A chaque fois qu'elle avait rendez-vous chez sa psychiatre, Natalia passait devant une agence de voyage et à chaque fois son cœur se serrait. Ce n'était pas l'agence en elle-même qui la rendait soudainement triste, c'était plutôt le souvenir que cela lui rappelait. Sa fille avait toujours voulu voyager et Natalia lui avait alors promis qu'elle l'emmènerait à Cuba dès qu'elle fêterait son seizième anniversaire. Elle aurait eu quinze ans maintenant et dans un an elle aurait pu l'y emmener. Mais Eve n'était plus à cause de cet accident et cette agence de voyage n'était qu'une des multiples choses qui lui rappelait ce fait douloureux.

Quatre s'étaient écoulés depuis le drame mais Natalia ne parvenait pas à se relever. Elle s'imaginait que les gens devaient en avoir marre de la voir si déprimée, alors elle s'était mise à faire semblant d'aller mieux. Faire semblant d'être passée à autre chose n'était pas aussi facile, elle devait se forcer à sourire et jouait un rôle jusqu'à ce qu'elle rentre chez elle, là où elle pouvait laisser libre court à son chagrin. Sa psychiatre n'avait pas crû une seconde à ce manège et, à ce jour, elle était la seule personne à laquelle Natalia pouvait se confier. En échange d'argent, bien évidemment.

Toutes les séances commençaient de la même manière : 'Comment allez-vous aujourd'hui?' 'que ressentez-vous?' 'et le sommeil?' 'la vie sociale?'...  Natalia haussait toujours les épaules, en faisant mine de réfléchir. «Ça va.» La psychiatre lui lança un regard « Elle me manque, qu'est ce que vous voulez que je vous dise? C'était ma fille. Il ne se passe pas un jour sans que je pense à elle. Je repense à l'accident, vous savez? Je me dis que j'aurais pu faire attention...»
«Vous voulez reparler de l'accident ?»
Les larmes aux yeux, Natalia resta silencieuse durant de longues minutes avant de reprendre « Eve avait onze ans et elle insistait qu'elle était assez grande pour pouvoir se promener toute seule dans la ville mais je pensais qu'elle était encore trop jeune. Mais elle insistait et elle avait même donné de bons arguments alors, ce jour-là, j'ai cédé. Je l'ai envoyé acheter... » Elle se passa une main sur le visage « Je ne me souviens même plus de ce qu'elle devait acheter. Eve était ravie et sautillait partout. J'aurais dû voir qu'elle ne faisait pas attention, qu'elle était trop excitée mais mon téléphone a sonné et elle est partie. C'est là qu'une voiture l'a renversée.» Les larmes coulèrent sur son visage « J'ai hurlé, j'ai couru pour être à ses côtés. Je lui ai tenu la main et j'ai attendu les secours mais je savais que c'était trop tard. Je ne sais même pas si elle a senti que je lui tenais la main.» Elle se pencha vers la table où des mouchoirs étaient mis à disposition.
La psychiatre lança un regard plein de sympathie à Natalia. «C'est normal de ressentir toutes ces choses, et je ne dis pas d'arrêter de vous sentir triste, vous avez parfaitement le droit parce que c'était votre fille. Mais cette culpabilité ? Ca va finir par vous détruire. C'était un accident. Un terrible accident mais vous n'avez rien à vous reprocher.»

Natalia se sentait toujours un peu étrange lorsqu'on lui disait que ce n'était pas de sa faute. Dans sa tête, c'était comme si c'était elle qui conduisait le véhicule qui avait tué sa fille. Elle avait des cauchemards récurrent où elle était à la place du conducteur. C'était pour cette raison qu'elle ne pouvait plus se passer de somnifères, car c'était le seul moyen de passer une nuit sans avoir de mauvais rêves. Natalia eu un léger sourire avant de hocher la tête. «Je vais travailler là-dessus.» Puis en levant les yeux vers l'horloge, elle se leva «A la semine prochaine.»