One day baby, we'll be old

Les jours passaient et se ressemblaient, inexorablement. Et ça n’allait pas mieux. Hayden, Solveig et moi restions très affectés par le décès de Mark et d’Alice. Alors ne parlons même pas des enfants… La cérémonie avait été une véritable épreuve. Une incompréhension aussi. Comment pouvions-nous faire nos adieux à des personnes aussi jeunes, à ceux qui avaient partagés avec nous nos joies et nos peines ? Et voilà qu’il laissait derrière eux deux enfants. Si Tim était trop jeune pour se rendre compte des choses, il cherchait ses parents du regard, conscient que quelque chose avait tout de même changé. Ellie, elle, paraissait inconsolable. Alors nous avions décidé d’être forts, tous les trois, pour soutenir ces enfants dont nous avions toujours été fous.

Hayden me donnait le sentiment d’être un enfant en peine. Lui qui se montrait naturellement enjoué, extraverti, et d’une immaturité qui amusait souvent la galerie, il ne semblait être plus que l’ombre de lui-même. Comme si, finalement, c’est lui qui parvenait le moins à faire face à la situation. Disons que Solveig et moi parvenions davantage à cacher notre douleur. Et contre toute attente, malgré nos disputes incessantes, cette épreuve nous avait rapprochés, d’une certaine manière. L’italienne voyait son quotidien basculé avec l’arrivée de deux enfants et si je savais à quel point il pourrait être difficile pour elle d’allier son ancienne vie à la nouvelle, j’étais persuadé qu’elle avait la force et la volonté nécessaires pour se débrouiller, sans rechigner à la tâche. Alors je lui filais des coups de main, comme je le pouvais, en les gardant parfois. Je savais que cela déchargeait Solveig qui pouvait ainsi se reposer. Seulement, je n’aurais jamais admis devant elle que c’était pour cela, elle ne l’aurait pas accepté. Alors j’avais trouvé un prétexte. Après tout, Saeed et Ellie ont toujours été très proches, du fait de leur âge identique. Je pouvais donc garder la fillette chez moi pour l’après-midi ou la journée entière, sans que cela paraisse étrange, puisque cela se faisait bien avant le décès de Mark et d’Alice.

Et voila qu’il était temps de trier les affaires dans la maison. Une épreuve difficile pour les grands-parents des enfants, si bien que nous avions décidé, Hayden, Solveig et moi, de nous en charger. Cela n’était pas vraiment plus simple pour nous, mais une part de nous en avait certainement besoin. Alors voilà que nous étions tous les trois présents dans cette maison que nous connaissions si bien, à trier les affaires entre ce qui pouvait être jeté, donné ou conservé. C’était particulier. Vraiment. Mais ce ne fut rien lorsque je sortais d’une armoire une grosse boîte qui contenait de nombreux souvenirs. Des souvenirs qui nous touchaient tous les trois puisqu’ils dataient d’il y a dix ou quinze ans. Une période où nous étions plus jeunes, plus insouciants, où nous avions encore tout à construire, tout à vivre.

Mes yeux bleus s’attardèrent sur une photo où nous apparaissions tous les cinq. Je tentais de me remémorer ce souvenir. Je retournais la photo et lisais « Thanksgiving 2008 », avant de m’attarder à nouveau sur nos visages. Un sourire nostalgique se dessina sur mes lèvres. Nous avions décidé de le fêter juste entre nous parce que finalement, nous formions une famille. A cette époque, je travaillais déjà au NYPD et Solveig était dans sa dernière année d’études. 2009 devait être une grande année : un mariage et un diplôme de droit. Et à en juger par la façon dont nous nous observions sur cette photo, Lazzari et moi étions très amoureux et persuadés, à cet instant, que nous passerions toute notre vie ensemble. Disons que tout ne s’était pas déroulé exactement comme nous le souhaitions.

- Ca fait très « Friends » ou « How I Met Your Mother », cette photo de nous cinq. Il faut toujours le célibataire beau gosse. , lança Hayden, par-dessus mon épaule, avec un brin d’arrogance.
- Ouais, celui qui est complètement immature. C’est vrai., répliquais-je avec moquerie, ce qui valu un rire de la part d’Hayden. Un sourire se dessina à nouveau sur mes lèvres. J’étais heureux de l’entendre rire à nouveau, même si ce n’était que passager. Mon meilleur ami m’arracha la photo des mains et la tendis à Solveig.
- Aller Sol, avoue. A cette époque, je ne t’attirais pas juste un p’tit peu ? Regarde moi cette gueule d’ange., lança-t-il avec un sourire théâtralement charmeur, ce qui me fit lever les yeux au ciel. Même à l’époque, pour me faire chier, Hayden s’amusait à draguer Solveig même si nous savions tous les deux que bien qu’il la trouve très séduisante, il n’irait jamais tenter quoi que ce soit avec celle dont j’étais fou amoureux, si bien que je n’avais jamais fait preuve d’une quelconque jalousie. Et puis, ils étaient si amis qu’envisager quoi que ce soit aurait été trop particulier. Surtout quand on connaît le tableau de chasse d’Hayden…

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– Je n’avais d’yeux que pour celui-là, dis-je en faisant un mouvement de tête vers William.

Hayden est un bel homme mais c’est un charmeur et ça, je l’ai compris dès notre rencontre. Autant dire que rien n’aurait jamais pu se passer entre nous, surtout que le seul homme auquel je pensais matin, midi et soir à cette époque, c’était Will.


Ces dernières semaines ont été un mix d’enfer et d’incompréhension. Le décès de Mark et Alice nous a tous forcés à remettre certaines choses en perspective et à re-parler de choses que personne n’avait osé aborder depuis très longtemps. Même si ça a été douloureux, je pense que c’était nécessaire. Bien qu’étant amis, nous avons passé tellement de choses sous silence au cours de ces dernières années… Je trouve terrible qu’il ait fallu perdre Al et Mark pour en arriver là.

J’ai la tête dans les cartons mais mon esprit est ailleurs. A vrai dire, il reste bloqué sur les récentes conversations que j’ai pu avoir avec Bernadette Porter, la mère d’Alice. Bien que les enfants m’aient été confiés pour le moment, je ne suis pas certaine que Bernie ne fasse pas tout ce qui est en son pouvoir pour me les retirer. Et bien qu’Aleks veuille m’épauler, j’ai l’impression qu’il ne serait pas contre cette idée non plus.

– Bernie veut me les retirer, dis-je brusquement tandis que mes yeux viennent de se poser sur une photo du mariage d’Al et Mark. Je me souviens encore du jour où Mark a demandé à Alice de l’épouser. Nous étions tous présents. Un bref sourire parcourt mes lèvres en repensant à la tête de Mark lorsqu’Alice lui a dit “oui mais tu porteras mon nom de famille”. Mark n’a même pas cherché à se battre là-dessus parce qu’il savait qu’il ne gagnerait pas. Sans compter que le nom Porter rendait mieux qu’Alberton.

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Entendre Solveig lancer à Hayden qu’à cette époque, elle n’avait d’yeux que pour moi, flatta clairement mon égo. Oh, bien évidemment, je n’avais jamais douté des sentiments qu’avaient pu me porter l’italienne, à cette période de notre vie. Mais faire taire un gars comme Hayden, c’était très plaisant. Oui, il avait toujours eu un grand succès avec les femmes et en avait toujours profiter. Il pouvait bien évidemment faire ce qu’il voulait, seulement, il avait toujours eu tendance à se vanter de son « tableau de chasse ». Autant dire que je n’aurais jamais supporter que ma sœur jumelle tombe entre les mains d’un gars comme lui, tout simplement car une femme n’était – encore aujourd’hui, qu’un trophée de plus. J’aime Hayden comme un frère. Mais clairement, je lui souhaite de tout cœur de tomber, un jour, amoureux.

Nous étions, lui et moi, très différents et ce, bien que nous ayons cohabité ensemble quelques années. Comme lui, je sais que je peux attirer les regards. En revanche, je n’ai jamais été friands des aventures d’un soir. Et bien que j’aie pu avoir quelques aventures sans lendemain, elles n’avaient clairement pas été nombreuses et je n’avais pas jamais trouvé ça aussi excitant qu’Hayden. Faire l’amour était, à mon sens, si intime qu’il était important d’avoir des sentiments. Du moins, cela était nécessaire pour moi. Finalement, c’est peut-être cette différence qui avait fait qu’à cette époque, Solveig était tombée dans mes bras, plutôt que dans les siens.

Quoi qu’il en soit, je tournais la tête vers Hayden et lui adressais un sourire d’une profonde arrogance. Il haussa les épaules pour traduire son désintérêt, ce qui m’amusa beaucoup. Oui, Hayden aime se faire mousser. « Ouais, ba on se demande bien pourquoi. », répondit-il en m’adressant un doigt d’honneur avec toute la discrétion du monde. Je lui mimais un bisou silencieux en guise de réponse. De vrais enfants, vraiment. Puis mon regard se reporta sur Solveig, qui, le nez dans les cartons, venait de lâcher une parole lourde de sens, comme ça, dans le plus grand des calmes, comme elle pouvait en avoir l’habitude.

- Pardon ?, répondis-je, abasourdi. Nous connaissons tous les parents d’Alice. Et jusqu’à preuve du contraire, nous nous sommes tous toujours appréciés. Les évènements importants de nos deux amis nous avaient poussé à nous rencontrer à plusieurs reprises. Nous avions appris à nous connaître et c’est sans me mouiller que je pouvais affirmer qu’ils nous aimaient beaucoup. « J’irais leur parler, si tu veux. », lui lançais-je avant de prendre place à côté d’elle et de poser, à mon tour, mon regard sur cette photo de mariage. La mère d’Alice m’a toujours adoré, c’est un fait. Bien évidemment, je savais que ses bons sentiments à mon égard ne suffiraient pas.

Il était inutile de demander à Solveig ce qu’elle souhaitait, au plus profond d’elle. Inutile car je savais qu’elle voulait conserver la garde d’Ellie et de Tim, aussi étonnant cela aurait pu me paraître, il y a encore peu de temps, quand on sait qu’elle n’a jamais été très à l’aise avec les enfants. Mais on change tous. Je tournais la tête vers Solveig et croisais son regard. Alors, je lui adressais un fin sourire, avant de l’attirer contre moi et de déposer un baiser sur sa tempe. « C’est à toi qu’Alice et Mark ont confié leurs enfants. Tu les as vu grandir. Ils t’aiment. Tu as une bonne situation. Et puis, il y a Aleks. Vous allez pouvoir leur offrir tout l’amour et la stabilité donc ils ont besoin. » A mon sens, on ne pouvait pas retirer les enfants à Solveig. Et si j’en étais persuadé, c’est que je connaissais bien le sujet, que ce soit de par mon métier que le fait que pendant des années, je me suis trouvé dans une procédure d’adoption pour Stan. Je sais sur quoi le juge des enfants peut se montrer frileux. Et l’âge avancé des parents d’Alice le fera tiquer. « Tu ne perdras pas leur garde. On fera tout pour que ça n’arrive pas. Et il n’y a aucune raison que ça puisse, seulement, être envisagé. La seule chose qu’on peut tenter, c’est que les parents d’Alice ne vivent pas aussi mal cette situation. » Car ils restaient les grands-parents et il était normal qu’ils gardent une place privilégiée pour dans leur vie.

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A entendre William, tout devrait aller comme sur des roulettes concernant les enfants. Malheureusement, il ne voit pas l’envers du décor que j’ai caché à tout le monde hormis à Aleksej qui fait partie intégrante de cet envers. Tu as une bonne situation. Et puis, il y a Aleks. Si seulement il savait… J'aimerais être capable de lui dire toute la vérité, de lui parler des doutes qui assombrissent le regard de l’homme que j’ai épousé à chaque fois que nous parlons de l’avenir des enfants. J’ai beau me répéter en long, en large et en travers qu’il faut que je crois ce qu’Aleksej me dit, je ne peux pas m’empêcher de me poser des questions. Le seul fait qu’il n’ait pas été capable de me dire si oui ou non il voulait des enfants…oui, ça m’inquiète. J’ai parfaitement conscience que la situation dans laquelle nous sommes aujourd’hui ne faisait aucunement partie de nos plans lorsque nous nous sommes mariés mais je n'avais pas exactement prévu de perdre mes meilleurs amis dans un accident de la route.

Avant que je ne puisse l’en empêcher, je sens une larme couler le long de ma joue tandis que mes yeux n’arrivent pas à quitter cette fichue photographie. Ils étaient trop jeunes pour mourir. Ce n’est pas juste. Ellie et Tim sont trop jeunes pour perdre leurs deux parents d’un seul coup. Bon sang, Tim ne se souviendra même pas d’eux si ce n’est qu’au-travers des photos qu’on pourra lui montrer au fil des années. Et Ellie ? Elle est suffisamment âgée pour se souvenir. Que lui dira-t-on dans quelques années lorsqu’elle hurlera à l’injustice ? Quand elle me regardera droit dans les yeux en hurlant que je ne suis pas sa mère et que je n’ai pas à lui dicter sa conduite ? Je ne suis pas naïve au point de croire que cela n’arrivera pas. Je l’ai suffisamment vu avec des clients lorsque j’étais avocate.

– C’est injuste… finis-je par dire.
– Sol.

Je relève la tête en entendant Hayden m’interpeller.

– Je suis désolée de la façon dont j’ai-
– On était tous sous le choc. Tu as fait ce que tu as pu.
– J’aurai dû faire mieux que ça, Hayden.
– Je ne t’en veux pas.

Tu devrais. Voilà la seule pensée qui me vient mais que je ne vocalise pas.

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J’étais effectivement assez loin d’imaginer que la garde des enfants puisse ne pas être aussi évidente pour les jeunes mariés que sont Solveig et Aleks. Disons qu’entre l’italienne et le danois, je pensais naïvement qu’avoir des enfants ne pouvaient être une véritable épreuve que pour elle, puisqu’il était clair que Svendsen adorait la présence de mômes, en général. J’avais donc du mal à imaginer qu’il puisse freiner des quatre fers à l’idée d’accueillir Elizabeth et Tim, au sein de leur couple. Mais les choses ne sont pas aussi simples. Disons simplement que je ne prenais pas le temps de penser à tout cela car à mes yeux, les enfants restaient la priorité.

La larme qui coula le long de sa joue ne passa cependant pas inaperçue. Je détestais voir Solveig dans cet état. Encore aujourd’hui. Je la connaissais suffisamment pour comprendre que le décès brutal de Mark et d’Alice n’était pas l’unique raison de sa tristesse. Elle se mettait à douter. A douter de tout ce que pouvait engendrer la garde des enfants et ce, même si elle n’y renoncerait pas. Solveig n’a jamais été du genre à tourner cent ans autour du pot. Si cela lui avait posé problème au point de ne pas pouvoir assumer leur garde, elle m’en aurait déjà fait part et nous aurions trouvé une solution ensemble. Non. C’était plus profond que ça.

- Hey, tout va bien se passer, d’accord ?

Je m’étais placé devant elle et avait fixé mon regard au sien, afin qu’elle s’y concentre. Solveig prenait sur elle et je savais qu’elle était susceptible de se transformer en bombe à retardement. Il fallait qu’elle comprenne qu’elle n’était pas seule, qu’Hayden et moi étions prêts à l’épauler, quoi qu’il arrive.

- Je vois bien que t’es en train de douter de mille choses. Devenir la tutrice des enfants ne signifie pas que tu dois te démerder toute seule. On est là nous. Alors exprime toi sur tout ce qui peut te tracasser et on va trouver des solutions, d’accord ?

J’étais conscient qu’il ne serait pas simple pour Solveig de livrer tout ce qu’elle pouvait avoir sur le cœur. Mais il n’était pas sain qu’elle garde tout pour elle pour montrer qu’elle était assez forte pour tout tenir à bout de bras.

- Garde pas tout pour toi. Sinon ça va finir par te revenir en pleine face. Alors vide ton sac. Tu sais qu’on ne te jugera pas.

Hayden, comme pour confirmer mes paroles, s’était rapproché d’elle et avait posé sa main sur son épaule après lui avoir adressé un sourire bienveillant.

- Oui, on est là.

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En entendant Will me dire qu’il est prêt à aller parler aux parents d’Alice, je fonds littéralement en larmes. Incapable de me retenir davantage, j’ai besoin d’ouvrir les vannes et d’admettre que je suis à bout de nerfs. L'arrivée de Tim et Ellie a tout bouleversé mais cela ne signifie pas pour autant que je regrette de les avoir pris sous ma responsabilité. C’est juste que depuis le décès de Mark et Alice, tout va de travers et j’ai peur de la façon dont Aleks et les parents d’Alice réagissent face à tout cela. J’ai l’impression de devenir folle, d’être la seule qui pense que je peux vraiment m’occuper des enfants. Alors, évidemment, entendre Will me soutenir…oui, ça me remue.

– Je…je ne comprends plus rien. Pendant toutes ces années, j’étais au clair avec moi-même : je ne voulais pas d’enfant. Pourtant, aujourd’hui, dès qu’on sous-entend que je ne peux pas les élever, j’ai envie d’arracher la tête de tous ceux qui me disent ça.

Loin de moi d’essayer de convaincre les autres que je suis capable de quelque chose, ce n’est pas le sujet. Ce n’est pas une question de capacité ou non. Je veux simplement que les gens comprennent que je ne me vois pas faire autrement. Je suis parfaitement incapable de dire “d’accord, laissons les enfants à leurs grands-parents”. Primo, ce sont des gens d’un certain âge. Secundo, que chacun le veuille ou non, c’est à moi qu’Al et Mark ont confié leurs enfants et personne d’autre. Après tout, s’ils avaient changé d’avis, ils me l’auraient dit, nous aurions fait modifier les papiers et fin de l’histoire. Or, cela ne s’est jamais produit. Ca doit bien vouloir signifier quelque chose, non ?

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Solveig finit par fondre en larmes. Je sais qu’Hayden déteste voir les gens pleurer. Ça a tendance à le mettre mal à l’aise, tout simplement parce que ça le rend lui-même triste et qu’il peine à extérioriser les choses. Et j’ai toujours peiné à voir mes proches pleurer pour exactement la même raison. A croire que nous ne nous considérons pas comme des frères pour rien. Mais cette fois-ci, je ne peux m’empêcher de penser que le fait que Solveig fonde en larme est une bonne chose. Il est temps qu’elle puisse vider son sac, qu’elle laisse les émotions prendre le dessus pour pouvoir prendre le recul nécessaire sur la situation. Enfin, elle accepte de se dévêtir de cette carapace, de laisser les larmes couler et les mots traverser ses lèvres avec sincérité. Comme quoi, elle arrive encore à me surprendre malgré les années.

Oui, Solveig a toujours été au clair sur le fait qu’elle n’avait jamais voulu d’enfants. Peut-être parce qu’à l’époque, elle imaginait que si elle devait en avoir, ce serait avec moi, et qu’elle considérait que je n’étais pas la personne la plus appropriée pour tenir le rôle du père. Peut-être qu’aujourd’hui, elle se sentait prête à franchir ce cap avec Aleks. Quoi qu’il en soit, la force de ses propos me touchèrent, bien malgré moi. Un léger sourire se dessina sur mes lèvres.

- Y a rien à comprendre. T’es juste prête à avoir des enfants, et tu te transformes en louve.

Solveig avait toujours pris l’habitude de vivre pour elle. Aujourd’hui, elle acceptait de laisser deux enfants devenir sa priorité. Elle était prête à devenir mère – bien qu’elle trouve important de se qualifier avant tout comme étant « tutrice » d’Ellie et de Tim. Grand bien lui fasse. La réalité, c’est qu’elle était désormais prête à aller faire la guerre pour ces petits êtres qu’elle avait vu grandir. Ces enfants auxquels on s’était attaché, et qui nous rappelaient tant Alice et Mark.

Au fond, j’étais heureux que Solveig puisse enfin ressentir ce genre de choses qui lui étaient jusqu’alors inconnues. Cela avait été l’une de nos plus grandes différences. Ce côté « louve », je l’avais depuis plusieurs années, avait indéniablement creusé un fossé entre nous deux. Aujourd’hui, elle était capable de comprendre ce besoin qui m’animait de toute faire pour prendre soin de ma tribu.

- Et tu te débrouilles déjà très bien. Ne laisse personne te faire douter de ça. Tu vas tout défoncer.

Hayden croise les bras contre sa poitrine avec un air de guerrier.

- Et on peut casser la gueule à ceux qui te feront croire que t’en es pas capable.

Je hochais la tête avant de me raviser.

- Ouais, non. On se contentera de rayer leur voiture., répliquais-je en levant les yeux au ciel.
- T’en as perdu, vraiment.
- Mais ferme-là…, soupirais-je. Voilà quand deux gamins essaient de faire sourire une amie au plus mal. Je reposais mon regard sur Solveig et l’attirais contre moi. Hayden vint se joindre à nous pour un câlin collectif.

- Regardez-moi la tronche des trois mousquetaires.
- Ta gueule, Hayden.  

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Heureusement que je ne suis pas seule et que ces deux-là sont à mes côtés à cet instant précis. M’ayant toujours considérée comme quelqu’un de particulièrement solide et forte, je n’ai jamais eu pour habitude de laisser mes émotions à vue comme maintenant. Oui, même devant Will. Bien-sûr, lorsque nous étions en couple, je faisais des efforts mais il m’était presque impossible de m’ouvrir totalement. Il en est toujours de même avec Aleksej. J’espère que cela changera, d’ailleurs. C’est un travail que je dois faire sur moi. Mon mari n’y est strictement pour rien, au contraire même, il essaie toujours de faire en sorte que je me sente suffisamment en confiance pour me laisser aller. Malheureusement, il aura beau faire tous les efforts du monde, le rôle me revient.

Un petit rire bref – mais pourtant bien là – passe la barrière que sont mes lèvres. Entendre Hayden et Will se chamailler me fait du bien. Ça me soulage. Grâce à eux, le temps d’un bref instant, j’oublie l’enfer dans lequel nous sommes tous les trois plongés depuis la disparition d’Alice et Mark.

– Je veux juste faire ce qu’il y a de mieux pour eux…sans trahir Al et Mark.

Difficile pour moi de m’expliquer plus clairement à cet instant. J’entends bien quand Aleks essaie de me faire comprendre que oui, peut-être que les laisser sous la garde de leurs grand-parents serait la bonne chose à faire mais je ne parviens pas à m’y résoudre. Alice ne m’a pas fait signer ces fichus papiers pour rien toutes ces années auparavant. Je lui dois – à elle et Mark, d’ailleurs – de respecter cet engagement. Sans parler du fait que je ne me vois pas laisser quelqu’un embarquer les enfants. Je m’en sens parfaitement incapable et ce, même si cela peut paraître fou venant de moi.

– Vous serez toujours là, hein ?

Ca non plus, ça ne me ressemble pas. Que je le veuille ou non, le décès brutal du couple m’a fait réaliser à quel point il était facile de perdre les gens qui ont toujours été là. J’avais déjà eu ce sentiment lors de la disparition de mon père mais aujourd’hui, avec Alice et Mark…c'est très différent. Ils étaient toujours là, ce qui n’était pas le cas de mon père.

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Hayden et moi semblons satisfaits d’entendre un rire, si bref soit il, franchir les lèvres de Solveig. Comme si nous avions remporté une petite victoire, finalement. Nous nous observâmes un instant et échangeâmes une pensée commune : il fallait que nous restions vigilants concernant Lazzari. Il était hors de question de la laisser seule, dans une galère. Nous n’étions plus que trois sur cinq. Mais plus que jamais, nous devions rester soudés, coûte que coûte, comme nous l’avions finalement toujours été depuis de bien nombreuses années. Des amis qui le resteraient probablement pour toute une vie.

- Et tu te débrouilles très bien comme ça, cesse d’en douter., lui affirmais-je avec sincérité.

Je fus quelque peu surpris d’entendre la question de la jeune femme, nous demandant si nous serions toujours là, que nous ne partirions pas tragiquement, comme cela avait été le cas pour Alice et Mark. Leur décès avait été si soudain, si choquant qu’il était normal d’en être choqué et de craindre que cela puisse arriver à nouveau, avec d’autres proches. Je comprenais la peur de Solveig, car je la partageais, même si je ne l’exprimais pas. Une crainte que j’avais eu, cet été, lorsque j’ai vu Morgana entre la vie et la mort, devant moi. Une crainte qui s’était accentuée ce soir là, lorsque Lazzari m’a appelé pour m’expliquer que je devais la rejoindre à l’hôpital, tout de suite, parce que deux de nos meilleurs amis venaient de…

Je me ravisais, chassant ces pensées de mon esprit. Si ces craintes m’envahissaient, il était hors de question que je les laisse prendre le contrôle. Au contraire, il était nécessaire de soutenir Lazzari dans cette épreuve. Non pas qu’elle ressentait plus de tristesse qu’Hayden et moi. Mais c’est sa vie à elle qui était le plus bouleversée par les évènements. Et ça, ça pesait forcément dans la balance.

- Bien sûr qu’on sera toujours là. Tu sais, on est ce qu’on appellerait… des mauvaises herbes. On ne se débarrasse jamais de nous.

C’était on ne peut plus vrai pour moi. Solveig n’en avait peut-être pas conscience, mais lors de ma carrière (qu’elle soit militaire ou bien au sein du NYPD) quand je liste toutes les fois où j’aurais pu – où j’aurais dû, perdre la vie, croyez-moi, on finit par se persuader être une mauvaise herbe. Les médecins préfèrent dire que j’ai la tête dure. Peut-être. Quoi qu’il en soit, parfois, j’avais le sentiment d’être invincible, miraculé, ou tout simplement maudit.

- Bon, et si on s’y remettait ? Ces affaires ne vont pas se trier toutes seules.

J’adressais un sourire rassurant à Solveig.

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“Cesse d’en douter”... Dieu sait que j’aimerai arrêter de remettre toutes mes décisions en question, surtout en ce moment. Malheureusement, cela semble plus fort que moi. Et si je gardais les enfants avec moi pour les mauvaises raisons ? Et si je n’en étais pas capable ? Et si Aleks finissait par claquer la porte parce que je continue de n’en faire qu’à ma tête ? Toutes ces questions et bien d’autres encore tournent en boucle dans ma tête au point de m’en filer des insomnies.

Impossible de ne pas esquisser un sourire en entendant Will me dire que lui et Hayden sont comme des mauvaises herbes et que je ne parviendrai jamais à me débarrasser d’eux. J’imagine qu’il est rare de dire cela quand on pense aux mauvaises herbes mais je suis particulièrement contente de les avoir avec moi.
Je sais qu’Aleks a un peu de mal avec ça (ce que je comprends parfaitement) mais le fait est que Will, Hayden et moi avons un lien indéfectible. Quelque chose que rien ni personne ne pourra détruire. D’autant plus après ce qu’il s’est passé. Même si par le passé j’ai pu imaginer ma vie sans Will, tout a changé et cela me semble aujourd’hui absolument impossible.

J’écoute Will et acquiesce lorsqu’il me fait remarquer que nous avons encore du travail. Je n’ai pas envie de m’y remettre et je sais que les garçons non plus mais nous n’avons pas le choix. On le doit à nos amis.


Ce n’est que bien plus tard dans la journée que nous prenons enfin une vraie pause. Tous attablés dans la cuisine, un café devant nous, nous avons l’air épuisés autant physiquement que moralement.

– Qu’est-ce qu’ils voulaient faire de la maison ?

J’ai bien conscience que ces choses-là ont déjà été discutées mais j’ai tendance à avoir oublié les trois-quarts des informations à ce sujet. Peut-être est-ce parce que ça me peine…

– Je veux dire...il y a tellement de potentiel. Tellement de terrain. Et puis...c'est calme comparé à Manhattan.