Parallel Lives

Un bébé dans un bras, un énorme sac de course dans l’autre, Aleksej remontait l’escalier qui menait à leur appartement. Ellie se montrait toujours accommodante et précédait le Danois pour lui ouvrir la porte. Parfois elle s’arrêtait dans son ascension pour lui faire une remarque ou lui poser une question. D’autres fois elle continuait de lui parler alors qu’elle s’était déjà précipité dans l’appartement et qu’il était encore au beau milieu de l’escalier sans pouvoir l’entendre. Ellie ne s’arrêtait jamais de parler. C’était une petite fille vive et intelligente qui pensait à voix haute. Le genre de chose qui attendrissait Aleksej et lui rappelait sa propre fille.

Il installa Tim dans la chaise haute avant de retourner dans l’entrée pour retirer ses chaussures. Le Danois avait dû perdre l’habitude de marcher nus pieds dans l’appartement. Il pouvait difficilement demander à la petite fille de porter des chaussons s’il ne donnait pas l’exemple. Cette dernière le rejoint dans la cuisine où elle se plaisait à jouer les apprentis cuisinière. C’était comme ça qu’il l’avait amadoué les premières semaines. Il lui avait fait une place dans son espace, dans sa cuisine. En commençant par la pâtisserie. À présent, ils cuisinaient toutes sortes de choses tous les deux pour le plus grand bonheur de Tim qui les observait avec curiosité tout en suçant l’un ou l’autre ustensile qu'on le laissait attraper.

C’était également l’un des rares moments où la pipelette se montrait d’un calme étonnant. Du haut de ses cinq ans, elle faisait preuve d’une concentration tout à fait louable pour une enfant. Parfois on n’entendait que leur respiration et quelques babillages de Tim. Le repas était presque prêt quand ils entendirent la clé tourner dans la serrure. Comme chaque soir, les enfants et les chiens faisaient la fête à Solveig à peine avait-elle passé le pas de la porte. Il observait toujours ce spectacle avec une certaine complaisance. Chacun se faisait sa place comme il pouvait dans ce foyer et les inquiétudes qu’Aleksej nourrissait à ce propos depuis le jour où Solveig avait décidé de prendre la garde des enfants se dissipaient peu à peu.

S’il savait que les enfants étaient conciliants et qu’ils s’adapteraient plus rapidement qu’ils ne pouvaient le penser, il n’avait pas imaginé qu’il en serait de même pour sa femme. La brunette n’avait jamais montré d’intérêt particulier pour les enfants en général. Dès le début de leur relation, elle lui avait avoué ne pas pouvoir avoir d’enfants et ne pas en vouloir. Les quelques fois où le Danois s’était vu octroyer la garde des enfants de Callie pour l’après-midi avait été une épreuve. Mais Ellie et Tim était les enfants d’Alice. Et il y avait une différence entre garder des enfants et les élever.

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– Solveig, bien que nous apprécions réellement ta dévotion, tu n’es pas obligée de faire ça. Sans compter que les enfants-
– Sont sous ma responsabilité, Bernie. Je sais que tout ceci est confus et encore trop frais pour tout le monde mais Alice voulait que je m’occupe des enfants. Vous savez très bien que cela ne veut en aucun cas dire que vous ne pouvez pas les voir, bien au contraire. Ils restent vos petits-enfants.
– Et Richard et moi-même aimerions…
– S’il vous plaît. La juge a été claire, ils sont sous ma tutelle.

Je ne saurai dire combien de temps cette conversation a tourné en rond jusqu’à ce que je finisse pas raccrocher en rage, broyant presque le téléphone fixe de mon bureau au passage. Les enfants ont beau être sous ma responsabilité (et celle d’Aleksej) depuis plus d’un mois, il n’y a rien à faire, les parents d’Alice ne veulent rien entendre. La juge Valorias a pourtant été claire, les papiers signés dix ans plus tôt sont valides et font de moi la tutrice d’Ellie et Tim.

– Tu veux aller boire un café dehors avant de broyer autre chose ?

Ce n’est qu’en relevant la tête que j’aperçois Fox qui vient de passer la tête dans mon bureau. Il a dû m’entendre depuis le couloir. Je ne suis pas particulièrement discrète ces temps-ci.

– Je n’arriverai à rien avaler. Je finirai mes dossiers à la maison, je vais rentrer, dis-je en rangeant mes affaires dans mon attaché-case.
– Ca te va bien, tu sais.
– De ?
– Le rôle de mère.
– Tutrice, Fox. Je suis leur tutrice.
– Et quand ils grandiront, ils finiront par t’appeler “maman”, que tu le veuilles ou non.

Si on ne me les retire pas avant, pensai-je sans oser mettre des mots sur cette terrible pensée, celle qui m’empêche de dormir la nuit. Bernadette et Richard Porter sont des gens absolument formidables mais j’ai bien compris qu’ils veulent récupérer la garde de leurs petits-enfants et ce, même si ce n’était pas la volonté de leur propre fille.

– On se voit demain, d’accord ?
– 10-4.
– Je ne suis pas certaine que fréquenter ce flic te fasse beaucoup de bien, Fox.
– Crois-moi, il me fait beaucoup de bien.

Je grimace avant de rire.

– Je ne veux rien savoir. A demain.


Quand j’arrive à l’appartement, je n’entends pas grand-chose, ce qui me laisse à penser deux choses : soit ils sont dehors, soit ils sont dans la cuisine. Je sais que c’est le grand truc d’Aleks avec les enfants.

– Il y a quelqu’un dans cette maison ?

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Ellie était déjà en train de se précipiter dans les pattes de Solveig suivit de Maroon et Boule qui avaient appris à lui laisser une longueur d’avance. Aleksej sorti Tim de sa chaise haute. En entendant la porte s’ouvrir, il avait également commencé à se trémousser. Il posa le bout de chou au sol qui suivit la tribu des animaux à quatre pattes. Si le bambin se relevait de plus en plus souvent en s’accrochant au moindre meuble qui se trouvait à sa portée, il ne se sentait pas encore assez en confiance pour lâcher ses prises. Mais cela viendrait plus vite que Solveig et lui ne le pensait. Un de ses jours, Tim serait déjà en train de cavaler dans le salon et aurait un tout nouveau monde à portée de main.

Le Danois profita de ce moment où les enfants accaparait Solveig pour nettoyer le plan de travail, la tablette de la chaise haute et sortir les assiettes et les couverts en vue de mettre la table. Chargé de la vaisselle, il se dirigea vers la table de la salle à manger, s’arrêtant au passage pour déposer un baiser sur la joue de la brunette. Cela ne faisait qu’un peu plus d’un moins que les enfants vivaient avec eux et pourtant cette routine s’était installée assez rapidement. Aleksej avait été très clair sur ce sujet dès le premier jour, les enfants avaient besoin d’un cadre, de rituels quotidiens auxquels se rattacher et se construire.

Le début de soirée était consacré aux enfants, au repas. Elisabeth racontait sa journée avec un peu plus d’enthousiasme chaque jour. Si elle avait eu plus de mal que Tim à se faire à cet énorme changement, elle retrouvait tout de même sa joie de vivre et sa vivacité. Maroon et Boule avait joué un grand rôle dans cette accommodation. Et si la petite fille s’avait parfaitement que les chiens n’étaient pas admis dans les lits, cela ne l’empêchait pas de continuer à demander la permission. Qu’Aleksej ne donnait évidemment pas mais cela devenait comme une sorte de petit jeu entre eux.

Si le Danois avait pris la main sur l’organisation de la maisonnée dès l’arrivée des enfants, c’était à présent Solveig qui terminait la journée avec les petits. Le coucher était devenu son territoire à elle. Quand il l’avait sentie en demande, il lui avait laissé la main. Il avait été surpris mais avait accepté sans difficulté de lui laisser le champ libre. Et elle avait fait ce rituel sien. Depuis la cuisine, Aleksej l’écoutait raconter les histoires de la petite taupe qui s’était fait faire sur la tête, la grenouille à la grande bouche ou encore le carnaval des animaux.

Alors que la petite fille quémandait une nouvelle histoire, Aleksej se glissa dans leur propre chambre à coucher afin de s’assurer que Tim dormait bien. La chambre semblait plus petite depuis qu’ils y avaient installé le lit à barreau, la table à langer et une commode en plus. Après toutes ces années dans son immense appartement de l’Upper, il avait oublié qu’un enfant prenait autant de place. Sans parler de deux. Il s’agenouilla à côté du lit du petit garçon et appuya sa tête sur le rebord. Il l’observa dormir de longues minutes. Il enviait ce son sommeil emprunt de calme et de sérénité. Il finit par se relever et sorti de la chambre en faisant bien attention à refermer doucement la porte derrière lui.

Solveig en avait terminé avec la petite fille et se tenait à présent dans la cuisine. Aleksej retira ses chaussons, la plante de ses pieds retrouvant enfin le sol frais.

“Ça a été ta journée ?”

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Je ne me pensais pas le genre à aimer passer du temps en “famille” et pourtant, depuis que les enfants sont avec nous dans l’appartement, je dois admettre m’y être habituée. Au point de me dire que si leurs grands-parents venaient à me les retirer, je ne reconnaîtrai même plus mon appartement. Etrange non, quand on sait qu’ils ne sont là que depuis quelques semaines.

– Soli ?
– Oui, Ellie ?
– Pourquoi c’est toujours la princesse qui sauve le prince dans cette histoire ?
– Et pourquoi pas ?
– Les autres à l’école disent que c’est bizarre une fille qui sauve un garçon.
– Ma puce, sache qu’il n’y a rien de bizarre là-dedans, bien au contraire. Fille ou garçon, on s’entraide et ce n’est pas à l’homme de tout faire comme ce n’est pas à la femme de dire oui pour tout, d’accord ?

Ellie acquiesce tandis que ses yeux se ferment sous le poids de la fatigue. Je l’embrasse sur le front et quitte la pièce pour la laisser se reposer.
Avant de retourner dans la salle principale, je décide de faire un détour dans notre chambre à coucher pour vérifier que Tim dort à poings fermés, ce qu’il fait. En voilà au moins un qui n’aura pas perdu le sommeil malgré les dernières semaines.

Aleks est dans la cuisine quand je le rejoins enfin. Je m’approche de lui et enroule mes deux bras autour de sa taille avant de loger mon visage dans son cou.

– Bernie m’a encore téléphoné…

Je n’ai pas besoin d’en dire plus, Aleks sait de quoi nous avons parlé et il sait aussi que cela m’a contrarié parce que je suis particulièrement tendue.

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Un léger sourire se dessina sur le visage du Danois quand Solveig vint se réfugier dans ses bras. Il la serra avec tendresse en retour. Il aimait quand elle se montrait tactile comme cela. Il avait beau ne pas être à l’aise avec la situation dans laquelle ils se trouvaient, il ne pouvait nier qu’elle cherchait beaucoup plus le contact depuis le décès de ses amis et l’arrivée des enfants dans leur appartement. Il n’allait pas s’en plaindre même si les causes étaient malheureuses. C’est seulement quand la jeune femme repris la parole qu’il sentit ce brin de sérénité le quitter aussi rapidement qu’il était apparu.

“Peut-être qu’il serait temps de s’assoir autour d’une table avec eux et d’envisager la suite des évènements…”

Il savait parfaitement qu’il marchait sur des œufs en disant cela. Jusqu’à présent, il n’avait pas réellement donné son avis. D’ailleurs Solveig ne le lui avait pas vraiment demandé. Entre l’organisation de leur travail, des enfants, ils n’avaient pas eu beaucoup d'opportunités pour parler ces derniers temps. Aleksej avait préféré donner ce temps-là à Solveig pour lui permettre de faire son deuil. Mais peut-être que le moment était venu de prendre un peu de hauteur sur les évènements.

Les parents d’Alice avait émis le souhait de prendre la garde des enfants dès qu’ils avaient été informés de l’accident. Ce qui somme toute, semblait la solution la plus logique. Mais pas pour Solveig. Il y avait ce document qu’Alice lui avait fait signer et pas de place dans sa tête pour une alternative. Il comprenait le fond de sa détermination. Alice était sa meilleure amie et elle ne voulait pas manquer à sa parole. Mais était-ce réellement la bonne solution à adopter. Aleksej appréciait la présence des enfants, comme il appréciait tous les enfants de manière générale. Mais il n’était pas convaincu qu’il s’agissait de la meilleure option pour eux.

Il avait également peur de ce que cela pourrait faire à leur vie, à leur couple. Solveig était bornée et serait prête à tenir son serment jusqu’au bout, mais à quel prix ? Avec tous les efforts qu’elle avait faits ces dernières années pour redorer son blason et gagner des galons, quel impact pourrait avoir l’arrivée de deux enfants en bas âge dans leur vie sur sa carrière ? Il savait que ce ne serait pas un problème dans un futur proche, qu’elle lui assurerait pouvoir gérer l’eau et le moulin. Mais plus tard ? Quand le moment serait venu d’avoir des regrets ?

Et le fait qu’elle ne voulait pas d’enfant n’était pas moins préoccupant pour le Danois. Les dernières semaines ne s’étaient pas mal passées mais qu’en serait-il au bout de plusieurs mois, plusieurs années ? En vérité, il n’était pas capable lui-même de se projeter aussi loin. Il vivait d’une semaine à l’autre, planifiant son emploi du temps en fonction des contraintes liées à l’école, à la crèche, au pédiatre, aux services sociaux, juridiques…

“Alice t’a fait confiance pour prendre la meilleure décision en ce qui concerne les enfants. Peut-être pas au sens le plus strict et littéral de la lettre…”

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– Je peux savoir ce que tu sous entends, là, au juste ?

Je n’aime pas du tout la façon qu’a Aleks d’essayer de dire quelque chose sans réussir à le faire. Ça ne lui ressemble pas. Il est en train de marcher sur des œufs avec moi et cela n’arrive que très rarement. Il sait donc que ma réaction à ses propos va être brutale. Pourquoi prendre le risque de partir en conflit, dans ce cas ? Croit-il me protéger de quelque chose que je ne soupçonne pas, que je ne vois pas venir ?

– Rassures-moi, tu n’es pas en train de suggérer que je laisse les enfants à leurs grands-parents, n’est-ce pas ?

Il m’est impossible d’imaginer un tel scénario. Quand j’ai eu cette conversation avec Alice il y a de cela des années, bien-sûr que j’avais du mal à considérer la seule possibilité de m’occuper de ses futurs enfants mais je n’ai pas pour autant signé ce bout de papier sans réfléchir. Je n’ai pas pris cette décision à la légère non plus quand je suis venue chercher les enfants après le décès d’Alice et Mark.

– Écoute, j’ai conscience que tout cela est très soudain mais je ne peux pas faire marche arrière et- Le fait est que je n’en ai pas envie, Aleks. Ça nous est tombé dessus, c’est vrai et j’ai perdu mes meilleurs amis… Cependant, je ne veux pas renoncer aux enfants. Alice me faisait confiance, tout comme Mark, d’ailleurs. Alors oui, ça peut paraître étrange, venant de moi mais je ne renoncerai pas.

Même si ça m’effraie de l’admettre, ce seul aveu de ma part va être décisif. Bien que je ne puisse pas en être totalement sûre, je le sens pourtant au fond de mes tripes.

– Tu…tu ne veux pas de ça, c’est ça ?

Étrangement, je pensais qu’envisager une « vraie » vie de famille plairait au Danois mais il se pourrait que je me sois fourvoyée et qu’il n’ait pas envie de ce nouveau projet de vie.

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D’un mouvement brusque, Solveig s’était défait de son étreinte, comme s’il venait de dire une énormité. Ce qui semblait être une remarque raisonnable pour lui ne l’était manifestement pas pour la jeune femme, comme il aurait pu s’en douter. Il n’avait absolument aucune intention de remettre sa bonne foi en question. Mais il n’était pas certain des bénéfices de cette situation. Si pour le moment tout se passait bien avec les enfants, Aleksej se demandait si ce n’était pas dû au contre-coup de l’accident. Pour Elie et Tim, il s’agissait de sorte de vacances.

Si le couple faisait de son mieux, leur quotidien n’était pas aussi rythmé et ritualisé qu’avec leurs parents. Et il y avait certaines choses qu’on laissait couler avec les enfants des autres. Mais sur une situation à long terme, des règles devraient être mises en place et qui sait comment chacun serait capable de s’y plier. Et malgré l’intérêt qu’avait toujours porté Aleksej aux enfants, malgré le fait qu’Alice ait toujours été la meilleure amie de Solveig, il ne connaissait pas les enfants si bien que ça.

“C’était seulement une suggestion…”

Il n’était pas prêt à se jeter dans une bataille dont l’issue était aussi incertaine. D’ailleurs il ne voulait pas se disputer avec Solveig. Tous les deux faisaient partie de la même équipe. Une union sacrée. Il connaissait assez bien sa femme pour savoir que lorsqu’elle avait choisi une direction, il était quasiment impossible de la faire changer de cap. Et cette décision-là était belle et bien prise. Le Danois se laissa choir sur le tabouret et s’accouda au plan de travail afin de reposer sa tête sur sa main. Il n’y avait pas grand-chose de plus à dire. Le sujet était manifestement clos avant même que ne commence la discussion.

“Je veux seulement ce qu’il y a de mieux pour eux…”

Depuis le début, il avait eu des doutes. Son instinct le poussait à croire que les grands-parents des enfants seraient plus à même de s’occuper d’eux. Ils les avaient vu naître et grandir. Ils n’étaient pas de parfaits étrangers. Et pourtant, Alice et Mark en avait décidé autrement. Mais que valaient les promesses faites il y a une dizaine d’années face à la dure réalité du présent ? Bien sûr, il serait capable de s’occuper des petits, de les choyer et de les accompagner sur le chemin de la vie, mais est-ce que c’était suffisant ?

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Je sais que les intentions d’Aleks a mon égard sont bonnes et sincères, pourtant, je n’arrive pas à me retirer de la tête l’idée qu’il puisse ne pas vouloir des enfants dans notre quotidien. Il est pourtant si bon avec eux, il est évident que ce n’est pas sa première expérience avec eux, contrairement à moi. Il a ce naturel que je ne saurai expliquer. Il est fait pour ça. Si la vie ne lui avait pas retiré sa petite fille…

Vous ne seriez pas mariés. Vous n’auriez probablement jamais recroisé la route l’un de l’autre.

J’aimerai faire taire cette petite voix que je trouve particulièrement égoïste même si, au fond, je sais que cette petite voix c’est la mienne. Pourquoi est-ce que je ne pense qu’à moi ? Pourquoi est-ce que je ne peux pas tout simplement me dire que si sa fille était encore là, Aleks serait le plus heureux des hommes…sans moi ?

– Je ne veux pas les laisser, Aleks. Je ne sais pas comment t’expliquer ça mais…je sens au fond de moi qu’il faut que je sois là pour eux, avec eux.

Bien que la vie m’ait depuis longtemps fait comprendre que je n’aurai jamais d’enfants, la simple idée que ces deux-là puissent grandir avec moi à leurs côtés… J’ai l’impression sincère que c’est la bonne chose à faire. Au-delà du simple fait que je respecte la volonté de ma meilleure amie, je sens au fond de mes tripes que quelque chose est à construire.

– Tu penses que je suis en train de commettre une erreur, n’est-ce pas ?

Même si j’ai visiblement sorti les crocs, j’ai besoin d’entendre la vérité de la bouche de cet homme. Aleks est la personne en qui j’ai le plus confiance sur cette planète et même si son avis risque de m’anéantir, j’ai tout de même besoin de l’entendre.

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Aleksej se frotta le visage d’un mouvement las. Comment en étaient-ils arrivés à avoir cette discussion ? Ou peut-être que la question était comment ne l’avaient-ils pas eu plus tôt. Au moment même où ils avaient rapatrié les enfants de la maison des Porter à leur appartement. Peut-être que c’était là qu’il avait commis sa première erreur. Il avait pensé que c’était ce dont avait besoin Solveig sur le moment. Temporairement. Comme une sorte de transition.

“Je ne sais pas, Solveig… Je…”

Il posa son regard sur la jeune femme et il comprit instantanément que les prochaines paroles qu’il pourrait avoir auraient un impact crucial sur leur relation. Le Danois avait toujours placé l’honnêteté au-dessus de toutes ses valeurs mais il avait à présent l’intuition que toute vérité n’était pas bonne à dire. Ou à entendre. Ou peut-être qu’il avait tort. Peut-être que Solveig se découvrait un instinct maternel insoupçonné. Et c’est là que se trouvaient ses vrais états d’âme.

Depuis le début de leur relation, la jeune femme n’avait jamais montré d’intérêt dans la parentalité. Elle avait toujours été claire, elle ne pouvait pas en avoir. Et n’en voulait pas. Ce qui n’avait pas été un problème pour Aleksej, du moins au début de leur relation. Et peu à peu, elle avait pris plus d’espace et d’importance dans sa vie. Et un jour, au cours d’un week-end à Montauk, dans la maison familiale, il s’était laissé aller à imaginer cette maison remplit de rires à nouveau. De fil en aiguilles, son esprit avait sauté d’images en images jusqu’à tenter d’imaginer à quoi pourraient ressembler leurs enfants. Cette pensée, il l’avait enfoui bien profondément dans un coin de sa tête. Il s’était accroché à l’idée qu’elle était tout ce dont il avait besoin. C’était le cas. Elle était tout ce dont il avait besoin. Et malgré l’implication de la jeune femme dans son travail, il savait qu’il passerait en premier.

L’arrivée des enfants dans leur vie rendait cet équilibre précaire un peu plus vacillant. Et s’il adorait Ellie et Tim, leur présence lui rappelait quotidiennement ce qu’il n’aurait jamais. Solveig était son âme sœur mais de cet amour, aucun fruit ne verrait jamais le jour. Il avait été plus facile de ne pas y penser quand il n’y avait eu qu’eux deux. Seulement, il l’avait bien entendu dans le ton de la voix de la brunette, dans les mots qu’elle employait. Cette force invisible qui la poussait à aller dans ce sens. Et il ne pouvait pas aller contre cette force-là. Parce qu’il l’aimait plus que tout et qu’elle était le centre de son univers. Et qu’il n’était pas sûr de faire le poids face à ce genre de courant.

En voyant Solveig s’accrocher si farouchement, il réalisa qu’elle ne changerait pas d’avis. Quoi qu’il puisse en dire. Elle ne le réalisait peut-être pas mais sa décision était immuable. La seule chose qui pouvait être discuté était la place d’Aleksej dans tout cela. Une pensée effrayante. Il ne voulait pas, ne pouvait pas vivre sans elle. Il se releva et s’approcha d’elle. Il caressa doucement sa joue avec tendresse.

“Je te suivrai, quelle que soit la décision que tu prendras. Ou que tu as prise…”

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– Tu n’as jamais eu de doute ?
– Au sujet de Brayon ?
– Oui. Ça a dû être-
– Un sacré chamboulement, oui. Mais il ne m’a pas fallu plus de quelques semaines pour comprendre que je ne pourrai plus vivre sans ce petit garçon. C’est inexplicable.

Je me souviens de cette conversation comme si elle avait eu lieu hier. Calliopé, la meilleure amie d’Aleksej, et moi avions eu une heure à passer ensemble pour je ne sais plus trop quelle raison et nous avions fini par évoquer le sujet des enfants ; sujet qui me restait en travers de la gorge à l’époque.
C’est presque si je ne la ralliais pas. Je ne comprenais pas. Aujourd’hui, tout est différent. Et rien ne sera plus jamais comme avant. Non pas seulement parce qu’Alice et Mark sont partis mais parce que leurs enfants sont sous mon toit et sous ma protection. Si je venais à renoncer à cela… Non, je ne peux pas imaginer ce scénario car je m’en sais parfaitement incapable.

Aleksej me dit qu’il me suivra peu importe ma décision. Je le sais sincère mais je sais également qu’il considère ne pas avoir le choix. L’a t-il seulement ? Probablement pas, non. Je n’ai donné aucune chance à l’homme d’exprimer le fond de sa pensée vis-à-vis de l’arrivée des enfants dans notre vie.

Je ferme les yeux et soupire. Réaliser cela me heurte de plein fouet mais je sais que je le mérite. Je ne l’ai pas pris en considération. Je partais du principe qu’il serait d’accord, qu’il aurait la même façon de penser que moi. Je me suis peut-être sérieusement trompée.

– Je- Je suis désolée.

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Le Danois l’attira vers lui et l’embrassa sur le front. En décidant de l’épouser, il l’avait choisi elle, en vers et contre tout. Quelles que soient les surprises que pourrait leur réserver la vie. On disait bien pour le meilleur et pour le pire, non ? Quel genre d’homme serait-il à se cabrer à la première difficulté ? De taille, la difficulté, certes.  Néanmoins, il n’était pas près de perdre ses priorités de vue. Elle. Eux deux. C’était pour cette raison qu’ils s’étaient mariés non ? Former une équipe indéfectible. Seulement Solveig avait fait cavalier seul et pris une décision qui avait plus de conséquences que de ramener un chiot à la maison.

“Je ne doute pas de tes bonnes intentions, ni de ta motivation… Mais avoir des enfants implique beaucoup de changements et de gros ajustements. J’ai peur que tu réalises trop tard les sacrifices que cela impliquerait et que tu finisses par le regretter. Je ne veux pas qu’une telle chose t’arrive… Je ne veux pas que tu te réveilles dans vingt ans et que tu réalises que tu es passée à côté de ta vie...”

Un sentiment qu’il connaissait bien. Il avait passé presque quinze ans à faire l’autruche, plongé dans son travail. Et pour quel résultat ? Il avait été seul et malheureux malgré les histoires qu’il s’était raconté. Et si leur différence d’âge leur valait parfois des regards appuyés, il se disait qu’au moins elle pourrait profiter de sa propre expérience. Il s’écarte d’elle et releva le visage de la brunette vers lui.

“Quoi qu’il en soit, une discussion avec les Porter est impérative. Ce sont leurs grand-parents. Il faudra trouver un compromis. S’assoir à une table et peser le pour et le contre, de manière rationnelle.”

Il savait que la position de Solveig était tout sauf objective, comment pourrait-elle l’être ? Il ne le lui reprochait pas d’ailleurs. Cela montrait quel genre d’amie elle était. Fidèle, dévouée. Mais il s’agissait du destin de deux enfants et la décision ne pouvait pas être prise à la légère ni sous le coup de l’impulsion.

“Il nous faudra un plan à long terme. Définir des règles et la manière dont nous allons vivre… Nous ne pouvons pas nous contenter de bricoler au quotidien. Les enfants méritent bien ça.”

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– Aleks, j’ai bientôt 37 ans. Je ne suis pas en train de passer à côté de ma vie.

Je comprends ce qu’il essaie de me dire mais je ne suis pas d’accord pour autant. Même si l'arrivée des enfants dans notre vie va littéralement tout changer (et j’en ai parfaitement conscience), je ne veux pas reculer pour autant. Il a raison de dire que ces deux-là méritent que nous établissions des règles claires mais je ne veux pas qu’Aleks pense que je suis en train de tout laisser tomber pour respecter mon engagement à l’égard de ma meilleure amie parce que ce n’est tout simplement pas la réalité.

– Sans parler du fait que je ne vois pas les enfants comme un obstacle à ma vie. Je sais très bien que tout est en train de changer pour nous mais- Aleks, c’est important pour moi.

Il a raison, je sais très bien que beaucoup d’ajustements sont à faire et que de nouvelles règles de vie vont devoir être appliquées (pour les enfants comme pour nous) mais je ne veux pas qu’il pense que je ne suis pas capable de gérer ça. J’en suis parfaitement capable et si je dois le lui prouver, alors je le ferai. Par tous les moyens possibles et imaginables.

– Je me suis toujours bien entendu avec les parents d’Alice, tu sais… Mais le ton sur lequel Bernie m’a parlé aujourd’hui. J’ai l’impression de devenir leur ennemie alors que je veux tout le contraire.

Les Porter veulent ce qu’il y a de mieux pour les enfants et c’est ce que je désire aussi. Le dénominateur commun restera à jamais Alice. Et c’est bien là tout le problème puisque la décision de me confier la garde des enfants si quelque chose venait à lui arriver semble dorénavant être la chose qui est en train de créer un gouffre entre ses parents et moi.

– Je… Je ne veux pas la guerre. Je veux prendre soin des enfants.

Au fond, je commence à me demander si ce que je raconte a du sens. Est-ce que je suis en train de perdre la tête à vouloir devenir tutrice ?

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En entendant Solveig énoncer son âge, Aleksej eu l’impression de se prendre une tatane derrière la tête. De quoi lui remettre les idées en place. Ou creuser un peu plus le malaise. Il ne rajeunissait pas et élever des enfants demandait une énergie et un investissement remarquable. À quel moment avait-il pu laisser émerger dans sa tête l’idée que Solveig et lui puisse avoir un jour des enfants ? Il n’en était pas certain. La pensée s’était glissé insidieusement dans son esprit et avait commencé à y prendre prise à l’abri des regards. Comme un yaourt oublié au fond du réfrigérateur. Cette idée était un germe dont il fallait se débarrasser au plus vite, pour le bien de tous.

Le Danois resta coi en écoutant l’italienne qui les enchaînait. Il savait reconnaître la détermination quand il la voyait. Particulièrement chez Solveig. Elle semblait prête à tout remettre en question. Elle semblait prête à passé un cap qu’il avait renoncé à viser depuis plusieurs mois. Par amour, il avait accepté les ambitions de carrière de la jeune femme et s’était soumis aux aléas de son travail. Il les connaissait bien, trop. Il n’aspirait plus désormais qu’à une vie paisible à ses côtés. Il s’était dit que ce serait une question de temps. Quelques années et la jeune femme aurait atteint ses objectifs. Il lui suffisait d’attendre un peu. De se montrer patient.

À présent, elle était prête à chambouler toute son existence pour faire de la place à deux enfants qui n’étaient pas les siens. Et si c’était tout à l’honneur de la brunette cela n’empêchait pas Aleksej de ressentir une pointe d’amertume. Leur mariage n’avait pas eu cet effet-là sur elle. Et leur lune de miel reportée indéfiniment n’était qu’un exemple de plus. Le Danois se frotta le visage frénétiquement, tentant de stopper le flux de pensées qui parcourait son esprit. C’était tout à fait égoïste et immature. Il vallait mieux que cela, non ? Il prit une profonde inspiration et releva le regard en direction de la jeune femme.

“Ils ont perdu leur fille… Je ne dis pas que cela justifie tout ni qu’ils ont le monopole du chagrin. Mais les enfants sont tout ce qu’il leur reste d’elle… La dernière chose à laquelle ils peuvent se raccrocher.”

Les parents ne devraient jamais avoir à enterrer leurs enfants. Aleksej ne pouvait pas ne pas compatir avec eux. Il avait été à leur place. Il comprenait parfaitement le comportement de la mère d’Alice. Ellie et Tim étaient la chair de sa chair. Un prolongement de sa propre existence. En perdant sa fille, elle avait perdu une partie d’elle-même et n’était probablement pas prête à lâcher prise sur les enfants.

“On pourrait peut-être les inviter à dîner ? Reprendre rendez-vous avec l’assistante sociale et évaluer la situation…”

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Même si je n’éprouve aucun plaisir à l’admettre, je sais qu’Aleksej a raison et que se retrouver autour d’une table pourrait résorber quelques tensions entre nos deux familles. Que cela me plaise ou non, il s’agit bien là de tensions auxquelles il faut mettre un terme au plus vite sans quoi ce seront les enfants qui en pâtiront.

– Et si l’assistante sociale revient sur ses premières conclusions ? Et si elle vient à dire que les enfants n’ont pas leur place à nos côtés ?

Ceux qui me connaissent trouveraient mon comportement actuel extrêmement étrange, je le sais. Mais je ne veux pas être éloignée de Tim et Ellie. Oui, ce sont les enfants de Mark et Alice, oui, leurs grands-parents ont le droit d’être investis dans leur éducation. Je n’ai jamais dit le contraire. Cependant, Alice (et Mark) m’avait donné la mission de m’occuper de leurs enfants si quelque chose venait à se produire.

– Je-

Comment avouer que je ne vois plus ma vie sans les enfants ? Comment admettre que moi, Solveig Lazzari, la femme déterminée ayant toujours crié haut et fort qu’elle ne voulait pas d’enfants, ne voit plus ma vie sans ces deux crapules ? Que va penser Aleks de moi ? Croit-il que j'ai perdu l'esprit ? Pense-t-il que je change d'avis comme de chemise ?

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Il ne s’agissait pas d’une simple lubie. Il pouvait le lire dans son regard. Solveig avait pris sa décision il y a longtemps. Dès le premier jour. Il n’avait juste pas voulu le reconnaître. Et ce qu’il pouvait voir dans ses yeux ce n’était pas de l’opiniâtreté mais de la peur. Elle redoutait réellement l’issue de ce conflit. Il l’attira doucement vers lui et la serra dans ses bras avant d’embrasser tendrement sa tempe. Il détestait la voir soucieuse. Il détestait plus encore être la source de ses états d’âmes.

S’il s’était contenté de ne rien dire concernant Bernadette, cette discussion n’aurait probablement pas eu lieu. Mais ce n’était pas comme cela que fonctionnait leur relation. Depuis le premier jour, il avait toujours été honnête envers elle. C’était le ciment de leur couple, même si cela ne l’avait pas toujours servi au mieux, comme lorsqu’il y avait paniqué après l’annonce du cancer de la jeune femme. Il aurait voulu réagir autrement, mais en aucun cas lui cacher la vérité.

Aujourd’hui, il se trouvait dans une position similaire et les choses seraient bien plus simples s’il pouvait se contenter de garder pour lui ses doutes et ses incertitudes. S’il pouvait simplement faire fi de ses pensées. Parce que les paroles qu’il était sur le point de prononcer, il savait à présent qu’elle ne voulait pas les entendre. Pourtant, il fallait qu’il les lui dise. Parce qu’il l’aimait et parce qu’elle méritait qu’il lui dise la vérité. Sa vérité en tout cas.

“Je sais que tu es une amie loyale et que tu ne voudrais pas manquer à la parole que tu as donné à Alice. Mais c’est le bien-être des enfants qui doit rester au cœur de cette réflexion. Tu as fait cette promesse à Alice il y a des années. Les choses étaient… différentes.”

À l’époque les cinq amis étaient encore soudés comme les doigts de la main. Solveig et William formait un couple heureux et rien n’indiquait que l’avenir leur réservait un sort différent. Alice et Mark n’avaient pas encore d’enfant et Solveig… s’était-elle jamais imaginé en avoir ? Comment rêvait-elle sa vie à l’époque ? Une carrière brillante d’avocate ? Une belle maison avec un jardin et une clôture blanche ? S’était-elle demandée un jour à quoi ressembleraient les enfants qu’elle aurait avec William ?

“Tu ne crois pas que si elle était là, elle souhaiterait que tu prennes la meilleure décision possible pour Ellie et Tim ?”

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Le confort de ses bras devrait apaiser tous mes maux, je le sais pertinemment. Malheureusement, à l’heure actuelle, j’ai l’impression que rien ni personne ne peut calmer ce qui se passe à l’intérieur de moi. Même si ce revirement de situation me concernant peut surprendre - ce que j’accepte tout à fait - je veux que mon mari comprenne que ce n’est pas une crise de la trentaine. Ce n’est pas une envie soudaine. Certes, si, c’est soudain mais ce que je veux dire c’est que je ne suis pas en train de faire un caprice. Je suis on ne peut plus sérieuse au sujet des enfants. je suis prête à tout pour eux et ce, même si ça ne s’explique pas.

– Donc tu penses que la meilleure décision pour eux c’est de rester avec leurs grands-parents, dis-je dans un murmure, mes lèvres contre son torse.

Je ne dis pas cela méchamment mais je comprends où il veut en venir. En l’espace de quelques semaines, Aleks s’est retrouvé avec deux enfants chez lui alors qu’il avait fait une croix sur cette possibilité depuis longtemps. Je ne lui ai pas demandé son avis parce que… Parce que je craignais qu’il me dise non, qu’il me dise qu’il ne voulait pas d’une telle responsabilité.

– Tu ne veux pas d’enfants, c’est ça ?

Ma question est brutale, j’en ai parfaitement conscience mais je sais que pour le bien de tous - de nous deux - il faut que je la pose. Il faut que nous soyons en mesure de mettre des mots sur les doutes et questionnements qui nous habitent sans quoi, notre mariage ne tiendra pas. Je ne suis pas suffisamment naïve pour croire que nous pourrons toujours éviter les sujets tabous et les conflits. Ce n’est pas ce que nous sommes.

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Aleksej prit une profonde inspiration. Son front était plissé comme à chaque fois qu’il se trouvait en grande réflexion. Il était difficile pour lui de trouver la balance entre la rationalité et les émotions. Entre la tête et le cœur. Il n’y avait jamais de demi-mesure. En tout cas, cela ne lui venait pas naturellement mais au prix de remises en question douloureuses. Ses doigts vinrent se faufiler le long de sa nuque, remonter son cou pour trouver le lobe de son oreille derrière laquelle il glissa une des mèches de cheveux de la jeune femme.

“Je ne suis pas compétent pour affirmer quelle serait la meilleure solution. Encore moins objectif. Mais il me semble que la question doit être posée. Il y a beaucoup trop en jeu pour se permettre d’ignorer le contexte au profit d’une promesse faite il y a plus de dix ans…”

Les Porter devaient avoir leur mot à dire. Il devait avoir l’opportunité de défendre leur droit légitime. Leur ôter voix au chapitre c’était comme de leur enlever leur fille une seconde fois. Solveig avait été avocate. Elle devait pouvoir comprendre qu’une bataille se gagnait à force de compromis. Qu’il vallait toujours mieux s’entendre que de prendre les armes. La plupart de ses procès, Aleksej les avaient gagné bien avant de mettre un pied à la cour. En arriver là, serait hautement préjudiciable pour les enfants.

“En toute sincérité, je crois que la question devrait être tranchée par quelqu’un d’extérieur, en toute impartialité. Quelqu’un qui n’est pas impliqué émotionnellement. Je pense que l’enchainement des évènements ne leur a pas permis de faire leur deuil convenablement… À toi non plus…”

Voilà un sujet sur lequel Aleksej était qualifié. Ou justement pas. C’était sa psy qui était qualifiée. Et le trou dans son portefeuille en était la preuve. Et s’il n’était pas dans la tête de sa femme, il pouvait tout de même se baser sur l’expérience. Ce n’était pas le premier décès qu’elle connaissait à ses côtés. Elle avait perdu son père au début de leur relation et les conséquences de ce traumatisme l’avait poussée dans un alcoolisme sévère. Avec le départ d’Alice, Aleksej s’était montré super vigilant. Mais Solveig n’avait montré aucun signe de défaillance. C’était peut-être ce qui l’inquiétait le plus.

Les yeux du Danois se fermèrent l’espace d’une seconde en entendant la question de la jeune femme. Il plongeait ses yeux clairs dans les prunelles brunes de l’italienne et la réponse se fit immédiate dans son cœur. Elle était d’une limpidité poignante. Et d’une tristesse absolue. Trop blessante pour qu’elle ne puisse échapper le fil de ses lèvres. Un, deux, trois… et pourquoi pas cinq ? Le fruit de leur amour, la chair de leur chair. La preuve de leur amour inconditionnel.

“Ce n’est pas la question… Il ne s’agit pas de moi mais d’eux. Et à ce sujet, je n’ai pas voix au chapitre. C’est à toi qu’Alice a fait signer cet accord.”

Il adorait les enfants, cela ne lui donnait pas pour autant la légitimité de peser dans la balance. Et à mesure que la conversation avançait, il sentait qu’il pesait de moins en moins lourd. Il savait au fond de lui que la médiation était la meilleure des solutions vis-à-vis des enfants et il avait toujours mis à point d’honneur à défendre la veuve et l’orphelin. Mais quel en serait le prix ? Son mariage y survivrait-il en cas de dénouement défavorable ?

“Je suis ton mari. Ton partenaire. Quelque soit l’issue, je serais à tes côtés. Je serai là pour te soutenir.”

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Au vu des réponses qu’il me donne, que dois-je comprendre ? Comment puis-je un seul instant croire qu’il veut des enfants ? J’entends et je comprends qu’il ne veuille pas laisser les parents d’Alice en dehors de tout cela et, en réalité, c’est tout à son honneur. Cependant, j’ai l’impression en l’entendant dire cela qu’il ne veut pas se brûler, qu’il n’ose pas me donner son avis, son véritable avis.

– Aleks ? Tu es mon mari. Nous sommes mariés. Même si j’ai pris la décision d’avoir les enfants sous notre toit rapidement, je sais que tu as ton mot à dire et…plus important encore, tu as une opinion sur le sujet et j’ai besoin de l’entendre.

Même si je crains cette opinion plus que tout.

– Si les parents d’Alice m’accordent la garde…est-ce que tu veux ce rôle-là ?

Que se passera-t-il s’il dit non ? Je ne peux pas renoncer aux enfants. Je ne veux pas renoncer aux enfants. Encore une fois, il ne s’agit pas là d’un caprice, je sais très bien que si je prends les enfants, c’est à vie.

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Elle se tenait debout face à lui, dans cet état de vulnérabilité qui l’avait fait basculer des années auparavant. C’était probablement dans ces moments de doutes, de confrontation qu’il réalisait à quel point il était amoureux d’elle. Rien d’autre n’avait d’importance. Elle était le soleil de ses jours et le simple fait de graviter autour d’elle le faisait se sentir vivant. Son sourire lui faisait oublier les peines du passé. Ses caresses lui donnaient envie d’aimer. C’était ça la vérité. La seule qui importait.

Aimer ce n’était pas attendre de recevoir. Aimer c’était prendre ce que l’on vous donne avec gratitude et donner le meilleur de soi en retour. Il était prêt à donner tout ce qu’il avait si cela lui assurait une existence à ses côtés. Quelque en soit les termes. Et si cette impression de passer en second perdurait, il s’en accomoderait. Second ce n’était pas si mal. C’était définitivement mieux que rien. Tant qu’elle était heureuse et qu’elle était prête à partager un peu de ce bonheur avec lui.

“Si tout le monde arrive à la conclusion que c’est ce qu’il y a de mieux à faire pour eux, alors c’est ce que nous ferons. Nous donnerons à Ellie et Tim un foyer stable et affectueux.”

Il attrapa son menton en releva le visage de la jeune femme vers le sien. Il frotta doucement son nez contre celui de la brunette avant de coller son front contre le sien. Jamais il ne devrait la considérer pour acquise. La vie était bien trop hasardeuse et il en avait fait largement l’expérience. Il ne pouvait pas vivre sans elle. Il ne pouvait pas prendre le moindre risque, laisser le moindre obstacle entraver leur route.

“Je ne te demanderais jamais de renoncer à eux…”

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Je ne comprends pas ce qu’il se passe. Pourquoi n’arrive-t-il pas à me dire vraiment ce qu’il ressent ? Je ne suis pas stupide au point d’ignorer la panique que l’arrivée des enfants dans nos vies a engendré. Et je ne suis pas non plus une pauvre petite chose fragile qui n’est pas capable d’entendre la vérité. Bien-sûr, je ne peux pas abandonner l’idée de garder les enfants à mes côtés mais j’ai aussi besoin d’entendre Aleksej me dire la vérité sur ce qu’il ressent vraiment au fond de lui.

– Tu n’es même pas capable de me dire ce que tu as sur le cœur, lâchai-je, cette fois-ci clairement agacée par cette façon qu’il a de tourner autour du pot.

Je me défais de son étreinte et le plante là, pour aller dans notre salle de bain où je décide d’aller me réfugier. Il sait pertinemment que lorsque je vais là-bas, il a tout intérêt à ne pas m’y suivre ; cela signifie que j’ai besoin d’être seule et tranquille.

Une fois dans la pièce, et après avoir verrouillé derrière moi, je prends une profonde inspiration tout en essayant de retenir mes larmes. Le reflet que je croise dans le miroir ne me convient pas. Ce n’est pas la femme forte que je me suis toujours promise d’être. J’ai l’impression de ne pas avoir de forces depuis la disparition de Mark et Alice. C’est un peu comme si je vivais avec la version “auto-pilote” de moi-même.

Je suis à deux doigts de prendre une douche quand j’entends des pleurs. Je les connais bien ceux-là, maintenant. C’est en moins de temps qu’il en faut pour le dire que je fonce dans la chambre où se trouve Ellie que je prends dans mes bras dès qu’elle atteint mon périmètre.

– Ca va aller ma puce, je suis là.
– Cau-cauch-

Je n’ai pas besoin qu’elle me dise ce qu’il s’est passé, je le sais très bien. La psychologue qui la suit nous a expliqué que cela n’irait pas en s’arrangeant tout de suite. Les séquelles de l’accident de voiture resteront un moment, malheureusement.

– Tu es en sécurité, c’est fini. Je te le promets, dis-je en l’embrassant sur le sommet du crâne.

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Au son de la voix de Solveig, il entendit qu’elle n’était clairement pas satisfaite de la réponse qu’il lui avait donné. Mais elle avait raison. Il ne pouvait pas répondre à sa question. Même si la vérité était toujours mieux dehors, celle-ci ne ferait de bien à aucun des deux. À la manière dont elle s’écarta vivement de lui. Il savait que cette discussion-là était terminée. Pour le moment du moins. C’était peut-être une bonne chose en fin de compte. Il vaudrait mieux passer à autre chose. La conclusion ne les mènerait nulle part de toute manière.

Il entendit le loquet de la porte de la salle de bains se refermer derrière elle. Il savait parfaitement qu’il ne valait mieux pas la déranger quand elle se mettait à l’écart mais ça n’empêchait pas la jeune femme de fermer la porte à clé. Peu de temps après, il entendit des plaintes provenant de la chambre d’Ellie. Solveig les avait entendus également et s’était précipité à travers le salon pour rejoindre la petite fille. Le Danois tendit l’oreille un instant pour écouter l’Italienne consoler l’enfant.

Il semblait qu’elle avait la situation bien en mains. Autant ne pas s’en mêler. Sans mentionner le fait qu’elle n’était probablement pas prête à continuer la discussion qu’ils avaient commencée. Aleksej se dirigea vers la cuisine et sorti une bouteille de Bourbon de l’un des placards du haut. Les alcools et produits sensibles avaient été déplacé hors de portée des mains curieuses. Alors qu’il se servait un verre, Boule s’était approché de lui et frotta sa tête contre sa cheville.

Aleksej se pencha pour grattouiller le sommet de sa tête. Solveig disait souvent que Maroon avait un sixième sens quand il s’agissait de ressentir les émotions des gens. Boule était toujours en demande de caresse et d’attention mais qui sait. Peut-être que lui aussi savait reconnaître la mélancolie quand il la sentait. Il rangea la bouteille à sa place et parti sur la terrasse. Si Solveig s’échappait parfois dans la salle de bains, lui préférait l’extérieur. L’air frais qui emplissait ses poumons lui apportait une certaine quiétude. Il le rendait plus calme en tout cas.