S’il est longtemps resté dans un état léthargique, à se laisser mourir émotionnellement, plutôt que de chercher à survivre, depuis quelques mois, Jupiter s’est décidé à sortir de sa bulle de peine, pour tenter de se reconstruire. Si ses plus proches amis ont été aux premières loges de sa déchéance, ils ont aussi été ses premiers alliés dans cette quête de reprendre sa vie en main. Accepter de sortir, reprendre le sport, les entrainements et depuis peu, sous l’impulsion de sa jumelle, à reprendre les rendez-vous, tenter d'oublier Charles. Chose avec laquelle il n’est pas à l’aise et qu’il essaye encore de noyer. Voilà pourquoi ce soir, il prend la direction de Broadway et de l’endroit exact dont Chris va s’échapper d’ici peu, à la fin de sa répétition. De celles qui durent, parfois bien trop longtemps. Le besoin de changer d’air et de s’évader une nouvelle fois avec lui, avec la certitude de pouvoir tout lui dire comme tout lui confier.
Voiture abandonnée sur une place de parking de la résidence de sa soeur, c’est d’un taxi qu’il descend ici, en plein Manhattan, ancien quartier de coeur comme de vie, abandonné depuis. Pincement au coeur. Taxi pour pouvoir savourer à outrance le sucré de quelques cocktails qui lui feront tourner la tête et chanter plus fort encore, devant ce micro, sur les musiques de ses comédies musicales favorites.

Ajustant son perfecto sur ses épaules, Jupiter s’avancer et s’adosse sagement à un mur de briques, juste à côté de la sortie des artistes, alors qu’il a vite fait de sortir son iPhone de la poche de son jean sombre pour pianoter quelques messages et se perdre sur le fil continu d’instagram, en attendant sagement que les traits lumineux de Chris passent enfin cette fichue porte. Il ne lui faut patienter que dix minutes pour qu’enfin, la mine du blond se dessine et capte rapidement sa présence, tordant son visage de surprise. Un sourire lumineux étire les traits de Jupiter, alors qu’il ne lui laisse pas le loisir de répliquer, se saisit de son poignet et l’attire à lui. « Toi, je t’enlève pour la soirée ! Annules tous tes plans, je t’emmène à notre repère habituel pour une soirée karaoké spéciale comédies musicales ! » La surprise de Chris, décontenancé, ne fait que l’inciter à poursuivre et se montrer plus entreprenant encore. Pendant un instant, un morceau de soirée, il redevient cet homme enjoué et léger qu’il était auparavant. S’il possède un terrible côté control freak le poussant à vouloir absolument que Chris accepte son impulsion de l’instant, il sait aussi agir avec impulsivité. Peut être est-ce à cause de ses derniers traumatismes, mais ce soir, après l’insistance de sa jumelle quant au fait qu’il s’adonne à une relation éphémères juste pour passer à autre chose, il a plus que besoin de cet abandon loin de tout, aux côtés d’une de ces personnes à laquelle il tient le plus. « Ne me laisses pas y aller tout seul, dis moi que tu n’as rien de prévu » Supplie t-il presque, de ses orbes émeraudes plantées dans les siennes, ses doigts toujours enroulés autour de son poignet. « Je sais que ce n’est pas dans mes habitudes de débarquer comme ça et que d’ordinaire je t’aurais prévenu deux semaines à l’avance mais… J’ai envie de ça, ce soir » De cette légèreté en relâchant ses satanées pulsions qui le poussent parfois à s’érailler le moral pour rien. Pour un besoin maladif dont il essaye de se défaire. Petit pas par petit pas.

Chris est exténué par cette répétition, rien d’anormal étant donné le caractère extrêmement physique de celle-ci. Après tout ce n’est pas comme s’il avait trouvé avisé de s’abstenir de camper un rôle précédent interprété par John Travolta ! Le voilà donc dans son état naturel, à savoir complètement déshydraté, le tout à force de se dandiner professionnellement sur le capot d’une voiture, si vous voyez le délire. Après cet exercice considérable, il s’imaginait donc aisément boire des litres d’eau et végéter devant Netflix ou Amazon prime (Loin du regard juge de Sheru qui aurait beaucoup à dire d’Amazon et ses tendances capitalistes).

Grave erreur de jugement... A la porte de la stage door, point de fans de comédies musicales en quête d’une photo non, plutôt son ami Jupi avec des envies de karaoké. Bon, pour être tout à fait honnête, oui il avait bien d’autres plans en tête, mais bonne pâte qu’il est, il se voit également bien mal mettre un terme à cette bonne humeur qui semble avoir pris possession de son ami. Jupi ne traverse pas une période facile et le comédien ne voudrait pas être un frein à sa quête de divertissement. De là à faire preuve de la même énergie, c’est peut être trop lui demander.

- Oula, t’es bien motivé toi ! Laisse moi avaler un ice latte avant de songer à jouer les rois du karaoké.

Quant à ses plans, rien de folichon, mais il se permet aussi tout de même de les détailler avec un sourire amusé.

- Je comptais me détendre devant Henry Cavill et me faire juger pour avoir conservé mon abonnement Amazon prime par mes colocataires, mais comme je suis un ami décent, je suppose que je vais plutôt faire un karaoké ce soir !

Chris sourit affectueusement. Jupiter a été présent pour lui lors de sa rupture avec Tessa, et il lui semble juste et logique de lui rendre la pareille à ce niveau là. Et puis un Virgin mojito et quelques classiques de Broadway plus tard, et il devrait être lancé à son tour !

- Pas jusqu’à pas d’heure hein ?

Pour une fois, Jupiter se sent surexcité, empreint d’un besoin de lâcher prise, de se déchainer. De se repaitre d’insouciance et de rire. Ça le travaille, ça bouillonne là, au creux de ses entrailles, alors qu’il songe immédiatement à Chris et au bon temps qu’ils ont toujours partagé. Il veut être en mesure de lui offrir une soirée digne des « comme avant » de lorsqu’il était au sommet de son bonheur, rayonnant et joyeux. Pas l’homme morne et abattu qu’il est depuis de nombreux mois. Maintenant qu’il sort la tête de l’eau, progressivement, qu’il s’autorise à vivre, dans le déni profond de ses insécurités comme de ses doutes (qui reviendront bien assez tôt, dés le lendemain, hanter celui qu’il est devenu) mais pour l’heure, il ne veut que s’enflammer de chant connus et savourer le sucré de quelques cocktails.
Alors, il minaude presque, supplie d’un air entre boudeur et attendrissant, incite un Chris certainement épuisé, à le suivre dans son impulsion. Dans sa folie de l’instant. Lui, à toujours tout planifier plusieurs mois à l’avance, qui s’octroie ce soir la liberté d’un coup de tête. « S’il te plaiiiittt » Insiste t-il face au regard d’un ami surpris de le voir dans cet état.

Mais rapidement c’est un rire qui lui échappe, quant à la réflexion du blond sur ses plans de la soirée. « Grrr Cavill ! Comment résister en même temps » Déclare t-il en mimant d’avoir brutalement chaud, s’éventant de sa main avant de sourire de plus belle. « C’est vrai que tu es un terrible capitaliste, j’avais oublié » Glousse t-il comme un idiot. Lui, Jupiter, le matérialiste par excellence, qui s’amuse toujours, aux côtés de son meilleur ami, des jugements des colocataires de ce dernier, bien plus idéalistes et écologistes qu’eux. « Tu ne vas pas le regretter ! Ça fait longtemps, on va bien rigoler tu vas voir » Lance t-il, bien trop heureux que la star de Broadway accepte son invitation, alors qu’il se saisit de son bras pour l’entrainer avec lui tout en marchant sagement dans la rue. « Ça va je sais aussi être raisonnable ! » Avoue t-il, tournant le regard vers lui dans un sourire. « On se fait vieux, à force, en bossant demain je ne peux plus veiller jusqu’à trois heures du mat’ » Se justifie t-il, en riant presque de sa réflexion pourtant on ne peut plus vrai. Les années s’accumulent au compteur et le voilà qui déjà se tartine de crème anti rides avant de se coucher, se prémunissant de tous signes de vieillesses. Mais les excès eux, sont devenus bien plus compliqués à assumer, à mesure que la vingtaine s’éloigne. Un autre rythme de vie, de nouvelles habitudes, bien plus de pression professionnelle, cocktail qui ne pardonne pas.

« Ta journée s’est bien passé, sinon ? J’ai vraiment hâte de revenir te voir sur scène » Avoue t-il, l’admiration au creux du regard. Pour lui, pour l’artiste qu’il est, pour l’ami qu’il aime, profondément. Maelström de sentiments qui poussent Jupiter à être devenu son premier fan.

Un sourire sincère vient éclairer le visage du blond devant l’évidente bonne humeur de son ami. Il ne saurait dire si celle-ci est réelle ou si elle est née d’un besoin vital de se détourner de ses mauvaises pensées, mais une chose est certaine le refus n’est déjà plus une option à l’heure actuelle. Chris a l’impression de retrouver Jupiter et c’est à cette bonne nouvelle qu’il doit s’accrocher pour trouver les niveaux d’énergie requis pour une telle soirée. Il y aura des cocktails, des chansons complètement en dehors de son répertoire habituel, mais le lâché prise lui fera du bien à lui aussi. Après tout, c’est dans le thème du moment, il faut qu’il apprenne à relâcher la pression, à penser à lui parfois, même si ça implique un mal de crâne le lendemain et quelques difficultés en répétitions. Chris est perfectionniste, tellement perfectionniste qu’il en perd parfois le lien avec la réalité, cette même réalité qui ne connaît pas la perfection d’ailleurs.

- J’ai dis oui t’as pas besoin de me convaincre, tu m’as capturé tel un Pokémon sauvage qui n’apparaît que dans les hautes herbes ! Ou les centre commerciaux...

Chris réplique sur le ton de l’amusement, Jupiter de son côté à a eu le temps et l’occasion de témoigner son affection pour ce bon vieux Henry, et Chris ne se départit pas de son sourire devant l’enthousiasme de brun. Il lui a manqué c’est vrai, et Chris réalise qu’il n’apprécie pas toujours à leur juste valeur des moments comme ceux-ci. Étouffes dans ses propres angoisses, il en oublie parfois l’entourage bienveillant sur lequel il a toujours pu compter.

- Ça je ne peux pas te dire, trois heures du mat c’est l’heure où je me couche tous les soirs en finissant le boulot après le show ! Mon rythme de sommeil est complètement fucked up. Enfin non, j’exagère, disons que c’est pas moi qui vais bloquer la salle de bain à six heures et demi !

Il accompagne le tout d’un rire léger. Un rire qui cache surtout ses insomnies récurrentes sous une épaisse couche de déni. Enfin, personne n’est parfait, et pour le coup il tourne l’adage à son avantage. Lorsque le sujet de ses performance est évoqué, Chris cache tant bien que mal sa gêne. Coincé dans le même rôle depuis deux ans, il a un peu honte d’admettre qu’il n’est pas vraiment sorti de sa zone de confort depuis la dernière fois.

- Oh tu sais c’est toujours un peu la même chose, attend que je change de spectacle ce sera bien plus intéressant !

Rire franc qui lui échappe à la réplique bien sentie de Chris. Plus léger, soudain, alors qu’il est à ses côtés, qu’il le retrouve du haut de toute cette insouciance qui lui a fait défaut pendant de longs mois. Jupiter s’était tellement enfoncé dans les méandres de sa culpabilité et la vivacité de sa peine, que son charme solaire s’était terni. Devenu plus lunaire et sombre que sa véritable personnalité. Il en a délaissé des habitudes et des amitiés, jusqu’à petit à petit se faire une raison et accepter de sortir la tête de l’eau. Revenir vers Chris de cette façon, même s’ils se sont déjà vu depuis sa rupture, lui fait du bien. Il effleure de nouveau du bout des doigts toute leur complicité euphorique d’avant, pour renouer avec cette dernière, progressivement. « Tes répliques du genre m’avaient manquées » Avoue t-il, le regard accrochant le sien, le sourire du blond se reflétant sur ses propres lèvres.
Chris est bien plus beau lorsqu’il sourit de cette façon et Jupiter lui rend hommage. De la même façon qu’il sait renouer avec son côté solaire, ce soir en affichant la même bonne humeur communicative. Cultiver les amitiés comme celle-ci et réaliser à quel point elles lui sont précieuses.

« Il n’est pourtant pas trois heures du mat’ et tu as finis ta répétition, je devine que tu joues encore les perfectionnistes à faire des heures supp’ hmm ? » Il ne le connait que trop bien. Chris et lui, terribles bourreaux de travail qui n’ont jamais vraiment su faire la part des choses et déconnecté. Si lui est perfectionniste à outrance, Jupiter aime clôturer les dossiers et avoir une organisation exemplaire qui le pousse à ne plus compter ses heures. Ça et bien sur le fait de noyer ses pensées dans le travail, une fuite délibérée et un déni prononcé. « Si tu pouvais te reposer et éviter de me claquer entre les doigts ça m’arrangerait » Sourit-il, sous le ton de l’humour mais avec un véritable message pour lui. Sous entendu mais pas moins sincère. Jupiter tient profondément à Chris et ne veut pas le voir se bousiller la santé pour un pas ou un chant qu’il ne juge pas exécuté à la perfection.
Sa vision de la perfection. Autoritaire et implacable.

« Ne fait pas cette tête, je m’en fiche que tu fasses le même rôle, j’adore te voir sur scène. Tu es juste éblouissant » Et il le pense sincèrement, alors que ses yeux brillent d’admiration, tandis que toujours bras dessus bras dessous, Jupiter conserve sa toute proche proximité. Si lui aussi a brillé, dans sa jeunesse il aime aujourd’hui être aux premières loges des prouesses de ceux qui lu sont chers. « Après bien sur je suis toujours curieux de te voir dans un nouveau rôle, mais tu sais, je suis ton premier fan rien que lorsque tu es sur la scène du bar karaoké alors n’importe lequel de tes spectacles sera fabuleux pour moi » Sourit-il de plus belle, sincère à outrance. Mais il n’a jamais ressenti l’envie de cacher quoi que ce soit à Chris. S’il a été pudique concernant sa peine et qu’il minimise probablement ses blessures, la grande majorité de ses pensées sont des aveux qu’il n’hésite pas à faire.
« Au fait je me suis lancé à marcher mais bon il n’est pas à côté quand même, ce bar, tu préfères prendre un taxi ? »

- Non c’est juste qu’un des danseurs a du quitter le spectacle et on a dû répéter avec la nouvelle personne pour être sûrs que tout était au point.

Rien de dramatique, mais une charge de travail en plus en dehors des heures de travail habituelles. Chris ne s’en formalise pas puisqu’il est payé pour ça, mais il est tout de même ravi de ne pas avoir enchaîné avec une performance qui l’aurait alors vidé de toute énergie.

- Et oui pour une fois, ce n’est même pas de ma faute !

Plaisanter permet à Chris de prendre du recul sur lui-même. Il faut dire qu’il cache bien mal ses petites manies. Ses amis le savent, il ne se sent pas légitime en tant que comédien. Avec sa mère productrice de comédies musicales, le blond éprouve toutes les difficultés du monde à attribuer toute cette réussite à son mérite et son travail acharné. Mettre les bouchées doubles a toujours été un moyen pour le comédien de s’acheter cette légitimité, et aussi triste que cela puisse être, les choses ne sont pas prêtes de changer sur ce point, à moins de changer de carrière. En tout cas, cela ne changera certainement pas avec sa mère qui se veut invasive et qui lui propose des auditions qui n’en sont pas vraiment, dans le sens où il est bien difficile de dire non à une personne qui a les moyens de financer l’intégralité du spectacle. Voilà la triste réalité derrière son désir de garder le rôle de Danny. Cette audition c’est lui qui l’a choisie et aussi stupide que cela puisse être, cela compte pour lui.

Les encouragement de Jupiter lui vont droit au cœur, même si encore une fois, son entourage n’est pas des plus objectifs par rapport à ses performances. Ils obtiennent des tickets gratuits, vont boire des coups ensuite, pas une ambiance propice au feed-back constructif. Chris apprécie l’attention cela dit, et même s’il aura sans doute besoin d’entendre ces mots plus d’une fois encore pour le croire, Jupiter mérite décidément sa soirée karaoké endiablée.

- Assez parlé de moi, raconte moi tout, j’ai l’impression que t’as hiberné pendant six mois au moins...!

Chris lui offre un sourire encourageant, le but n’est pas de la forcer à parler, mais de lui montrer que sa vie l’intéresse. Chris détesterait être centré sur lui-même au point de ne pas offrir à son ami l’opportunité de parler s’il en éprouve le besoin. Et comme ils ont commencé à marcher en direction du bar, ils peuvent sans douter caser une discussion un peu plus sérieuse dans leur soirée de folie.

- Marcher c’est bien, c’est pas si loin que ça.