LES GOÛTS ET LES COULEURS

Feat. ALEXIS WOLFF & JOY BLACKWOOD

Assise dans la salle j'attends que la personne qui doit me rejoindre arrive, je ne sais pas pourquoi mais je le sens mal ce rencard, j'ai presque dû insister alors qu'en général je n'ai pas trop à me faire prier pour ce genre de date. Il a insisté pour qu'on se retrouve directement dans la salle de cinéma, je me suis dit que c'était peut-être sa manière d'être certain que je ne me défile pas, c'est mal me connaitre si j'ai envie de me lever en plein film et partir ce n'est pas parce que je suis dans une salle obscure avec du monde autour que je vais me retenir de le faire. Je n'ai même pas fait attention au film que je viens voir, j'avoue que j'ai autre chose en tête et si celui qui doit me rejoindre est aussi charmant que sur ses photos je sais que ce n'est pas trop ce qui se passe sur l'écran qui va capter mon attention. Sortant machinalement mon portable alors que l'heure du début de la projection approche et que la salle commence à se remplir je passe en revue les messages essayant de voir si je ne me suis pas trompée d'heure ou de salle ce qui pourrait expliquer son absence. Non je suis bien au bon endroit, mon attention est portée sur un jeune couple deux rangs devant moi et à voir comment ils se nettoient les amygdales à coup de langues eux non plus n'ont pas vraiment de faire une analyse d'œuvre détaillée après la projection.

Lorsque je reçois un message, je lève les yeux au ciel lorsque je le lis, il se défile, à deux minutes de l'heure du rendez-vous, je vous l'avais dit que je le sentais mal ce rencard ? Je lâche un "Connard !" juste assez sonore pour que la femme assise à quelques sièges de moi me fusille du regard comme si je venais de la maudire sur huit générations avec ce simple mot, je lui fais un grand sourire et plonge la main dans mon paquet de popcorn alors que les lumières s'éteignent doucement. Bon alors c'est quoi ce film qu'il voulait soi-disant absolument voir et dont tout le monde parle alors que je n'ai même pas retenu le titre. Alors que sur l'écran le film commence je ne peux m'empêcher de laisser échapper un rire, je n'ai aucune idée de quelle langue c'est sans doute quelque chose de nordique vu les paysages qui défilent en suivant le héros. Mais dans quoi je me suis embarquée moi ? Au bout de dix minutes je sens que ça va être long et que seule dans mon siège je m'ennuie déjà, c'est sans compter sur le jeune couple devant moi qui continue ses explorations de spéléologie buccale, sans doute par jalousie et par ennuie, je plonge ma main dans mon paquet de popcorn et m'apprête à viser les amoureux transis. C'était sans compter sur une main qui venue de nulle part, ou plutôt du siège derrière moi qui m'arrête dans mon geste. Il ne m'en faut pas plus pour me retourner sur mon siège et jeter un regard noir à l'homme qui m'a interrompu dans le largage de mon escadron de maïs soufflés. "De quoi tu te mêles toi ?"

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Retournée sur mon siège, presque à genoux sur celui-ci je fusille du regard celui qui m'a arrêté dans mon élan en menottant mon poignet entre ses doigts. Dans la pénombre je ne le distingue pas bien et tout ce que je peux percevoir c'est que c'est un homme et qu'il a de la poigne. Dans d'autre circonstance je pourrais lui faire comprendre que ça me plait, mais là il se mêle de ce qui ne le regarde pas et je n'aime pas, mais alors pas du tout ça !

Lorsqu'il me répond et mentionne le titre du film ça fait rapidement son chemin jusqu'à mon cerveau, ok ça devait donc être du français voilà pourquoi je ne comprenais absolument rien à ce qui se disait. Alors comme ça il voulait voir le film et ne voulait pas que je joue les perturbatrices ? Darling tu n'es pas tombé sur la bonne personne pour ça. Je le vois regarder le couple quelques rangs devant, par-dessus mon épaule, comme s'il voulait me signifier de qui il parlait avant d'ajouter qu'ils sortiront sans doute avant la fin du film, qu'est-ce que ça pouvait bien me faire, tout ce qui me trotte en tête en ce moment c'est le fait que ses phalanges sont toujours fermement enroulées autours de mon poignet.

Quand il me libère enfin je ne bouge pas, pas tout de suite, je souris dans le noir parce que je sais exactement comment je vais me venger. Mon bras encore suspendu dans mon geste un peu près à la hauteur de mon visage je relâche la poignée de grains de maïs soufflés avec juste la bonne dose de force pour que les projectiles lui arrivent en plein visage. Avant de m'asseoir à nouveau, puis me retournant pour lui lancer entre les sièges. "Bon appétit, n'hésite pas si t'en veux encore !" Bien sûr que je le provoque, bien sûr qu'il n'y est pour rien lui, à part le fait d'avoir essayer de m'empêcher de m'amuser, mais tant pis, c'est lui qui va prendre pour mon date qui m'a fait faux bond. Le film est nul, alors j'ai presque envie qu'il réagisse pour que ma soirée soit plus divertissante, posant mon regard sur mon paquet de popcorn j'en mange quelques un et hésite un sourire aux lèvres avant d'en jeter un en arrière sur mon voisin.

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Ayant repris place dans le fond de mon siège je reporte mon regard quelques instants sur l'écran mais rien à faire ce n'est pas parce que j'ai interrompu ma concentration sur le film, mais tout simplement parce qu'il ne m'intéresse pas. Je pousse un soupire en voyant que les deux amoureux transits de la rangée devant moi sont toujours en pleine séance de baisers, peut-être qu'ils s'entraient pour battre un record de durée, mais pourquoi venir ici, pourquoi dépenser de l'argent pour venir s'enfermer dans une salle obscure et se racler les amygdales ? Bon j'avoue ça m'est arrivé aussi quand j'étais plus jeune mais je ne passais pas l'intégralité de la séance à embrasser mon date. Et plus tard dans des salles presque désertes il m'est arrivée d'être plus aventureuse un partenaire mais passons, ce n'est pas le sujet.

Je n'ai pas senti mon voisin de derrière s'approcher et je sursaute lorsque j'entends sa voix à mon oreille, laissant échapper un petit cri avant de me retourner et de le fusiller du regard, non mais il me cherche lui aussi et si c'est le cas il va me trouver. Je n'en ai plus rien à faire du film, des autres spectateurs dont la femme quelques sièges à côté de moi me regarde méchamment en me faisant signe de me taire en mettant son index sur ses lèvres, je l'ignore superbement et je réponds à mon voisin sans vraiment prendre la peine de chuchoter. "Non mais je rêve, c'est ça ta manière de draguer ? Pas étonnant que tu viennes seul au cinéma …" J'allais essayer de trouver encore autre chose à lui dire mais une lumière dirigée sur mon visage vient m'en empêcher. Je lève les yeux au ciel quand je comprends que c'est le vigile qui braque sa lampe de poche sur nous. Quand je vois qu'il fait signe de le rejoindre au bout de la rangée j'attrape mon sac en soupirant et m'exécute, après tout, il ne le sait pas mais il met un terme à mon calvaire. Mais une fois au bout de la rangée, arrivée à sa hauteur lorsqu'il me fait comprendre que je suis fortement priée de quitter la salle, je me retourne vers la rangée du dessus et désignant mon comparse au vigile je l'interroge prenant un air outré. "Et lui alors ? Vous n'allez pas me dire que vous allez me mettre dehors et que lui va rester tranquillement regarder son film ?" En voyant le vigile faire le même signe à l'homme en question et attend qu'il se lève j'ai un sourire triomphant sur le visage. Pourquoi il faudrait que seulement ma soirée soit interrompue après tout ?

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Alors que je me tiens à côté du vigile, les bras croisés sur ma poitrine, j'ai le sourire aux lèvres lorsque mon voisin de séance se fait rappeler à l'ordre lui aussi. Bon d'accord c'est de ma faute mais je n'avais déjà pas envie d'être là à la base alors autant s'amuser un peu. Quitte à ce que ma soirée soit un fiasco autant faire les choses dans les règles de l'art et si je peux entrainer quelqu'un dans ma chute, je m'y sens moins seule. Aussi lorsqu'il se lève et rejoints le bout de la rangée je l'entends me dire que je lui dois un ciné, je me contente de lever les yeux au ciel et hausser les épaules pour toute forme de réponse alors que le gardien nous presse de mettre les voiles.

Je m'exécute, mon acolyte sur les talons jusqu'à ce que je sente sa main attraper mon bras pour me presser vers la sortie non pas seulement de la salle mais du cinéma et une fois dans la rue, je ne peux m'empêcher d'éclater de rire. Si on m'avait dit comment ce passerait cette soirée, si à la place du rancard qui était prévu, j'allais piquer la mouche dans la salle et m'en faire jeter avec mon voisin, je ne sais pas si j'y aurais réellement porté un quelconque crédit.

Me retournant pour lui faire face, à la lumière des néons qui projettent toutes sortes de lueurs autours de nous, je scrute son visage durant quelques longues secondes. Ce mec-là je le connais mais je suis incapable de savoir d'où et à quand ça peut bien remonter. Généralement il n'y a que deux explications possibles dans ce cas de figure. Soit c'est une rencontre fortuite, que ce soit dans le cadre de mon travail ou lors d'une soirée dans un bar. Soit on s'est envoyés en l'air. En y regardant de plus près je pencherais presque pour la seconde option parce qu'il ne faut pas se le cacher, cet homme-là est tout à fait le type de mâle sur lequel j'aime m'attarder.

Ne sachant pas trop ce qu'il en est de son côté, j'ai envie d'accepter sa proposition d'aller boire un verre. "Me faire pardonner ? Tu peux plutôt me remercier il était chiant à mourir ce film !" Bon d'accord je n'étais pas objective je dois le reconnaitre, ce n'est pas moi qui avais choisi le film, je n'étais pas vraiment d'humeur à me lancer dans un film quelconque encore moins dans une autre langue. Alors l'idée d'aller prendre un verre avec lui ne me déplait pas le moins du monde, ça sauvera peut-être ma soirée après tout. "Va pour un verre, la première tournée sera pour moi." Commençant à faire quelques pas devant lui, je me retourne vers lui avant de lui lancer "Spoiler alerte il construit une tour et on en parle toujours cent trente ans plus tard."