Le déroulement de la soirée est inattendu, c’est certain. Sur ton téléphone, elle reçoit un message d’Emily qui lui dit de manière assez intelligible, ce qui est surprenant, que tout va bien et qu’elle la préviendra d’un message lorsqu’elle se sentira sur le point de rentrer. Ca fait ricaner Vera légèrement, de se dire qu’elle est ainsi à la pleine et entière disposition de son amie qui ne prend même pas la peine de se demander si elle aura envie de rentrer ou non. Peu importe, elle doit rester calme - le moment n’est vraiment pas à l’énervement. Elle accompagne Lenny, plutôt, qui finalement n’avait pas tord sur le fond de cette amitié compliquée qu’elle entretient un peu malgré elle.

- C’est gentil, mais laissez-vous une chance de constater à quel point je suis bavarde avant de m’assurer que vous ne ressentez rien de négatif à mon sujet.

Bavarde, désordonnée, névrosée aussi. Instable. Elle s’en trouve plein, des défauts. D’habitude, elle se gère toute seule, ce qui a au moins le mérite d’épargner les autres. Ce ne sont pas des parties de sa personnalité que les autres ont l’habitude d’entrevoir. Elle prend toujours soin d’être d’humeur égale, et de donner le change, Vera. Elle est forte, et un psychologue lui a dit un jour que ça finirait par lui péter au nez - mais en attendant, elle se contente de ce qu’elle a.

Le caractère, ce n’est pas ce qui lui manque. Sa mère lui dit souvent, d’ailleurs, qu’elle est un ouragan, difficile à suivre. Il est vrai que Vera est parfois rapide, indécise, et qu’elle s’est éloignée, avec les années, du rôle de petite fille qu’on aurait bien voulu lui donner. Ses parents l’imaginaient mariée, mère au foyer, sans doute, posée, charmante, stable. Pas à la tête de sa propre marque, fabricante de sex toys à ses heures perdues, papillonnant à droite à gauche. Parfois, ça lui donne la sensation d’être un peu névrosée. Parfois, non. Une chose est sure, elle s’en ouvre rarement aux autres - et elle repense inlassablement à ce psychologue qu’elle rencontrait de temps en temps quand elle était plus jeune - pour « gérer », selon les mots de son père, l’homosexualité de son frère, ce qui est tout bonnement affreux quand elle y repense aujourd’hui, mais le fait est qu’elle discutait surtout de ses parents intolérants lors de ces rencontres - et qui lui disait qu’à force de tout garder pour elle, un jour, elle finirait exploser. Elle espère qu’elle sera toujours suffisamment forte pour tout garder.

Bref, tout ça n’est vraiment pas le sujet.

- Vous aussi, vous êtes de charmante compagnie, vous savez ? Et puis ça me rassure que vous ne soyez pas un adversaire trop difficile en matière de jeux vidéos. Je ne suis pas prête à renoncer à mon envie naturelle de gagner.

Elle lui offre un sourire, puis un rire léger, et acquiesce. Quand ils arrivent à hauteur de ce qui semble être son immeuble, elle le suit à l’intérieur.

- Moi aussi je suis minimaliste, vous savez ? J’aime bien les grandes pièces aérées.

Elle acquiesce et le suit pour s’installer dans le canapé, le laissant sortir les boissons et les rapporter. Il semble nerveux, à nouveau - moins nerveux que tout à l’heure mais nerveux quand même. Elle relève les yeux et le laisse s’expliquer sans broncher.

- Vous n’avez pas vraiment besoin de faire quoi que ce soit ? Je suis déjà en train de passer un bon moment. Je n’ai pas d’attentes particulières, vous savez ? Vous pourriez commencer par nous servir un verre, et ensuite on pourra faire un tour, et continuer à discuter comme on le faisait tout à l’heure - sauf qu’il y a beaucoup moins de bruit, maintenant. Mais ne vous en faites pas, je n’ai pas besoin de quoi que ce soit de particulier pour passer une bonne soirée. Et puis honnêtement, elle démarrait tellement mal que vous l’avez déjà plus que sauvée.

Elle rit légèrement et penche la tête pour tenter de le rassurer, comme elle le peut.

HJ: