Winter Is For Lovers
Montauk - 23/01/2022

Les fêtes de fin d’années étaient à présent derrière eux, pour le plus grand soulagement d’Aleksej. Terminées l’agitation, la frénésie et l’effervescence qui accompagnait Noël et le Nouvel an. La vie ralentissait et retombait dans une sorte de train-train qui n’était pas pour déplaire au Danois. Il appréciait particulièrement cette période de l’année. L’hiver prenait toute son envergure et leur avait même accordé quelques flocons. Aleksej aimait le froid. Il aimait ces paysages gris-bleu et la sensation que la Terre entière s’était mise à hiverner. Tout était plus calme.

C’est donc tout naturellement qu’il avait proposé de partir passer le week-end à Montauk, pour prolonger cette impression de sérénité que lui apportait la saison. Le couple ne s’y était pas rendu depuis l’arrivée des enfants sous leur toit. À présent qu’ils avaient trouvé un rythme de croisière, il avait pensé que ce pourrait être une bonne idée. Il avait également besoin de retrouver un territoire sur lequel il avait des repères. Et peut-être en créer de nouveaux. Juste tous les quatre.

Ils étaient partis tôt ce matin pour pouvoir profiter pleinement de la journée qui s’annonçait. Embarqué tout ce petit monde dans la voiture n’avait pas été une mince affaire mais chacun trouva finalement sa place et c’était partie pour une nouvelle aventure. Tout le long du voyage, Elisabeth n’avait pas arrêté de poser des questions, de commenter le paysage qui défilait par la fenêtre. Aleksej et Solveig s’échangeaient parfois des regards complices du coin de l’œil. Ellie ne s’arrêtait vraiment jamais de parler.

Jusqu’à ce qu’on arrive finalement à la maison et que l’euphorie lui coupe la chique. La neige était au rendez-vous et pour une enfant de cinq ans, c’était toujours aussi magique. À peine Aleksej eut-il garé la voiture que la petite fille courait déjà dans la couche de neige immaculée suivie de près par Maroon et Boule. Ce deux-là non plus ne se lasserait jamais. Solveig avait sorti Tim de son siège auto et s’apprêtait à venir aider Aleksej à sortir leurs affaires du coffre de la voiture.

“Vas-y. Je vais m’occuper de tout ça.”

Il lui adressa un sourire tendre avant de venir lui voler un baiser et alors qu’il déchargeait les sacs il lui fit un petit geste pour lui sommer de filer. Une fois à l’intérieur de la maison, il s’occupa d’abord de lancée une flambée dans la cheminée avant de ranger les affaires. Un coup d’œil par la baie vitrée et le Danois ne put s’empêcher de laisser échapper un petit rire en observant Boule qui courait après Ellie qui courait après Maroon. Et Tim de taper dans ses mains en poussant des petits cris d’excitation.

Après un bon quart d’heure il finit par rejoindre la petite troupe à l’extérieur et passa encore un long moment à lancer des boules de neige que les chiens tentaient d’attraper au vol et à commencer un bonhomme de neige “gros comme ça”, selon les propos de la petite fille. Arriva l’heure du déjeuner et tout le monde rentra se remettre bien au chaud. Après avoir aider la petite fille à retirer ses chaussures et à accrocher son manteau, il laissa cette dernière partir à la découverte de la maison. Il rejoignit Solveig dans la cuisine et commença à déballer les courses en prévision du repas.

“Je suis allé chercher le petit lit dans la remise. J’ai installé Tim dans la chambre face à la nôtre. (...) Tu sais ce que ça veut dire ?”

Un sourire malicieux étirait ses lèvres d’une oreille à l’autre. Leur appartement n’étant pas très grand, mettre Tim dans leur chambre était ce qui leur avait semblé le plus judicieux. Ils ne voulaient pas que le petit garçon puisse réveiller sa sœur en plein milieu de la nuit. Et s’ils avaient été étonnés et reconnaissants de voir que le petit garçon faisait parfaitement ses nuits, il n’en était pas de même pour Ellie. Les avoir dans deux pièces séparées leur avaient évité bien des tracas. Mais leur intimité en avait pris un sacré coup.

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Montauk - 23/01/2022

– Allez, viens mon coeur, on rentre avant que tu n’attrapes un rhume.

Impossible de ne pas remercier les dieux d’avoir mis un homme Aleks sur ma route. Le fait qu’il préfère s’occuper seul des bagages pendant que je porte Tim à l’intérieur m’évite un tas de tracas.

Une fois à l’intérieur, je le pose avec précaution sur le canapé et me débrouille pour emmitoufler le petit autant que possible avant de ressortir avec lui dans mes bras. Impossible de ne pas vouloir qu’il profite de la vue, surtout avec sa sœur dehors. Sa sœur et les chiens. Trop de catastrophes pourraient se produire sans qu’on ne soit obligés de garder un œil sur toute cette petite troupe.

Je reste avec le plus jeune pendant qu’Aleks et Ellie s’engagent dans des constructions dont je refuse de noter la conformité. Ellie veut un bonhomme de neige donc Ellie a un bonhomme de neige. Qu’on le veuille ou non, elle a Aleks autour de son petit doigt et elle le sait pertinemment. Cette gamine a un pouvoir insoupçonné. Même moi, elle a réussi à m’avoir dès le plus jeune âge. C’est dire !

– Ne cours pas dans les escaliers, je t’en supplie, Ellie !

Je me tourne vers mon mari en train de ranger les courses et lève les yeux au Ciel. Je jure qu’elle va me faire faire une crise cardiaque avant mes 40 ans.
C’est sans compter sur Aleks qui s’exprime. Peut-être que je vais faire cette crise plus tôt que prévu…

– Est-ce que c’est moi ou mon mari fait des allusions à caractères sexuels qui me plaisent particulièrement ? dis-je en enroulant mes bras autour de sa taille. J’ai très envie de les enrouler autour de son cou mais j’ai retiré mes talons ce qui n’a fait qu’augmenter la différence de taille entre nous. “Tu es trop grand,” dis-je avec une fausse moue désapprobatrice.

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Montauk - 23/01/2022

Aleksej posa ses mains sur les bras que Solveig venait d’enrouler autour de lui et les pressa avec tendresse. Son regard espiègle ne l’avait pas quitté, même s’il tentait de réagir innocemment à la réponse de Solveig. Il l’attrapa par les hanches et la souleva pour venir l’installer sur l’un des tabourets qui bordait le plan de travail. Il s’étonna de la facilité avec laquelle il l’avait élevée du sol. Il n’avait pas réalisé que porter quotidiennement Ellie et Tim, bien qu’étant des enfants, l’avait fortifié.

“C’est mieux comme ça ?”

Alors qu’il était sur le point d’embrasser sa femme, il sentit un léger choc contre ses jambes. Il laissa échapper un petit rire en baissant la tête. Tim était accroché à ses mollets et tirait sur son pantalon avec insistance. S’il y en a bien un qui n’oubliait pas l’heure du casse-croûte c’était bien lui. Réglé comme une horloge. Le Danois embrassa la jeune femme au coin des lèvres avant de relâcher son étreinte.

“On reprendra cette discussion à l’heure de la sieste…”

Il se retourna pour prendre le petit garçon dans ses bras et fouilla dans l’un des sacs qu’ils avaient rapportés pour trouver les purées qu’il avait préparées pour le week-end.

“Hum… j’ai oublié de monter la chaise haute. J’ai posé les pieds sur la table, l’assise ne devrait pas être loin. Tu veux bien regarder ? Tu as rangé les bavettes avec les affaires de la cuisine ou avec le linge ?”

Voilà le genre de conversation qu’il était à mille lieues de penser avoir avec Solveig. Et pourtant, malgré ses réserves sur la façon dont les évènements s’étaient goupillés et les incertitudes dont il n’arrivait pas à se défaire, il se glissait assez naturellement dans ce rôle-là. Tim commençait à s’agiter dans ses bras, à tenter d’attraper n’importe quelle partie  du visage du Danois pour rappeler sa présence.

“Oui, je sais que tu as faim, mon bonhomme. Regarde, on met le pot dans le micro-ondes… on appuie sur le bouton… une assiette… tu prends la cuillère ? voilà un grand garçon… “

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Montauk - 23/01/2022

C’est en observant Aleks avec Timothy que je réalise (enfin ?) à quel point nous sommes devenus une famille totalement différente en très peu de temps. L’arrivée des enfants a tout chamboulé mais je n’arrive pas à regretter notre vie d’avant. Bien-sûr, Aleks et moi manquons clairement de temps pour nous en tant que couple mais je suis certaine qu’avec un peu de temps et une bonne organisation, nous y arriverons.

Je laisse les “hommes” entre eux et file voir où en est notre princesse nationale plus communément appelée Elisabeth Porter.
Il ne me faut pas plus de quelques secondes avant de la trouver assise en tailleur à même le sol, en train de colorier de façon quelque peu agressive son carnet à coloriages Disney.

– Ellie ? Tu veux me dire ce qui ne va pas ?
– Comment tu sais ?
– Comment je sais quoi ?
– Comment tu sais que ça va pas ?

Impossible de contrôler le petit sourire amusé qui vient s’afficher au coin de mes lèvres.

– Ta maman avait exactement le même genre de comportement quand elle était contrariée.
– Contra- quoi ?
– En colère, si tu préfères.
– Je suis pas en coulère.
– Mais tu ressens quelque chose qui ne te fait pas de bien, exact ?

Elle acquiesce brièvement sans jamais quitter son cahier des yeux. Il est clair qu’elle est mal à l’aise.

– Ellie… Tu peux tout me dire, tu sais. Comme à Aleks, d’ailleurs.
– Ils me manquent.

Evidemment. Comment pourraient-ils ne pas lui manquer ? Ils étaient - et seront toujours, d’ailleurs - ses parents.

– Ellie ? Tu veux bien me regarder un tout petit instant, s’il te plaît ?

Etonnamment, elle m’obéit.

– Ma puce, tu as le droit de ressentir ces choses et c’est tout à fait normal que papa et maman te manquent, d’accord ? Ils me manquent à moi aussi.

Loin de moi l'envie de me mettre sur le devant de la scène, je souhaite juste qu'Elisabeth sache qu'elle n'est pas seule et que je suis là.

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Montauk - 23/01/2022

Voyant Solveig partir jeter un coup d’oeil à ce que faisait Ellie, Aleksej continua sur sa lancée. Il installa le petit garçon dans la chaise haute et entreprit de lui donner la béquer. Ou plutôt de bonnes grosses bouchées. Tim commençait à se familiariser avec les couverts et il semblait avoir comme ambition de remplir toujours plus sa cuillère. Le Danois rattrapait les loupés avant qu’ils ne se transforment en catastrophe culinaire mais dans l’ensemble, le bambin s’en tirait plus bien.

Par réflexe, il laissait constamment traîner une oreille du côté de la petite fille. Elie était beaucoup en demande et avait besoin de plus d’attention que son frère. Elle restait encore pas mal sur la réserve même si elle se rouvrait à eux peu à peu. En entendant les réflexions de la petite fille, ses épaules se contractèrent. Quand elle parlait à demi-mots, il ne pouvait s’empêcher de se demander ce qu’elle gardait comme souvenir de l’accident. Pour lui, les choses étaient allées beaucoup trop vite et puis le noir total.

Ses pensées l’entraînaient à se demander ce qu’avait vécu Rebecka. Avait-elle été consciente après le choc ? Avait-elle eu peur ? L’avait-elle appelé ? Il n’en avait aucune idée et il savait que ce genre de questions étaient dangereuses et parfaitement inutiles. Sa psy lui conseillerait probablement d’arrêter de se torturer lui-même. Mais il n’allait plus la voir depuis longtemps. Il se souvint d’une réflexion qu’il avait entendu lors d’un meeting à l’association Drive Safe. “Le plus dur c’est accepter que certaines choses n’ont pas de sens.”

Les babillements insistants de Tim le ramenèrent à la réalité. Il posa son regard clair sur le petit garçon et lui sourit tout en lui caressant tendrement la joue. Lui aussi était dans la voiture. Un frisson lui parcouru l’échine. Une fois l’écuelle vide, il la montra au petit garçon en le félicitant. Tim avait bon appétit, il faisait ses nuits et deux siestes quotidiennes. Il était ce qu’on pouvait appeler un enfant très facile. Il le débarbouilla avant de le laisser partir explorer les quatre coins de la pièce. Les baies vitrées semblaient le fasciner.

“Je vais aller chercher les plats du jour chez Mary, c’est presque l’heure…”

Si Tim était encore au régime purée-maison, Aleksej avait été bien décidé à laisser la cuisine de côté pour le week-end et profiter des savoirs-faire locaux en matière de produits de la mer.

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Montauk - 23/01/2022

Ellie et moi relevons la tête simultanément en entendant la voix d’Aleks m’annonçant qu’il compte se rendre chez Mary pour aller chercher de quoi manger. Nous adorons cet endroit. Lui bien avant moi, évidemment, mais il a su faire en sorte que je devienne complètement accro aux produits proposés par la propriétaire des lieux.

– C’est qui Mary ? demande innocemment Ellie.
– Quelqu’un que tu vas adorer vu ce que nous allons manger.

Je ne veux pas en dire trop parce que je tiens à ce qu’elle découvre les choses d’elle-même. Paraît-il que c’est important pour un enfant alors j’essaie de m’y tenir. Sans parler du fait qu’à son âge, il faut qu’Aleks et moi puissions lui faire découvrir autant de choses culinaires que possible, ça lui forgera un palet solide et surtout…un palet facile. Si nous devons commencer à nous battre pour lui faire avaler trois morceaux de tomates ou que sais-je, nous allons devenir fous.

– Je garde un oeil sur nos deux loustics ou est-ce que tu veux embarquer Tim dans ton aventure ?

Le tout petit, non loin de nous, tourne la tête à peine son diminutif prononcé. Il sourit de toutes ses dents (ou plutôt, du peu de dents qu’il a) avant de marcher comme il peut vers Aleks. L’équilibre est à discuter mais il essaie et c’est tout ce qui compte. Fort heureusement, le petit trouve l’une des jambes du Danois suffisamment vite pour s’y accrocher comme un koala s’accrocherait à son arbre.

– Je ne voudrais pas m’avancer, cher mari, mais je crois que vous avez officiellement votre premier fan.

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Montauk - 23/01/2022

Aleksej lança un regard plein de mystère à la petite fille tout en se frottant les mains. S’il adorait cuisiner lui-même, cela ne l’empêchait pas d’apprécier les talents des autres. Les plats de Mary étaient aussi simples qu’efficaces. La qualité et la fraîcheur des produits y jouait pour beaucoup mais Mary savait également faire une cuisine authentique et pleine d’amour. Les produits de la mer étaient un bon terrain d’entente culinaire entre Solveig et lui. Tous les deux y trouvaient leur compte et il espérait qu’il en serait de même pour la petite fille. Il apprenait encore ses habitudes alimentaires qui n’étaient pas encore figées à cet âge.

“Ça m’embêterait qu’il s’endorme dans la voiture…”

Le petit garçon ne faisait généralement pas longs feux après avoir mangé. Pour le moment, il semblait bel et bien décidé à entreprendre son propre marathon dans la salle à manger. Le Danois esquissa un sourire en observant l’enfant accroché contre sa jambe, tirant de toutes ses forces sur son jeans pour bien faire comprendre qu’il avait eu son compte. Aleksej souleva le bonhomme dans ses bras et en profita pour attraper un lapin en éponge qui faisait office de doudou. Il parcouru les quelques mètres qui le séparaient des filles et posa le petit garçon près de sa sœur. Il caressa doucement la nuque de Solveig.

“Moi qui pensais que c’était toi ma première fan…”

Il lui adressa une grimace malicieuse en enfilant sa veste. Il gratifia la petite fille de quelques guili avant de lui envoyer un clin d’œil complice. Il sentait déjà son estomac commencer à faire des siennes. Lui aussi était réglé comme une horloge.

En arrivant au Mary’s, la commande n’était pas tout à fait prête. Le Danois s’installa un instant sur la terrasse et s’appuya sur la balustrade, observant le remous des vagues et la plage étincelante de neige. C’était sa saison préférée de l’année. Le froid, la neige, avaient quelque chose de réconfortant. Mary le sorti de sa rêverie en lui serrant chaleureusement le bras. Il la remercia chaudement après avoir récupéré ses paquets.

De retour à la maison, les bras chargés de nourriture, Aleksej remonta les escaliers quatre à quatre. Il ressentait une certaine excitation à l’idée de ce repas. Les effluves des plats lui avaient chatouillé les narines pendant tout le trajet.

“Si ces demoiselles veulent bien se donner la peine. Il est temps de restaurer les estomacs de cette famille.”

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Montauk - 23/01/2022

- Tu étais mon meilleur pire ennemi, Maître Svendsen. Me connaissant, tu sais que ça vaut tout l’or du monde. Sois prudent en chemin.

Je lui adresse un sourire avant de me tourner vers les enfants. Quand je les vois comme cela, je me demande ce qu’ils deviendront. Enfin non, je me demande qui ils deviendront. Aleksej et moi réussirons-nous à les élever de façon à ce qu’ils deviennent heureux et respectueux ?

L’un des principaux intéressés file de la maison, me laissant avec deux loustiques dont l’un semble soudainement plein d’énergie.

– Tim, qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce que c’est que cet élan de vitalité ? dis-je en le prenant dans mes bras tout en gardant un œil sur sa grande sœur, la petite étant de nouveau plongée dans son coloriage.

– C’est parce qu'on n'est pas dans la même maison, répond soudainement Ellie sans quitter son livre des yeux.
– Comment ça ?
– Il est curieux quand on est autre part, continue-t-elle comme si la conversation n’avait rien de surprenant. “Est-ce qu’on va encore changer de maison ?”
– Non, bien-sûr que non, Ellie. Nous ne sommes là que pour le week-end, ma puce. On rentre à New York après pour que tu ailles à l’école et nous, au travail.
– On va rester ensemble, hein ?

Je sais très bien que ce n’est qu’une question mais elle me bouleverse. Je refuse qu’une enfant de son âge s’inquiète de ce genre de chose. Elle doit savoir que je ferai tout pour les garder, elle et son frère, avec moi. Aleks est d’accord et je sais qu’il comprend maintenant que ma volonté de garder les enfants n’est pas un coup de tête, n’est pas une soudaine lubie. Je suis très sérieuse sur le sujet et rien, ni personne ne pourra me faire changer d’avis.



- Ces dames vont se laver les mains, n’est-ce pas Ellie ?
- Ouiiii, répond la petite avant de courir vers la salle d’eau la plus proche.
- Elle va me faire faire une crise cardiaque avant mes 40 ans, dis-je à Aleks avant de l’embrasser brièvement sur les lèvres pour ensuite partir à la poursuite d’Ellie.

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Montauk - 23/01/2022

Aleksej ferma brièvement les yeux au contact des lèvres de la brunette contre les siennes. S’ils n’avaient jamais été trop tactiles de manière générale, les moments qu’ils avaient pour eux se faisaient encore bien plus rares. Il ne se plaignait pas. Mais quand l’occasion pour un geste de tendresse se présentait, il essayait de profiter au maximum de l’instant présent. En être pleinement conscient.

Alors qu’il assortait les plats en vue du déjeuner, Tim était de retour à la charge, accrochant le jean du Danois comme s’il s’agissait d’une corde sur laquelle il pourrait se hisser. Aleksej prit le petit garçon dans ses bras et l’enlaça avec douceur. Il y avait toujours un léger moment de tension entre le moment du repas et la sieste. Entre l’excitation et la fatigue, Tim ne savait plus sur quelle note jouer. Dans ces cas-là, un peu de calme, un doudou et une tétine faisait très bien le travail.

Assis dans sa chaise haute, il n’avait pas tardé à piquer du nez pendant que le reste de la maisonnée prenait son repas. Au grand plaisir d’Aleksej, la petite fille avait le goût pour les fruits de mer. Le repas se passa dans la bonne humeur et la curiosité de toutes ces nouvelles saveurs. Une fois la vaisselle rangée, le Danois s’occupa d’aller coucher le petit garçon qui ne demanda pas son reste pendant que Solveig s’occupait de préparer Elisabeth pour la sieste.

Une fois remonté dans le salon, il s’allongea sur le canapé. Il n’avait jamais été homme à faire des siestes dans la journée mais depuis l’arrivée des enfants, elles étaient souvent salutaires. Il s’était d’ailleurs demandé un jour si les siestes avaient été inventées pour les enfants ou au contraire pour les adultes. Pour le permettre de tenir la distance face à ces petites piles à deux pattes.

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Voir Aleks sur ce canapé est beaucoup trop tentant. Peut-être pas tout à fait aussi tentant que notre lit mais je crois que le canapé fera l’affaire pour cette fois-ci.
C’est sans même m’annoncer que je viens m’allonger tout contre l’homme que j’ai épousé, l’une de mes mains venant tout naturellement se poser sur son torse.
Connaissant les enfants, je sais que ce moment de répit ne sera pas particulièrement long mais je tiens à en profiter aux côtés d’Aleks. Je pourrais tout aussi bien aller dans notre chambre à coucher mais je n’ai pas le cœur à laisser mon danois seul dans cette grande pièce.

– Il y a une possibilité réelle pour que je ne te laisse plus jamais quitter ce canapé, Svendsen, dis-je dans un murmure tandis que je ferme les yeux, déjà bercée par le rythme lent de la respiration de l’homme.

Je me doutais bien qu’avoir deux enfants à s’occuper au quotidien n’allait pas être de tout repos mais à ce point…je dois admettre que je ne m’y étais peut-être pas suffisamment préparée. Ce n’est pas faute d’avoir entendu Aleks me le dire en long, en large et en travers ! Mais non, j’ai refusé d’écouter et j’ai fait comme bon me semblait. Comme toujours, au final.

– Je suis désolée de t’avoir imposé les enfants, dis-je, toujours en murmurant. “Je ne voyais pas d’autre issue possible et- Enfin, je suis sincèrement désolée.”

De temps en temps, notamment le soir lorsque je suis seule, j’en viens à me demander si ce nouvel excès de ma part pourrait me coûter mon couple, notre mariage. Même si je ne regrette en rien la décision prise à l’égard des enfants, j’ai parfois peur que cela ait été la goutte d’eau pour Aleks et qu’il finisse par claquer la porte. Même si je n’aime pas l’admettre, je pense qu’il en serait capable.

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Sans ouvrir un œil, un large sourire se dessina sur le visage du Danois alors qu’il sentait la jeune femme venir s’installer contre lui, la chaleur de son corps qui se propageait depuis son torse où elle avait posé sa main. Il passait ses bras autour d’elle en poussant un long soupir. De fatigue, d’un certain contentement aussi. Il laissa échapper un petit rire de ses lèvres entrouvertes en l’entendant lui dire qu’elle ne le laisserait plus quitter le canapé. L’idée était douce. Il ressera un peu son étreinte en signe d’approbation. Un vague sentiment d’égoïsme le traversa mais il savait que ce n’était qu’une pensée à laquelle il ne s’accrochait pas.

Leur vie était ainsi à présent et il avait pris le chemin de l’accepter. Et s’il avait parfois du mal à trouver sa place dans cette existence, il faisait de son mieux pour ne rien laisser paraître. Tout ce qui lui importait était le bonheur de Solveig. Et elle semblait heureuse. C’était l’essentiel. Il ne se rassasiait jamais de ses sourires même s’ils ne lui étaient pas adressés. Il était toujours agréablement surpris par ses éclats de rire qui lui avaient été inconnus jusqu’à présent. Il découvrait une nouvelle femme et il apprenait à l’aimer un peu plus.

En entendant les paroles de la jeune femme, ses yeux se rouvrirent. Son regard se perdit sur la blancheur immaculée du plafond alors qu’il caressait doucement les cheveux de la brunette. Cette discussion n’avait jamais eu de suite. Il n’était d’ailleurs pas certain de vouloir la continuer. Il fallait parfois savoir quand s’arrêter. Mais le fait que Solveig revienne à la charge montrait bien qu’elle avait des doutes. Il avait pourtant fait de son mieux pour se montrer encourageant et pour lui montrer son soutien.

Le mot qu’elle utilisa raisonna à ses oreilles comme une cloche assourdissante. Imposer. Son visage se figea. Comme un bloc de marbre. C’était sa façon à lui de faire face aux émotions fortes. Ou peut-être de ne pas les extérioriser. Il avait pris le pli avec les années. Et le reste de sa phrase sonna le glas. “Je ne voyais pas d’autres issues possibles…” Comme un coup de poing qu’il se serait pris en pleine poitrine. Il déglutit, se racla la gorge soudainement plus sèche qu’à l’ordinaire. Aucun mot ne pouvait franchir la barrière de ses lèvres. Il se contenta de laisser glisser ses doigts jusqu’à la nuque de Solveig et de la presser tendrement.

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Le fait qu’il ne réponde pas devrait m’inquiéter mais il n’en est rien. Je commence à le connaître. Je sais qu’il est en train de peser le poids de mes paroles et qu’il cherche à formuler une réponse qui ne me blessera pas. Qu’on le veuille ou non, je vois bien qu’Aleks continue à prendre des pincettes avec moi, comme s’il avait peur qu’après une potentielle dispute, je m’en aille. Je ne sais pas quoi faire de plus pour qu’il comprenne que cela ne se produira pas. Réellement pas. Mon Dieu, cet homme pourrait probablement me tromper que je ne partirai quand même pas ! Je l’ai dans la peau, encré au plus profond de mon épiderme, ne le voit- il pas ?

– Tu sais que peu importe ce que tu serais amené à répondre à ça, je ne vais nulle part, n’est-ce pas ?

Voilà ce qu’on appelle une tentative. Je ne saurai pas faire mieux à l’heure actuelle. Nous avons perdu cette capacité à tout nous dire depuis l’arrivée d’Ellie et Tim et je dois bien admettre que, de temps à autre, cela m’inquiète. Il marche sur des œufs tandis que moi, comme d’habitude, je fonce dans le tas. Les français me compareraient à un CRS. Ne me demandez pas comment je sais ça, je le sais, c’est tout.

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Aleksej mâchouilla machinalement l’intérieur de sa joue. Peut-être que l’occasion ne se représenterait pas avant un certain temps. Peut-être que sa stratégie n’était pas la bonne. S’il finissait par lui dire ce qu’il avait sur le cœur, il se sentirait certainement délesté d’un poids. Mais à quel prix ? Il savait que Solveig n’était pas en sucre mais il avait tout de même des réminiscences de ce qu’il s’était passé la dernière fois qu’il avait fait part de ses doutes et de ses peurs. Elle avait quitté l’appartement. La situation était ce qu’elle était et rien ne la changerait alors le risque valait-il d’être pris ?

“Je… Ça me peine que tu aies pu penser qu’il n’y avait qu’une solution à cette équation. Je pensais que ce serait le genre de décision que nous prendrions à deux…”

Telle une équipe. C’était bien de ça dont il s’agissait dans un mariage, non ? Se faire confiance et se prendre en considération. Mais s’il avait seulement été question de son petit égo blessé, Aleksej aurait probablement avalé la pilule plus promptement. Seulement, il avait plus de difficultés. Il y avait quelque chose de sous-jacent. Des autres non-dits qui s’étaient accumulés peu à peu sur les étagères de son esprit. À présent, il avait commencé alors autant ne pas s’arrêter sur la lancée.

“Et… c’est difficile de m’attacher à eux. S’il se passait quoi que ce soit, je les perdrais eux aussi…”

Aleksej avait toujours adoré les enfants et ceux-là en particulier. Plus il passait de temps avec eux et plus il s’en préoccupait. Parallèlement, son angoisse grandissait de manière exponentielle et les vieux souvenirs refaisaient surface. Un cercle vicieux de honte et de culpabilité l’emportait dans son engrenage et il ne savait pas comment se sortir de toutes ces ruminations.

“Et maintenant, je sonne comme un vieux con…”

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S’il se passait quoi que ce soit, je les perdrai eux aussi… Cette phrase risque de me hanter un moment, que je le veuille ou non. Je sais très bien de quoi Aleks a peur. Je ne peux pas le comprendre mais je peux l’entendre. Il a déjà perdu sa fille… Dieu sait ce que la vie pourrait (encore) lui prendre.

– Tu n’es pas un vieux con, dis-je simplement. “Tu as vécu le pire et tu crains que ça se reproduise.”

Je ne cherche pas à jouer les psychologues avec lui, je veux juste qu’il sache que j’essaie d’être sur la même longueur d’onde que lui. Je suis sa femme, l’un de mes rôles est de le soutenir et de lui montrer que je suis là. Je ne sais pas si je me débrouille particulièrement bien dans ce domaine mais, là tout de suite, j’essaie de faire de mon mieux.

– La vérité c’est que je ne sais pas de quoi demain sera fait mais j’ai envie de croire que tout ira bien. Après tout, les récentes conversations que j’ai eues avec les parents d’Alice se sont bien passées…

J’ai moi-même du mal à croire que je suis en train de dire ça mais c’est pourtant la vérité. Je crois que les parents d’Alice (en particulier sa mère) ont fini par comprendre que je ne mettrais jamais en travers de leur chemin. Les enfants ont le droit et méritent de passer du temps avec leurs grands-parents. Qui suis-je pour les empêcher de se voir ? Personne. A vrai dire, ça ne me serait jamais venu à l’idée.

– Je sais que ces deux-là ne faisaient pas partie du plan initial mais…est-ce que tu crois qu’on peut les intégrer au plan ?

En réalité, il n’y a jamais eu de “plan” à proprement parler mais je sais pertinemment qu’Aleks va comprendre ce que je veux dire par là. Avoir des enfants ne faisait clairement pas partie de l’équation. Mais aujourd’hui qu’Ellie et Tim sont là, je ne considère plus notre vie sans eux.

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Aleksej continuait de caresser doucement la nuque de Solveig. Il se sentait étrangement calme. Peut-être à cause de la présence de la jeune femme contre lui, la chaleur de son corps contre le sien et le mouvement de sa respiration. Ou peut-être était-ce la fatigue. L’éreintement qui arrivait à bout de ses craintes. Quoi qu’il en soit, son corps se détendait, lâchait prise. Et son esprit avec. Ses barrières émotionnelles étaient en train de lâcher. Les filtres qu’il avait soigneusement élaborés durant la dernière décennie s’estompaient dans le brouillard de son esprit.

“Ce n’est pas de ça dont je parlais… Je pense que Bernadette te fais confiance.”

Les parents d’Alice s’étaient finalement accordé avec la décision de leur fille. Il leur avait simplement fallu du temps pour accepter la situation et faire leur deuil. Faire la part des choses entre les deux. Les parties concernées avaient fini par tomber d’accord sur le fait que le couple étaient trop âgé pour prendre en charge deux enfants en bas âge et que les choses étaient mieux ainsi.

“S’il t’arrivait quelque chose ou… si les choses devaient se dégrader entre nous… Je… Je ne serai personne pour eux…”

Il était la pièce rapportée. Il n’avait connu Alice et Mark que peu de temps, il ne faisait pas partie de leur histoire. Il avait l’impression d’observer le match depuis le banc de touche, de n’être qu’un élément du décor. Il faisait de son mieux pour essayer de prendre en charge un maximum de tâches, simplifier au maximum leur vie, mais concernant les enfants, il n’était pas sûr de savoir jusqu’où on le laisserait aller.

“J’aurais apprécié ça, qu’on est un plan…”

Rien de ce qui s’était passé ces trois dernières années n’avait été prévu. Aleksej et Solveig avait avancé à tâtons sans jamais viser d’objectifs en particulier. Il y avait les impératifs, leur travail, le reste se brodait autour. Pour le danois, cela signifiait ne pas avoir tous les paramètres sous contrôle et il lui avait fallu faire part une certaine dose de lâchée prise pour retrouver un équilibre approximatif.

“Je sais qu’on en a jamais parlé parce que ça n’a jamais été une possibilité… mais j’aurais aimé ça… avoir des enfants avec toi…”

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De toutes les choses qu’il aurait pu me dire, je dois bien admettre que je ne m’étais pas préparée à cela. S’il venait à m’arriver quelque chose, Aleksej ne serait rien pour eux. Cette année, oui, c’est vrai, mais je ne compte pas quitter cette Terre dans les prochains mois. 2023 changera cependant beaucoup de choses mais je n’ai pas l’impression que le danois s’en rende véritablement compte.

– Langan a été très clair à ce sujet, dans un an, les enfants seront adoptables et- Aleks, je ne nous vois pas ne pas les adopter.

C’est un peu brutal comme façon de dire les choses mais je ne pense pas que jouer sur les mots soit forcément la bonne approche concernant le sujet abordé. Je veux que mon mari et moi soyons sur la même longueur d’onde, surtout quand je l’entends me dire qu’il aurait aimé avoir des enfants avec moi.

Je lui caresse tendrement la joue avant de déposer un baiser sur ses lèvres.
Effectivement, c’est un sujet que nous n’avions pas abordé puisque ma stérilité a pris le pas sur tout le reste. Sans parler du fait que jusqu’à peu, je ne voulais pas entendre parler du sujet de la maternité. Il est vrai que beaucoup de choses ont changé en très peu de temps. Les gens autour de moi pensent-ils que j’ai retourné ma veste ? Que je change d’avis comme de chemise ?

– Et l’adoption signifiera qu’ils porteront ton nom, Aleks. Notre nom.

La seule chose que je souhaite, c’est qu’ils gardent également le leur, leur nom d’origine, celui avec lequel tout a commencé. Je sais que, plus tard, cela sera important pour Ellie et Tim.

Winter Is For Lovers

Elle ne l’entendait pas. Elle n’entendait pas les craintes qu’il nourrissait au plus profond de lui-même. Pourtant il essayait. Il n’avait jamais été très doué pour exprimer ses émotions. Ce n’était pas comme ça qu’il avait été éduqué. Le fait que sa mère puisse lire en lui comme dans un livre ouvert ne l’avait probablement pas poussé à faire des efforts. Il en avait été de même avec Lena. Il n’avait jamais eu besoin de mettre des mots sur ce qu’il ressentait et à présent il en payait le prix. Il ne savait pas comment permettre à Solveig de décoder des émotions qu’il ne savait pas lui-même identifier.

Tout semblait très clair dans la tête de la jeune femme. Il était indéniable qu’elle avait réfléchi à la situation, qu’elle s’était projetée sur le moyen et le long terme et qu’elle avait établi un plan. Son plan.

“Tu… Est-ce qu’à un moment donné tu as entrevu l’éventualité qu’on puisse en parler ?”

En posant la question, il avait compris la réponse. Pour elle, tout cela était une évidence. Il n’y avait pas de choix à faire, pas d’options à évaluer. Et c’était la raison pour laquelle elle n’entendait pas ses doutes, qu’elle ne comprenait pas ses états d’âme.

“Ne te méprends pas sur mes paroles. Je ne suis pas en train de dire que je ne veux pas des enfants, que je suis contre tout ça. Mais… Solveig… Si on ne prend pas ce genre de décisions ensemble, qu’est-ce qu’il nous reste ?”

Des civilités. Entre deux portes. Entre la promenade des chiens et le trajet de l’école. Entre le boulot et le ménage. Entre deux baisers échangés distraitement. Entre deux coups de vent. Le Danois poussa un profond soupir et ferma les yeux l’espace de quelques secondes.

“Je suis épuisé… épuisé de tout ça. (...) Solveig, je t’aime et… (...) je ne pourrais jamais te quitter, mais je- j’ai besoin de savoir qu’on passe en premier. D’autant plus si l’on veut bâtir un foyer pour Ellie et Tim. Je comprends pourquoi tu as pris cette décision. Je comprends tes principes. Je comprends où est ton coeur mais, Solveig… sur la tête de ma mère, ne prend pas de décision sans m’en parler. Aie confiance dans le fait que je trouverais comment te soutenir. Sois sûre que je serais là pour toi ou que je t’empêcherais de faire quoi que ce soit d’inconsidéré. Mais s’il te plaît… viens à moi d’abord.”

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Que je le veuille ou non, j’ai toujours été particulièrement égoïste. Que cela soit en rapport avec mes choix professionnels ou ceux concernant ma vie privée. C’est le poids que portent tous les enfants uniques, nous devons apprendre à faire les choses seuls et pour nous-mêmes. Peu de gens le comprennent et ce n’est pas grave. Je réalise simplement aujourd’hui que l’homme que j’ai épousé cherche à comprendre mes méthodes de fonctionnement tout en essayant de me faire changer un peu. Même si je sais pertinemment que j’ai des efforts à faire dans bien des domaines, il y a des fois où je suis tout simplement fatiguée de devoir essayer de changer qui je suis.
Laisser quelqu’un d’autre donner sa voix dans mon champ des possibles n’est pas quelque chose d'inné pour moi et bien que j’ai essayé à de multiples reprises par le passé (ou même encore récemment), je dois admettre que je n’y arrive pas vraiment.

Je quitte ses bras et me lève en l’entendant me demander ce qu’il nous reste si nous ne prenons pas les grandes décisions ensemble. Pourquoi ne veut-il pas simplement accepter que l’arrivée des enfants n’était pas un choix mais une obligation ? Une responsabilité qui m’était incombée ?

J’ai le dos tourné lorsque je l’entends prononcer des mots qui ne lui ressemblent pas. Sur la tête de sa mère ? Sérieusement ? Quel âge a-t-il ? Quinze ans ? Il n’en faut pas plus pour que je me retourne et lui fasse face, les bras croisés sous ma poitrine. Aleks sait pertinemment que lorsque je prends une telle posture, l’avocate prend le dessus sur la femme que je suis et que rien de bon n’en adviendra.

– Tu vas laisser ta mère en dehors de ça, t’es gentil !

L’entendre me dire qu’il saura comment me soutenir me reste en travers de la gorge. Voilà des mois et des mois que nous n’en avons pas reparlé mais je sais très bien que c’est un sujet qui plane au-dessus de nos têtes depuis un trop long moment.

– Tu veux me soutenir, hein ? Comme quand je t’ai annoncé que j’étais malade ? Tu t’es plutôt bien démerdé à ce moment-là, tu ne trouves pas ?

C’est méchant, je m’en rendrais compte plus tard. Trop tard.

– Donc quoi ? Je ne te prends pas en considération ? Je ne t’écoute pas ? J’ai quitté Manhattan pour toi parce que je savais combien vivre en dehors du centre te tenait à cœur. Je t’ai soutenu quand tu m’as avoué avoir du mal avec ton nouveau poste de procureur adjoint. J’ai confronté ma mère pour toi parce qu’elle est cinglée et veut toujours avoir le contrôle sur tout. J’accepte sans un mot que tu vois ton ex-femme dont je sais que vous partagez des choses qui sont en dehors des possibles de mon champ d’action. Mais c’est encore à moi de me remettre en question ? Donc quoi, Aleks ? Mes meilleurs amis meurent, leurs mômes me reviennent mais je dois prendre le temps de considérer tes peurs ? Putain mais ouvre les yeux, Aleks ! J’avais pas le choix !

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Aleksej s’assit sur le canapé alors que Solveig venait de le quitter. Il se frotta le visage fébrilement. Pourquoi avait-il choisi de partager ses états d’âme aujourd’hui ? Après tout ce temps, il aurait pu simplement continuer à étouffer ses peurs. Qui a dit qu’on ne mettait pas de pommade sur une plaie ouverte ? Il aurait pu le faire. Il aurait dû. Il l’avait fait pendant plus de dix ans. Le bénéfice du doute s’était insinué en lui, il l’avait cru quand elle lui avait dit qu’elle pouvait tout entendre. Il aurait mieux fait de suivre son instinct.

Il savait que cette discussion ne serait pas la plus facile à avoir mais il n’imaginait pas la violence du retour de boomerang. Une claque en plein visage ne lui aurait pas fait plus d’effet que les paroles de Solveig. Il leva son regard vers elle, ses mâchoires se serrèrent au point de lui en faire mal. Ses épaules étaient tellement serrées qu’il pouvait sentir la tension jusque dans le bas de son dos. Quand Solveig lui avait annoncé qu’elle était malade, Aleksej avait paniqué. Aucun mot n’était suffisant pour exprimer la terreur qui s’était emparée de lui à l’idée de la perdre. Et pour la première fois, il avait cru que montrer sa vulnérabilité serait la meilleure preuve de son amour. Le résultat ? Solveig était partie et il ne lui était plus resté que la culpabilité et la haine de lui-même.

Une erreur de jugement qui lui avait coûté. Pas seulement son amour-propre. Sa confiance s’était esquintée. Pourtant, il continuait d’essayer. De placer l’honnêteté avant toute chose. Mais peut-être qu’il se fourvoyait. Plus les paroles de Solveig déferlaient et plus la gorge du danois se serrait. Il avait soudain l’impression d’avoir vécu une vie différente de la sienne. Dans l’esprit d’Aleksej, c’était elle qui avait décidé quand et où ils vivraient ensemble. Elle qui se dressait systématiquement contre sa mère. Parce qu’elle avait été tellement enthousiaste à l’idée de ce job qu’il l’avait accepté. Mais il n’était pas dans son état normal à cet instant. La brutalité des paroles de la jeune lui brouillait l’esprit. Dans d’autres circonstances, il aurait su faire la part des choses.

Elle ne s’arrêta pas là. Il avait fallu qu’elle mentionne Lena. Aleksej n’avait pas parlé à son ex-femme depuis plusieurs mois. Le fait qu’elle soit parti en tournée en Europe avait réglé la question. Il savait que Solveig n’avait jamais été à l’aise avec cette idée. Pourtant, il acceptait sans rechigner la présence de William dans leur vie et le fait qu’elle se confie à lui.

“Ça suffit…”

Il se releva du canapé. Ses jambes lui donnaient l’impression d’être en coton. La tête lui tournait légèrement. Il avait l’impression de perdre l’équilibre, que la gravité avait changé les caractéristiques de la pesanteur.

“Cette discussion s’arrête là.”

Il n’avait pas l’intention de se battre avec elle, il ne l’avait jamais eu. C’était l’opposé qu’il souhaitait. De toute façon, il n’en avait pas la force. Il sentait sa cage thoracique se comprimer contre sa poitrine. Ses pas le menèrent devant la baie vitrée. Il l’ouvrit, posa ses pieds dans la fine couche de neige et referma derrière lui. Le froid avait toujours eu le don de le calmer. Il prit une grande bouffée d’air. Ce n’était pas suffisant. Il avait l’impression qu’il lui en faudrait beaucoup plus pour remplir ses poumons. Ses oreilles bourdonnaient, ses yeux embrumés par le froid et la vivacité de ses émotions l’empêchaient de voir bien loin.

Mais il savait où était la mer. Il pouvait l’entendre et la sentir. Un pas de plus, puis un autre. Sans savoir comment, il avait traversé le jardin jusqu’à atteindre la plage. Ce n’est qu’au moment où les frêles vagues vinrent lui lécher les orteils qu’il réalisa où il se trouvait. L’eau était moins froide que la neige.

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Je ne veux pas que cette conversation s’arrête là. J’ai envie et besoin de continuer pour que nous puissions régler nos problèmes une bonne fois pour toute. Je sais que je suis responsable pour beaucoup d’entre eux mais je refuse de prendre la responsabilité de tout.
Il quitte la maison et je m’effondre. Voilà longtemps que je n’ai pas pleuré comme c’est le cas aujourd’hui. Jusqu’à maintenant, je ne pensais pas notre couple comme étant en danger mais le voir laisser tomber et préférer sortir que de répondre à mes accusations…

“Que tu le veuilles ou non, c’est ton partenaire, Solveig. Il t’apporte la stabilité dont tu as besoin sans même que tu t’en rendes compte.”

Les mots de Bedelia me reviennent en pleine figure alors que je viens de m’asseoir sur le canapé, les coudes appuyés sur mes genoux pour soutenir ma tête qui me semble bien lourde, tout à coup.

“Il partira.”
“Pourquoi ?”
“Parce que je finirai par le faire fuir…”

Tout allait si bien. Pourquoi a-t-il fallu que je reparle de ça ? Pourquoi a-t-il fallu que je cherche à apaiser les choses ? Apaiser les choses…je n’ai jamais su le faire avec personne alors pourquoi ai-je cru ne serait-ce qu’un instant que ça fonctionnerait cette fois-ci ?

Dieu merci, les enfants dorment. Je ne supporterai pas qu’ils assistent à ça.
Qu’adviendrait-il si Aleks laissait tomber ? S’il partait ? Il pourrait le faire. Il en aurait le droit. Je n’aurai jamais dû-

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Aleksej ne savait pas combien de temps il était resté debout à regarder l’embrun des vagues se dissoudre sur le sable. Il avait calé le rythme de sa respiration sur les allers et retours de la mer. C’était apaisant, régulier. Son souffle avait repris une certaine contenance. Comme si ses poumons avaient repris leur capacité normale. Ce n’est que lorsque les extrémités de ses doigts de pied commencèrent à picoter qu’il réalisa avec quelle soudaineté il avait quitté la pièce. Il avait beau être Danois et aimer le froid, son corps ne pouvait en supporter plus que de raison. Il reprit donc le chemin de la maison, résigné. Ses oreilles bourdonnaient toujours, frappées par la force du vent marin, sonnées par l’écho des paroles de Solveig qui résonnaient encore dans son esprit.

Avait-il été si mauvais en jugement ? Les reproches de la jeune femme se perdaient en ruminations. Était-il égoïste au point de ne pas avoir vu les signes avant-coureurs ? Avait-il laissé la naïveté nourrir l’idée d’une relation trop idéaliste ? Il devait se rendre à l’évidence, la vie n’était pas un conte de fées. Et son mariage ne ferait pas l’exception à la règle. Elle le lui avait pourtant dit, le mariage ne changerait rien à leur relation. C’était injuste de sa part de lui demander d’être à la fois son épouse, son amante et sa meilleure amie. Trop de pression également pour tenir toutes ces casquettes à la fois. À plusieurs reprises, elle l’avait mis en garde, elle ne pouvait pas porter la responsabilité d’être le centre de son existence.

Il ne l’avait simplement pas écouté. Il estimait que ce n’était pas un choix. C’était de cette manière qu’il l’aimait. Mais peut-être que c’était une idée qu’il fallait remettre en question. Sortir de sa zone de confort et tracer son propre chemin. Apprendre à se sociabiliser et accepter que l’idée d’être tout l’un pour l’autre était désuète. Il pensa un instant à Callie et Jens, là-bas au pays. Comme elle lui manquait, sa meilleure amie. Il avait pensé que son couple comblerait ce vide mais force était de se rendre à l’évidence. Peut-être qu’il était temps de se faire de nouvelles relations, ou de renouer avec les anciennes. ​

Il se mit à penser à Lena. À sa capacité de lire en lui comme dans un livre ouvert. Les choses étaient simples entre eux. Ce qui n’avait pas empêché leur couple de se briser en éclats. La chronologie des évènements avait été également différente. Lena avait été sa meilleure amie longtemps avant de devenir sa femme. Arrivé devant la porte-vitrée, il remonta son pantalon sur ses mollets pour éviter de mouiller tout l’intérieur de la maison. L’eau de mer était salée et laissait invariablement des traces sur le parquet. Le regard rivé sur le sol, regarder Solveig en face était trop difficile.

Il se dirigea vers la cuisine pour prendre une serpillère et s’attacha à nettoyer minutieusement derrière son passage.

“J’ai bien entendu tout ce que tu as dit. Je vais tâcher de faire de mon mieux pour prendre tout ça en considération à l’avenir et… améliorer mon attitude.”

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Lorsque je vois Aleks rentrer, la situation me semble surréaliste. Il a les mollets trempés, ce qui ne peut signifier qu’une chose : il s’est rendu au bord de la mer. Que pensait-il là-bas ? Que s’est-il dit ? Songe-t-il à partir ? Plus les secondes s’écoulent, plus je me dis que je le mérite. Il ne pourra pas continuer éternellement comme ça, j’en ai parfaitement conscience. Mon instabilité finira par avoir raison de nous, cela n’est pas possible autrement.

Aucun de nous ne prononce le moindre mot tandis qu’il commence à nettoyer les traînées d’eau qu’il laisse derrière lui en se déplaçant. J’avale difficilement ma salive, attendant de savoir à quelle sauce je vais être mangée. Va-t-il me dire qu’il en a eu assez ? Qu’accepter d’accueillir deux enfants qui ne sont pas les siens sans même avoir eu son mot à dire a été LA chose de trop ? Pense-t-il demander une annulation de mariage ? Croit-il que mon comportement embrasse l’idée que je ne l’aime pas suffisamment (alors que c’est tout le contraire) ?

Améliorer son attitude ? Pourquoi serait-ce à lui de le faire alors que c’est moi qui suis clairement en train de mettre notre vie de couple en péril ? Je secoue lentement la tête sans réussir à le regarder pour autant. Je ne me suis jamais sentie aussi seule sur ce fichu canapé. Nous qui avions l’habitude de nous cajoler dessus à peine arrivés à Montauk… Les choses ont bien changées, trop changées peut-être. Et j’en suis en grande partie responsable.

– Tout est de ma faute, finis-je par dire, la voix éraillée par les larmes.

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Aleksej portait toute son attention sur la propreté du plancher. D’aucun aurait pu voir là le comportement d’une personne psychorigide. Il y avait un peu de cela. Quand il se sentait submerger, Aleksej se focalisait sur les plus infimes détails. C’était sa manière à lui de fixer le fil de ses pensées. De les obstruer. Parce qu’il savait qu’il ne pouvait pas continuer à ressasser les paroles de Solveig, les évènements de ces derniers mois voire années. Parce qu’il finirait par tout remettre en question. Pourtant c’est bien ce que l’expression brisée de la jeune femme le poussait à exhorter. Tout… mais tout quoi ? Tout où et tout quand ?

Il laissa là la serpillère et pris le chemin du salon. Tant pis pour l’eau, le sel, le sable. En l’incitant à ouvrir le dialogue, Solveig l’avait également encouragé à ouvrir la boîte de Pandore. Mais c’était lui qui avait pris la décision. Lui qui avait choisi de parler plutôt que de se taire. À présent, il lui fallait prendre ses responsabilités et aller au bout de la mêlée, même si la partie rationnelle de son cerveau le sommait de se retirer, d’éviter à tout prix l’échauffourée. Son intelligence émotionnelle prenait le contre-pied. Elle lui hurlait que son amour n’aurait la valeur que de son honnêteté. Il prit place sur le canapé, un bras appuyé sur le dossier, il se frottait les tempes, espérant peut-être que ça lui apporterait une quelconque clairvoyance de la situation.

“Je pense que nous sommes allés trop vite. Tout est allé trop vite…”

Il formulait une hypothèse. Cherchait une explication qui ne jetterait la faute ni sur l’un ni sur l’autre. Une manière cartésienne d’expliquer comment ils en étaient arrivés là. Si tant est qu’il puisse dire où cela était exactement. Avaient-ils suivi le même chemin ? Il n’en était pas tout à fait certain. Pourtant, ils se trouvaient à présent au même croisement.

“Ces deux dernières années ont été relativement éprouvantes et je crains que nous ne nous soyons précipités… Parfois par peur, parfois par facilité. Peut-être aussi par orgueil.”

L’amour pouvait rendre arrogant. Et l’ardeur des sentiments vous pousser à l’impulsivité. Il vous faisait tantôt confondre le courage et la témérité.

“J’ai conscience d’avoir ma part de responsabilités. Je sais que je peux parfois me montrer impatient. Souvent… ”

Il avait voulu tout, tout de suite. Il était littéralement tombé en amour pour elle et il ne remettait pas en question la nature de ses sentiments. Il avait su au premier baiser qu’elle était la femme de sa vie. Mais la force de ses inclinaisons lui avait fait oublier qu’on ne construisait pas une relation sur un cœur qui bat à vous en arracher la poitrine ou des papillons qui vous chatouille le ventre.

“Ce que tu as dit tout à l’heure… ça m’a d’abord mis sur la défensive. Et puis je me suis senti confus… désemparé… Parce que je n’avais pas réalisé avant à quel point notre vie à deux te coûtait. J’en suis sincèrement désolé. Ce n’est pas ce que je voulais pour nous…”

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Je déteste entendre Aleksej me dire que nous sommes allés trop vite, que nous nous sommes précipités dans notre relation mais je sais qu’il a parfaitement raison. C’est comme si nous avions cherché à aller plus vite que la musique. Le confinement à l’époque nous a clairement forcé la main sans que nous prenions le temps de ralentir la cadence depuis cette époque.
Maintenant que ce constat terrible est fait, qu’il est là, posé sur la table, qu’advient-il de nous et de nos sentiments ? Qu’allons-nous faire ? Aleks me dit-il tout cela pour en arriver à la terrible conclusion qu’il faudrait qu’on recule ? Va-t-il me dire que nous avons besoin de temps, que nous avons la vie devant nous ? J’ai peur. Oui, peur de l’entendre me dire que prendre le temps, chacun de notre côté, de peser le pour et le contre de notre histoire est la meilleure solution. Je n’imagine pas me lever sans lui le matin. Je n’imagine pas n’avoir personne à mes côtés. Je ne m’imagine pas ne pas passer ma main dans ses cheveux le soir quand il est en train de lire l’un de ses romans danois dont - malgré tous mes efforts - je ne comprends pas trois mots à la suite.

– Que suggères-tu ?

Pourtant du genre à toujours vouloir tout contrôler, à toujours avoir mille et une idées…non, cette fois-ci, je veux que cela vienne de lui. Pourquoi ? Parce que j’ai cette fichue peur qui me paralyse de l’intérieur. Si quelque chose de terrible doit être décidé, je refuse d’en être responsable. C’est particulièrement égoïste, j’en ai conscience mais je n’aurai pas la force d’assumer une telle charge. Pas alors que lorsque je regarde cet homme, je vois toute ma vie.

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La tête appuyée sur la main, Aleksej frotta sa barbe soucieusement. Son regard se posa finalement sur Solveig. Il était incapable de savoir ce qu’elle pensait à ce moment. Il voyait bien le trouble dans son regard mais elle restait insondable. Elle n’avait pas moufté mot et l’avait laissé parlé. Devait-il prendre cela comme un consentement à ce qu’il disait ? Ou est-ce qu’il était le seul à voir dans le déroulement de leur vie un problème ? Peut-être qu’il imaginait tout, qu’il avait un réel problème de paranoïa ou d’insécurité. Pourtant, la virulence des propos qu’elle avait tenu plus tôt ne laissait pas vraiment penser que tout allait bien dans le meilleur des mondes.

“Je n’ai pas de solution miracle…”

Il ne savait pas quelle direction prendre pour retrouver ce qui les avait unis au départ. Ce pourquoi leur attention s’était soudain tournée mutuellement sur l’autre. Elle avait été une épine dans son pied jusqu’à ce qu’il la voit sous un autre jour. Il avait entrevu la femme derrière le masque, derrière le nom et la réputation. Elle avait su contourner le mur qu’il dressait entre lui et le monde et l’avait touché durablement.

“Je ne sais pas quoi faire. Ni ce que tu attends de moi. Tu ne me parles plus…”

Il avait l’impression d’être mis au banc. Qu’elle lui avait fermé les portes de son intimité, lui coupant l’accès à ce qu’elle ressentait profondément et le laissant tâtonner à l’aveuglette pour essayer de ​​deviner quelle était la bonne marche à suivre. Mais il ne pouvait pas continuer d’avancer au petit bonheur la chance. En équilibre sur un fil, chaque pas restait précaire et le moindre écart provoquerait leur chute.

“Avant tu te confiais… au début. Depuis l’opération… j’ai l’impression d’avoir perdu ta confiance. C’est ça ou alors on se fourvoie tous les deux en pensant que l’autre peut deviner toutes nos pensées…”

L’amour était une chose. L’expérience en était une autre. À l’échelle de leur vie, Solveig et Aleksej n’avait pas passé tant de temps ensemble que ça. Il y avait encore tellement de choses à apprendre l’un sur l’autre. C’était idéaliste de penser que le mariage représenterait un acquis. Ils n’étaient encore qu’aux balbutiements de leur relation. Et peut-être qu’il leur manquait la force du temps. Tous les deux marchaient sur des œufs par manque d’informations. À force d’interprétations, la longueur d’ondes sur laquelle ils étaient censés se trouver se distendait.