aller dormir dans sa chambre, par peur. Je m’étais donc mis à sa hauteur et avait négocié qu’elle dorme dans le canapé, avec la télévision allumée et que je resterais-là. Vu son état de fatigue, je savais qu’elle ne tiendrait que quelques minutes. Il était bien tard pour une petite fille de cinq ans, et les émotions l’avaient complètement vidée de toute énergie.

- Aller, vas mettre ton pyjama.

La petite hocha la tête et s’éclipsa. Je me retrouvais donc seul avec Solveig. Si nous étions tous les deux dévastés, étrangement, ce fut l’italienne qui eut le plus de mal à le cacher. Mon cœur se serra et je m’approchais d’elle. Je l’attirais contre moi et déposais un baiser sur sa tempe. « Vous devriez rentrer et essayer de vous reposer. Je vais rester ici cette nuit. Vous prendrez le relais demain. Ca sert a rien qu’on reste tous ici, à se morfondre… »

In Between

Peu de gens croient au fait que lorsqu’on perd un être qui nous est cher, tout devient difficile. Marcher, écouter, respirer. Absolument tout est difficile. Un peu comme si notre corps avait oublié les basiques pour lesquels il a été plus ou moins programmé à sa création. Voilà pourquoi la plupart des gens endeuillés se mettent en auto-pilote. Ce n’est pas volontaire, c’est une question de survie. Et c’est exactement comme cela que je me sens en entrant dans la maison d’Alice et Mark, une maison qui a été remplie de rires et de joie pendant tant d’années. Le silence qui y règne cette nuit me terrifie parce qu’il est la preuve que plus rien ne sera jamais comme avant.  

– Je ne vais nulle part, dis-je à Will sur un ton monocorde.

Comment pourrai-je ne serait-ce que songer à aller me coucher, à rentrer chez moi ? Pourquoi faire, au juste ? Jouer la carte du cauchemar ? Alice et Mark seront toujours morts à mon réveil. Ils ne reviendront pas. Je n’ai aucun intérêt à essayer de m’épargner une quelconque peine le temps de quelques heures, ça n’aurait absolument aucun sens.

– Je vais appeler Hayden.

Bien que Will soit beaucoup plus proche d’Hayden que moi, il est hors de question que je le laisse faire ça. Je sais que ça le briserait encore plus qu’il ne l’est déjà. Il morfle suffisamment comme cela, voilà pourquoi j’attrape mon iPhone et cherche dans mes contacts la lettre H jusqu’à voir le nom voulu apparaître sous mes yeux. Machinalement, j’appuie sur l’identifiant puis sur le symbole du téléphone.

La tonalité s’enclenche et voilà que ça commence à sonner. Une fois. Deux fois. Trois fois. Boîte vocale. Je raccroche en serrant les dents et recommence. Ça sonne. Une fois. Deux fois. Trois f-

– Allô ?
– Il faut que tu viennes chez Alice et Mark, tout de suite.
– Sol putain t’as vu l’heure, là ? J’suis pas tout seul.
– Tu prends un truc pour la tête, tu bois un litre d’eau si besoin et tu la fous dehors. Peu importe la manière, j’en ai rien à foutre, mais tu rappliques.
– Tu m’fais quoi, là ?
– Hayden Michael Barba !
– Wow, wow, ok ! C’est bon, ok, j’arrive.

Sans un mot de plus, je raccroche et glisse mon portable dans la poche arrière de mon jean’s. Ce n’est que lorsque je relève la tête que je remarque la façon dont Aleks et Will me regardent.  

In Between

Je hausse les épaules lorsque Solveig m’explique qu’elle ne compte pas rentrer chez elle pour dormir quelques heures. Seulement, il va bien falloir que l’un de nous cherche à se reposer un minimum. Après tout, il ne s’agit pas de garder Ellie et Tim une seule nuit. Dorénavant, ils auront besoin de nous de manière constante. Et même si c’est l’italienne qui semblait toute désignée à tenir ce rôle de tuteur, il était évident que je ne serais pas absent. Quoi qu’il en soit, tout le monde semblait bien décidé à rester ici, parfaitement éveillés. Comme si, finalement, nous avions aussi peur de dormir que la fillette. Alors oui, je haussais les épaules et me replongeais dans mes pensées.

Des pensées que je chassais bien vite en entendant Solveig nous informer qu’elle allait appeler Hayden. Vraiment ? Au beau milieu de la nuit ? « Je ne pense pas que ce soit une bonne i… » Mais déjà, elle portait son téléphone portable à l’oreille. Je laissais un soupir s’échapper des mes lèvres. J’aurais pu tenter de le joindre. J’avais même hésité à le faire, à l’hôpital, mais je m’étais ravisé. Je n’étais pas certain d’avoir l’énergie nécessaire pour soutenir celui que je considérais comme mon frère. Il allait être dévasté, bien évidemment. Et qui sait dans quel état il se trouvait, là, à cette heure-ci ? J’ai toujours considéré Hayden comme un petit frère qui enchaine sans cesse les conneries et qu’il faut donc constamment protéger. Ça a toujours été ainsi. Il avait toujours été celui pour lequel on se faisait du souci, parce qu’il faisait preuve de trop d’immaturité, mais dont nous étions tous très attachés. Alors forcément, je commençais déjà à faire stresser de le voir apprendre ce drame. Contrairement à nous tous, Hayden n’a jamais vraiment cherché à se poser. L’idée de fonder une famille ne semblait absolument pas le frôler, cela ne l’empêchant pas d’être un super-tonton pour Ellie, Tim, Saeed, Stan et Rose. Angela et Gabriel aussi l’appréciaient beaucoup, même s’ils le connaissaient moins bien. Hayden vivait en solitaire, profitait des plaisirs de la vie sans se soucier de quoi sera fait demain. La seule stabilité qu’il semblait avoir, c’était nous : Mark, Alice, Solveig et moi. Nous formions sa famille, à défaut d’avoir la sienne, ni même ses propres parents. Alors, comment lui expliquer que deux d’autres nous venaient de décéder, ce soir ?

Une fois que Solveig raccrocha le téléphone, je l’observais en arquant un sourcil. « J’avais oublié à quel point tu pouvais faire preuve de… délicatesse. », murmurais-je, avant de lever les yeux au ciel. Elizabeth revint dans le salon avec un livre, après avoir mis son pyjama. Aussitôt, elle vint se blottir dans mes bras. Du haut de ses cinq ans, elle tombait de sommeil. Il était tard et l’émotion avait été trop forte. Pourtant, elle tentait de lutter. Je m’étais installé dans le canapé avec elle, en la gardant contre moi pour un grand câlin, alors que je lui lisais son histoire préférée. Et en quelques minutes seulement, elle tomba dans les bras de Morphée, s’octroyant un sommeil si profond que je pus la mettre dans son lit sans qu’elle ne se réveille. Je m’accordais un temps pour l’observer. « Tout ira bien… » Est-ce que je murmurais ces paroles pour elle, ou bien pour moi ? Je n’en étais pas vraiment sûr.

Quand je revins dans le salon, je voyais les phares de la voiture d’Hayden dans l’entrée. Il venait d’arriver. Je posais un instant mon regard sur Solveig avec une pointe de réprobation. On aurait dû attendre demain. Vraiment.

In Between

– Tu sais quoi ?

Je ne dirai pas ce que j’ai sur le cœur parce qu’Ellie vient de réapparaître dans notre périmètre et qu’il est hors de question qu’elle voit deux adultes se disputer. Ce n’est clairement pas le moment et cette enfant a subi suffisamment de traumatismes comme ça pour ce soir. Sans parler du fait que Will et moi restons deux figures rassurantes pour elle, je ne veux pas que cela change.

Bien décidée à me comporter comme une adulte responsable et respectueuse, je laisse Will s’occuper d’Ellie qui ne tarde pas à s’endormir sur le canapé. C’est une victoire bien méritée pour l’irlandais.

Quand les phares d’une voiture se font apercevoir depuis les rideaux tirés, je comprends que mon coup de nerf au téléphone tout à l’heure est sur le point de me retomber dessus. Ce n’est pas à Will de parler à Hayden, c’est à moi de le faire, c’est ma responsabilité. J’attrape mon manteau et sors parce qu’il est hors de question qu’on fasse ça à l’intérieur avec les enfants à proximité.


C’est officiellement la pire conversation que j’ai eu de toute ma vie. Je suis incapable de dire combien de temps nous sommes restés dehors, tout comme je suis incapable de dire combien de temps Hayden a pleuré dans mes bras sans que je ne verse la moindre larme en retour. J’ai l'impression d’avoir tout donné à l’hôpital. Je suis épuisée mais je me refuse à fermer l'œil, je veux être un soutien pour tout le monde sauf que je ne sais pas combien de temps je vais encore tenir comme ça.

Contrairement à ce que je pensais, Hayden ne rentre même pas dans la maison, il me dit en être incapable et me demande de l’excuser auprès de Will et Aleks. C’est le coeur serré et inquiète que je le vois reprendre sa voiture pour rentrer chez lui. Quel genre d’amie suis-je à briser le coeur de mon ami comme cela ?


Lorsque je rentre de nouveau dans la maison, je regarde les deux hommes qui m'observent en retour, sans un mot.

– Il a préféré rentrer.

Je ne sais même pas quoi dire d'autre. Je suis éreintée.

In Between

Aleksej avait passé de longues secondes penché sur le berceau de Tim. Il ne connaissait rien de plus apaisant que de regarder un enfant qui dort. Ou peut-être d’observer Solveig assoupis contre lui. Le sommeil avait ce pouvoir-là d’effacer toutes les réalités. Même si au réveil, la vérité était toujours présente. Et pour ce petit bout de chou et sa sœur, aucun réveil ne serait plus jamais comme avant. Il caressa la tête du bambin alors qu’un sourire triste passait sur ses lèvres.

En revenant dans la pièce principale, le Danois constata que la petite fille avait laissé ensemble les deux adultes et qu’une légère tension planait dans l’atmosphère. Il n’avait pas besoin d’être devin, simplement d’observer la raideur de la posture de sa femme. Comme si Solveig avait un mode Robot, elle se tenait droite comme un i, ses gestes étaient saccadés, abruptes. Elle avait ce regard sévère qu’il n’aimait guère et son ton était des plus autoritaires. Il savait que c’était l’un des mécanismes qu’elle pouvait déployer lorsqu’elle était en souffrance ou qu’elle se sentait perdre le contrôle. Peut-être bien les deux.

Son regard avait suivi la jeune femme alors qu’elle faisait les cent pas dans le salon, son téléphone à l’oreille. Il n’aurait pas su dire si appeler Hayden était une bonne ou une mauvaise chose. Il était encore étranger à leur code de conduite. Peut-être le serait-il toujours. De son point de vue, il s’agissait d’une décision impulsive en réaction à la situation. Solveig avait besoin de faire quelque chose. De reprendre le contrôle et de réparer ce qui était cassé. Ou au moins de rassembler les pièces.

Il fronça les sourcils en entendant William dire tout haut ce que tout le monde avait peut-être pensé tout bas. Mais comment pouvait-elle faire preuve de plus de délicatesse alors qu’elle tentait encore de digérer les informations ? Est-ce que c’était vraiment le moment de recommencer ce petit jeu querelleur qu’elle et William entretenaient ? Le retour de la petite Elizabeth mis fin à la discussion avant que Solveig ne démarre au quart de tour. Et alors que William fit le nécessaire pour aller coucher l’enfant, il se rapprocha de la jeune femme pour venir caresser doucement son dos. La tension était bien là.

Il était prêt à lui servir de béquille, à la soutenir contre vents et marrés, mais il devrait attendre qu’elle soit prête à le demander. On ne pouvait pas aider quelqu’un qui ne le souhaitait pas, ce qui était d’autant plus vrai avec Solveig. Ils n’eurent pas le temps d’échanger de réelles paroles que le troisième acolyte faisait son arrivée. Une fois de plus, la brunette ne laissa à personne le temps de la réflexion et fonça à l’extérieur pour rencontrer Hayden. Il les observa depuis la fenêtre. Cette relation faisait partie de celle qu’il ne comprenait pas. Hayden n’avait jamais fait que de tolérer Aleksej dans ce groupe et le Danois s’était toujours contenté des courtoisies de base.

En revenant dans la maison, le visage de Solveig était empreint de nouvelles ombres. La voir dans cet état inquiétait Aleksej. Il savait qu’elle finirait par craquer à un moment où à un autre. Mais il ne pouvait jamais dire quand. Elle était comme une cocotte-minute sur le feu, à cela prêt qu’elle était imprévisible. Il s’approcha d’elle, l’attira contre lui et la serra dans ses bras avec un peu plus de fermeté que d’ordinaire.

“Les enfants dorment à présent et il n’y a plus rien que tu ne puisses faire jusqu’au matin. Alice garde toujours la chambre d’amis prête pour les imprévus. Si William est d’accord de prendre le canapé… Je pense que nous devrions tous prendre un peu de repos. La suite ne s’annoncera pas plus facile…”

In Between

Je relève la tête, lorsque Solveig me pose une question qui se serait poursuivie par une vague d’insultes ou de paroles désobligeantes. J’arquais un sourcil. Si Ellie ne venait pas de débarquer dans le salon, et si l’italienne avait été au bout de ses paroles, probablement mon majeur se serait levé avec un charmant « Ferme-la. », ce qui m’aurait, bien évidemment, attiré les foudres du danois avec qui je m’entendais désormais bien. A croire que Solveig et moi n’étions pas capables de mettre nos petites querelles de côté. Cela n’échappa d’ailleurs pas à Aleks. Rien de bien étonnant. Solveig et moi n’avons jamais eu notre langue dans la poche. Deux forts caractères. Le mien pourtant bien plus impulsif que le sien. Et pourtant, malgré ce comportement que nous pouvons avoir ensemble, il n’en reste pas moins évident que nous serions capables de tout l’un pour l’autre.

Mon attention s’était alors reportée sur Ellie. Et, une fois qu’elle fut couchée et qu’Hayden était arrivé devant la maison, j’étais resté là, avec Svendsen. Pourtant, nous étions restés silencieux, comme si nous attendions que la tempête passe. J’étais à deux doigts de sortir de la maison, pour soutenir Hayden. Mais finalement, c’est comme si j’étais vidé de toute énergie. Alors, quand Solveig revint dans la maison et nous expliqua que notre ami avait préféré rentrer, mon cœur se serra. Mais je ne répondis rien, me contentant de hocher la tête alors que je stressais à l’idée qu’il ait pu reprendre la voiture dans cet état de choc alors qu’il n’était, peut être déjà pas, dans un état assez sain pour prendre le volant.

Une nouvelle fois, je hochais la tête, silencieusement, aux paroles d’Aleks. Si j’avais imaginé un jour dormir au même endroit que mon ex-compagne et son nouveau mari, je me serais mis à rire. Heureusement, vu la situation, ils ne risquaient pas de se livrer à quelconque plaisir charnel qui serait susceptible d’arriver jusqu’à mes oreilles. Quelle horreur ! « Oui, allez-y. Effectivement, il va falloir être en forme demain… »

Quelques temps plus tard, je me retrouvais seul, dans le salon. Je savais que personne ne dormirait vraiment sur ses deux oreilles, cette nuit-là. Je me contentais de m’asseoir dans le canapé et d’allumer la télévision, sur un volume assez bas pour ne réveiller personne. Autant tenter de se changer les idées. Je somnolais à peine quelques minutes, quand Ellie se réveilla à nouveau et débarqua dans le salon, les yeux brillants de larmes, sa peluche dans la main. Alors, comme promis, je lui faisais son chocolat chaud préféré, que nous dégustâmes devant la Pat’ Patrouille (merci Netflix), ce qui eut pour effet immédiat d’apaiser la fillette. Cette dernière finit par se rendormir au creux de mes bras, dans le canapé, sa peluche contre elle. Et finalement, moi-même je retombais dans une légère somnolence.