New York County Courthouse

Le substitut du procureur de New York, Aleksej Svendsen, ancien avocat réputé du groupe Svenssen&Associate, aurait demandé la main de sa compagne, Solveig Lazzari, ancienne avocate du groupe Sutter&Meyer. Le mariage est prévu pour les mois à venir.

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Solveig Tara Lazzari et Aleksej Svendsen ont le plaisir d’annoncer leurs fiançailles en cette année 2021.

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Ennemis jurés à la cour pendant des années, les anciens avocats Svendsen et Lazzari se diront oui cette année au Plaza Hotel.

Commencer ma journée sous la pluie n’est pas exactement ce que j’avais prévu et ma tenue parle clairement pour moi. Agrippée à mon parapluie sous lequel je tente tant bien que mal de me réfugier malgré le vent, j’arrive devant le Palais de Justice dans lequel je sais que je trouverai Aleks. Nous avions prévu de déjeuner ensemble mais puisque j’ai une réunion qui m’est tombée dessus de façon inopinée, je décide de me rattraper, en avance, en apportant le petit-déjeuner à mon compagnon. Cela ne remplacera pas le déjeuner mais je jouerai la carte du brunch. Avec un peu de chance, ça passera.

C’est en montant les marches du Palais que les vois, là, micros en main, caméra dans l’autre. Y a-t-il une grosse affaire en jugement pour laquelle je n’ai pas été informée ? C’est étrange. Moi qui suis les journaux avec rigueur, je n’aurai pas pu passer à côté d’une telle information. Des sirènes passent derrière moi indiquant une nouvelle intervention des pompiers de la ville. Leur travail ne s’arrête jamais ici.

– Madame Lazzari !

Tandis que je m’apprête à grimper les dernières marches pour entrer, l’un des journalistes m’interpelle. Polie, je tourne la tête et m’attends à ce qu’il me demande quelque chose sur ce qui est en train de se passer à l’intérieur. Le pauvre bougre sera déçu quand il comprendra que je n’en sais pas plus que lui.

– Félicitations pour vos fiançailles ! Quand comptez-vous annoncer la liste des invités ?

A l’écoute de ces quelques mots, mon sang ne fait qu’un tour. Comment est-il seulement possible qu’ils soient au courant ? Aleksej aurait-il vendu la mèche sans le vouloir ?
Je souris, toujours poliment, à l’homme mais ne réponds pas. Au contraire même, je file à l’intérieur et passe les portiques de sécurité aussi vite que cela m’est permis de façon à m’assurer que personne ne pourra me suivre.

– Bonjour madame Lazzari, dit Victor, l’un des membres de la sécurité du bâtiment que je connais bien.
– J’ose encore croire qu’un jour, vous m'appellerez Solveig, Victor.

L’homme sourit timidement et secoue la tête avant de me rendre les effets personnels passés au scanner. Je lui souris avant de m’avancer pour finalement me rétracter et faire deux pas en arrière.

– Victor ?
– Oui, madame ?
– Rendez-moi service et ne laissez passer aucun journaliste, voulez-vous ?
– Ils n’ont pas de raison de passer les portiques aujourd’hui, madame.

J’acquiesce bien qu’au fond de moi, je pense que malheureusement, j’ai l’impression qu’ils s’en sont trouvé une.
Je salue le vigile et me rends à l’étage où se trouve le bureau d’Aleksej. Sa secrétaire m'accueille avec le sourire, un sourire que je lui retourne avant de lui demander si Aleks est en réunion. Elle m’assure que non et me laisse passer.
C’est après avoir toqué à ma manière (nous avons un code pour que l’autre sache qui rentre dans son bureau) que j’ouvre la porte et découvre un Aleksej Svendsen furax à son bureau.

– Tu ne vas jamais croire ce qu’il m’est arrivé à l’instant…

Spoiler:

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Assis à son bureau, Aleksej se tenait dos à la pièce, tourné vers la fenêtre par laquelle il observait la ville. Cette journée avait pourtant bien commencé. Il s’était levé de bonne humeur aux côtés de la femme qu’il aimait, il avait savouré son café et avait réussi à éviter l’heure de pointe dans le métro, préférant sortir à Central Park et se payer le luxe de faire le reste du trajet jusqu’au bureau à pied. Il avait atteint un statut où il n’avait de compte à rendre à personne. Du moins pas en ce qui concernait la manière dont il organisait ses journées de travail. Et bien qu’il soit relativement matinal, ils l’attendaient déjà au pied des marches du Palais de Justice.

Ils, les journalistes. Des vautours. Ils lui étaient tombés dessus sans crier gare. Ils l’avaient pris de cours. De surprise, il perdit quelque instant la contenance et le charisme dont il se paraît dès qu’il enfilait cette casquette de Substitut. Comme si le costume faisait l’homme. Seulement ce matin, Aleksej n’était pas préparé. Quelques secondes seulement, une série de balbutiements. Déjà trop. Quand il se ressaisit, son visage se durcit et il lâcha un “sans commentaire” d’un ton ferme qui ne laissait aucune place à l’hésitation.

Depuis l’instant où il avait franchi le portique de sécurité ce matin, son front ne s’était pas déridé. Il interpella sa secrétaire d’une voix pas plus aimable et l’enjoint de savoir pourquoi il se faisait alpaguer par des journalistes et pourquoi on s’intéressait si soudainement à sa vie privée. Cela ne lui était arrivé qu’une seule fois. Il y avait un peu plus de deux ans, quand l’histoire de son empoisonnement avait refait surface. Il n’avait pris aucun appel, aucun rendez-vous jusqu’à temps que la jeune femme en poste devant son bureau puisse arriver avec des réponses.

Elle avait déposé les journaux sur son bureau et était reparti sans faire le moindre commentaire. Elle était d’une efficacité redoutable. Aleksej devrait penser à s’excuser quand il aura été capable de faire redescendre la pression. En parcourant le premier journal, son dos se raidit. Peu à peu la colère l’envahit, insidieusement. Ses mains se crispèrent sur le journal sans qu’il s’en rende vraiment compte. Le Danois était d’une pudeur maladive. Voir sa vie privée étalée sur la place publique lui avait fait l’effet d’une gifle monumentale.

Il reconnut la manière singulière qu’avait Solveig de frapper à la porte, mais ne se retourna pas spontanément vers elle quand elle entra dans son bureau. Il n’était pas prêt. Malgré une grande maîtrise de soi, il était toujours énervé. En entendant la jeune femme, il prit une grande inspiration et jeta négligemment le journal écrabouillé entre ses mains sur son bureau et replongea son regard sur la skyline des immeubles environnants.

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Aleksej et moi avons pris nos habitudes après tout ce temps. Lorsque j’arrive dans son bureau, je fais le tour et viens l’embrasser tendrement sur les lèvres avant de redevenir Solveig Lazzari mais cette fois, je comprends vite que je ferai mieux de m’abstenir. Il ne me regarde même pas. En réalité, l’homme se contente de jeter un journal froissé sur son bureau. Je ne suis pas idiote, je comprends bien qu’il faut que j’y jette un œil même si je ne suis pas certaine de vouloir le faire. Que peut-il bien se passer de si grave ? Un homme (ou une femme) que nous aurions fait condamner par le passé serait sorti(e) de prison sans que je ne le sache ? Non, il m’aurait envoyé un texto à la minute où il l’aurait su. De plus, il ne l’aurait certainement pas appris par le journal. Un confrère aurait appelé.

– Qu’est-ce qu’il-

Je n’ai pas le luxe de terminer ma question parce que je vois l’encart avec mon nom dedans.

Ennemis jurés à la cour pendant des années, les anciens avocats Svendsen et Lazzari se diront oui cette année au Plaza Hotel.

– C’est impossible.

Ce sont les seuls mots qui me viennent quand je parcours le journal des yeux avant que ceux-ci viennent se poser sur le bureau d’Aleksej sur lequel trônent d’autres journaux. Le New York Times en fait partie et ça, c’est très mauvais signe. Deux raisons à cela : tout le monde dans cette ville lit le Times et…

– Non…

Mon cerveau travaille à une vitesse folle pour essayer de comprendre ce qu’il s’est passé et parce que je vois qi’Aleksej est vraiment en colère, je ne peux plus émettre l’hypothèse qu’il puisse être à l’origine de tout cela. Il ne reste donc qu’une solution et c’est la pire de toute.

– On se marie au Plaza ?

Quelque chose me dit que ma pointe d'humour arrive au mauvais moment.

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Étant donné la réaction de Solveig, il était évident qu’elle n’était pas à l’origine de la publication de ces articles. Cela aurait été étonnant. Elle savait parfaitement que le Danois aimait garder un profil bas et n’aimait pas plus que lui être sous les feux des projecteurs. Il savait que ce n’était pas sa faute et ce n’était pas contre elle qu’il était en colère. D’ailleurs l’énervement qui avait envahi son corps et sa tête n’était que la conséquence de la surprise. Il détestait ne pas être en contrôle. Mais plus profondément, il se sentait vulnérable et blessé.

Il se retourna finalement vers la jeune femme qui tentait de détendre l’atmosphère tendue. Il savait qu’elle était de bonne foi. Mais l’adrénaline n’était pas encore totalement redescendue. Ce qui l’énervait le plus était également la seule raison qui puisse le faire redescendre. Il n’avait aucun contrôle sur la situation. S’énerver ne le mènerait nulle part, il le savait. Il prit une profonde inspiration et se laissa aller dans son fauteuil. Respirer, compter jusqu’à un, respirer compter jusqu’à deux.

“Pardon… Je n’arrive juste pas à comprendre comment une chose comme ça puisse arriver…”

Son téléphone se mit à sonner sur son bureau. Il jeta un coup d’œil et poussa un long soupir avant de refuser l’appel. Ce n’était pas le premier qu’il recevait depuis ce matin. Mia avait tenté de le joindre plusieurs fois. Et puis la nouvelle avait probablement fait effet boule de neige. Lone avait laissé un message sur son répondeur et Agnes n’était pas prête à lâcher le morceau. Ce qui signifiait que la nouvelle avait traversé l’Atlantique plus rapidement qu’il ne fallait de temps pour joindre les deux bouts de New York.

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– Il n’y a qu’une personne que je connaisse qui a suffisamment de contact pour faire une chose pareille et tu la connais aussi…

Je n’ai pas besoin de faire jouer le suspens. Jouer la carte du “tu la connais aussi” devrait suffire mais dans le doute, je préfère mettre les choses au clair.

– J’ai annoncé la nouvelle à ma mère. J’aurai dû me douter qu’elle ferait un truc pareil. Ca lui ressemble bien.


Mon iPhone sonne, je vois le nom de Fox s’afficher alors je décide de répondre. Si je ne le fais pas, il va s’inquiéter, je le connais par cœur. Il serait carrément capable de débarquer au cabinet pour voir si j’y suis. Sans réfléchir, je le mets directement sur haut parleur, comme si cela allait être plus facile à gérer.

– C’est quoi le dress code ?
– Fox, ce n’est vraiment pas le moment de faire dans l’humour. Tu es sur haut parleur et Aleks fulmine.
– Désolé. J’aurai tout de même aimé l’apprendre autrement qu’en lisant le journal ce matin.
– On y est pour rien.
– Sérieux ? Qui a vendu la mèche ?

Mon regard se pose sur le Danois qui a l’air toujours aussi en colère.

– Devine.
– ...ouh là.
– Voilà. On en parle plus tard, si tu veux bien.
– D’accord ! Aleksej, rappelle-toi qu’on ne mange pas les jolies brunettes d’origine italienne.

Sur ces derniers mots, la communication se coupe et me laisse de nouveau seule face à un homme suffisamment en colère que j’ai l’impression qu’il pourrait casser des choses.

– Je suis sincèrement désolée, Aleks. Je te dirai bien que je peux arranger ça mais ce serait mentir. Maintenant que la nouvelle est dans les journaux...

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Aleksej leva les yeux au ciel en entendant l’ami de Solveig faire de l’humour au bout de la ligne. Le coude appuyé sur l’accoudoir, il avait posé son visage au creux de sa main comme si sa tête pesait à présent plus que son cou ne pouvait en supporter. Il mordillait son majeur nerveusement alors que les informations faisaient leur bout de chemin dans son esprit. Virginia Lazzari. Dans sa tête il entendait les échos de la boutade que lui avait lancé William il n’y avait pas si longtemps. Cette femme allait-elle les laisser vivre un jour en paix ? Il n’avait jamais vraiment compris la teneur de la relation que Solveig entretenait avec sa mère.

Bien sûr, il avait été le premier à supporter un rapprochement. Pour lui la famille avait un caractère sacré même s’il n’était pas le meilleur exemple en ce qui concernait ses relations avec ses proches. Il avait tout de même insisté auprès de Solveig pour qu’elle tente de se rapprocher de sa mère. Elle était encore la seule famille qu’elle avait. Aujourd’hui, il comprenait pourquoi sa compagne pouvait parfois perdre son sang froid quand il s’agissait de sa génitrice. Aleksej aurait du mal à passer outre ce qui était en train d’arriver. Il s’agissait purement et simplement d’une intrusion dans leur vie privée. Le genre de chose que le Danois prenait très au sérieux.

“Ce n’est pas quelque chose que je vais pouvoir lui laisser passer facilement…”

À nouveau son téléphone se mit à vibrer sur la table. Si Mia savait quand ne pas insister avec son frère, ce n’était pas le cas de son aînée. Et si Agnes faisait preuve d’une telle détermination, c’était probablement pour lui passer un savon. Ce qui ne voulait dire qu’une chose, sa mère avait dû apprendre la nouvelle elle-aussi. Il se frotta le visage, dépité. C’était bien la dernière chose qu’il voulait. Et l’idée de faire face à cette situation, l’idée de décevoir sa mère lui nouait le ventre.

“Il ne sera pas le seul que cette annonce va froisser…”

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Je ne peux m’empêcher de baisser la tête en entendant Aleks dire que certaines personnes seront froissées d’apprendre leurs fiançailles de cette manière. Il a absolument raison mais le constat que j’en fais de mon côté est malheureusement quelque peu différent du sien. J’ai déjà prévenu tout le monde et par tout le monde, je veux dire les quelques personnes qui m’entourent. Et cet autre constat est effrayant.

– Je n’ai plus personne alors j’imagine que tu parles pour ta famille, ce que je comprends parfaitement.

Impossible d’ignorer plus longtemps son téléphone portable qui n’a de cesse de sonner. J’ai vu le nom s’afficher, je ne suis ni aveugle ni idiote. Là-bas, au Danemark, tout le monde doit être en train de péter les plombs quant à savoir si la nouvelle est vraie ou non. Cela m’amène cependant à me poser une question.

– Je t’ai demandé en mariage il y a quatre semaines. Pourquoi ne les as-tu pas encore informé ?

Même si je sais qu’il faut généralement prendre le bonhomme avec des pincettes, il y a certaines choses sur lesquelles je refuse de prendre mon temps ou, comme dans le cas présent, de devoir faire preuve de beaucoup de diplomatie.
Le fait qu’il n’ait encore rien dit aux siens… Je ne suis pas certaine de comprendre ce que cela signifie. Enfin si. Enfin non. Enfin...je n’en sais rien. Disons que cela ne me rassure pas beaucoup.

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En l’espace d’une demi-seconde, Aleksej voyait toute cette situation se retourner contre lui. Il connaissait assez bien Solveig pour comprendre ce qu’elle insinuait mais comme il n’était pas toujours très véloce, elle décida de préciser le fond de sa pensée. Il releva son regard vers elle, réalisant l’insécurité dans laquelle était plongé la jeune femme. Sa question était tout à fait légitime. Une nouvelle, le vrombissement de son téléphone interrompit leur discussion. Cette fois-ci, il l’éteint carrément. Ce n’était pas le moment.

Aleksej se leva de sa chaise et passa ses mains sur son visage afin de reprendre un peu de tenue. Il fit le tour de son bureau et vint s’assoir sur la chaise à côté de celle de la jeune femme. Il n’était pas doué pour exprimer ce qu’il ressentait. Par peur du jugement peut-être. Peur de paraître faible, trop sensible. Pas assez virile en somme. Il prit la main de la jeune femme dans la sienne et caressa doucement l’intérieur de sa paume du bout des doigts.

“Je… Je sais que ça va te paraître stupide… Mais… J’aimais l’idée de garder ça rien que pour nous. J’ai pensé très égoïstement que je pourrais ne pas te partager pendant un certain temps… et ne pas partager la nouvelle non plus.”

Aleksej avait besoin de cette complicité cachée. De partager un secret qu’elle serait la seule à connaître. De faire fi de leur entourage, qu’il ne reste rien d’autre qu’eux deux. Parce qu’il se sentait toujours comme le nouveau gars. Le nouveau petit ami. Et parce que rien dans sa relation avec Lena n’avait été vraiment leur. Son ex-femme avait grandi avec lui, avec ses sœurs. Elle avait fait partie de leur famille avant même qu’ils lient cette amitié si symbiotique. Avant qu’ils ne tombent amoureux. Et leur union n’avait étonné personne. Comme si tout le monde s’y attendait. Comme s’il en avait toujours été question. Comme s’il ne l’avait pas choisi.

“Je ne voulais pas qu’ils te prennent à moi… Je voulais que ce soit juste nous...”

Il réalisait que le sens de sa phrase pouvait paraître présomptueux. Ce n’était pas le cas. En réalité, après leur voyage au Danemark, Aleksej avait seulement tiré les conclusions qui s’imposaient. Solveig s’entendait très bien avec ses sœurs et ses parents et il avait peur d’avoir moins d’intérêt à ses yeux.

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Le voir se rapprocher de moi pour me prendre la main devrait me rassurer, pourtant c’est tout l’inverse qui se produit. Je ne comprends pas exactement ce qu’il se passe et cela m’inquiète. Il est passé d’un homme très énervé à un homme très mal à l’aise et je ne sais pas quoi faire de tout cela. Aleksej n’est pourtant pas du genre à passer du coq à l’âne mais aujourd’hui…

– Je ne suis pas certaine de comprendre ce que tu insinues. Pourquoi cela devrait-il rester uniquement entre nous ? Surtout lorsqu’on sait que j’ai déjà prévenu les personnes autour de moi.

Est-ce qu’informer notre entourage l’inquiète parce que tout pourrait éventuellement s'accélérer ? Cela ne serait pourtant pas le cas. Ce n’est pas parce que nous sommes fiancés qu’il faut que nous soyons mariés dans les six mois. Au contraire, nous avons tout le temps du monde devant nous puisque, jusqu’à preuve du contraire, nous n’avons pas l’intention de nous séparer.

– Pourquoi est-ce que quiconque me prendrait à toi ?

Là, il sait sans doute qu’il a touché une corde sensible. Je suis terriblement indépendante et le fait d’entendre un homme me dire qu’il a peur qu’on me prenne à lui… Non, cela ne me plait pas énormément mais je connais Aleks et je penche plus pour une erreur de langage qu’autre chose sur ce coup-là.

– Ce n’est pas parce que nous sommes fiancés que quoique ce soit doit changer. Nous n’allons pas nous marier demain pour autant que je sache. Cependant, on ne peut pas garder ça pour-

Je ne dis plus rien parce que mes yeux viennent de se fixer sur la main gauche du Danois.

– Tu ne portes pas la bague.

Au fond de moi, je sais que c’est sans doute parce que nous sommes sur son lieu de travail et qu’il ne veut pas qu’on lui pose de questions mais je ne peux pas m’empêcher de me sentir quelque peu vexée malgré tout.

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Il ne savait pas comment lui expliquer. Tout était allé très vite. Il aurait voulu avoir le temps de se délecter de cet instant mais tout était allé trop vite. Solveig avait rapidement mis Alice au courant, puis William par peur de le blesser et ainsi de suite. Il était vrai que rien ne devait être amené à changer. Du moins, c’est de cette manière qu’ils avaient continué leur vie. Comme si de rien n’était. Le même rythme, la même routine. Solveig avait eu sa façon à elle d’extérioriser cela en le partageant avec ses proches. Le fait était qu’Aleksej n’avait pas réellement de proches.

Et ce n’était pas réellement une nouvelle qu’on avait envie de partager au téléphone. Pas lui en tout cas. Même Callie n’était pas au courant. La vérité, c’est qu’il avait pris peur. Peur justement que rien ne change. Parce qu’ils avaient retrouvé leur quotidien avec une simplicité déconcertante. Et en quatre semaines, ils n’avaient quasiment pas abordé la question. Comme si la demande de Solveig n’avait été qu’une simple formalité. Allez explique ça à une femme dont vous venez tout juste de toucher la corde sensible la faisant frôler un pique d’irritation et de vexation.

Aleksej passa sa main dans le col de sa chemise pour dégager une chaînette qu’il portait autour de son cou. L’anneau que lui avait offert Solveig y était attaché, ainsi qu’un médaillon que le Danois avait récupéré sur la gourmette de sa fille.

“Je pensais qu’elle serait mieux là, le temps que… le temps que je trouve la bonne pour toi…”

Il avait cette idée idyllique du moment où ils échangeraient leurs vœux. Du jour où ils se promettraient la lune. Seulement, il était également troublé par le fait qu’ils n’en avaient pas réellement reparlé. À dire vrai, le mariage était un sujet qu’ils n’avaient jamais abordé. Il ne s’y attendait pas et ne savait pas quelles étaient les attentes de la jeune femme à ce sujet. Il n’avait pas envie de se marier pour les autres. C’était également la raison qui l’avait poussé à ne pas en parler. Il ne voulait pas qu’on lui donne d’avis, il ne voulait pas être contraint par ce que la bienséance ordonnerait de faire pour ne froisser personne. Il s’agissait juste d’elle et lui. Mais il ne savait pas si c’était de cette manière que Solveig imaginait les choses en faisant sa demande.

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Ce n’est que lorsque mes yeux se posent enfin sur l’anneau autour de la chaîne que je sens mon cœur battre un peu moins vite. Je suis soulagée de constater qu’à défaut d’être autour de son doigt, l’objet est bien là, quelque part sur lui. C’est plutôt bon signe, non ? Malheureusement pour le danois, cela ne répond pas encore aux questions que je lui ai posées juste avant l’incident de la bague.

– Maintenant que ce mystère a été élucidé… Tu veux bien m’expliquer ce qu’il se passe vraiment dans ton esprit tourmenté ? Hormis le fait que tu considères l'assassinat de ma très chère mère.

Que je le veuille ou non, j’ai du mal à gober cette histoire de “je veux garder ça pour nous” alors qu’il sait que j’ai lâché l’information aux quelques personnes faisant partie de mon entourage proche. Sauf Fox… Il va me tuer quand nous allons nous voir demain. Est-ce de ma faute si monsieur est parti en vacances en Europe pendant trois semaines ? Non. Je n’allais quand même pas lui annoncer une chose pareille par téléphone… Bon, d’accord. C’est exactement ce que j’ai fait avec ma mère mais cela est très différent.

– Tu sais… Si tu penses que c’est trop tôt, tu as le droit de me le dire. Je ne me sentirai pas offusquée.

Si, un peu. Mais ça, je ne vais certainement le lui dire. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’il ne serait question que de mon égo parfois un tantinet surdéveloppé.

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Aleksej soupira et se recula dans la chaise, joignant ses mains et grattant nerveusement l’intérieur de sa paume avec l’ongle de son pouce. Il était effectivement en colère contre Virginia Lazzari. Il était certain qu’il échangerait des mots avec sa future belle-mère. Qu’il lui expliquerait sa façon de penser et qu’il clarifierait la situation. Il avait déjà mis la femme en garde concernant la manière insidieuse dont elle se mêlait de la vie de sa fille. À présent, il s’agissait de sa vie à lui aussi.

“Ta mère est le cadet de mes soucis. Même si je ne manquerais pas de lui dire le fond de ma pensée.”

Mais peut-être que cet incident arrivait à point. Parce qu’il touchait à une corde sensible. Aleksej et son besoin permanent de contrôle. Il avait besoin que les choses soient expliquées, clarifiées. Son incapacité à exprimer correctement ses sentiments ne signifiait pas qu’il pouvait se contenter de concepts. Il avait besoin d’un énoncer, d’un cadre. Il avait besoin de clairvoyance. Il n’avait jamais eu besoin de faire cet effort-là avec Lena. Elle le connaissait depuis toujours, ils avaient grandi ensemble et elle avait acquis une certaine compréhension de lui.

Si bien qu’elle avait toujours été capable d’avoir un coup d’avance, de prévoir les réactions d’Aleksej avant même qu’il en ait l’intuition et d’éviter les routes sinueuses. C’était une vie facile. Une relation confortable. Pour lui en tout cas. Il ne doutait pas que son ex-femme devait y trouver son compte ou elle serait partie bien avant. Mais sa relation avec Solveig le poussait à réaliser qu’il n’avait jamais eu besoin de se mettre en danger pour son couple à l’époque.

“Il ne s’agit pas de ça… je ne pense pas que ce soit trop tôt… J’ai déjà été marié une fois, tu sais… et… j’ai besoin d’être sûr du sens qu’on donne à tout ça.”

Il s’agissait d’un engagement à long terme. Pour la vie. Aleksej avait besoin d’un plan structuré. Avancé au jour le jour n’était pas une solution à long terme pour lui. Il était prêt à franchir cette étape-là. Probablement depuis plus longtemps qu’il ne pourrait l’admettre. Peut-être même depuis le jour où il avait accepté les sentiments qu’il avait pour Solveig. Mais parce qu’il n’avait absolument pas de demi-mesure, il ne pouvait pas imaginer le statut de mari autrement que par un dévouement total à leur relation.

“Si on franchit cette étape, des choses devront changer. Tu devras accepter d’être le principal centre de mon attention…”

Il savait qu’elle avait du mal avec ça. Il faisait des efforts pour qu’elle n’en ressente pas trop la pression. Mais s’unir pour la vie, c’était aussi décider de faire partie d’une seule et même équipe. Un tout.

“Et je devrais accepter de te laisser voir au-delà de mes insécurités…”

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Si ma mère est le cadet de ses soucis, croyez bien qu’elle est ma priorité numéro une à l’heure actuelle. Je n’arrive pas à croire qu’elle ait fait une chose pareille et, d’un autre côté, je me demande comment je peux être encore assez naïve à son sujet. Bien-sûr qu’elle a fait un truc pareil ! C’est ma mère ! Virginia Lazzari dans toute sa splendeur ! Elle a tellement de numéros dans son répertoire que j’en viens parfois à me demander si elle n’aurait pas celui d’Obama. Je crois que j’aurai encore préféré qu’elle annonce mes fiançailles à Barack Obama qu’au directeur du NY Times.

– Du sens qu’on donne à tout ça ?

J’ajouterai volontiers un “pardon?!” mais cela ne ferait qu’aggraver la situation. Je ne comprends pas où Aleksej veut en venir alors, pour une fois, je décide de m’arrêter là pour le laisser s’expliquer.

A l’entendre, on a l’impression que je ne sais pas dans quoi je m’engage. Pourquoi a-t-il besoin de nommer les choses qui paraissent...logiques ? Et puis, en quoi devrais-je devenir son principal centre d’intérêt ?

– Je ne suis pas certaine de comprendre où tu veux en venir. Un mariage n’est-il pas le gage ultime que notre couple est solide ? Que nous sommes des partenaires dont le lien ne fera, au final, qu’être dévoilé au monde en rendant notre union officielle ?

Épouser Aleksej ne me rendra pas plus amoureuse de lui que je ne le suis déjà. J’aime cet homme et le demander en mariage a été pour moi comme une évidence. Pourtant contre l’idée de lâcher mon nom de famille dont je suis particulièrement fière malgré les divers fiascos familiaux associés à ce dernier, je suis aujourd’hui prête à faire un grand pas en avant tout en prouvant à l’homme que j’aime qu’il est tout pour moi. Cependant, je ne comprends pas en quoi cela devrait changer quoique ce soit.

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Si elle pouvait voir ce qui se passait dans sa tête tout cela serait bien plus facile. Aleksej ne doutait pas de la pureté des sentiments que Solveig avait à son égard et il était parfaitement conscient qu’en lui demandant de se marier avec elle, elle était passée bien au-delà de sa zone de confort. La solution de facilité aurait été d’acquiescer et de passer à autre chose. Mais est-ce qu’il voulait vraiment que leur histoire se construise sur ce genre de compromis ? Ses sourcils s’étaient froncés à mesure que la jeune femme tentait d’interpréter ses paroles.

“C’est ce que tu… Non… Je ne crois pas non. Je ne pense pas que cela prouve quoi que ce soit. Je pense au contraire que c’est un pari…”

Un pari risqué. Un coup de poker dont on ne peut pas prévoir l’issue, seulement l’espérer. Il était tout à fait prêt à prendre ce risque-là, pour elle. Mais il ne le voyait pas comme quelque chose d’ultime. D’ailleurs le fait qu’elle utilise ce mot l’effrayait un peu. Pour lui, il s’agissait d’ouvrir une nouvelle porte. D’une fondation, pour une relation à construire.

“Tu penses réellement qu’il ne s’agit que de ça ? Officialiser les choses ?”

Il n’y avait aucun jugement dans sa voix. Peut-être un peu d’hésitation. Mais il fallait qu’il soit sûr. Il fallait qu’ils sachent tous les deux à quoi s’en tenir. Jusqu’à ce jour, ils n’avaient jamais réellement parlé de mariage. Aleksej ne s’était pas projeté dans un tel projet. La vie lui avait appris à ne pas trop faire de plans sur la comète. Pour autant, le mariage représentait tout de même quelque chose pour lui.

“Je n’ai pas besoin de faire l’étalage de mes sentiments sur la place publique. Je sais où va mon coeur et ça me suffit. Et je n’ai pas envie de rendre de compte à qui que ce soit…”

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– Un pari ? répétais-je, clairement offusquée.

Je ne fais pas dans le pari lorsqu’il est question de relations humaines. Il est évident que je n’ai pas suffisamment de personnes qui m’entourent pour me permettre ce genre de choses.

– L’union même de deux personnes c’est une officialisation, Aleksej !

Malgré moi, je sens bien que je commence à m’emporter. Tout à coup, je regrette que nous n’ayons pas évoqué ces sujets plus tôt puisqu’il semble évident qu’Aleksej et moi n’envisageons pas le fait de nous marier de la même façon. Je décide de prendre ça avec légèreté pour ne pas me laisser sombrer dans la crainte du grand saut que représente le mariage tandis qu’il- Je ne sais même pas comment traduire ce qu’il me dit.

– Tu épouses une Lazzari. Tu n’auras pas le choix que d’étaler ça sur une place publique, Aleksej Svendsen !

C’est maintenant pleine de rage (pour une raison qui me dépasse complètement, d’ailleurs) que je me lève, lisse ma jupe cintrée et attrape mon sac à main que j’avais posé à mes pieds.

– Nous en reparlerons plus tard parce que là, tu commences à me gonfler. Mais mets toi bien quelque chose dans le crâne, Aleks : t’épouser ne changera pas mes sentiments à ton égard. Je t’aime déjà avec tout ce que j’ai. Un anneau et une signature n’y changeront rien !

Sur ces mots, je tourne les talons et sors du bureau de l’homme non sans claquer la porte.
A ma sortie du Palais de Justice, je ne croise pas les journalistes qui étaient présents à mon arrivée, ce qui me soulage. Je hèle un taxi, me fichant bien de savoir si la planète me le fera payer plus tard ou non, et demande au chauffeur à ce qu’il me dépose à mon bureau. Je préfère encore gérer des dossiers compliqués plutôt que...ça.

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Aleksej ouvrit de grands yeux en voyant à quelle vitesse Solveig s’emportait. Il voulait seulement être honnête avec elle. Il frotta son visage en soupirant alors qu’elle montait dans les tours. Il n’essaya pas de la retenir. Il savait que cela ne ferait qu’envenimer la situation. Quand la pression montait, elle avait besoin d’espace. Il resta assis un moment, le regard dans le vide, l’esprit perdu dans ses pensées. Au bout d’un certain temps, sa secrétaire fit finalement son apparition.

“Vous voulez que j’annule vos rendez-vous de l’après-midi ?”
Ce ne sera pas nécessaire. Solveig ne rentrera probablement pas de bonne heure ce soir…

Il se frotta la barbe en soupirant. Cette conversation devrait reprendre là où ils l’avaient laissé. Autant faire en sorte d’être occupé jusqu’à ce que cela arrive. Il termina tout de même sa journée à une heure raisonnable. Il préférait être rentré de bonne heure pour ne pas avoir une raison de plus de mettre de l’huile sur le feu. Bien qu’il n’ait pas voulu blesser la jeune femme, il ressentait une pointe d’irritation en pensant à sa réaction.

L’enthousiasme dont firent preuve les chiens à son retour ne suffit pas à le faire se dérider. Solveig n’était pas rentrée, il se décida donc à aller prendre l’air avec les deux animaux. Après une bonne heure de promenade, l’appartement était toujours désert. Il jeta un coup d’œil à la montre digital du four qui indiquait déjà 19h. Aleksej n’avait aucune envie de cuisiner ce soir. À la place, il attrapa la bouteille de scotch dans le placard et se servit un verre qu’il emporta sur la terrasse. Les températures étaient plutôt fraîches pour un mois d’été, mais cela n’avait jamais posé de problème au Danois. Il connaissait le froid et ce dernier avait quelque chose de rassurant.

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– Je n’ai pas envie de rentrer, dis-je à la blonde assise face à moi, l’air dubitatif.
– Parce que tu sais que vous allez devoir confronter vos opinions sur ce que représente le mariage pour l’un et l’autre.
– Merci, Sherlock. Comment se fait-il que tu sois encore à New York ?
– Je sentais que les choses n’allaient pas être aussi simples que tu me l’as laissé entendre. De plus, j’ai des patients ici.

C’est nouveau ça. Bedelia ne m’a jamais dit qu’elle avait maintenu une liste de patients new yorkais. Comme quoi, tout arrive.

– Tu détestes New York.
– Il ne s’agit pas de moi, Solveig.

J’aimerai pourtant qu’on arrête de parler de moi et de mon incapacité à comprendre les sentiments des autres.

– Donc tu restes à l’hôtel… Tu as les moyens.
– Je les ai mais, encore une fois, il n’est pas question de moi. Rentre chez toi, retrouve ton fiancé et discute.

Discute, discute, elle est mignonne, elle. Comme si cela était aussi simple qu’elle le prétend. Discuter avec Aleksej de quoi, qui plus est ? Du fait qu’il a l’air de considérer que le mariage va tout changer alors que je considère que cela ne fera qu’ajouter un truc à notre histoire ? Rien qu’à y penser, je sais déjà que nous allons nous disputer et dieu sait où je vais dormir ce soir. Peut-être vaut-il mieux nous épargner cela et ne...pas rentrer.

– Solveig.
– Il ne comprendra pas mon point de vue.
– Ote-moi d’un doute mais il te supporte depuis deux ans maintenant, c’est ça ?
– Disons cela. Attends. “Supporter” ?

Elle me lance un sourire narquois avant de se lever et de me pousser vers la sortie de sa chambre d’hôtel.

– Affronte tes propres démons.
– Aleks n’est pas un démon.
– Donc il n’y a pas de problème. Tu sais où me trouver.


9:50pm

Quand je passe le pas de la porte de notre appartement, je m’attends naïvement à trouver Aleksej sur le canapé mais il n’y est pas. Je ne prends même pas la peine de retirer mes talons. Je veux qu’il les entende claquer contre le parquet et qu’il comprenne que je suis rentré, où qu’il soit.
Ce n’est que lorsque j’aperçois une silhouette sur le balcon que je comprends qu’il a besoin d’air. La question est maintenant de savoir à quel point il en a besoin.

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Il était presque 22h quand Aleksej entendit les pas de Solveig résonner dans l’appartement. Étant données l’heure et la manière dont elle avait quitté son bureau le matin même, il en déduisait qu’elle devait toujours être remontée. Il attrapa le verre vide qui traînait à présent sur la petite table de la terrasse et se décida à rentrer. Il fallait qu’ils aillent au nerf de cette conversation. Et mieux valait plus tôt que plus tard. Il en était convaincu, ce qui ne rendait pas les choses plus aisées.

“Bonsoir…”

Son ton était hésitant. Il préférait tâter le terrain avant de se jeter dans la gueule du lion. De la lionne pour le coup. Il traversa la pièce pour aller rincer son verre dans la cuisine. Il s’était arrêté à deux verres. Peut-être déjà trop. Mais probablement pas assez pour lui donner la confiance dont il aurait pourtant besoin ce soir. Il ne savait ce qu’avait fait Solveig de sa journée et l’idée de ne pas savoir où elle était jusqu’à maintenant provoquait en lui une sensation d’inconfort. Généralement, ils se tenaient informés de leurs allés et venues.

“Je crois qu’il faudrait qu’on discute…”

Autant mettre les deux pieds dans le plat. De toute façon, ils pouvaient difficilement faire machine arrière. Ils étaient arrivés à un point d’incompréhension l’un de l’autre qu’ils devraient clarifier. Surtout vu l’enjeu. Aleksej était prêt à écouter le point de vue de la jeune femme mais il aurait du mal à changer la manière dont il voyait les choses. Pourtant, il était tout de même prêt à écouter.

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– Bonsoir.

Il a fait le premier pas, je ne peux pas l’ignorer. Je n’en ai pas envie non plus. Tout est juste...si compliqué. Pourquoi est-ce que la vie a toujours besoin d’être compliquée (surtout en matière de sentiments) ? Ne peut-on pas se marier simplement et continuer notre vie en commun comme nous le faisons depuis plus de deux ans maintenant ?

– Tu as raison.

Là encore, je n’ai rien à dire qui pourrait le contredire. Aleksej a raison. Nous devons avoir une conversation vis-à-vis de ce qu’il s’est passé plus tôt dans la journée. Cela ne m’enchante pas mais il le faut.

– J’ai eu ma mère au téléphone. Elle ne s’excusera pas d’exposer, je cite, sa joie de savoir sa fille fiancée à un homme comme Aleksej Svendsen.

Bien entendu, je sais que cela n’est pas le sujet qu’Aleksej et moi-même devons aborder ce soir. Mais puisque c’est cet “incident” qui a tout déclenché, j’estime qu’il doit être tenu informé des derniers rebondissements concernant Virginia Lazzari.

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L’atmosphère qui régnait dans leur appartement était quelque peu pesante. Au moins ils étaient d’accord sur le fait qu’il fallait donner suite à la discussion qu’ils avaient entamée plus tôt. Aleksej alluma la bouilloire et sorti deux tasses du placard. Sa façon à lui de lui montrer qu’il ne cherchait pas le conflit. Il n’avait pas vraiment hâte d’entamer ce dialogue-là mais il se disait que les choses iraient mieux une fois qu’ils auraient crevé l’abcès. Il ne savait pas si c’était la différence d’âge ou l’éducation qu’ils avaient reçue, mais il sentait bien qu’ils n’étaient pas sur la même longueur d’ondes et il détestait ça. Pourtant, il fallait qu’il accepte qu’ils ne pouvaient pas toujours voir les choses de la même manière.

Le Danois leva les yeux au ciel en entendant Solveig lui relater la réflexion de sa mère. Il n’était pas sûr de la manière dont il devait le prendre. N’était-il aux yeux de Virginia qu’un trophée de plus à ajouter à la collection de la famille Lazzari ? N’accordait-elle aucune valeur à sa capacité ou non de rendre sa fille heureuse ? Quoi qu’il en soit, il n’avait pas l’intention de se battre avec sa future belle-mère non plus. Tant qu’elle les laissait vivre leur vie sereinement et de la manière dont ils l’entendaient, elle pouvait bien penser ce qu’elle voulait.

Une fois les deux tasses de thé servies il se dirigea vers le salon et adressa un sourire timide à la jeune femme en lui faisant signe de le suivre. Une fois installés, il lui tendit sa tasse avant de caresser doucement sa joue.

“Je suis désolé si j’ai pu dire quelque chose qui t’ai blessé ce matin, ce n’était pas mon intention.”

Il cherchait son regard, tentant de trouver l’attention de la brunette et de s’y fixer. Il se redressa un peu sur le canapé, s’efforçant de trouver une position volontaire sans pour autant paraître raide et récalcitrant.

“Tu sais que je n’ai pas toujours les mots adaptés à ce que je ressens… En cour c’est facile, il ne s’agit pas de moi… Et ce ne serait pas juste de te demander de deviner ce qu’il y a dans ma tête…”

Il était temps qu’il l’accepte. Solveig ne pouvait composer qu’avec les pièces qu’il voulait bien lui donner. La seule alternative était d’arriver à lui dire ce qu’il avait sur le cœur. Il avait probablement fallu des années à Lena pour apprendre à décoder son langage et peut-être que ce n’était pas une faveur qu’elle lui avait faite. Aleksej n’avait jamais eu besoin de faire cet effort-là.

“Tu sais, je pense qu’il y a un tas de bonnes raisons de se marier. Mais je ne crois pas que l’amour en face parti. Laisse-moi terminer avant de faire ces yeux… Ce que je veux dire par là c’est que je t’aime. Je ne t’aimerais pas plus parce qu’on se marie ni moins si on ne se marie pas.”

Il était fou d’elle. Il n’imaginait pas sa vie sans elle. Il avait d’ailleurs de plus en plus de mal à se remémorer ce que c’était que de vivre seul. Elle faisait partie de son quotidien, de la plupart de ses pensées.

“Mais j’ai du mal à comprendre ce que ça signifie pour toi, exactement. Pourquoi est-ce que tu veux qu’on se marie ?”

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Je tiens à rectifier le tir de suite lorsque je l’entends me présenter des excuses, l’homme partant du principe qu’il m’a dit quelque chose aujourd’hui qui m’a blessé. Ce n’est pas le cas et je veux qu’il le sache. Je refuse qu’il commence à se blâmer pour quelque chose qui n’existe pas.

– Non, non. Tu n’as rien dit de mal en soi, Aleks. C’est moi…

Bien sûr que c’est moi. Moi et mon incapacité à comprendre ce que ressentent vraiment les gens. Moi et mes innombrables turpitudes dont je ne semble pas capable de me détacher. Moi et ma peur parfois irrationnelle de l’engagement.

Une vague de soulagement m’envahit brusquement lorsque je l’entends me dire que m’épouser ne changera pas la façon dont il m’aime. Sans s’en rendre compte, le Danois vient de me libérer d’un poids lourd pesant sur mon cœur depuis notre altercation.

– La réduction des impôts ?

Impossible de me retenir. Je veux que l’ambiance se décharge de toute cette tension. Alors, évidemment, je tente une blague nulle. Je ne suis pas vraiment réputée pour avoir un humour tordant, il est vrai.

– Non je- Je t’aime et je veux passer le reste de ma vie avec toi. Et, même si c’est affreusement cliché, je pense que l’étape du mariage prouvera cela. Ce que je veux dire c’est que… Porter ton nom en plus du mien sera une réelle fierté parce que cela montrera aux autres que nous formons une véritable équipe contre laquelle personne ne pourra rien.

Il est évident que je ne suis pas claire dans ce que je raconte mais je sais qu’il me pardonnera. J’attrape le mug fumant qu’il m’a servi avant de dire :

– Tu n’as pas idée à quel point j’aimerai que ce soit un vin chaud, à l’heure actuelle.

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Aleksej laissa échapper un petit rire et adressa à Solveig un regard plein de tendresse. Il lui était reconnaissant qu’elle tente de désamorcer la situation en faisant de l’humour. Il voulait pouvoir discuter avec elle des choses importantes, même quand ils n’étaient pas du même avis. Surtout quand ils n’étaient pas du même avis et sans que cela déclenche la troisième guerre mondiale ou qu’il finisse par passer la nuit sur le canapé.

“La réduction des impôts est une bonne raison, certes…”

La main du Danois vint retrouver la joue de la jeune femme avant de se glisser dans son cou. Si Aleksej baissait instantanément la garde quand Solveig passait sa main dans ses cheveux, il avait remarqué l’inclination de la jeune femme à lâcher un peu de leste lorsqu’il venait loger ses doigts à cet endroit-là. Presque imperceptiblement son visage venait à la rencontre de sa main à la recherche de ce contact.

“Tu sais, ça me touche beaucoup que tu veuilles associer mon nom au tien. Mais je veux également être sûr que tu ne cherches pas à prouver quoi que ce soit à qui que ce soit. Et je voudrais que tu en sois sûre…”

Solveig avait toujours joué des coudes quels que soient les domaines. Enfant, elle avait dû rivaliser avec le travail de ses parents pour recueillir un peu d’attention de leur part. Jeune femme, elle avait dû affuter son caractère pour pouvoir se faire une place professionnelle dans un monde d’hommes. Elle ne devait ce qu’elle était qu’à elle-même. Ce qui soulevait une question importante : serait-elle capable de lui faire de la place ?

“Il n’y a rien que je ne souhaite plus que te vieillir à tes côtés… Et entends-moi bien avant que je ne continue. Il n’est pas question de faire machine arrière. Mais… est-ce que tu es certaine d’être prête à passer ce cap-là ? De faire de cette relation ta priorité ? Et de la faire passer avant tout le reste ? Notamment ton travail ?”

Il savait qu’il touchait à un point sensible et son but n’était absolument pas de remettre en question les choix de la jeune femme. Pour lui il s’agissait plus d’une histoire de timing.

“Je veux me marier avec toi. Parce que j’ai envie de construire des choses avec toi, de faire évoluer notre relation. Mais je serais prêt à attendre si tu penses que tu as encore d’autres choses à explorer.”

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Ne cherche-t-on pas toujours à se prouver des choses au quotidien ? Chaque étape franchie n’est-elle pas la preuve ultime dont nous avons tous besoin pour nous prouver que nous sommes capables de faire des choses ? Pourquoi épouser Aleksej ne pourrait-il pas m’apporter la satisfaction de me dire que, oui, je peux de nouveau aller jusque-là avec un homme sans craindre que celui-ci me laisse tomber le jour du mariage ? Pourquoi cela devrait-il être mal vu ? Cela ne remettrait pas en cause les sentiments que j’ai pour le Danois, loin de là.

Prête à passer ce cap ? Mais pourquoi en revient-on encore à cela ? Ne suis-je pas celle qui a fait ma demande ? Ne suis-je pas celle qui est allée acheter cette bague il y a des mois de cela ? Ne suis-je pas celle des deux qui a parlé de nos fiançailles à mon entourage ?

Faire de notre relation une priorité ? Pourquoi me demande-t-il une chose pareille maintenant ? Comment peut-il…

– Mon travail est la seule chose qui m'a permis de tenir le choc après ma rupture avec William et tu le sais très bien. Non, je ne digère toujours pas le fait d’avoir perdu mon statut d’avocate parce que j’étais une putain d’avocate, Aleks ! D’accord ? Mais cela ne signifie pas pour autant que je ne te place pas au top de mes priorités. Sans parler du fait que ce n’est pas le fait d’être mariés qui devrait changer cela. J’aime ce que je fais au quotidien et c’est bien là l’une de nos plus grosses divergences, j’en ai conscience. Mais contrairement à toi, je ne cherche pas à te le rappeler tous les quatre matins dès qu’un problème survient dans notre relation.

Je me lève et commence à faire les cent pas dans le salon, une main posée sur mon front. Je n’arrive pas à croire que nous ayons encore besoin de parler de ma carrière.

– Qu’est-ce que tu entends par là, au juste ? Tu veux savoir si je quitterai mon bureau en un claquement de doigts si j’apprenais qu’il t’était arrivé quelque chose ? La question ne se pose même pas, bon sang ! Et puis, qu’est-ce que c’est que cette histoire encore ? Explorer quoi, au juste, tu peux m’expliquer ?

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L’intention d’Aleksej n’était pas de confronter Solveig sur les choix qu’elle faisait. Il pensait au contraire lui donner plus d’espace. Essayer de se montrer compréhensif par rapport à ses ambitions et à la place que son travail prenait dans sa vie. Cela partait d’un bon sentiment. Il voulait lui montrer son support et non lui reprocher quoi que ce soit. Mais il ne s’attendait pas à un tel retour de boomerang. Son regard se fixa sur ses chaussures et il serra les dents en écoutant Solveig lui faire remarquer que le fait qu’il se sente misérable au travail ne l’autorisait pas à transférer cette frustration sur elle.

Il s’agissait là de paroles blessantes. Mais il les encaissa sans broncher. Elle n’avait pas foncièrement tort sur le fait qu’il ne s’épanouissait pas dans son job mais la façon dont elle lui avait craché cela à la figure lui avait fait l’effet d’une gifle. Alors que Solveig avait commencé à faire les cent pas, il se laissa aller en arrière  et se frotta les yeux. Après tous les hauts et les bas qu’ils avaient traversé, il pensait qu’ils pourraient être capable d’échanger leur point de vue et d’en discuter sans que cela ne déclenche un nouveau conflit. Il avait mis les deux pieds dans le plat et regrettait déjà d’avoir ouvert la bouche.

Il savait qu’il voulait passer le reste de sa vie avec cette femme alors pourquoi rendre les choses plus compliquées. Il avait la quarantaine passée et le temps n’était probablement plus un luxe qu’il pouvait se payer. Si elle était heureuse, c’était tout ce qui lui importait au final. Il était peut-être temps qu’il abandonne les idéaux romantiques auxquels il s’accrochait et la vision lisse et idéale qu’il avait du couple. Il devait se contenter du temps qu’elle lui accorderait et profiter au maximum de ces instants. Et pour la douzaine d'heures restantes dans journée, Solveig avait raison, il devrait trouver une occupation satisfaisante.

Il n’avait pas réalisé le mutisme dans lequel il s’était plongé tandis que ses pensées faisaient des allers-retours dans son esprit. Il cligna plusieurs fois des yeux pour revenir à cet instant, réalisant qu’elle lui avait effectivement posé une question.

“Non… Tu as raison, c’est stupide… Se marier ne change rien.”

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Va-t-il réellement s’en tenir à un “tu as raison” ? Je laisse échapper un soupir de frustration tandis que je m’arrête de marcher dans tous les sens, mon visage maintenant caché dans mes mains. Pourquoi rien ne peut-il jamais être simple ?

– Aleks…

Comment vais-je réussir à m’exprimer sans le heurter ? Puis-je seulement y parvenir ? Je me le demande.

– Ma demande en mariage n’est pas un caprice d’enfant. Je t’ai demandé de m’épouser parce que je t’aime suffisamment pour tenter ce voyage-là avec toi. Oui, je dis “tenter” parce que personne ne sait de quoi demain sera fait. Je sais que tu rêves qu’on finisse notre vie ensemble et crois-moi lorsque je dis que je souhaite la même chose mais personne n’est en mesure de nous assurer que c’est ce qu’il se passera.

Il n’a pas idée d’à quel point j’ai envie d’un verre, c’est terrible. Je repense vaguement au mug en train de refroidir sur la table basse. Je le ferai réchauffer après.

– Mais t’épouser ne veut en aucun cas dire que je vais changer quoi que ce soit. Je ne changerai pas qui je suis parce que je vais devenir la “femme de”. Je reste qui je suis comme tu restes qui tu es. Je ne souhaite en aucun cas que tu deviennes quelqu’un d’autre sous prétexte que tu seras mon mari. J’ai besoin que tu comprennes ça. Cette union n’est là que pour nous conforter dans l’idée que nous sommes une équipe. Elle nous renforcera mais elle ne nous changera pas.

A aucun moment je n’ai ressenti l’envie ni même le besoin de voir Aleksej changer. L’homme qu’il est et qu’il était quand nous nous sommes “retrouvés” est celui dont je suis tombée amoureuse. Je n’ai absolument pas besoin qu’il devienne quelqu’un d’autre sous prétexte qu’il sera mon époux.