Soledad ne s’attendait pas à une telle surprise de la part de sa comparse, peut-être parce qu’elle pensait que son attirance envers elle crevait les yeux de tous. Mais parfois, parfois, elle oubliait à quel point cette fille respirait l’innocence, qu’elle tenait entre ses doigts une magnifique naïveté comme si jamais le monde n’avait osé la toucher, l’effleurer de ses mauvaises nouvelles. Elle était presque prête à fuir une nouvelle fois, comme lorsqu’elle avait compris qu’elle était allée trop loin, mais rien de tout ceci ne se fit. Non. Ce fut à son tour d’être prise par surprise par une réponse qu’elle n’aurait jamais pensé voir sortir des lèvres de la blonde. Moi aussi.

Son cœur rata un battement des plus clichés et vint affoler le reste de ses organes, à tel point que même ses joues se tintèrent de rouge face à l’imprévu de la situation. Le décor était comme nouveau, vierge de toute trace de pas, inexploré par cette fille qui n’avait pas froid aux yeux. Elle se revoyait adolescente, celle qui avait découvert l’amour avec une peur presque non dissimulée. Mais, une partie d’elle ne cessait de croire qu’Hope ne pouvait ainsi la briser après avoir pu admirer ses sentiments à son égard.

Le cœur trésaillit de nouveau lorsque d’autres mots franchirent les lèves désirables de sa comparse et Soledad cherchait déjà les bons mots pour la rassurer, pour l’aider à comprendre qu’on ne pouvait avoir une vie parfaitement calculée. Presque prête à s’excuser également, s’excuser d’être apparue dans ce parfait paysage qu’Hope avait peint depuis des années. Elle n’aurait jamais pensé qu’une telle chose aurait pu se passer entre elles, simplement un béguin qui passerait avec le temps. « Je comprends. » Il était normal d’avoir peu à sa place, Soledad avait tout aussi peur mais sûrement pas pour les mêmes raisons. Elle avait tout bonnement peur de se faire avoir, de voir son cœur briser une nouvelle fois avec violence après tant d’espérance.

La latina se laissa aller contre elle, dans cette étreinte nouvelle et pourtant si agréable, presque déjà familière. Elle inspira ce parfum qui l’envoûtait depuis des semaines, depuis des mois et osa perdre ses doigts dans sa crinière dans de rassurantes caresses. Elles restèrent ainsi de longues minutes, chacune découvrant l’autre dans un silence olympien. Soledad pouvait entendre son cœur tambouriner comme un dingue dans sa poitrine alors qu’elle se redressait quelque peu pour plonger son regard dans celui d’Hope. « Jamais je ne te forcerai à quoique ce soit… »  murmura-t-elle doucement, dans un quasi souffle alors qu’elle vint prendre, avec la plus grande délicatesse, son visage en coupe. Elle lui offrit un baiser tendre, lui transmettant tout le réconfort qu’elle pouvait. Un échange bref avant qu’elle n’ajoute. « De quoi as-tu envie, Hope ? »

Les réponses de la blonde ne la surprenaient même plus, elle était toujours indécise, sur tout. Elle avait presque envie de rire, sûrement nerveusement en vue de la situation. Soledad n’avait rien à se reprocher, elle s’était ouverte à elle et avait été honnête dans le plus précis des cas, mais Hope n’était pas prête. Cette fille ne pouvait foncer tête baissée dans une relation qui était vouée à l’échec. Cette nuit avait été on ne peut plus agréable, à parler comme ça, à se confier doucement et à oublier le monde le temps de quelques heures. Mais la réalité avait tiré une épingle pour éclater leur petite bulle.

Manger. Il était vrai que, de base, Soledad l’avait invité chez elle pour lui proposer un plat cuisiner par ses soins. Mais, tête en l’air qu’elle était, elle avait oublié qu’il n’y avait plus rien dans ses placards. Ses mains, quasi tremblantes, cherchèrent son téléphone qui devait trainer dans le coin. Commander était l’unique solution pour les nourrir toutes les deux, tant pis elle se tuerait au sport demain matin pour éliminer tous ces excès de la soirée. « On commande ? J’ai voulu jouer à la cuisinière parfaite mais j’ai rien dans mon frigo. » Elle lui offrit un petit sourire désolé et se leva pour de bon, cherchant son téléphone du regard.

Il se trouvait sur le comptoir de la cuisine et Soledad l’attrapa souplement, le déverrouilla pour accéder à la plateforme de livraison la plus connue de ce monde. « Pizza ? Burger ? Je te laisse choisir. » Elle lui tendit son téléphone en toute confiance, de toute manière elle n’avait rien à cacher, excepté les messages enflammés de Noé. Mais c’était un détail, elle voyait mal la blonde fouiller dans son téléphone. « Et après t’être régalée, j’irai trouver de quoi préparer mon canapé pour que je dorme dessus. » Elle se voyait mal lui imposer de dormir ensemble.

Une pizza, rien d’étonnant quand on commençait à connaître la New Yorkaise. Elle avait bien fait de lui confier son téléphone pour que cette dernière commande de quoi combler sa faim. La latina attrapa le chaton pour venir doucement la poser sur son épaule et ainsi éviter de la voir saccager son canapé pour la énième fois de la journée. Une prochaine fois, elle eut un triste sourire à l’idée que tout allait recommencer. Elle préférait se montre pessimiste qu’optimiste. Hope n’allait pas changer de comportement du jour au lendemain, Soledad n’avait pas le droit de se précipiter sur un avenir des plus incertains et voir déjà mort-né. « S’il y a une prochaine fois. » conclut-elle presque dans un murmure en terminant son verre d’eau d’une traite.

Une fois la commande prête, Soledad se pencha quelque peu vers elle pour récupérer son bien et valider le tout. Elles n’avaient qu’une petite demi-heure à attendre et elles allaient pouvoir se régaler tranquillement. « Je suis trop galante pour te laisser dormir dans ce truc inconfortable. » lança-t-elle en lui glissant un regard. « Tu n’as pas le choix et t’en fais pas, j’ai déjà dormi dessus, les courbatures sont mes amies. » Oh oui qu’elle le connaissait ce canapé quand elle n’avait pas le courage et la force de se rendre dans sa chambre pour piquer un somme. L’alcool avait tendance à atténuer l’inconfort d’une position alors bon, elle avait toujours bien dormi au final.

Elle s’installa sur le fameux canapé et croisa les jambes, son poing comme appui tête. « Tu veux faire quoi en attendant les pizzas ? Reprendre le jeu des questions ou faire autre chose ? » Catra sauta souplement de ses épaules pour venir se poser sur ses genoux dans un ronronnement appréciateur, ses yeux perçant se posant sur la blonde comme pour l’avertir de ne pas faire du mal à sa maîtresse.

Il commençait à sérieusement se faire tard, mais Soledad ne ressentait pas le besoin de visiter le marchand de sable. Cela faisait bien des semaines qu’elle ne dormait que quelques heures par nuit, perturbée par les cauchemars de plus en plus nombreux, de plus en plus violents. Si elle s’écoutait, elle ferait n’importe quoi pour ne pas céder aux avances de Morphée, mais sans sommeil sa santé allait drastiquement se dégrader et elle ne voulait pas ça.

La latina préféra ne pas rebondir sur le débat du canapé et fit mine de céder aux arguments de la blonde, retenant une remarque cinglante qui aurait claqué sur sa langue. Pourquoi ne pas appeler directement son fiancé pour dormir dans un bon lit et en bonne compagnie hm ? Elle, elle se contenterait d’une présence gelée à ses côtés, celle du célibat qu’elle n’arrivait pas à écarter.

Elle gratta son chat entre les oreilles et posa un regard presque absent sur Hope. Quelle étrange soirée, elle avait comme l’impression qu’il ne s’agissait plus de la même qu’il y a quelques heures. Une meilleure partie que Soledad regrettait déjà amèrement. Elle voulait regouter à ses lèvres, ses rires et son humeur enjouée, pas…. Pa ça. « Après le départ de mon ancien fiancé. Je n’arrivais plus à être seule dans cet appartement et… Et je sais pas, je me suis dit qu’un compagnon poilu pourrait m’aider à me gérer le fait de vivre seule. » Elle remercia le chaton de quelques gratouilles sur le dos, déposa un baiser sur une de ses oreilles et soupira doucement.

« Et toi ? Tu as des animaux de compagnie ? » Elle posa ce même regard sur cette femme inaccessible qui semblait la faire courir à sa perte. Comme une confiserie qu’on agiterait devant le nez de l’enfant avant de la remettre dans sa poche et de s’en aller. Se rendait-elle compte du mal qu’elle pouvait lui faire à toujours lui tendre une perche, à lui faire espérer des choses qui n’arriveraient jamais. Elle avait presque envie de pleurer.

Soledad n’était pas une amoureuse des bêtes poilues avant d’adopter Catra, cela demandait trop de temps et trop d’attention pour elle à l’époque, après tout, elle n’était pas souvent chez elle et ne ressentait pas le besoin de prendre un animal sous son aile. Ses parents avaient toujours été contre lorsqu’elle était jeune, sa mère était allergique aux chats et détestait l’odeur des chiens. Alors la jeune femme n’avait pu connaître l’amour chaleureux des animaux de compagnie jusqu’à maintenant.

Elle jeta un coup d’œil à son téléphone pour vérifier que le livreur arrivait bientôt ou s’il y avait des complications dans la commande puis reposa l’appareil pour poser son attention sur Hope, tout de même curieuse de connaitre sa réponse. Cette fille, Soledad ne pouvait nier son envie de la connaître, de la fréquenter, mais elle savait que ce n’était pas une bonne idée, que c’était souffrir bêtement alors qu’elle s’était jurée de se protéger de ce genre de personnes qui profitaient de sa gentillesse.

Ainsi donc Hope avait eu un chien, pourquoi ne pas en prendre un avec Owen pour être le parfait petit couple New Yorkais cliché que l’on croisait dans tous les films. Elle se mordit l’intérieur de sa joue pour retenir cette remarque qui risquait d’aggraver la situation et but un peu d’eau pour faire passer l’envie de mettre de l’huile sur le feu. Mauvais timing car elle manqua de s’étouffer à la question de sa comparse. Le cœur était désormais fou dans sa poitrine et la surprise lui tordit les boyaux.

Devait-elle mentir ? Déformer la réalité ? Elle posa le verre d’une main tremblante et grinça des dents en voyant que le chaton s’en allait ailleurs, agacé que son coussin humain ait bougé dans tous les sens. Des doigts fébriles glissèrent dans ses cheveux alors que les questions se bousculaient être elles dans une panique générale. Ne pouvait-elle pas poser des questions anodines au lieu de foutre encore plus la merde ? Non ?

Elle inspira profondément et plongea son regard dans le sien, les sentiments fous, l’esprit fatigué. « Parce que je commence à tomber amoureuse de toi. »

Mentir. Elle était bien trop fatiguée de le faire et Hope ne méritait pas sa compassion à ainsi jouer avec ses sentiments depuis plusieurs semaines. Il y avait déjà eu une discussion pour que les mots soient posés, pour que les nuages s’en aillent du paysage, mais rien n’avait changé.

Hope avait promis de mettre les choses au clair, de lui donner des réponses, mais tout ceci n’avait été qu’une belle mélodie qui ne couchait rien de concret sur le papier. Soledad avait pris la sage décision de minimiser les contacts afin de laisser son cœur digérer la nouvelle, faire l’impasse sur cette ébauche ridicule de relation. Mais la blonde n’avait cessé de jouer de cette mélodie et tout avait échoué. Elle avait pensé que ses quelques aventures avec Noé l’empêcheraient de penser à Hope, de combler son esprit et son être en mal d’amour, mais pourquoi s’obstinerait-elle à hanter le moindre de ses songes ?

Alors, oui, Soledad avait décidé d’être égoïste et de lâcher la bombe dans l’optique de la secouer, de lui faire comprendre le réel problème dans la situation. Une partie d’elle espérait même réveiller l’autre, mais c’était perdu d’avance. La surprise de la blonde fractura quelque peu les bords élimés de son cœur, mais elle ne fit genre de rien, attrapant même un verre d’eau pour y tremper une nouvelle fois ses lèvres. L’attente était bien trop longue et la latina pestait déjà d’avoir ouvert une nouvelle fois son âme à cette personne, parce qu’une part d’elle semblait déjà connaître la réponse.

Les regards s’égarèrent, se perdirent et le cœur s’approcha du gouffre. Son chat se laissa caresser sans piper mot, alors qu’Hope y portait toute son attention. Ses prochaines paroles furent l’effet d’un coup de couteau dans le dos ? Mais l’excuse fut le coup de grâce et Soledad se leva d’un bond, mettant le plus de distance entre elles-deux. Ses ongles mordirent férocement ses paumes pour empêcher les larmes de franchir le cap de ses paupières. Elle ne voulait pas lui donner satisfaction, elle ne voulait plus montrer ses faiblesses.

« Je vois. Ce n'est pas réciproque, je m’y attendais. » murmura-t-elle presque dans un mauvais rire. « Tu dois sûrement être l’une de ses filles perdues dans leur relation qui cherchent à savoir… » Les mots se bloquèrent dans sa gorge.

« J’en sais foutre rien en fait. J’ai juste mal et je suis en colère. En colère contre toi comme contre moi. Pourquoi ? Pourquoi tu m’as demandé de venir ? Pourquoi est-ce que tu m’as embrassé comme ça sur scène devant plein de témoins ? Pourquoi tu t’obstines à me repousser pour toujours me faire revenir Hope ? »

Comment auraient-elles pu prévoir une telle fin de soirée alors que tout semblait aller pour le mieux quelques minutes plus tôt ? Les deux petites âmes s’étaient retrouvées dans les rires et voilà qu’elles se quittaient dans les pleurs. Parce qu’il n’y avait pas moyen de récupérer ce désastre, il n’y avait pas moyen de fermer la porte aux mauvaises paroles déjà prononcées. Soledad aurait dû s’en vouloir, mais il était devenu trop compliqué de garder le secret, de retenir tous les maux qui rongeaient son esprit ces dernières semaines. Non, elle devait d’abord penser à elle et à sa santé mentale, plutôt que de continuer à courir après une femme qui ne semblait pas prête à l’accueillir. Il ne lui resterait qu’à se noyer encore et encore dans l’alcool pour oublier sa stupidité et sa naïvité. Pourquoi n’avait-elle pas écouté les autres ? Pourquoi n’avait-elle pas fui cette succube dès le début plutôt que de se perdre dans cette utopique étreinte ?

Les voilà qui se faisaient face, le cœur meurtri d’un tel quiproquo, d’un tel destin qui se jouait d’elles à les faire se rencontrer trop tard ou bien trop tôt. Parfois, on rencontrait celle que l’on pensait aimer toute sa vie, mais le temps n’était pas le bon. Alors Soledad l’écouta, but presque ses paroles à l’affût du moindre crocher auquel se raccrochait, mais il n’y avait que cette terrible pente trop glissante dans laquelle elle se jetait. Tout semblait s’opposer à elle et à ses sentiments, tout s’opposait au fait qu’elles puissent être un jour heureuses ensemble. C’était dur à encaisser, terriblement douloureux à encaisser, mais peut-être était-ce pour le mieux.

Cette fille n’était pas prête, ne pouvait pas faire un choix et Soledad le comprenait enfin. Sa famille à elle l’avait jeté dehors sans broncher lorsqu’elle avait avoué aimer quelqu’un du même sexe qu’elle, il pouvait arriver la même chose à cette fille. La latina avait su garder les pieds sur Terre suite à ce rejet, mais ce n’était pas le cas de tout le monde. Elle croisa les bras comme pour se protéger de ce monde trop cruel qui lui avait offert un amour empoisonné, déjà voué à sombrer dans les limbes. « Oui, tu ferais mieux de partir. » répondit-elle presque doucement. « Je crois que plus rien ne nous prédestine à… » S’aimer.

Mais elle ne voulait pas le dire, c’était trop dur, trop frais encore pour elle qui venait à peine de réaliser ses sentiments envers la blonde. « Je ne veux pas que tu perdes ta famille comme j’ai perdu la mienne en avouant mon attirance pour les femmes. Je ne veux pas être la raison de ta chute, de ton malheur. Je préfère être la seule à souffrir à mettre fait des idées aussi connes plutôt que de t’entraîner dans ma chute. »

Elle s’approcha doucement des affaires de la jeune femme pour les lui tendre, luttant contre l’envie de goûter une dernière fois ses lèvres. Elle les lui tendit de ses deux mains tremblantes, les yeux brillant de larmes qu’elle ne voulait pas voir couler. « Je suis désolée de t’avoir embarqué dans tout ça. Tu seras toujours celle avec qui j’ai partagé cette pizza sur un banc de New York.  Je suis désolée, je ferai en sorte de ne plus faire partie de ta vie et je pense que c’est le mieux à faire, vraiment.»