I can see daylight

Les fêtes de fin d’année ont été pour le moins…chaotiques, cette année. Sans parler du retour de certaines restrictions à New York, le seul fait d’avoir deux enfants à gérer a été une épopée. Et mon manque de sommeil en témoigne généreusement. Pour Noël, tout le monde a voulu faire un effort si bien que les enfants se sont retrouvés avec beaucoup de cadeaux sous le sapin. Un peu trop probablement mais nous avons des années pour corriger le tir.
Ces dernières semaines, nous avons réussi à établir un dialogue plus serein avec les parents d’Alice qui ont fini par comprendre que je ne les empêcherai jamais (au grand jamais) de voir leurs petits-enfants. Bien au contraire, même. Ce n’est pas comme si ma famille pouvait jouer ce rôle-là pour Ellie et Tim. Bernadette a fini par m’avouer qu’elle craignait que les enfants me prennent trop de temps et que je ne parvienne pas à m’en sortir. Le fait est qu’elle me voyait encore un peu trop comme celle que j’étais il y a dix ans, je crois. Quand elle a vu Aleks et qu’elle a constaté les interactions entre les enfants et nous, je crois que c’est à ce moment où elle a réellement compris qu’ils étaient entre de bonnes mains et qu’ils n'iront nulle part. Sans parler du fait qu’il n’y a que quatre heures de route entre New York et Washington. Rien ne m’empêchera de prendre la route ou de prendre un avion pour que les enfants voient leurs grands-parents et vice et versa.

– Solie ?

Je suis en train de préparer son chocolat chaud quand j’entends la voix d’Ellie m’interpeller depuis le salon. Elle est affalée contre Aleks qui lui lisait une histoire.

– Tout va bien ?
– Aleks n’ose pas demander un chocolat chaud.

Je hausse l’un de mes sourcils, amusée par cet aveu de la part de l’enfant. Alors comme ça, les adultes n’osent plus prendre la parole dans cet appartement ? Voilà qui est étonnant.

– Quelque chose à me demander, monsieur le Procureur ?

Spoiler:

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Pour un homme qui avait évité les fêtes de fin d’année en famille depuis plus de dix ans, Aleksej avait été servi cette année. Il était passé à travers l’agitation et le chaos sans faillir. Mais il ne pouvait nier que l’effervescence des festivités l’avait lessivé. C’est dans ces moments-là qu’il réalisait qu’il n’avait plus vingt ans et par précaution, il avait pris soin de prendre rendez-vous pour un check-up rapide auprès de Carsten. Il avait tendance à l’oublier parfois mais l’époque où il était terrassé par les crises de panique n’était pas si loin. Pourtant, il lui semblait que cela faisait une éternité.

Le calme revenait peu à peu dans la maisonnée et ces premières journées du nouvel an démarraient de manière plus tranquille. Il était plus que nécessaire de reprendre un rythme plus régulier et de remettre les rituels en place. Si Tim était réglé comme une horloge, les exceptions faites lors des fêtes concernant Elizabeth avait fait sentir leurs effets rapidement. Manquant de sommeil, elle était plus émotive et plus nerveuse. Ils avaient donc freiné les activités pour passer la journée à la maison au calme. Le Danois se prêtait volontiers au jeu des histoires. Il aimait ces moments d’apaisement et de concentration. Même s’il fallait parfois relire les mêmes histoires, encore et encore, il n’y voyait jamais d’objection.

Alors qu’il était en plein milieu d’une histoire de princesse qui sauvait un chevalier, Elizabeth le coupa dans sa lecture pour interpeller Solveig qui se trouvait à quelques mètres dans la cuisine. Le Danois posa sa main sur la tête de la petite fille pour lui faire lever le visage vers lui.

“Comment ça ? Tu ne vas pas partager ton chocolat avec moi ?”

Il lui piquait toujours quelques gorgées. C’est ce qu’il faisait à chaque fois. Une habitude qu’ils avaient prise. Ellie lui proposait toujours de goûter et Aleksej vidait systématiquement la moitié de la tasse. Étant donné qu’elle ne le finissait jamais, il s’était dit qu’il préférait boire sa part avant que le fond de la tasse ne soit complètement froid. La petite fille s’animait toujours mais c’était plus pour le principe. Tous les deux se cherchaient gentiment. Il leva les yeux vers Solveig et lui adressa un léger sourire.

“Je crois plutôt que cette demoiselle cherche à gagner du temps pour éviter d’aller se coucher…”

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– Est-ce que c’est vrai, jeune demoiselle ? demandai-je à Ellie dont j’aperçois les joues se rosir.

Elle ressemble énormément à sa mère comme ça. Alice avait ce même “problème” comme elle disait, dès qu’elle était gênée, ses joues changeaient de couleur. J’ai toujours trouvé cela particulièrement drôle pour une avocate et j’admets volontiers être heureuse de retrouver cet attrait chez sa fille. C’est un peu comme si Alice était encore là, finalement.

– Peut-être ?

Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il sera toujours particulièrement difficile de lui reprocher sa sincérité.

– J’aime bien être avec vous, continue-t-elle.
– Et nous, on aime bien être avec toi donc c’est plutôt chouette, non ?

Elle acquiesce avant de se caler un peu plus contre Aleksej. Qu’on le veuille ou non, je pense que notre présence la rassure - tout comme celle de son petit frère. Ellie a beau avoir perdu ses repères principaux, le fait de nous avoir doit lui rappeler qu’elle n’est pas toute seule pour autant.

– Tenez jeune demoiselle, dis-je en m’approchant d’Aleks et elle pour venir poser le chocolat chaud sur la table basse devant nous. "Est-ce que je peux servir quelque chose à monsieur ou se contentera-t-il d'un partage de chocolat chaud ?" dis-je en m'adressant à mon mari.

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Aleksej observa Solveig alors qu’elle bavardait avec la petite fille. Si elle aussi avait le visage marqué par la fatigue, elle n’en restait pas moins rayonnante. Depuis l’arrivée des enfants, le Danois avait été le témoin d’une réelle transformation. Il avait parfois du mal à croire que la femme qui se tenait devant lui était celle qu’il avait épousé. Elle qui flippait totalement à la simple idée de faire une après-midi de baby-sitting. Elle avait trouvé quelque part au fond d’elle des instincts maternels inavoués. Et une forme d’épanouissement insoupçonnée.

Alors que la petite fille se serra un peu plus contre lui, il expira profondément. Elizabeth avait pris l’habitude de venir se pelotonner contre lui. Il raffermit un peu plus son étreinte. Il savait que ça la rassurait. Même s’ils commençaient tous à se faire peu à peu à cette nouvelle vie, l’heure du coucher restait toujours un peu délicate. La petite fille avait toujours quelques appréhensions quand il s’agissait d’aller au lit. Et quand la tension devenait trop palpable, Solveig s’empressait de prendre le relai. Elle prenait son rôle de gardienne très au sérieux. Évidemment, il n’en aurait pas attendu moins d’elle.

“Quelques gorgées de chocolat suffiront, merci.”

Un sourire se dessina sur ses lèvres alors que la petite fille lui fit les gros yeux en lui pointant son index sous le nez. Au bout du compte, Elizabeth ne termina pas son chocolat comme à l’accoutumé. Ses joues rosirent quand elle tendit sa tasse au Danois. Il embrassa doucement sa tempe et caressa affectueusement ses cheveux. De l’affection, il en éprouvait pour les deux enfants. Comme pour tous les gamins qui avaient croisé sa route. Chaque jour leur complicité se renforçait et il se surprenait parfois à se réjouir de rentrer à la maison pour les retrouver.

Mais il ne pouvait pas ignorer les vagues de mélancolie qu’il essayaiti de refouler de son mieux. Parfois son esprit se faisait la malle. Comme déconnecté de la réalité. Et pour la première fois, Aleksej qui n’avait jamais été capable de faire preuve de demi-mesure se retrouvait dans un vague gris. Un gris brumeux. Pas tout à fait dedans. Pas tout à fait dehors.

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Impossible pour moi de retenir un éclat de rire lorsque j’aperçois Ellie donner le restant de sa boisson chaude à Aleks. Evidemment. Il avait raison. Elle ne finit jamais son chocolat chaud parce que cette enfant a les yeux plus gros que le ventre et qu’elle refuse encore de l’admettre. J’imagine que c’est on ne peut plus normal pour une enfant de cinq ans.

Quelques instants plus tard, alors que je suis encore en train de m’affairer dans la cuisine, je me rends compte que tout le monde est un peu trop silencieux dans le salon. Je tourne la tête et aperçois l’air perdu de mon mari. Ellie quant à elle est en train de piquer du nez contre lui.
Je m’approche discrètement d’eux et prends Ellie dans mes bras, les siens venant s’enrouler autour de mon cou.

– Je vais la préparer pour dormir, dis-je calmement en espérant ramener Aleks parmi nous.

J’ai déjà remarqué ce comportement de la part du danois quelques fois mais je n’ai jamais osé rien dire. J’imagine que se retrouver avec une petite fille près de lui doit lui rappeler sa propre fille que la vie lui a retirée… Je me demande si c’est pour cette raison qu’il hésite concernant les enfants. Je ne suis pas naïve, je sais que ce n’est pas parce que nous n’en parlons plus que tout est réglé pour autant. A l’heure qu’il est, je ne sais toujours pas si Aleks veut réellement de ce rôle-là ou non.

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Aleksej tourna la tête vers Solveig alors qu’elle venait prendre la petite fille pour aller la coucher. Il acquieça distraitement. Une fois seul dans le salon, il s’étira de tout son long. Elizabeth n’avait peut-être que cinq ans mais elle était déjà assez lourde pour le laisser engourdit après leur petite séance de lecture. Il se dirigea dans la cuisine et attrapa un verre dans le placard qu’il remit finalement à sa place. Cette habitude aussi avait perdu son petit goût délectable.

Il jeta un coup d’œil à sa montre et réalisa qu’il n’était pas aussi tard qu’il l’aurait pensé. Pourtant, il montrait déjà des signes de fatigue. Ce qui n’avait rien d’étonnant quand on y pensait. Le Danois avait pris l’habitude de se lever aux aurores pour avancer sur ces dossiers. Au petit matin, quand toute la maisonnée était encore endormie, il était encore efficace. Il travaillait jusqu’à ce que l’un d’eux face signe de vie. En général, Tim était le premier à se réveiller. Alors Aleksej le cherchait sans bruit dans leur chambre à coucher pour laisser à Solveig quelques précieuses minutes de sommeil en plus.

Les deux garçons commençaient doucement la journée. Et tandis que Tim, encore un peu endormi, buvait tranquillement son biberon, le Danois s’attelait à la préparation du petit déjeuner. Si Solveig et lui avait toujours été du style à expédier ce premier repas, Aleksej avait mis un point d’honneur à ce que cela soit différent depuis l’arrivée des petits. Pour eux aussi, les journées étaient longues et il souhaitait qu’ils démarrent dans les meilleures conditions. Leur donner de bonnes habitudes dès à présent.

Il entreprit de préparer le plan de travail pour le lendemain, ainsi que les bols et tout ce qui pouvait déjà être sorti. Solveig réapparu finalement et ferma minutieusement la porte de la chambre de la petite fille.

“C’était rapide… J’ai l’impression qu’elle commence à avoir moins de mal lorsqu’il s’agit d’aller au lit, non ?”

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– Bonne nuit, ma puce.
– Est-ce que tu as vérifié dans le placard, Soli ?
– Comme tous les soirs, Ellie. RAS.
– Merci, me dit la petite en fermant les paupières déjà bien trop lourdes pour elle.

Il ne me faut pas très longtemps avant de pouvoir prendre congés et retourner dans le salon. J’aperçois Aleks dans la cuisine en train de faire ce qu’il fait quasiment tous les soirs : préparer la pièce pour le lendemain matin. C’est comme s’il ne prenait jamais de pause. Je ne sais pas quoi en penser. Je crois surtout que je n’ose pas particulièrement aborder le sujet avec lui.

– C’est l’impression que j’en ai aussi. Croisons les doigts pour qu’elle ne se réveille pas en sursaut à trois heures du matin, dis-je en croisant effectivement les doigts devant Aleks avant de venir m’asseoir sur le canapé.

Il serait fou de dire que nous n’avons pas quelques heures de sommeil en retard depuis l’entrée des enfants dans notre vie. Ellie fait de son mieux mais les cauchemars ne se contrôlent pas. La psychologue qu’elle consulte nous a expliqué que cela prendrait du temps, ce qui nous a semblé tout à fait logique. Dans ce malheur, Aleks et moi avons au moins la chance de constater que Tim dort toujours à poings fermés.

– Tu veux en parler ?

Je sais qu’il sait très bien de quoi je parle. Mais comme je ne veux pas le forcer à dire ce qu’il a vraiment sur le cœur, je me contente de lui tendre une perche sans réellement croire qu’il soit d’humeur à la prendre.

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Aleksej fit la moue en entendant Solveig prier à voix haute que la petite fille ne se réveille pas en pleine nuit. Il savait que ce n’était pas sa faute. Cela n’empêchait pas ce genre de réveil d’être douloureux. Ce n’était jamais agréable d’être le témoin de ces terreurs nocturnes. L’impuissance face à laquelle le mettait cette situation le bouleversait. Aucun enfant ne devrait avoir à traverser cela. À cela s’ajoutait la crainte que Tim s’éveille à son tour. Pour eux non plus, le coucher n’était pas toujours serein.

“Ça ira mieux avec le temps…”

Ce serait probablement long mais il voyait déjà du mieux. Quotidiennement. Les enfants se remettaient plus facilement que les adultes. Du moins, il l’espérait profondément. Alors que la jeune femme s’installait dans le salon, le Danois avait mis la bouilloire en route. Durant les quelques jours qu’ils avaient passé à New York lors du réveillon, les Porter avaient l’habitude de prendre une infusion en fin de journée, avant de rejoindre leur hôtel. Et ma foi, Aleksej ne trouvait pas ça désagréable. Il sortit donc deux tasses et laissa infuser un mélange de plantes quelques instants.

Si Aleksej avait toujours eu besoin de rituels, cette manie c’était intensifiée avec l’arrivée des enfants. C’était sa manière à lui de garder le contrôle. Ou de s’en donner l’impression. Il avait besoin de repères, de règles, pour ne pas se laisser submerger. Il apporta une tasse à Solveig et tout en sirotant la sienne, il tenta de ranger les jouets éparpillés sur le sol face à un Boule qui n’était pas décidé à le laisser faire.

“La psy t’a dit que ce n’était pas inhabituel comme comportement après ce genre de traumatisme. À part être là pour la rassurer quand ça arrive, je ne crois pas qu’il y ait grand-chose de plus que nous puissions faire.”

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Impossible de ne pas lever les yeux au Ciel lorsque je l’entends me parler des enfants. Ne comprend-t-il pas que tout ne doit pas constamment tourner autour de ces deux fripouilles ? Je ne peux pas oublier tout ce par quoi Aleksej est passé dans sa vie, en particulier quand il présente des moments d’absence dont je commence à me demander s’il s’en rend seulement compte lui-même.

– Je parle de toi, Aleks.

Ce soir, je n’ai pas la force de tourner autour du pot ou de prendre des pincettes. Je passe mes journées à m’inquiéter pour Timothy, Elizabeth et Aleksej même si je n’en parle pas outre mesure. Il est temps d’obtenir des réponses aux questions que je me pose. Ce soir, nous n’irons pas nous coucher sans avoir une conversation sérieuse.

– Tu as des moments d’absence.

J’ai envie d’aller plus loin mais je ne cherche pas non plus à le blesser. Il continue à ranger les jouets en essayant de gérer Boule en même temps. Je me lève, j’attrape le chien par le collier et le force à reculer.

– Aleks. Stop, dis-je ensuite en posant la main sur l’une de celles de l’homme. “Parle-moi.”

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Aleksej leva distraitement son regard vers Solveig alors qu’elle orientait la conversation dans une toute autre direction. Boule avait été plus rapide que lui à attraper l’une des balles en mousse de Tim. Il ferma les yeux et soupira avant de reprendre sa tâche. Il se demandait parfois si les personnes à l’origine de la conception des jouets pour enfant n’était pas les mêmes que pour les chiens. Il n’était pas toujours sûr de savoir ce qui appartenait à qui. Le Danois se redressa alors que sa femme lui fit remarquer ses moments d’égarement. Ses sourcils se froncèrent.

Solveig avait cette habitude d’énoncer des faits de manière tout à fait indifférente mais le résultat attendu n’était jamais anodin. Il pouvait voir là les années d’expérience professionnelle. Mais il n’était pas l’un de ses clients ou l’adversaire qui se tenait face à elle. Pourtant, il savait qu’elle attendait quelque chose de lui.

“C’est probablement juste la fatigue… On ne peut pas dire qu’on ait eu l’occasion de lever le pied récemment, hum ?”

La fatigue était belle et bien là. Il se sentait vidé la plupart du temps. Las. S’occuper des enfants demandait de déployer une certaine quantité d’énergie mais c’était le combat continuel qui se livrait dans sa tête qui lui coutait le plus. Aleksej se battait avec lui-même et les efforts qu’il devait déployer pour rester concentré sur le moment présent étaient exténuant.

En sentant la main de Solveig se poser sur la sienne, la tension qui gardait son corps alerte et ses épaules droites se relâcha instantanément. Comme si par ce geste, elle avait coupé le fil invisible qui lui permettait de rester debout. Il recula de quelques pas pour se laisser choir sur un tabouret de la cuisine et posa sa tasse sur le plan de travail.

“Écoute… J’essaie vraiment de faire de mon mieux pour te soutenir et faire en sorte que tout se passe au mieux. Mais il va falloir que tu me laisses un peu de temps pour me faire à la situation…”

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Je ne doute pas du fait qu’il essaie réellement de faire de son mieux mais j’ai besoin qu’il me parle, qu’il vocalise ce qu’il ressent. Je le connais suffisamment pour savoir qu’il est au bord de l'explosion. Ou plutôt de l'implosion. Je ne veux, en aucun cas, prendre le risque de le voir perdre pied. Mais je ne pourrais rien faire de concret pour lui s’il refuse de me parler. Et il le sait pertinemment.

– On est une équipe, d’accord ?

Même si j’ai parfaitement conscience que je risque de toucher à une corde sensible, je ne peux pas me risquer à ne rien dire non plus. Notre couple, notre mariage sont des choses qui m’importent énormément. Je ne veux pas fermer les yeux et faire comme si tout allait bien alors que nous savons tous les deux que c’est faux. L’arrivée des enfants a bouleversé notre quotidien mais je refuse de croire que ce chamboulement nous a changé dans le mauvais sens du terme. J’ai envie de croire que ça nous renforce chaque jour un peu plus. Il est maintenant question de savoir si je me montre particulièrement naïve ou non.

– Je veux que tu te rappelles que je suis prête à tout entendre…même les choses douloureuses.

Je ne dis pas cela en l’air. Que je le veuille ou non, j’ai imposé les enfants à Aleksej. Dans ma tête, tout a été très clair dès le début : il était impossible que je les laisse tomber. Ce n’est pas comme un animal où on a encore la possibilité de lui trouver une autre famille toute aussi aimante… On parle d’enfants que je connais depuis leur naissance. On parle des enfants de ma meilleure amie. Je n’avais pas le choix. Nous n’avions pas le choix.

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Aleksej releva la tête en entendant Solveig, un léger sourire au coin des lèvres. Depuis l’arrivée des enfants, il avait rarement été question d’eux deux. Il tendit son bras pour attraper la main de la jeune femme qui se trouvait non loin de lui et l’attira vers lui. ll l’observa l’espace d’un instant. Ses grands yeux bruns inquiets, son front légèrement plissé. Même préoccupée, elle restait magnifique.

“On est une équipe.”

C’était ce qu’il avait toujours voulu, depuis le jour où il avait compris la nature de ses sentiments pour elle. Mais l’exclusivité qu’il attendait d’elle était déraisonnable, il s’en rendait bien compte. S’il avait décidé de faire tourner son monde autour d’elle, d’eux deux, il ne pouvait pas lui demander d’en faire de même. C’était égoïste et totalement contradictoire avec la personne que Solveig était. Un électron libre. Et s’il voulait donner la moindre chance à son mariage, il fallait qu’il intègre l’idée que 1 + 1 ne faisait pas 1 mais bien deux. Ou plutôt quatre.

“Je sais que tu peux tout entendre. Tu es une dure à cuire.”

Un nouveau sourire se dessina timidement sur ses lèvres alors qu’il pinçait doucement le menton de la jeune femme.

“Mais moi je ne suis pas prêt à te faire souffrir davantage.”

Tout en écartant délicatement les cheveux de son visage, il scrutait le moindre de ces traits avec attention. Il avait beau la connaître par cœur, il ne se lassait jamais d’explorer la moindre saillie.

“Tu portes déjà suffisamment de choses sur tes épaules. Je ne compte pas être une source de soucis supplémentaire.”

C’était avec lui-même qu’il devait faire la paix. Pour lui montrer sa bonne foi, il l’attira un peu plus près, entre ses jambes et resserra ses bras autour de la taille de la jeune femme.

“Et pour ce que ça vaut, je trouve que tu t’en sors admirablement.”

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Mes mains viennent se perdre dans ses cheveux tandis que je sens ses bras se resserrer autour de ma taille. Ses mots n’ont pas été choisis par hasard et c’est bien ce qui me fait peur. Aleksej n’est pas de ceux qui parlent pour ne rien dire, bien au contraire.

– Tu sais que je serai toujours là, n’est-ce pas ?

Nous nous sommes mariés aussi vite que possible mais cela ne signifie pas pour autant que cette décision n’a pas été sérieusement réfléchie. L’engagement dans lequel nous sommes maintenant nous a beaucoup coûté d’un point de vue “amour propre” parce qu’Aleks avait déjà été marié et que mon premier mariage n’avait jamais vu le jour. Pourtant, nous avons décidé de sauter de nouveau le pas ensemble et jusqu’à preuve du contraire, aucun de nous deux ne l’a regretté.

– Et, pour être tout à fait sincère avec toi, la seule chose qui pourrait réellement me faire souffrir serait de te voir franchir cette porte avec tes affaires.

Ce n’est pas exactement dans mes habitudes d’avouer mes craintes mais je sais bien que le moment est approprié. Je ne peux pas lui demander de se livrer à moi si je ne le fais pas en retour. C’est important que nous soyons le plus honnête l’un envers l’autre sans quoi notre histoire s’effondrera. Et je refuse cette éventualité.

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Aleksej poussa un léger soupir en sentant les mains de la jeune femme glisser dans ses cheveux. Il réalisait que ces moments de promiscuité avaient été rares ces dernières semaines. Ou peut-être ces derniers mois. Il n’était plus trop sûr et cette réalisation l’atterrait. Cette pensée fut vite balayée par les paroles de Solveig. Il se contenta de plonger son regard dans les grandes prunelles brunes de l’Italienne. Il avait évidemment envie de croire que c’était vrai. Mais une angoisse sourde remontait du fond de ses tripes. Ce n’était définitivement pas une certitude à laquelle il pouvait se raccrocher.

Son visage se radoucit alors que la jeune femme continuait de parler. Il était rare qu’elle se montre vulnérable. S’il était arrivé à plusieurs reprises qu’elle lui fasse part de ses états d’âmes, de ses inquiétudes, il avait rapidement compris que c’était à Alice qu’elle se confiait. Depuis son décès, Solveig n’avait montré aucun signe de faiblesse. Ce qui inquiétait Aleksej et blessait son ego au passage. Il devait se faire à l’évidence, cette place de confident ne serait jamais la sienne. Il passa une main dans sa nuque et embrassa doucement son front.

“Je ne vais aller nulle part.”

De ça au moins, il était persuadé. Il ne faisait pas partie de ceux qui partent. Il faisait partie de ceux qu’on quitte. Il frotta lentement son nez contre celui de la jeune femme. Le rythme effréné de leur journée lui faisait oublier la douceur des choses simples. L’importance de profiter du moment présent. Ces prises de conscience étaient plus précieuses que n’importe quel trésor.

“Jeg elsker dig mere end noget andet.”

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Impossible de ne pas sourire quand je l’entends me dire en danois qu’il m’aime plus que tout. Je n’en doute pas. Mais ça fait tout de même du bien de l’entendre. Peut-être que c’est une question d’égo ou d’amour propre, je ne sais pas. Ce n’est pourtant pas comme si j’avais des raisons de douter de sa dévotion à mon égard.

– Et si on allait se coucher, hm ?

Qu’on le veuille ou non, nous sommes épuisés et j’ai envie de partager un moment de calme avec Aleks. Ca ne pourra pas nous faire de mal de nous isoler dans notre chambre à coucher, loin de tout. J’aime considérer notre chambre comme une sorte de cocon où rien ni personne ne peut nous atteindre. Oui, je sais, c’est un peu naïf mais ça me tient à cœur malgré tout.

– On oublie tout ce qui peut nous tracasser le temps de quelques heures et on reprend la vie là où on l’a laissée demain matin.

J’essaie vraiment de faire des efforts et je sais qu’Aleksej le constate. Même si on aime dire qu’une bonne nuit de sommeil résout tout (premièrement, c’est faux), je sais que nous aurons encore des tas de challenges à affronter au réveil. Cependant, pour ce soir, je veux qu’on arrête et qu’on se repose un peu. On le mérite, lui comme moi.