T’es perturbé depuis le retour de Nana. Depuis votre dernière discussion pour être plus précis. T’as carrément la tête ailleurs, incapable de te concentrer sur autre chose que sur ce visage dont tu pourrais dessiner les traits rien qu’avec tes souvenirs. Tout t’es revenu en plein gueule sans même que tu t’y attendes une seule seconde. Tout ce que tu as pu ressentir pour elle, ce mélange de haine et d’amour, est bien ancré en toi. Ça se voit, que tu n’es pas comme d’habitude depuis plusieurs jours. Que t’as l’air totalement ailleurs, à errer sans avoir forcément de but, à faire machinalement ton travail sans même chercher à répliquer face à ce con de comédien qui te demande toujours d’avoir la lumière sur sa foutue personne. T’as quand même appelé Neva hier soir. Tu lui as demandé si elle voulait passer la soirée chez toi. Vous savez très bien les deux ce que ça signifie. Peut-être que ce n’était pas l’idée du siècle, que t’aurais dû attendre d’avoir au moins une seule pensée claire. T’es perdu et t’as bien l’impression que même Neva est capable de le voir même si elle ne t’a encore rien dit. Maintenant couché sur ton lit avec la jeune femme à tes côtés, les yeux grands ouverts, tu es incapable de trouver le sommeil. Est-ce que Neva s’est endormie ou elle compte partir demain matin ? Aucune idée. Elle sait qu’elle peut bien faire ce qu’elle veut ici, tu apprécies assez sa compagnie pour la laisser aller et venir à sa guise dans ce grenier qui te sert d’appartement depuis ton retour à la vie réelle. Elle peut très bien sauter du lit à cet instant et te dire qu’elle s’en va, cela ne te vexera pas le moins du monde. C’est votre manière de fonctionner et cela te convient très bien. « Tu dors ? » finis-tu par demander avant d’observer. Elle est dos à toi et tu laisses machinalement tes doigts glissés le long de son bras nu. « Je crois que je n’aurais jamais dû revenir ici... » que tu murmures dans un souffle sans même attendre la réponse de la jeune femme à tes côtés. Tu ne sais même pas si à cet instant précis, tu lui parles à elle ou à toi-même. Mais c'est la vérité. T'aurais dû te barrer dès ta sortie de prison, dès que tu as eu la moindre occasion de le faire. Juste histoire d'être véritablement libre et non sous l'emprise d'une personne que tu croyais disparue à jamais. Tu soupires avant de poser ton poignet sur ton front, observant le ciel sombre à travers la fenêtre du toit qui laisse un semblant de lueur imprégner la pièce beaucoup trop silencieuse à ton goût.

Rares sont les présences capables de t’apaiser un minimum ou du moins, rares sont les personnes avec qui tu arrives plus ou moins à te sentir à l’aise et même communiquer. Neva t’a quelque peu aidé à sortir de ta léthargie suite à tes années de prison. Tu n’es pas non plus le mec le plus bavard du monde, il ne faut pas exagérer. Mais avec elle, tu arrives à décrocher plus de trois mots par phrase. A ne pas te contenter du strict minimum. C’est certainement parce que tu apprécies sa compagnie malgré vos huit années de différence. Elle a beau n’avoir que vingt-deux ans, elle donne déjà l’impression de connaître le monde. Douce ironie de se rendre compte que toi, à son âge, tu as fini derrière les barreaux. Tu soupires une nouvelle fois tandis que sa tête se pose contre la tienne. C’est une tendresse à laquelle tu n’es plus habitué mais qui te fait du bien. « Je n’suis pas certain que ce soit le bon moment pour mes états d’âmes nocturnes. » que tu lui lances avec un bref sourire un peu sarcastique. Mais y-a-t-il vraiment un bon moment pour cela ? Pour parler ? Tu ne sais pas. Ou plutôt, tu ne sais plus. « J’ai juste revu une personne que je pensais… disparue à jamais. ». Aucune émotion dans ta vie, une indifférence sans nom sur ton visage. Pourtant, tu es plus que bouleversé depuis ta dernière rencontre avec Nana. Mais tu n’as pas envie de le montrer. Cela se voit déjà assez dans tes gestes pour qu’en plus, tu laisses la moindre contrariété apparaître dans ton regard. Neva n’a pas à supporter ce genre de chose. Elle n’est pas là pour t’écouter, n’est-ce pas ? « Je suppose que personne n’est jamais préparé à ce genre de chose. Ça finira par passer... Ça finit toujours par passer. ». Tu hausses brièvement les épaules tout en continuant de laisser tes doigts glisser sur le bras de Neva. C’est une conclusion que tu fais dans le simple but de minimiser ce que tu ressens. Cette envie de fuir, de te barrer à tout jamais de cette ville que tu connais pourtant par cœur. Tu ne le feras pas, tu le sais bien. Tu ne peux pas te le permettre. Pas maintenant, en tout cas. Encore surveillé de près, ta totale liberté n’est pas prête de voir le jour avant un bon moment. Mais tu as tout de même besoin de l'entendre de la bouche de la jeune femme que oui, tout finit par passer avec le temps.

Parler de Nana, prononcer son prénom à voix haute… Ce serait rendre tout cela réel. Mais ça l’est, n’est-ce pas ? Tu ne peux pas continuer de vouloir fuir, penser à quitter New-York juste à cause d’elle. Cela ne devrait pas te toucher autant, pas après toutes ces années. Faut croire que t’es vraiment le dernier des cons dans toute cette histoire. « Ok, mais tu dois me promettre d’ignorer mon côté sentimental. » que tu lances à la jeune femme dans tes bras avant de lâcher un rire quelque peu jaune. C’est plus simple pour toi de faire comme si tu n’en avais rien à foutre, de tout. Mais parfois, les choses te reviennent en pleine gueule et c’est difficile de faire semblant. Est-ce que c’est maladroit de parler de ton premier amour à Neva même si votre relation est claire des deux côtés ? C’est toujours étrange d’aborder un sujet comme celui-ci. « Quand j’avais dix-sept ans, j’ai rencontré une fille qui est devenue… tout mon monde. Puis elle a fini par se barrer du jour au lendemain sans me donner d’explication. ». L’amertume se ressent dans ta voix. « Je l’ai revu il y a quelques semaines…. après dix ans sans nouvelle. Elle s’est excusée. Elle a sa vie maintenant, puis j’ai la mienne aussi. Mais je n’arrive pas à ne plus lui en vouloir. C’est n’importe quoi. ». Tu souffles ces derniers mots dans un murmure. Ton passé ne devrait plus te hanter, pas après toutes ces années. Tu l’as aimé comme un fou, autant que tu la détestes à présent. T’as ce nœud à la gorge dès que tu parles d’elle. Comment est-ce possible de ressentir autant de choses contradictoires pour une seule et même personne ? « J’crois bien que j’aurais préféré ne jamais la revoir, même si ça fait de moi un sale con. Je te permets même de me le dire. ». Tu souris à Neva, comme pour ajouter un peu plus de légèreté à toute cette conversation. T’es sous tension à cet instant, Ash. Les nerfs solides mais mis à rudes épreuves. Parce qu’il suffit d’un simple prénom pour te mettre dans tous états. Et tu te sens ridicule de t’être ouvert à Neva de cette façon. Qu’est-ce que ça peut lui faire tout ça, au final hein ? Elle a mieux à faire que t'écouter te plaindre de tes conneries.