Elle doit avouer qu'il a de la répartie ce monsieur Moreno. Il essaie d’être marrant et étonnamment, ça marche un peu. Impressionné et sans doute un peu inquiet de se retrouver aux prises avec eux flics. Ça explique sa maladresse, mais Ariadne a déjà déterminé qu’il est pratiquement inoffensif. Du moins ce soir. Il ne semble avoir aucune malice et aucune agressivité. Peut-être un rien d’insolence envers Frank, mais ça c’est généralement l’effet que le vieux flic fait à tout le monde. Elle comprise, bien qu’elle essaie de se retenir le plus possible de lui répliquer vertement. Elle réfléchit toujours beaucoup avant de répondre à Frank. C’est plus prudent si on ne veut pas se retrouver avec une comparaison totalement éclatée, mais totalement dans le contexte.
Ah bon, elle ira loin ? Elle espère bien. Bon, peut-être pas dans le comique, mais dans son boulot, dans ses projets de vie. Oui, aller loin, c’est bien, du moins jusqu’à ce qu'on désire atteindre, quoi. Elle se contente de lui sourire et de lui céder ses clés. Elle espère de tout coeur que les clés ne tomberont pas. Elle n’ira pas les chercher… c’est faux, elle ira… mais ça risque de la contrarier. Et pis bon. Frank y va de sa théorie sur la mort d’Escobar… et d’Elvis également. C’est intéressant comme croyance. Mais bon, c’est pas son truc de croire aux complots et tout ça. Du moins plus maintenant. Avant, peut-être, quand les gens étaient ignorants… quoique…
Ah, alors Moreno est un prof. De littérature. Et d’italien. Intéressant. Oh est mardi, non ? C’est une journée pédagogique demain ? Pas qu’elle sache. Elle se demande si ses cadets ont Monsieur Moreno en littérature. Ce serait marrant. En tout cas, s’il a des cours demain, ça va être difficile. Ce serait préférable qu'il donne une période de lecture et du travail en solitaire, parce que franchement, ça va être un réveil douloureux. En effet, il n’a pas à demander leur métier. Frank et elle travaillent tous les deux en ce moment et de toute évidence, l’homme ivre est parfaitement au courant. Effectivement, quatre étages avec un homme saoul, sans ascenseur, c’est pas la joie. C’est quand même long, quoi.
- Parce que vous croyez que les policiers gagnent beaucoup plus cher que les profs de lycée ?
En même temps, elle est un peu un cas à part. Personnellement. Mais bon, elle aurait préféré rester avec son petit salaire de flics et habiter chez Alyson plutôt que d’hériter de l’appartement et de la fortune de sa meilleure amie. Mais elle n’en rajoute pas. A son avis, c’est plus le choix du quartier qui y fait quelque chose. Et le hasard. En fait, c’est pas tant le choix de l’étage qui fait la différence ce soir, mais l’entretien de l’ascenseur. Mais pourquoi ce truc est en panne ce soir ? En fait, elle se doute bien qu’il est en panne pas mal souvent. Mais bon, un prof, c’est quand même pas si pauvre que ça, si ? elle n’en sait rien, à vrai dire.
Elle sourit en entendant le professeur citer Gandalf, mais elle pouffe carrément de rire, et elle ne s’en cache pas, lorsqu’il précise qui est Gandalf et qu’elle devra peut-être le mettre à jour sur le cinéma post années 30. Frank n’est pas si vieux que ça, il n’a pas soixante ans, elle en est certaine. Elle n’a jamais demandé, mais il parle de temps en temps des années 90, alors il devait être tout jeune flic à l’époque. Quand elle est née, quoi. Frank pose ensuite une excellente question. Est-ce que Moreno sera seul chez lui. Enfin, chez lui, sans doute, mais quelques portes se sont ouvertes à leur passage, parce que franchement, le professeur est loin d’être discret. Elle toise Frank qui vient de lui demander si elle sait si les bigoudis sont encore à la mode. Ouais, non, elle n’est pas très adepte des bigoudis. Alors non, le professeur enivré n’habite avec personne, bien que tous ses voisins savent maintenant qu'il a été escorté chez lui par deux agents.
- J’en suis navrée dit-elle, sincère, lorsqu'il informe que sa petite amie est morte il y a deux ans.
elle le fell très bien, quoique bon, alyson n’était probablement pas sa petite amie, mais c’était certainement sa meilleure amie. Elle comprend ce que c’est de rentrer seule et de ne pas trouver celle qu'on voudrait tellement revoir. Mais c’est impossible. De quelque manière que ce soit, c’est impossible. Alors, il laisse l’appartement plongé dans la pénombre. Il y disparaît et annonce qu'il a besoin d’un verre. Elle hésite, parce que bon, est-ce que c’est prudent de le laisser boire comme ça ? Elle ne voudrait pas que demain, elle apprenne que les collègues sont intervenus sur les lieux parce que Moreno est mort pendant son sommeil.
- Vous avez surtout besoin d’un verre d’eau, de deux cachets et de dormir… sur le côté de préférence, monsieur Moreno.
C’est sans doute son côté trop impliqué et trop attentif, mais elle a des scrupules à le laisser tout seul dans cet état. Évidemment, elle ne pourra pas passer la nuit ici à la surveiller, mais quand même. Si au moins elle arrive à le diriger vers son lit et l’inciter à se coucher, ou peut-être à désaouler un peu avant, elle sera plus sereine à partir. Mais elle sait très bien que c’est dangereux quand on s’implique trop comme ça.