La bouteille de vin finie sur la table, les vêtements éparpillés un peu partout dans l'appartement démontrent que la soirée de Kate a été mouvementée. Elles avaient prévu de sortir avec ses amies, pour qu'elle ne reste pas seule, pour qu'elle ne déprime pas quant au fait que Gaspard n'est toujours pas revenu et qu'elle ne sait pas s'il désirera revenir un jour. Silence radio, coeur qui bat irrégulièrement, mal au coeur et pensées tourmentées sont le quotidien de Kate qui ne sait pas comment faire pour vivre décemment, se jeter à corps perdu dans le travail n'est sûrement pas la solution, mais elle n'avait pas trouvé d'autres solutions, elle n'avait envie de rien d'autre que de cesser de penser. Elle en a assez de penser. Elle en avait assez de se fustiger, elle savait que pour que Gaspard lui pardonne, il allait falloir des jours voir des mois, mais comment pouvait-elle espérer qu'il lui pardonne si elle ne parvenait pas à se pardonner elle-même ? Quand elle sortit de son lit, elle posa une main sur sa tête, avant de se diriger jusqu'au placard contenant ibuprofènes et autres joyeusetés pour faire partir l'éléphant qui dansait dans son crâne. La cafetière allumée, elle fit couler le café et s'en servit une tasse, tout en tentant de savoir ce que désirait son estomac qui avait décidé de lui mener la vie dure et elle jeta son dévolu sur un avocado toast. Quand on toqua à la porte, Kate fronça un instant les sourcils, n'attendant personne en ce dimanche matin, plus vraiment matinal. Elle enfila un sweat avant d'ouvrir la porte. « Elior ? » Elle pencha la tête pour voir si un petit humain ne l'accompagnait pas, mais ce n'était pas le cas, elle fronça alors les sourcils « Tout va bien ? C'est un problème avec Jay ? Entre je t'en prie ! » Et elle se décala pour joindre le geste à la parole en s'humidifiant les lèvres, prête à mentir encore sur la raison de l'absence de Gaspard comme elle sait si bien le faire, comme elle a malheureusement, bien trop l'habitude de le faire.

C'est assez étrange, depuis le retour de Jay, un retour dont j'ai rêvé  pendant des mois, on doit tous se raccommoder à notre vie à trois. Ou du moins, tenter d'en reconstruire une. Mine de rien, on avait trouvé un nouveau rythme avec Adam, et pas des moindres. Devoir jongler entre l'école, les courses, mon travail, les sorties, le ménage et même travailler sur mon projet d'album qui se concrétise de plus en plus depuis le printemps n'avait pas été facile. Pourtant, on y arrivait. J'avais été aidé, bien sûr, par Adrian, Wes et Kate principalement. Je me rends d'ailleurs compte que je n'ai pas trouvé le temps de les remercier. Pour Wes, ça ne risque pas d'être demain la veille. Depuis notre dernière altercation, je n'ai pas eu trop de nouvelles, et il faut dire que je n'ai pas cherché à en donner non plus. Des mois sans lui parler. Ca commence à faire long, à faire bizarre, lui que je connais depuis mon enfance. Mais j'ai été si blessé que je ne sais pas si j'arriverai un jour à m'excuser de lui avoir parlé comme je l'ai fait au mois d'août.

Par contre, s'il y a bien une personne de qui j'aimerais me rapprocher un peu plus et qui a particulièrement été là pour moi ces derniers mois, c'est bien Kate. Sœur de Janet et pourtant, elle n'a jamais prit parti, m'a même soutenu et s'est occupé de son neveu comme d'un roi. Alors, je me rends à son appartement un dimanche matin sans même l'avoir prévenue, un petit paquet à la main. Parce que non, je ne me pointe pas les mains vides, j'ai ramené une jolie paire de boucles d'oreille que j'ai acheté dans une petite bijouterie, certain de mon choix, je sais déjà qu'elles plairont à Kate. « Steeep Sis' ! » je m'exclame alors qu'elle m'ouvre la porte et me fait entrer dans son antre. « Tout va bien, ne t'en fais pas... » je lui réponds, balayant l'appartement du regard, sans pouvoir m'empêcher de remarquer la bouteille de vin vide sur la table et les vêtements étalés un peu partout. Le regard que je lance dans la pièce n'est pas innocent, non. La dernière fois que j'ai récupéré Adam de chez Kate, il m'a fait une remarque étrange. Gaspard n'était pas là. Et quand j'y pense, ça fait un moment que je n'ai pas vu le fleuriste. « Tiens, c'est pour toi ! Je voulais te remercier d'avoir été aussi adorable.. ces derniers temps... Mon beau frère n'est pas là ? » Je ne peux pas m'en empêcher, je lui pose la question qui me brûle les lèvres en lui tendant la boîte dans laquelle se trouve le bijou que je veux lui offrir. Oui, je suis une fouine, mais je n'arrive pas à me contrôler. J'ai le présentiment que quelque chose ne tourne pas rond.

Il y a des visites que l'on attend, et celles que l'on n'attend pas. Elle aurait aimé que ce soit Gaspard derrière cette porte, qu'il lui demande qu'ils entament une thérapie de couple, qu'ils aillent voir un psychologue, qu'ils s'envoient en l'air pour oublier. Mais non, à défaut d'avoir son époux, celui pour qui elle a juré fidélité -quelle idiote-, en face d'elle, elle retrouve son beau-frère et elle se dit que cette visite de courtoisie, un dimanche matin en pleine matinée n'augure certainement rien de bon. Ses pensées vont instinctivement vers sa soeur. Elle n'avait pourtant pas d'appels manqués de sa mère qui n'aurait eu de cesse de la harceler au téléphone pour qu'elle finisse par prendre l'appel et qu'elle décroche, avant de l'entendre geindre et se plaindre que sa fille a encore prit le large. Mais non, ce n'est aps un problème avec Janet, elle aurait déjà été au courant si c'était le cas. Adam ? Son coeur manquait un battement en imaginant le pire concernant son neveu. Et elle soufflait de soulagement quand Elior lui annonçait que tout allait bien. La voilà soulagée et prête à accueillir son beau-frère comme il se doit. En faisant l'autruche, très certainement. Elle récupère le présent qu'Elior lui tend et entreprend de l'ouvrir avant d'être stoppée nette dans sa progression. Bien évidemment qu'elle allait devoir faire l'autruche. « Je-- Non, il-- » Elle secouait la tête pour se remettre les idées d'aplomb mais c'était compliqué, ça hurlait dans sa tête qu'elle n'était qu'une menteuse, qu'une manipulatrice. Qu'elle était quelqu'un de foncièrement horrible et qu'elle ne méritait pas qu'on la plaigne, elle mériterait d'être fustiger sur la place publique. « Il est en déplacement, enfin il-- il avait à livrer des fleurs pour un mariage. » Un dimanche. Sure Jan. « Mais je peux toujours te payer un café, si tu veux. » Même si cette pièce allait sûrement être théâtre de gêne, de non dits et de mensonges, et que Kate préférerait qu'il parte, on ne pouvait pas lui retirer qu'elle était une bonne hôte en toute circonstance. Enfin, ça dépend.

Le besoin que je ressens de constamment savoir chaque potin, de toujours chercher à être le premier à la page est d'autant plus présent quand des indices me sautent au yeux. Cadavre de bouteille de vin vide, bredouillements avant de trouver une réponse aux questions, l'absence d'eye contact. Quelque part, j'ai l'impression de me voir en ma belle sœur. Quand quelqu'un venait chez moi après que Jay soit partie, je faisais tout pour cacher les choses, faire en sorte que personne ne se rende compte qu'il y avait un problème. A part à quelques amis comme Adrian ou Wes, j'avais tenté de couvrir les problèmes qui m'entouraient, fait comme si tout se passait bien. Oh, je ne sais pas ce qu'il se passe avec Kate, et l'envie de savoir est très forte, mais je sais que parfois, on aime avoir un petit jardin secret. Je vais donc faire au mieux pour respecter le sien. « Bien. Va pour un café alors. » Je retire ma veste de mes épaules et la dépose au dos d'une chaise, avant de m'asseoir à celle-ci. Alors que ma belle sœur s'affère en cuisine dans le but de préparer du café, je pianote en rythme sur la table, et finis par lâcher un. « En fait j'suis venu pour te remercier de tout ce que tu as fait ces derniers temps. T'es vraiment une bonne personne, et j'suis sûr qu'on ne te le dit pas assez. » Mes mots se veulent réconfortant, même si je n'ai pas la moindre idée des problèmes qu'elle peut avoir, je sais que dans ce genre de moments, ça fait toujours du bien d'entendre ce genre de choses. Surtout quand c'est sincère. « Tu sais, Adam a vraiment apprécié tout le temps que vous avez passé ensemble. » C'est vrai, il me parle tout le temps de Tata Katie. Et les gaufres de Tata Katie par-ci, et les films que Tata Katie lui a montré par là.

Elle se sent coincée dans une bulle Kate, coincée dans une bulle où elle ne peut pas respirer, elle n'arrive pas à respirer, elle n'arrive pas à se sortir la tête de l'eau, mensonges éhontés qu'elle sert à tour de bras, il n'est pas là, il a une livraison, et toutes ces paroles qu'elle dit pour se rattraper, pour rattraper le fait que son mariage est à la dérive par sa faute. Parce qu'elle n'a pas été foutue de le garder, parce qu'elle n'a pas été foutue d'agir correctement et maintenant, les nuits sont blanches, elle a mal au coeur, les valises sous ses yeux démontrent que les nuits ne sont pas réparatrices et qu'elle a du mal à se projetter dans un avenir sans lui. Comment fait-on pour vivre sans une personne qui a longtemps était tout ? Un ami, un amant, un soutien infaillible et maintenant, il ne reste plus que les débris d'une relation qui a volé en éclats. Kate s'active en cuisine quand Elior lui demande un café et elle ne peut s'empêcher de lever les yeux au ciel pour chasser les perles salées qui viennent de se loger dans ses yeux à l'évocation du fait que c'est une belle personne « Je n'ai pas besoin qu'on me le dise. » répond Kate d'une voix tremblante, elle n'a pas envie que les gens pensent qu'elle est ce qu'elle n'est pas. Elle n'est pas une belle personne, chaque matin, elle se fait violence pour se regarder dans le miroir, chaque matin, elle a envie de se cracher au visage, parce qu'elle est une personne ignoble. Elle récupère alors la tasse pour la déposer devant Elior avant de s'installer en face de lui, son verre de jus de fruit qu'elle s'est servie devant elle. « J'aime bien passer du temps avec lui aussi, c'est un petit garçon exceptionnel. » rétorque Kate en souriant, repensant à la fois où il s'est endormi tout contre elle dans le canapé, en lui disant que c'était son amoureuse. Et elle avait ri, avait espérer que son insouciance d'enfant ne s'enlèverait jamais et qu'il ne serait jamais triste, jamais déçu par la vie. « D'ailleurs, je pensais, je pourrais peut-être l'emmener au cinéma ? Il y a un nouveau dessin animé qui est sorti je crois. Ça pourrait te soulager ? Enfin... Je ne veux pas prendre votre place. » Parce que sa soeur est de retour, parce que sa soeur est là maintenant et qu'ils auront sûrement moins besoin d'elle. « Mais ça me ferait plaisir. Je-- On pensait faire un week-end randonnée avec Gaspard, peut-être qu'on pourrait l'emmener ? Avec Roxanne, la nièce de Gaspard. »

Kate me tourne le dos alors qu'elle prépare ma boisson, et mes yeux continuent de se scruter l'appartement. J'analyse les bibelots posés sur les meubles, les photos dans les cadres, le contenu des étagères. Je sais que certains pourraient considérer ma curiosité excessive comme rude, tout ce que je sais, c'est que j'ai toujours fait ça. Cherché toutes les informations que je peux trouver chez les gens, que ce soit en analysant comme ils se comportent, s'habillent, ou même dans la décoration de leur maison. Oh, je ne dis pas que les apparences ne sont pas parfois trompeuses, bien au contraire, elles le sont souvent, puisque ce n'est pas rare que je fasse des conclusions hâtives sur des personnes. Mais je ne peux pas m'empêcher de continuer ça. C'est mon côté fouine, et je l'assume.
Il y a quelque chose aujourd'hui chez Kate, quelque chose d'anormal. Quelque chose semble un peu off, mais je ne saurais pas dire quoi. Je n'arrive pas à mettre le doigt sur ce qu'il se passe précisément. Une partie de moi a envie de lui poser plus de questions, de chercher à en savoir plus. Mais quelque chose me dit que si elle a besoin de quelque chose ou de parler, elle me le dira. « Mais qu'est-ce que tu dis, on a tous besoin d'être complimentés, babe. »
Et la conversation bifurque, on discute désormais d'Adam, mon petit ange exceptionnel, et je ne suis pas le seul à le dire, la preuve, c'est Kate qui lance des fleurs à mon fils en m'apportant ma tasse. « J'avoue qu'il m'impressionne. » Son intelligence, et même sa sagesse et sa patience face à la situation dans laquelle on s'était retrouvés quelques mois auparavant. A son âge, très peu d'enfants auraient réagi comme il l'a fait, vivre un jour après l'autre sans poser trop de questions. « Kate... » je soupire et me redresse sur ma chaise. « Tu as une place entière dans la vie d'Adam, alors oui, bien sûr. Emmenez le au cinéma, en weekend randonnée autant que vous le souhaitez. Y'a pas de problème. » Mes yeux se baissent vers ma tasse, que j'apporte à mes lèvres. J'avale deux grosses gorgées de café avant de continuer. « Ca pourrait même peut-être nous faire du bien avec Jay de se retrouver à deux un weekend. » Parce qu'elle est revenue mais que bizarrement, elle me manque encore, Janet. Things are weird.

Elle avait la nette impression de marcher sur un fil, tel un funambule, mais sans attaches, sans sécurité. Un coup de vent et Kate ne serait plus rien, elle sauterait dans le vide sans élastique, sans rien. Elle aurait pu le faire, à l'époque, pour Gaspard. Sauter dans le vide sans élastique, sauter sans parachute pour lui, pour leur couple. Mais maintenant, elle n'avait plus que ses yeux pour pleurer, elle n'avait plus rien d'autre que sa culpabilité malsaine qui ne cessait d'aller et venir dans son esprit, comme un petit démon farceur qui tapote la joue quand il est sur l'épaule. Elle savait pertinemment que ça finirait par se savoir, que les absences répétées de Gaspard finiraient par se voir et elle n'avait pas envie de ça, elle n'avait pas envie que tout le monde le sache, parce que ça rendrait la situation on ne peut plus réelle. Elle avait été infidèle. Tout le monde le saurait, tout le monde saurait que Kate Byrne était une de ces filles là, une infidèle. Ce serait mentir que de dire qu'elle n'avait pas envie qu'il revienne, mais elle en avait assez de courir, de tenter de lui prouver qu'elle pouvait changer. Elle haussa les épaules à la remarque d'Elior, elle ne voulait pas être complimentée, elle. Mais elle ne disait rien, elle ne voulait pas vendre la mèche d'un secret qu'elle tentait de garder avec difficulté. Un sourire naquit sur les lèvres de la blonde quand elle parlait de son neveu, si elle était bien fière de quelqu'un, c'était bien de lui. Son petit homme qui posait une main sur sa joue et qui laissait partir tout les doutes, tout les questionnements. « Je verrais pour l'emmener alors. Il faut encore que j'en parle avec Gaspard. » Tout était compliqué, et elle avait envie de lui dire, à Elior. De lui avouer mais elle n'en était pas capable, elle n'avait pas envie de voir la haine dans ses yeux, haine doublée à de la déception, c'était trop pour elle. Elle n'était pas assez forte pour ça, malgré le fait qu'elle le pensait. C'était encore trop fragile dans son esprit. Elle n'y parviendrait pas. « Alors si ça peut vous servir, dis moi quand. Je le prendrais avec plaisir. En plus, il sera content de voir Tata Kate je suis sûre. » Et puis, elle aimait bien quand il était là, ça changeait un peu de son quotidien. « Comment ça se passe, avec Janet ? » osa t-elle demander d'une petite voix intriguée, comme si elle marchait sur des oeufs, comme si tout allait exploser.