Un petit trait de liner, une dernière touche d’un rouge à lèvre bordeaux du plus bel effet, Moira pirouette d’excitation devant le miroir de sa salle de bain. Il ne reste plus très longtemps avant le lancement de Chicago et elle se doit de profiter de ses derniers soirs de liberté avant un bon moment. Aussi, l’invitation d’Elior à cette soirée en petit comité avait été accueillie avec joie. Le duo s’était associé dans l’optique de mettre sur pieds une petite vengeance personnelle. Oh, rien de bien méchant, vraiment. Juste une petite blague afin de faire comprendre à leur pote Wesley qu’ils ont bien compris le message et qu’il peut cesser de leur casser les pieds avec ses allusions d’une discrétion qui ferait pâlir un moine.

Quel message, vous me direz ? Oh, Wesley est un adorable garçon, mais il a tendance à idéaliser les amitiés les plus platoniques, si vous voyez ce que je veux dire. Aussi, avec une Moira célibataire depuis un certain temps qu’on ne peut même plus compter en mois et un Elior en plein deuil amoureux, l’imagination du musicien s’en est donnée à cœur joie. Et Elior par-ci, Elior par-là, la blonde a assez donné : il est temps que ça cesse et une certaine satisfaction l’anime à l’idée de faire marcher leur ami à ce propos ce soir même. Aussi, lorsque vient l’heure de partir, elle ne se fait pas prier et s’octroie même un peu d’avance. Le temps d’attraper son sac à main et celui contenant deux bouteilles de prosecco et elle s’engouffre hors de son appartement, direction le Bronx.

D’aucuns pourraient trouver qu’elle en fait des caisses, pour un verre entre amis. Avec sa robe à sequins et ses escarpins dignes d’un tapis rouge, il se pourrait bel et bien que ce soit le cas, mais s’il y a une chose dont Moira est sûre, c’est que quand on aime les entrées théâtrales, on n’en fait jamais trop. Surtout lorsqu’on s’apprête à baratiner un copain pendant une soirée entière. Et ça tombe bien : le côté dramatique de la britannique n’est plus un secret pour personne. Aussi, elle revêt son plus grand sourire au moment de frapper à la porte de l’hôte de la soirée et lui saute littéralement dans les bras pour lui faire la bise lorsqu’il ouvre la porte. « Hiya ! J’ai un peu d’avance, pardon ! »

La blonde ne se fait pas prier et entre dans l’appartement qui reluit. Elior a vraiment mis les bouchées doubles pour cette petite blague et cela a le don de la mettre en joie. « Tu sais que j’ai toujours soif, voyons ! », elle plaisante. « J’ai aussi apporté du prosecco, histoire de fêter la bonne nouvelle. » Gratifiant son ami d’un clin d’œil complice, elle éclate de rire en lui tendant les bouteilles. C’est pas gentil de se moquer comme ça, mais Wes l’a cherché ! « Je me demande combien de temps il va mettre à comprendre qu’on se paie sa tête. » Le plus longtemps possible, elle espère. Et elle a hâte de voir ladite tête lorsque la pièce sera tombée, d’ailleurs.

Wes était fidèle à lui-même et pour cette raison il : a) arriva en retard ; b) ne s’était pas du tout mis sur son trente et un. C’est donc vêtu d’un t-shirt un peu trop grand qu’il se pointa chez Elior, vingt minutes après l’heure convenue. Il s’était rappelé au dernier moment de cette règle de politesse qui voulait que l’invité ramène quelque chose à boire. L’opération « trouver une épicerie ouverte » avait pris plus de temps que prévu. Mais au final, il avait dégoté une bouteille de champagne. Il s’était même donné la peine d’enlever l’étiquette du prix. Après tout, n’était-il pas sur le point de fêter une « superbe nouvelle » ?

Il n’y avait pas trois mille bonnes nouvelles probables. Certes, le lancement de Chicago arrivait en n°1 dans la liste des choses à fêter. Mais au téléphone, Elior paraissait tellement surexcité que la nouvelle le concernait forcément aussi. Wes évaluait donc à 70% les chances pour que Moira et Elior lui annoncent qu’ils étaient (enfin) en couple. Autant dire qu’il sautait à pieds joints dans leur piège. Les yeux fermés. Avec toute la candeur du monde.

Lorsqu’Elior lui ouvrit, sa première réaction ne fut pas de saluer ses amis mais de lâcher : « Ah ouais d’accord, vous faites pas semblant... » Il avait oublié à quel point le duo pouvait être… Fantasque. Ils semblaient survoltés, plus que d’habitude, ça n’était pas peu dire. Au moins, ça lui faisait plaisir de ne pas voir Elior tirer une tronche de six pieds de long, comme c’était un peu trop souvent le cas ces derniers temps. Il leur sourit. « Vous êtes très beaux tous les deux mais vous auriez pu me prévenir qu’il y avait un dress code. » Son sourire se transforma en un ricanement. L’audace, c’est certainement se moquer des autres quand on est le seul à avoir l’air d’un plouc. « Elior, tu penseras à rendre à Magnum sa chemise à fleurs. » Impitoyable, il pivota vers la jeune femme. « Et toi Moira, t’as braqué Coco Chanel ? »

Wes retira sa veste, qu’il déposa dans l’entrée, puis refila la bouteille de champagne à Elior. En s’avançant dans l’appartement, il constata que le jeune homme avait vraiment mis les petits plats dans les grands. Wes voulait la jouer détaché, mais déjà, son impatience commençait à se faire sentir. « Bon, vous êtes bien charmants, mais ça suffit le suspens. Alors, cette grande nouvelle ? » La soirée n’avait même pas commencé qu’il marinait déjà pile poil à la bonne température.

Le fait que Moira soit arrivée avant Wes est une bonne chose, car ça nous laisse quelques minutes pour ricaner et nous réjouir de notre plan machiavélique. On ne veut pas le blesser, non, ça ne part pas d'une mauvaise intention. On veut juste lui donner une petite leçon au bougre, et si ça peut nous permettre de nous amuser un peu, alors pourquoi s'en empêcher, n'est-ce pas ? « Du proseco ! Merveilleux ! » je m'exclame, un large sourire plaqué sur le visage en m'empressant de mettre les bouteilles au frais, et je ris un peu avec elle, aillant vraiment hâte de commencer les festivités. « Je sais pas, mais si il faut jouer le jeu toute la soirée, j'le ferai à cœur joie, tu me connais, chérie. » J'accentue un peu le dernier mot de la phrase, j'ai souvent tendance à donner des surnoms affectueux aux personnes proches de moi, mais dans le contexte, celui-là est plutôt bien choisi.
Mon sourire ne fait que s'élargir lorsque j'entends la sonnette retentir. Ca y'est ! Il va falloir que je réussisse à garder mon sérieux tout le long, mais il faut savoir quelque chose sur moi: je sais toujours repousser mes limites, dans toutes les situations. Et comme le laisse entendre Wes en entrant dans l'appartement, nan, je ne fais jamais les choses à moitié. « En parlant de dress code, franchement, Wes, je peux même pas te dire que ton ta tenue est démodée. Come on, ce genre de t shirt n'a jamais été à la mode, combien de fois il va falloir que je te le répète... » et je soupire en secouant la tête, exaspéré. Par contre, quand il me compare à Magnum, j'ouvre dans la mâchoire et prend un air choqué. « Magnum ?! » Et je me tourne vers Moira, je suis plus joueur que jamais, et l'attaque de mon ami me donne juste envie de lui rendre la monnaie de sa pièce. Je pense qu'à la fin de la soirée, il l'aura eu, d'ailleurs. « Moira, darling, tu en pense quoi ? Je devrais me faire pousser la moustache ? » Je me place juste à côté de la blonde, mon épaule contre la sienne, afin de teaser Wesley jusqu'au bout.
« Ais patience, » je soupire alors que Wes veut déjà qu'on crache le morceau. Je ne lui ferai pas ce plaisir, pas d'entrée de jeu. « Magaritas ou proseco ? » Que je demande à mes deux amis alors que j'ouvre le placard pour sortir des verres. « Parce qu'il va falloir qu'on porte un toast justement. » Et j'adresse un clin d'oeil très peu discret  à Moira.

Moira est surexcitée à l’idée de la soirée à venir. Qu’Elior soit au moins aussi emballé qu’elle ne fait qu’accentuer sa hâte de voir leur ami commun débarquer et tomber dans le panneau. « C’est justement pour cette raison que j’ai si hâte, babe, il va sauter à pieds joints dans le piège ! » Et puis, pour entrer dans un sujet plus sérieux, elle est contente de voir un tel sourire sur le visage d’Elior. Il n’a pas eu la vie facile ces derniers temps et contribuer à le distraire de tous ses malheurs de manière si efficace n’est pas sans plaire à la britannique qui s’en donne à cœur joie. Mais elle n’a pas le temps de s’esclaffer plus longtemps sur leur plan machiavélique : la sonnette retentit et il est temps d’entrer dans son personnage.

Wes est fidèle à lui-même, aussi Moira n’est-elle pas surprise de le voir débarquer comme chez McDo – venez comme vous êtes, tout ça -, et encore moins de l’entendre s’étonner des fantaisies de ses deux amis. Elle n’a pas vu venir la comparaison entre Elior et Magnum, cependant, et elle doit réprimer un fou rire. L’air presque choqué, surjoué, la blonde se retourne face à Elior et s’exclame, en posant un doigt sur les lèvres de son ami : « Oh, no, honey, no, no, no... Don’t ruin that pretty face with a filthy mustache! » Un clin d’oeil discret et complice plus tard, elle reporte son attention sur Wesley sans se décoller d’Elior, et continue : « Wesley, dear, » - elle s’applique à prononcer chacune des syllabes de son prénom d’un air grave et très sérieux, juste pour l’embêter un peu plus – « Ce n’est pas Chanel, c’est Mango, c’est beaucoup plus abordable. Tu devrais venir faire un peu de shopping avec moi à l’occasion, d’ailleurs. Histoire de trouver autre chose que ces vilains t-shirts unis et pas à ta taille à te mettre sur le dos lors des grandes occasions. »

Car ceci est une grande occasion, du moins lui font-ils croire, et Moira croit bien savoir qu’Elior a teasé cette petite soirée comme telle auprès de Wes. Ce dernier fait preuve de beaucoup d’impatience, cependant, et la blonde apprécie l’effort de leur hôte pour faire durer le suspense. C’est avec un plaisir non dissimulé qu’elle entre dans son jeu : « Proseco, darling, c’est bien plus approprié pour un toast ! » Elle lève un regard attendri vers Wes qu’elle prend bien trop de plaisir à faire tourner en bourrique. « Un toast… à l’ami fidèle et de si bon conseil que tu es, Wes. Tonight is all about you, teacup ! »

Et d’une certaine manière, elle a raison. Après tout, ils sont bien là pour se moquer – gentiment – de lui. Autant le mettre à l’honneur tout de suite.

Il observa leur petit manège, un sourcil relevé, perplexe. « Rassurez-moi, vous avez conscience d’être super weird ? » Il aurait dû se douter que c’était « trop », pourtant. Mais non. À sa décharge, rien n’était sobre avec ses deux amis. Alors forcément, l’annonce de leur couple ne pouvait pas se faire dans la retenue et la discrétion. Et puis il avait en face de lui une comédienne et une star née. Comment était-il censé lutter ? « Plus que d’habitude je veux dire. » Pour être parfaitement honnête, il en tirait une certaine fierté. Moira et Elior étaient plutôt bien assortis. Voire carrément bien assortis. Et puis ils avaient l’air heureux, ce soir. Wes esquissa un sourire satisfait. Il n’avait aucune honte à se jeter des fleurs.

En même temps, ça faisait des mois qu’il insistait. Il avait consacré beaucoup d’énergie à caser ses amis ensemble plutôt qu’à régler ses propres soucis. Il s’était même demandé s’il ne forçait pas un peu trop. Mais la fin justifie les moyens, non ? Elior n’était pas le dernier pour se mêler de sa petite vie, alors aucune raison d’avoir des scrupules. Surtout qu’à en juger par les clins d’œil échangés, l’aboutissement de toute cette histoire était une réussite.

Lorsqu’on s’attaqua à sa tenue, il s’offusqua. « Hééé, stop it, c’est juste un t-shirt gris, ça peut pas être si moche que ça ! » Quel toupet il avait de s’indigner alors que c’était lui qui avait ouvert les hostilités vestimentaires. Enfin, s’indigner… Wes ne se vexait jamais vraiment. Quoique le petit traquenard de ses amis risquait fortement de lui déplaire. Les joyeux lurons allaient devoir la jouer fine pour éviter qu’il se fâche. « J’ai pas besoin d’un costard pour être au top, excusez-moi, je joue la carte de la simplicité. » Sa propre mauvaise foi l’épuisa.

Wes attrapa son verre de prosecco, remercia Elior et s’accouda au bar de la cuisine. Il avala une gorgée avant de se rendre compte que commencer à boire avant un toast ne se faisait absolument pas. Et voilà que ledit toast était à sa gloire, maintenant. Il fit une ébauche de révérence qui se voulait ironique. Il n’était pas sûr de comprendre pourquoi Moira et Elior tournaient autant autour du pot. Il essaya donc habilement de faire glisser la conversation : « Que me vaut cet honneur ? » Allez, dites-le, faut cracher le morceau là. « Juste pour être sûr, ça a un rapport avec le fait que vous êtes accrochés l’un à l’autre comme des pieuvres ? » Il exagérait à peine.

Je prends un malin plaisir à jouer à notre petit jeu, et je sens que mon amie aussi. On se colle, on prend une voix mielleuse pour s’adresser à l’autre, et très franchement, on n’a pas besoin de faire grand chose de plus. Wesley ne marche pas, il court, il saute à pieds joints dans la gueule du loup et j’en suis ravi. En même temps, il faut dire que j’ai comme partenaire une actrice de Broadway, je ne pourrais pas rêver mieux, bien entendu que notre plan allait marcher. « Alright honey bunch, si tu ne penses pas que la moustache est une bonne idée, je l’abandonne tout de suite. » j’affiche une certaine moue, faussement désolé d’apprendre que la blonde ne voit pas l'incroyable potentiel de la moustache.

Un sourcil haussé au commentaire de Wes, et il sourit bêtement. C’est gagné, plus de toute possible, il y croit à notre petit manège, il est tombé dans notre piège et tant pis pour lui. Après tout, c’est lui qui a commencé à jouer à un jeu dangereux avec Moira et moi, et tout le monde sait qu’il ne faut pas se frotter trop à nous. « Je ne comprends pas ce que tu veux dire par là. On est totalement normaux. N’est-ce pas, cuore mio ? » L’accent italien que je tente de prendre pour le surnom bien trop cheesy est grotesque, mais je reste si premier degré que même-moi, si je me retrouvais dans la situation de Wes je goberais toute cette histoire.

Je laisse un léger rire s’échapper d’entre mes lèvres quand Wes s’indigne des critiques que l’on fait sur ses vêtements, alors que Moira lui propose tout à fait gentiment de l’emmener faire du shopping avec elle. Et sans rigoler, ce que j’aimerais voir ça. Peut-être arriverait-elle à lui trouver un style un peu plus recherché, qui sait. « C’est plus la carte de la simplicité, là, c’est la carte du skateur de quatorze ans. » Et je soupire, désespéré par mon ami et sa mauvaise foi illimitée. « Tu sais Moira, j’ai essayé. J’ai essayé à maintes et maintes reprises de le convaincre de se laisser relooker. Mais rien à faire, sur ça, il ne cède pas. » Et pourtant Wes est si laxiste avec moi, je peux faire ce que je veux et il ne se vexera jamais, ne m’en voudra jamais. Malheureusement, je n’ai encore jamais réussi à le convaincre de m'accompagner à une après-midi shopping.

« On voulait te faire honneur ce soir, » en lui tendant son verre, je lance un regard à Moira, imitant un amour inconditionnel, avant de reposer mes yeux sur Wes, un large sourire sur mon visage, « parce que c’est grâce à toi qu’on en est là. » J’aurais voulu rétorquer sur sa dernière remarque, mais je ne le fais pas pour ne pas gâcher le meilleur moment de la soirée, le moment où le pauvre Wes allait se retrouver au climax de ce petit plan qu’on a monté. « Vas-y pumpkin, je te laisse l’honneur de l’annoncer ! » Et je lève mon verre en premier, attendant que Moira lâche la bombe, bien trop impatient de voir la réaction de Wes, qui se doute déjà de ce qu’on va lui dire. Ce qu’il ne sait pas, c’est qu’on veut juste le faire tourner en bourrique. Mais ça, c’est encore un secret pour le moment.

« Totalement normaux, sweetie pie. », affirme la blonde en jouant la carte de la stupidité, feignant de ne pas comprendre le moins du monde ce que leur veut Wesley. Aussi, dès que possible, Moira détourne l’attention et s’en prend directement aux tenues somme toute très ennuyeuses de leur ami. Wes est vexé et c’est précisément ce que souhaitait Moira. Dans une moindre mesure, évidemment – très loin d’elle l’idée de réellement blesser un ami, elle sait que le musicien ne se formalisera pas plus que le temps de protester. Ce qu’il fait d’ailleurs avec beaucoup de panache, entraînant l’éclat de rire de Moira qui s’en doutait. C’est Elior qui prend le relais de la taquinerie tandis qu’elle se contente de ricaner encore un peu. « Un homme borné, ce Wes ! C’est bien, t’as raison de pas te laisser faire, même si ça veut dire qu’on devra subir 50 shades of grey t-shirts jusqu’à la fin de tes jours ! » D’un clin d’œil, elle clôt la conversation.

Car il y a plus important, ce soir, que le look d’ado attardé de Wesley. Toute une farce est mise en place et il ne faudrait surtout pas s’écarter de l’objectif qu’est la tête du concerné lorsqu’il apprendra qu’ils se la sont payée toute la soirée. Et pour cela, il faut poser les bases. Aussi, porter un toast semble la meilleure chose à faire. Lorsqu’Elior finit de distribuer tous les verres, Moira le prend par la taille, l’entourant de ses deux bras tandis qu’il s’applique à annoncer la couleur. Et lorsque la parole lui revient, c’est avec un talent de comédienne incroyable qu’elle joue l’adolescente malade d’amour, entre timidité et hystérie. « On a décidé de suivre tes conseils !!!! C’est tout nouveau et tu es le premier à l’apprendre, mais voilà… » Elle sautille presque trop pour que ce soit raisonnable, mais il faut bien camoufler son envie irrépressible d’éclater de rire. « Elior et moi… » Moira se détache de ce dernier et lève son verre. « … on s’est mis ensemble il y a une dizaine de jours et, Wes, t’avais raison : he might be the one !!!!! Du coup, ce toast est pour toi. Santé, l’ami ! »

Plus c’est gros, plus ça passe, n’est-ce pas ?

Le musicien grommela quelque chose d’à peine audible, mais qui pouvait s’apparenter à : « Ok, super, je savais pas que j’étais en garde-à-vue au commissariat du bon goût. » Heureusement pour lui, le roast de sa tenue vestimentaire prit fin et Wes oublia instantanément qu’il était vexé. Lui, bonne pâte ? Jamais de la vie.

Puis Moira décida qu’ils avaient suffisamment tourné autour du pot. Il faillit laisser échapper un « aaah, bah quand même ! » Il avait  beau se douter de l’annonce, c’était quand même autre chose de se l’entendre dire aussi solennellement. Sa première réaction fut : « C’est une blague ? » Une expression toute faite, qu’il avait balancée sans y croire : c’est vrai, qui plaisanterait avec ce genre de chose ? Qui, je vous le demande ? Un large sourire s’invita sur son visage. Sans leur laisser le temps de répondre, il s’exclama : « Félicitations ! Ça me fait plaisir pour vous deux, vous êtes rayonnants, c’est beau à voir. » Il chercha le regard d’Elior. Si ça n’avait pas été un geste totalement beauf, il lui aurait mis une tape dans le dos. Il était fier de lui, fier qu’il ait (enfin) réussi à passer à autre chose. Bye Janet, ne reviens jamais, il a trouvé BEAUCOUP mieux que toi. Détester viscéralement quelqu’un ne lui ressemblait pas, mais dans le cas de Janet, franchement, il y avait prescription.

Pour couronner le tout, ce couple parfait n’aurait jamais vu le jour sans lui. Ça méritait qu’on lui décerne la médaille du meilleur ami du monde, au moins. Peut-être même le prix Nobel de la paix. Mais par souci d’humilité, Wes préféra décliner le toast et le modifier légèrement, parce qu’il avait beau être un génie du conseil matrimonial, ça n’était pas lui le roi de la soirée. « Au deux weirdos que vous êtes, on aurait pas pu trouver meilleur assortiment. » Il avala une gorgée de prosecco avec le sentiment du devoir accompli. Il ne put cependant s’empêcher d’ironiser, c’était plus fort que lui. En même temps, les voir sautiller était tout ce qu’il y avait de plus ridicule, pour ne pas dire cucul. « On dirait deux adolescents, c’est meugnon tout plein. » Ils étaient tellement niais que ça ne s’inventait pas, pas vrai ?

Moira met les pieds dans le plat, et je sens que cette soirée risque d'être épique. Le sourire placardé sur le visage de Wes n'est qu'une amuse bouche, et je repas sera excellent. Il faut qu'il comprenne, alors, je vois la belle blonde en faire des caisses, mais le pire, c'est que c'est crédible, parce qu'elle comme moi, on est comme ça.

Le meilleur dans cette histoire, c'est la facilité avec laquelle Wes tombe dans le panneau. Il semble heureux pour nous, complètement gober tout ce qu'on lui raconte. Appuyé contre le comptoir de la cuisine, un large sourire contemplateur sur les lèvres, je lève mon verre quand il porte un toast au magnifique couple que l'on fait à ses yeux. Comment Wes peut me croire capable d'oublier Jay, la véritable femme de ma vie, aussi vite ? Après avoir prit une gorgée de la merveilleuse boisson, je balaye l'air d'un geste de ma main libre, levant brièvement les yeux au ciel. « Stop it. C'est elle, la plus mignonne. » Que je souris, j'en fais trop, beaucoup trop, mais heureusement que mes mauvais talents de comédiens sont masqués par ceux de Moira, qui elle, fait ça très bien, puisque c'est son travail. « Tout ce temps gâché ! » Je soupire, secouant la tête, imitant un air désespéré à souhait. « Alors qu'on était fait l'un pour l'autre ! Mais le destin nous réunit enfin. » Et je lance un regard langoureux à la blonde, qui franchement, devrait être un red flag pour Wes, qui semble pourtant rester plus candide qu'un nouveau né. C'est en regardant ce genre d'expériences que je comprends pourquoi c'est le chant qui me passionne, et pas le théâtre. Oh, j'adore les comédies musicales, mais vu le talent d'acteur qui se dégage de moi ce soir, je me rends bien compte que je vais devoir me contenter d'être spectateur toute ma vie.

« Tu comprends pourquoi on voulait fêter ça avec toi ! » Je repose mon regard sur mon ami d'enfance. « Tout ça, c'est un peu grâce à toi. A force de me parler, encore, et encore, et encore... et encore de Moira. J'ai fini par me dire que je devrais l'inviter en date, pour voir ce que ça donnait ! » Un sourire bien trop niais étirant mes lèvres, je poursuis, peut-être trop longtemps, mais tant pis. « C'est au bout du troisième date, quand j'ai vu les lumières de times square se refléter et danser dans ses doux yeux noisettes que j'ai su. J'ai su que tu avais raison. » Et j'envoie un baiser à la jolie blonde, espérant presque gêner un peu Wes avec ma déclaration, faut dire qu'il le mérite quand même.  

Wesley tombe dans le panneau et c’est si grandiose que ça semble trop beau pour être vrai. Pire encore, et c’est ce qui ferait presque flancher Moira : il a l’air si heureux que c’en est dommage. Même le jeu d’acteur peu naturel et trop forcé d’Elior ne semble pas attirer son attention. Et dire qu’il va falloir lui révéler la supercherie… Vraiment, la blonde ferait bien semblant quelques jours de plus histoire de ne pas lire la déception sur son visage tout de suite. Le musicien porte un toast à son tour, alors Moira suit le mouvement en levant son verre, alors qu’elle se place très stratégiquement à côté de son compagnon d’un soir. Pire qu’un moucheron sur une ampoule, vraiment.

Ils en font littéralement des caisses, tellement que même une extravertie comme Moira trouverait ça gênant d’être retenue en chandelle entre un couple pareil. Elle surréagit comme une adolescente, à grands coups de regard qui papillonne et de mains devant la bouche pour feindre la surprise lorsqu’Elior raconte leurs prétendus merveilleux date et la révélation de leur grand amour. « Awww, sweetie ! » Une performance digne du pire épisode de Friends. Il faut ce qu’il faut. « En tout cas Wes, merci encore. T’as vraiment l’œil pour matcher les gens ! » Conclusion enjouée ponctuée d’un clin d’œil complice vers le concerné.

Après une gorgée de ce délicieux prosecco – vraiment, elle ne se félicitera jamais assez de son goût en la matière -, elle jette un nouveau regard innocent vers Wesley. « Et toi alors, quand est-ce qu’on pourra trinquer à une nouvelle rencontre ? » Quitte à jouer le jeu, autant y aller jusqu’au bout. Et puis c’est vrai, quoi : quitte à trinquer pour un nouveau couple, autant que ce ne soit pas une farce… oups.

Si Moira dosait la niaiserie avec suffisamment de savoir-faire pour que le musicien se laisse berner, il n’en était pas de même pour Elior. Ses sourires stupides et ses regards langoureux passaient encore (beurk, beurk, quelle horreur, Wes allait devoir prendre rendez-vous avec son psy pour effacer l’air lascif d’Elior de son esprit). Mais lorsque le jeune homme improvisa un monologue de comédie romantique, ce fut trop, même pour une âme pure et crédule comme celle de Wes. Il mit plusieurs secondes à process l’information, à réunir mentalement les pièces du puzzle, si bien qu’il n’écouta que d’une oreille distraite la question de Moira. Les sourcils froncés, il lâcha : « Vous vous payez ma tête, en fait ? »

Ça tombait bien, il n’avait pas spécialement envie de répondre à Moira, puisque depuis la rupture avec Debbie, sa vie amoureuse était d’un vide assez désolant. Si c’était pour entendre des conseils pour célibataire dignes d’une très mauvaise libre antenne, il repasserait. « Vous avez organisé tout ça… Ça, là… » Il désigna de l’index les tenues respectives des « tourtereaux », la chemise à fleurs d’Elior et le total look paillettes de Moira. « … Juste pour me pigeonner ? » Partagé entre l’agacement et l’amusement, Wes ne savait sur quel pied danser. On était tout de même en train de le prendre pour un con, ni plus ni moins. C’était vexant. Mais Moira et Elior semblaient avoir mis tellement de cœur à l’ouvrage que c’en devenait… Cocasse, disons.

Tout de même, il ne pouvait pas laisser tomber aussi facilement. Wes tenta de se raccrocher à son espoir de voir Elior construire quelque chose avec une fille adorable et rayonnante. Priant pour que tout ne soit pas perdu, il hasarda : « Donc vous n’êtes pas du tout ensemble, on est d’accord ? » Et dire qu’il avait passé des heures à tanner son ami. Un plan si parfait, tant d’investissement de sa part, vraiment, quel gâchis.

Pas besoin d'être un génie pour comprendre très vite que j'ai été trop loin, à force de pousser la limite de l'excès, même venant de ma part ça finit par devenir louche. Oui, il semblerait bien que Wes ai percé à jour notre secret, puisqu'il finit par nous demander si on se paye sa tête, ignorant totalement la question de Moira sur sa vie amoureuse. Oh, il esquive, mais il fait bien, puisqu'il voit enfin clair sur ce qui est en train de se passer ce soir. Je me pince les lèvres, échange un rapide regard avec la blonde et ne peux m'empêcher de pouffer de rire un peu. « J'suis même pas désolé... » que je réponds enfin au musicien, avant de me décoller enfin de Moira. « On voulait juste rigoler un peu... tu nous as tellement emmerdé avec ça. » Je prends une grosse gorgée de prosecco et pose mon verre sur le petit bar derrière moi. Aucune partie de mon esprit ne se dit que Wes pourrait être vexé ou se sentir comme un con. A tort, bien sûr, parce qu'on a quand même été vachement loin "pour la blague" ce soir. Mais je me dis que c'est Wes, et qu'il ne dira rien puisque ça ne partait pas d'une mauvaise intention. « Pigeonner c'est pas le mot par contre ! On a eu cette idée pour te faire comprendre une bonne fois pour toute que ça n'arrivera jamais. Moira et moi on est juste de très bons amis, et ça n'ira pas plus loin. » En quelle langue il va falloir lui dire à Wesley que mon coeur n'est pas à prendre. Je n'abandonne pas mon mariage avec Jay.

La blonde s’attendait à ce que Wes comprenne rapidement leur petit jeu. Elle ne le connaît pas depuis très longtemps, mais il n’en fallait pas plus pour se rendre compte qu’il n’est pas bête. Seulement, il fallait lui donner une leçon qu’il n’oublierait pas. Pas par méchanceté, ce n’est jamais l’intention derrière les actes de Moira qui agit selon ce qu’elle pense être approprié. Elle ne sait pas s’y prendre, cependant. Et elle avait imaginé plusieurs scénarios dans lesquels Wes découvrait le pot aux roses et finissait toujours à peu près par se marrer avec eux. Sa mine déconfite la désarçonne donc quelque peu. A la base, Elior et elle ne faisaient rien de mal… right ?

Mais si la comédienne repère les signes de malaise chez leur « victime » d’un soir, Elior, lui, semble tout à fait à l’aise avec l’idée. Moira se contente donc, au début, de le laisser parler, hochant la tête aux moments clé de son explication en guise d’approbation. Son sourire s’est un peu effacé. Elle continue pourtant de penser qu’elle est dans le vrai. Après tout, il faudrait que les gens se mêlent de leurs propres histoires avant d’interférer dans celles des autres. Alors, elle enchaîne : « Elior est le partenaire de karaoké idéal, franchement, j’aurais pas rêvé mieux pour m’époumoner sur les Spice Girls en fin de soirée. Mais en effet, c’est… purement platonique. » Elle adresse un sourire franc au concerné avant de se perdre dans son verre de prosecco. Elle laisse passer quelques secondes puis ajoute, un peu ennuyée : « On voulait pas te pigeonner, Wesley, je suis désolée que tu l’aies pris comme ça. » La blonde hausse les épaules et fait la moue. « Mais Elior a tout dit, on savait plus quoi inventer pour te faire comprendre qu’on est juste amis. On a trouvé cette fois, du coup, j’imagine. »